Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions et mode d’audience

[1] Le Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) a tenu une audience en personne pour les motifs énoncés dans l’avis d’audience daté du 19 mai 2016, soit l’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires. Ce mode permet le mieux de répondre aux besoins d’adaptation des parties. De plus, il est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal à savoir que l’audience doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[2] L’appelant, Monsieur A. D., était accompagné de sa procureure Me Chantale Désy lors de l’audience tenue le 28 juin 2016.

[3] La Commission de l’assurance emploi du Canada (la Commission) ne s’est pas présentée.

Décision

[4] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). L’appel est accueilli.

Introduction– exposé des faits et procédure

[5] Le 16 décembre 2015, l’appelant a présenté une demande initiale de prestations prenant effet le 20 décembre 2015 (GD3-3 à GD3-15).

[6] Le 20 janvier 2016, dans son avis de décision, la Commission a avisé l’appelant qu’il n’avait pas droit aux prestations à partir du 13 décembre 2015 parce qu’il avait perdu son emploi chez Transport St-Michel le 15 décembre 2015 en raison de votre inconduite (GD3-32 et GD3- 33).

[7] Le 20 janvier 2016, l’appelant a déposé une demande de révision devant la Commission (GD3-34 à GD3-38).

[8] Le 8 février 2016, dans son avis de décision sur la révision administrative, la Commission a avisé l’appelant qu’elle n’avait pas modifié sur la question en litige (GD3-43 a GD 3-44).

[9] Le 23 février 2016, l’appelant a déposé un appel devant le Tribunal.

Question en litige

[10] Le Tribunal doit déterminer si l’appelant a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, en vertu des articles 29 et 30 de la Loi.

Droit applicable

[11] Les paragraphes 29a) et b) de la Loi: [12] Pour l'application des articles 30 à 33 :

  1. a) « emploi » s'entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d'emploi, mais n'est pas assimilée à la perte d'emploi la suspension ou la perte d'emploi résultant de l'affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l'exercice d'une activité licite s'y rattachant;

[13] Paragraphe 30(1) de la Loi:

Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

a) que, depuis qu'il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures requis, au titre de l'article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

b) qu'il ne soit inadmissible, à l'égard de cet emploi, pour l'une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[14] Paragraphe 30(2) de la Loi:

L'exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n'est pas affectée par la perte subséquente d'un emploi au cours de la période de prestations.

Preuve

Au dossier

[15] L'appelant était conducteur de camions sur les longues distances pour Transport St- Michel (GD3-16).

[16] Le 16 décembre 2015, l’appelant a fait une demande initiale de prestations d’assurance- emploi a été établie à compter du 20 décembre 2015 (GD3-3 à GD3-15).

[17] L'appelant a été congédié pour avoir uriné près de son camion dans l’entrepôt d’un client de l’employeur (GD3-17).

[18] L’appelant avait des problèmes de santé. Il faisait une infection urinaire et il avait des problèmes à la prostate (GD3-21).

[19] Il avait un besoin pressant d’uriner et il ne trouvait pas de toilette (GD3-21).

[20] L’appelant avait déjà reçu 2 avis disciplinaires, un pour non-respect des heures de conduite et un autre pour conduite périlleuse dans une cour de triage mettant en danger la sécurité du public (GD3-22).

[21] Selon le contremaitre du client, il y avait des écriteaux indiquant l’emplacement des toilettes (GD3-26).

[22] L’appelant a avoué sa faute, mais il n’y avait pas d’employés pour lui indiquer où étaient les toilettes.

[23] Il a fourni un certificat médical du DrAlain Tremblay, daté du 16 janvier 2016, confirmant son problème de santé (GD3-37).

À l’audience

[24] Il reconnait qu’il a posé ce geste, mais c’était hors de son contrôle.

[25] Le responsable de l’entrepôt lui avait demandé de demeurer dans son camion pour une question de sécurité.

[26] Il existait une règle dans l’entreprise, Transport St-Michel, que si un employé commettait 3 infractions il était suspendu pour une période de 3 jours.

[27] L’employeur avait confirmé à l’appelant qu’il était suspendu pour 3 jours, mais il lui a quand même demandé de lui rendre service en effectuant 3 voyages supplémentaires.

[28] L’appelant a tenté de savoir qu’est-ce qu’il en était de sa suspension, on lui a répondu que l’on verrait à cela plus tard.

Arguments des parties

[29] L’Appelant a fait valoir que :

  1. Qu’il conteste la décision de la Commission;
  2. Que c’était un geste involontaire de sa part;
  3. Qu’il a un problème de santé à ce niveau;
  4. Qu’il admet que ce geste n’est pas correct.

[30] L’intimée a soutenu que:

