Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale du 22 octobre 2015 est infirmée et l'appel de l'intimé devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 22 octobre 2015, la division générale du Tribunal a déterminé ce qui suit :

  • Aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi), c’est à lui qu’il incombait de démontrer qu’il avait un motif valable pour toute la période du délai de dépôt de sa demande initiale de prestations.

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel le 5 novembre 2015. La permission d’en appeler lui a été accordée le 18 novembre 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la question en litige sous appel;
  • le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  • les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires;
  • l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] Lors de l’audience, l’appelante était représentée par Louise Laviolette. L’intimé était également présent.

Droit applicable

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit trancher si la division générale a erré lorsqu'elle a conclu que l'intimé, à qui il incombait de démontrer qu’il avait un motif valable pour toute la période du délai de dépôt de sa demande initiale de prestations, avait réussi à en faire la preuve en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi.

Arguments

[8] L’appelante a fait valoir les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • Le critère juridique pertinent pour le motif valable n'est pas « est-ce qu'un demandeur a agi raisonnablement dans les mêmes circonstances? » mais plutôt « est-ce que le demandeur a fait ce qu'une personne raisonnable aurait fait en pareilles circonstances, pour s'assurer de ses droits et de ses obligations prévus par la loi? » selon le paragraphe 10(4) de la Loi;
  • La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et la décision n'est pas raisonnable;
  • La Cour d'appel fédérale a déclaré que les prestataires ont le devoir de s'enquérir de leurs droits et obligations et des mesures à prendre ou qui démontrent que des circonstances exceptionnelles les empêchaient de le faire;
  • La division générale a erré lorsqu'elle a n'a pas réussi à clarifier les incohérences entre la déclaration initiale selon laquelle l'intimé n'avait pas physiquement été incapable de déposer sa demande en raison d'une hospitalisation ou pour d'autres raisons, mais a justifié le délai en se fondant sur la durée du processus des normes de travail et sur le fait qu'il n'y avait aucun relevé d'emploi au dossier. La Cour d'appel fédérale a confirmé que la bonne foi n'est pas suffisante pour établir un motif valable et que le fait qu'un tribunal ignore des incohérences sans fournir d'explication constitue une erreur;
  • En l'espèce, l'intimé n'a pas prouvé que les circonstances qu'il l'infligeait était si exceptionnelles qu’elles l’empêchaient de faire ses demandes. Une personne raisonnable dans de telles circonstances et qui connaît les prestations d'AE, comme l'a conclu la division générale, n'aurait pas attendu des mois avant de se renseigner au sujet de ses droits et obligations en ce qui a trait à sa demande de prestations.

[9] L’intimé fait valoir les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • Son employeur ne l'a jamais informé du fait qu'il pouvait présenter une demande de prestations d'AE;
  • Il n'a reçu son relevé d'emploi qu'en 2014, et son statut auprès de l’employeur n'était pas clair;
  • Il a déposé une plainte en vertu des normes du travail en janvier 2013 et elle ne fut réglée qu'en février 2014;
  • Il a appris à propos des prestations d'AE lorsqu'il a déposé une demande d'invalidité en 2014. Il a déposé sa demande de prestations dès qu'il l'a su;
  • C'était la première fois qu'il déposait une demande de prestations d'AE, même s'il habitait au Canada depuis 15 années.

Norme de contrôle

[10] L’appelante affirme que la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de fait et de droit est celle de la décision raisonnable - Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[11] L’intimé n’a pas fourni d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[12] Le Tribunal note que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, a indiqué au paragraphe 19 de sa décision que « [l]orsque la division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d'appel fédérale poursuit en soulignant que :

« [n]on seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale ».

[14] La Cour a conclu que « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi ».

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l’affaire Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[16] Par conséquent, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

[17] Lorsque la division générale a accueilli l'appel de l'intimé, elle a conclu que :

[traduction]

« [29] Le Tribunal juge que le prestataire n'avait pas de relevé d'emploi de son employeur.

(…)

[35] Le Tribunal conclut que même si la Commission pourrait dire vrai lorsqu'elle affirme que le fait pour un prestataire de ne pas être au courant des prestations d'assurance-emploi n'est pas considéré comme un motif valable pour présenter une demande de prestations tardive, c'est le Tribunal qui juge que le prestataire était au courant des prestations d'assurance-emploi. Toutefois, le temps qu'il lui a fallu pour clarifier son statut d'emploi était approximativement d'une année en raison du processus des normes du travail en lien avec son affaire. »

[36] Le Tribunal conclut que le prestataire a agi de la même façon qu'aurait agi une personne raisonnable et prudente dans des circonstances similaires, puisque le prestataire a utilisé tout ce temps pour clarifier le statut de travail par le biais du Bureau des normes du travail. »

[18] Avec grand respect, et pour les raisons suivantes, la décision de la division générale sera infirmée.

[19] Le Tribunal juge que la division générale a erré lorsqu'elle a conclu que l'absence d'un relevé d'emploi justifie un retard pour présenter une demande de prestations. Un relevé d'emploi n'est pas une condition nécessaire à la demande de prestations d'AE. L'attente d'un tel document n'est pas un motif valable au sens de la Loi.

[20] Le Tribunal conclut également que la division générale a ignoré les éléments de preuve portés à sa connaissance lorsqu'elle a jugé que l'appelant avait agi de façon raisonnable pour s'assurer de ses droits et obligations en vertu de la Loi.La Cour d’appel fédérale a réaffirmé à de nombreuses reprises que les prestataires ont le devoir de se renseigner sur leurs droits et obligations et sur les mesures à prendre pour protéger une demande de prestations : Canada (Procureur général) c. Kaler, 2011 CAF 266; Canada (Procureur général) c. Dickson, 2012 CAF 8.

[21] Bien qu'il soit vrai que l'intimé a d'abord été induit en erreur au sujet de son statut d'emploi, le fait est qu'il s'est fait congédier en novembre 2012. L’employeur lui a indiqué qu'il devait supprimer des heures et qu'il n'était pas le seul employé concerné par cette mesure. Après le premier mois, l'appelant s'est enquis auprès de certaines collègues qui lui ont dit qu'il avait vraiment été le seul employé touché par les suppressions de postes. Après avoir essayé de communiquer avec son employeur, il est devenu évident que l'employeur l'évitait.

[22] À la lumière de ces informations, rien n'empêchait l'intimé de présenter une demande de prestation d'AE. Il aurait pu ensuite poursuivre en bénéficiant de prestations au cours de la période pendant laquelle il attendait confirmation de son statut d'emploi. Les éléments de preuve devant la division générale démontrent clairement que pour faire suite à l'information reçue d'un collègue de travail, il a déposé une plainte aux normes du travail et a attendu des mois et des mois avant que le processus n'en vienne à une conclusion. Il ne s'est pas renseigné pendant cette période au sujet de ses obligations et ses droits en ce qui a trait à sa demande de prestations, lorsqu'aucune circonstance particulière ne l'empêchait de le faire.

[23] Après avoir considéré ces circonstances, le Tribunal est convaincu que l'appel de l'appelante doit être accueilli puisque l'intimé n'a pas prouvé qu'il avait un motif valable pour la période du 18 novembre 2012 au 29 mars 2014.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli, la décision de la division générale du 22 octobre 2015 est infirmée et l'appel de l'intimé devant la division générale est rejeté.

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