Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

  • Appelante : K. A.
  • Représentante de l’intimée (Commission) : Carole Robillard

Introduction

[1] Le 30 juin 2015, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que l’appelante a volontairement quitté son emploi sans justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) et elle a rejeté l’appel. L’appelante a assisté à l’audience devant la DG tenue par téléconférence le 24 juin 2015. Personne n’a assisté à l’audience au nom de l’intimée, mais celle-ci avait déposé des observations écrites.

[2] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler (demande) à la division d’appel (DA) du Tribunal le 4 août 2015. La permission d’en appeler a été accordée le 16 décembre 2015, mais elle était limitée à une possible conclusion de fait erronée.

[3] L’appelante avait présenté une demande de renouvellement de prestations d’assurance-emploi (AE) le 23 mars 2014. Elle a été employée par une agence de soutien à domicile jusqu’au 21 novembre 2014. L’appel porte sur son départ de cet emploi et sur la question de savoir s’il s’agit d’un départ volontaire au sens de la Loi sur l’AE et selon la jurisprudence applicable.

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions en litige;
  2. les renseignements au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires ;
  3. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] L’audience relative à l’appel a commencé comme prévu le 29 mars 2016. Au cours de l’audience, l’appelante a fait mention d’une plaine devant la Commission des normes du travail qui a été réglée au moyen d’une entente entre l’appelante et son ancien employeur. Ce document n’a pas été versé au dossier dont est saisie la DG ni présenté à la DG à titre de preuve. L’audience a été ajournée afin de donner la possibilité à l’appelante de présenter une copie de ce document et à l’intimée de l’examiner. L’audience a été convoquée de nouveau et menée à terme le 21 avril 2016.

Questions en litige

[6] La DA peut-elle considérer les éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à la DG, soit un accord de règlement comme il a été susmentionné?

[7] La DG a-t-elle tiré une conclusion de fait erronée, particulièrement celle selon laquelle l’appelante a [traduction] « remis verbalement sa démission puis est rentrée chez elle », pour rendre sa décision de rejet de l’appel de l’appelante devant la DG?

[8] Convient-il, pour la DA, de rejeter l’appel, de rendre la décision que la DG aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la DG pour réexamen, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision de la DG.

Droit applicable

[9] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur les MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] La permission d’en appeler fut accordée pour les raisons suivantes (les références renvoient à des paragraphes de la décision relative à la demande de permission d’en appeler) :

[4]Le demandeur a plaidé, à l’appui de sa demande, que la décision de la division générale comportait des erreurs, ayant notamment trait à :

  1. a) à la conclusion de la DG qu’elle [traduction] « a remis verbalement sa démission puis est rentrée chez elle »;

[…]

[17] Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu de prouver les moyens d’appel aux fins d’une demande de permission d’en appeler, il doit à tout le moins énoncer certains motifs qui font partie des moyens d’appel énumérés. Ici, la demanderesse allègue que des erreurs de fait ont été commises, celles discutées plus haut au sous-paragraphe [4] a) et aux paragraphes [11] et [12], et elle fournit une explication de la façon dont la DG aurait fondé sa décision sur ces conclusions de fait erronées, qu’elle a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] À la lumière des arguments soulevés par la demanderesse et de mon examen de la décision de la DG et du dossier, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce seul moyen, à savoir celui qui est reproduit plus haut en [4] a).

[11] Entre autres pouvoirs qui sont conférés à la DA, il y a celui de substituer sa propre opinion à celle de la DG. Aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, la DA peut rejeter l’appel, rendre la décision que la DG aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la DG pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la DG.

Observations

[12] Les observations de l’appelante peuvent se résumer ainsi :

  1. Elle n’a pas quitté son emploi; elle a été renvoyée.
  2. Le 9 novembre 2014, elle a eu une rencontre déplaisante avec son superviseur (D. Halloran).
  3. Elle a travaillé le reste de la journée, la soirée même, le lendemain et les deux semaines suivantes.
  4. Elle a essayé de parler à son superviseur à un grand nombre de reprises entre le 10 novembre et le 13 novembre 2014; le 13 novembre 2014, le superviseur a accepté de la rencontrer le 19 novembre 2014.
  5. Le 19 novembre 2014, elle a rencontré son superviseur, et il lui a été annoncé que le 21 novembre 2014 serait sa dernière journée de travail.
  6. Elle a postulé ailleurs pour des emplois, mais son ancien superviseur a parlé en mal d’elle.
  7. Elle a porté plainte devant la Commission des normes du travail, ce qui a donné lui à un accord signé avec l’employeur.
  8. Il lui a été dit qu’elle toucherait des prestations d’AE grâce à cet accord.