  1. Le paragraphe 30(2) de la Loi prévoit l’imposition d’une exclusion d’une durée indéterminée s’il est établi que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Une personne employée ayant un contrat de travail se doit de respecter les règles de conduite entendues entre les parties et consacrées par l'éthique professionnelle, le bon sens, l'usage ou les mœurs;
  2. Un employeur est en droit de s’attendre à ce qu’un employé, qui doit, à cause de son état de santé, agir rapidement, s'assure que cela n'aura pas pour effet de poser un geste irrespectueux et présenter un risque de dommages pour les biens de l'employeur ou autre; en ce cas, cette personne doit prendre les mesures nécessaires pour éviter une telle situation;
  3. Dans le cas présent, le prestataire a expliqué avoir un problème de santé l’obligeant parfois à agir vite et après avoir regardé partout dans l’entrepôt pour trouver des indications pour les toilettes, sans voir personne autour pouvant l’aider à le diriger, il a dû uriner près de son camion, mais a été surpris par le contremaître de l’établissement. Il souligne qu’il s’agissait d’un évènement unique;
  4. Il ne peut expliquer pourquoi il n’a pas agi avant qu’il soit trop tard. Il admet qu’il connaissait l’endroit des bureaux où il aurait pu s’informer pour les toilettes. Le prestataire mentionne avoir été surpris par le contremaître, il y a eu une discussion, mais il n’a pas été arrogant alors que le client indique le contraire. Le prestataire avait déjà 2 avis disciplinaires à son dossier ce qui aurait dû le sensibiliser et l’interpeller à agir correctement avec respect et jugement afin d’éviter le congédiement;
  5. La Commission a conclu que le geste d’uriner dans l’entrepôt d’un client important et d’avoir été arrogant avec ce client constituaient des gestes d’inconduite au sens de la Loi parce que malgré le fait qu’il éprouvait un problème de santé à ce niveau, il était de sa responsabilité d’agir rapidement en s’informant ou en cherchant l’endroit des toilettes avant qu’il soit trop tard puisqu’il connaissait la nécessité d’agir rapidement dans sa situation, et ce, malgré le fait que l’employeur lui avait signifié d’attendre dans son camion. Il est inacceptable pour un employeur de tolérer un tel comportement risquant de perdre un client important ou sa réputation;
  6. La Commission soumet que sa décision est appuyée par la jurisprudence.

Analyse

[31] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite.

[32] Pour démontrer qu’il y eu de l’inconduite, le fardeau incombe à l’employeur et la Commission de faire la preuve que l’appelant savait ou devait savoir que son comportement était incompatible avec son emploi.

[33] L’appelant a avoué sa faute. Il connaissait les règles et il savait qu’il serait suspendu pour une période de 3 jours. L’employeur a passé outre sa propre règle et il a congédié l’appelant pour inconduite.

[34] Le Tribunal est d’avis que ni la Commission ni l’employeur ne se sont déchargé du fardeau de démontrer que l’appelant savait ou devait savoir que son comportement était répréhensible et incompatible avec son emploi.

[35] « L’employeur et la Commission ont le fardeau de démontrer que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, suivant la prépondérance de la preuve.» (Larivée 2007 CAF 312) (CanLII)

[36] Pour que l’appelant soit accusé d’inconduite, il faut qu’il fût conscient que son geste entrainerait inévitablement son congédiement. Il ne lui est jamais venu à l’esprit qu’il avait enfreint les règles de l’employeur en posant ce geste.

[37] Il n’est pas raisonnable de conclure que l’appelant savait ou devait savoir que son comportement pourrait mener à son congédiement puisqu’il devait demeurer près de son camion pour des raisons de sécurité. De plus, l’appelant devait surveiller à quel moment il serait demandé pour le chargement de son camion.

[38] L’appelant souffrait d’un problème urinaire et il devait prendre une médication. Il a agi de bonne foi, et ce sans vouloir nuire à son employeur ni de manquer de respect envers le client. C’était une situation hors de son contrôle.

[39] L’arrêt (Mishibinijima 2007 CAF 85) (CanLII) établit : « que dans un cas d’inconduite, le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur.»

[40] L’ensemble de la preuve ne nous porte pas à conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur puisqu’il devait se tenir prêt pour le chargement de son camion, mais malheureusement il n’a pu se contrôler vu son problème de santé.

[41] Le Tribunal est d’avis qu’on ne peut reproché que l’acte avait un caractère volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré. Le seul but de l’appelant était de répondre à son besoin pressant d’uriner.

[42] L’employeur n’avait pas l’intention de mettre l,appelant sous disciple en le suspendant pour 3 jours. Son intention était de le congédié.

[43] « Il faut que l’inconduite cause la perte d’emploi et qu’elle en soit une cause opérante.» (Brissette A-1342-92). Or, les éléments de preuve ne démontrent pas clairement que l’appelant a agi délibérément.

[44] La Cour d’appel fédérale (Tucker 1986 CAF 381) a déterminé « que pour constituer de l’inconduite en vertu de la Loi, il faut que l’acte reproché ait un caractère volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré. »

[45] La Cour d’appel fédérale a déterminé qu’il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte d’emploi.

[46] Dans les cas d’inconduite, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la Tribunal n’a pas à se demander si le congédiement ou la sanction était justifié (Fakhari A-732-95). Il doit plutôt déterminer si le geste posé par le prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi (Marion 2002 CAF 185 (CanLII)).

[47] Les éléments de preuve ne démontrent pas que l’appelant a posé un geste qui a mené à son congédiement. Or son comportement n’était pas « volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré » comme l’établit l’arrêt (Tucker 1986 CAF 381).

[48] Pour que le Tribunal puisse conclure à l’inconduite, il doit disposer des faits pertinents et d’une preuve suffisamment circonstanciés pour lui permettre, d’abord, de savoir comment l’employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement était répréhensible (Meunier A-130- 96); (Joseph A-636-85). Or, la preuve présentée par l’employeur ne nous permet pas de conclure que l’appelant savait que son comportement pourrait mener à son congédiement.

Conclusion

[49] Le Tribunal s’appuie sur les arrêts (Bartone A-369-88) et (Davlut A-241-82) qui établissent : « qu’en matière d’inconduite, la jurisprudence a établi qu’il incombe à la Commission et/ou à l’employeur de prouver (selon la prépondérance des probabilités) que l’appelant a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Pour ce faire, le Tribunal doit être convaincu que l’inconduite était le motif et non l’excuse du congédiement, et pour satisfaire à cette exigence, il doit arriver à une conclusion de fait après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve.» L’appelant n’a pas perdu son emploi suite à sa propre inconduite, mais il a été congédié. L’appel est accueilli.

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