[13] L’intimée a soutenu ce qui suit :

  1. L’audience devant la DA n’est pas une nouvelle audience.
  2. La DG n’a pas commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle la perte d’emploi de l’appelante était le résultat de son départ volontaire sans justification au sens de la Loi sur l’AE.
  3. Même si elle est erronée, la conclusion de la DG selon laquelle l’appelante a « remis verbalement sa démission puis est rentrée chez elle » ne change rien à la décision.
  4. Le facteur déclenchant de la perte d’emploi de l’appelante a été la démission de vive voix.
  5. Le fait que la démission n’a pas été remise à l’écrit n’en fait pas moins une démission.
  6. Le fait que l’appelante a essayé de rétracter sa démission et que l’employeur n’a pas accepté la rétraction de la démission ne fait pas de la démission un congédiement.
  7. Il incombe à l’appelante de prouver la justification.
  8. Il n’y a aucun moyen justifiant un appel devant la DA.
  9. L’accord de règlement a fait l’objet d’un examen et il ne change pas la position de la Commission.
  10. L’appel devrait être rejeté en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS.

[14] L’employeur n’a pas été mis en cause dans cet appel.

Norme de contrôle

[15] L’intimée a fait valoir que la norme de contrôle applicable pour les questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

[16] La Cour d’appel fédérale a statué, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jewett, 2013 CAF 243, Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190 et dans d’autre cas, que la norme de contrôle pour les questions de droit et de compétence pour ce qui est des appels du conseil arbitral (conseil) en matière d’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait, aux questions mixtes de fait et aux questions de droit est celle du caractère raisonnable.

[17] Jusqu’à tout récemment, la DA considérait que les décisions de la DG pouvaient être révisées selon les mêmes normes applicables aux décisions du conseil arbitral.

[18] Cependant, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Paradis; Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a suggéré que cette approche ne convient pas lorsque la DA du Tribunal révise les décisions en matière d’assurance-emploi rendues par la DG.

[19] Dans l’arrêt Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274, s’est référée à l’arrêt Jean, précité, et a déterminé qu’il n’était pas nécessaire pour la Cour de considérer la question de la norme de contrôle qui doit être appliquée par le DA aux décisions de la DG. L’arrêt Maunder porte sur une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada.

[20] Dans l’arrêt récent Hurtubise c. Canada (P.G.), 2016 CAF 147, la Cour d’appel fédérale a considéré une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la DA qui avait sommairement rejeté un appel d’une décision de la DG. La DA avait appliqué la norme de contrôle suivante : celle de la décision correcte pour les questions de droit et celle de la décision raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit. La DA a conclu que la décision de la DG était « cohérente avec les éléments de preuve portés à sa connaissance et qu’elle en était une raisonnable […] ». La DA a mis en application l’approche que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jean, précité, avait jugée comme inappropriée, mais la décision de la DA fut rendue avant l’arrêt Jean.Dans l’arrêt Hurtubise, la Cour d’appel fédérale n’a fait aucun commentaire au sujet de la norme de contrôle et a conclu qu’elle était « incapable de conclure à une décision déraisonnable de la part de la division d’appel ».

[21] Il semble y avoir divergence en ce qui a trait à l’approche que la DA du Tribunal devrait suivre lorsqu’elle révise des décisions en matière d’assurance-emploi rendues par la DG, et particulièrement à savoir si la norme de contrôle pour les questions de droit et de compétence pour les appels en matière d’assurance-emploi de la DG, diffère de la norme de contrôle des questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[22] Je ne sais pas trop comment concilier ces divergences apparentes. En tant que tel, je vais considérer cet appel en me référant aux dispositions d’appel prévues dans la Loi sur le MEDS et sans référence aux critères « raisonnable » et « correct » puisqu’ils sont reliés à la norme de contrôle.

Analyse

Nouveaux éléments de preuve

[23] L’appelante souhaite se fonder sur le procès-verbal de transaction entre son ancien employeur et elle daté et signé en octobre 2015.

[24] Le Tribunal doit d’abord déterminer si les nouveaux éléments de preuve que désire soumettre l’appelante sont recevables par la DA. Personne ne conteste que cette nouvelle preuve n’a pas été présentée devant la DG.

[25] Des arrêts de la Cour d’appel fédérale ont prescrit que :

  1. Les juges-arbitres ne devraient jamais admettre de nouveaux éléments de preuve : Canada (P.G.) c. Taylor, (1991) A.C.F. no 508, Canada (P.G.) c. Hamilton, (1995) A.C.F. no 1230, Brien c. Canada (CAE), [1997] A.C.F. no 492, Canada (P.G.) c. Merrigan, (2004) CAF 253 et Karelia c. Canada (MRHDS), (2012) CAF 140.
  2. Les juges-arbitres pouvaient admettre de nouveaux éléments de preuve dans la mesure où il s’agissait de « faits nouveaux » en vertu de (l’ancien) article 120 de la Loi sur l’AE : Canada (MEI) c. Bartone, (1989) A.C.F. no 21, Canada (P.G.) c. Wile, (1994) A.C.F. no 1852, Canada (P.G.) c. Chan, (1994) A.C.F. no 1916.
  3. Les juges-arbitres pouvaient considérer de nouveaux éléments de preuve, qui n’étaient pas des « faits nouveaux », s’ils concernaient un manquement à la justice naturelle : Velez c. Canada (P.G.), (2001) CAF 343.
  4. Les juges-arbitres pouvaient, dans un cas exceptionnel, considérer une nouvelle preuve qui n’était pas des « faits nouveaux » en vertu de l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE : Dubois c. Canada (CAE), (1988) A.C.F. no 768 et Canada (P.G.) c. Courchene, 2007 CAF 183.

[26] Dans la décision Rodger c. Canada (P.G.), (2013) CAF 222, la Cour d’appel fédérale a dû faire face à un appelant qui a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve devant le juge-arbitre, il a tenté de présenter ces mêmes éléments comme des faits nouveaux en se fondant sur une demande d’annulation ou de modification de la décision initiale du juge-arbitre, puis a tenté de présenter une nouvelle preuve devant la Cour d’appel fédérale. La décision de la Cour d’appel fédérale a fait valoir que :

26 Même si un plaideur ne comprend pas entièrement la procédure à laquelle il participe, ou ne saisit pas l’importance d’un élément de preuve en particulier, le rôle de notre Cour se limite à contrôler les décisions qui lui sont présentées en fonction des éléments de preuve dont disposait le décideur (Ray c. Canada, (2003) CAF 317 (CanLII), (2003) 4 C.T.C. 206, au paragraphe 5). Il ne s’agit pas en l’espèce d’un des rares cas appelant une exception, par exemple une affaire où la Cour doit décider s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Le juge-arbitre a tranché l’appel en fonction des éléments de preuve à sa disposition, qui consistait en tous les documents produits devant le conseil et les témoignages relevés dans la décision du conseil, puisqu’il n’y avait pas de transcription de l’audience. La Cour doit se servir du même dossier aux fins du contrôle de la décision du juge-arbitre.

27 Lorsqu’il a présenté son premier appel devant le juge-arbitre, le demandeur tentait de faire instruire de nouveau sa cause sur le fond. Malheureusement, le rôle du juge-arbitre ne consistait pas à réexaminer, de novo, son appel de la décision de la Commission, pas plus que le rôle de la Cour, dans le cadre de la procédure en contrôle judiciaire, ne consiste à réexaminer, de novo, l’affaire ou les questions dont était saisi le juge-arbitre, comme je l’ai déjà expliqué.

43 Comme mentionné dans Canada (Procureur général) c. Chan (1994), 178 N.R. 372 (C.A.F.) au paragraphe 10 (Chan), la révision prévue à ce paragraphe de la Loi devrait demeurer une « denrée rare », et un juge-arbitre devrait faire très attention à ce que des « prestataires négligents ou mal intentionnés » n’abusent pas du processus. Comme il est signalé de façon non équivoque dans l’arrêt Chan, une version différente plus détaillée des faits déjà connus du prestataire ou la constatation soudaine des conséquences d’actions passées ne constituent pas des faits nouveaux.

[27] Conformément aux paragraphes 266 et 267 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durables de 2012, ch. 19, le bureau du juge-arbitre a été remplacé par la DA du Tribunal.

[28] Afin de déterminer si la DA peut recevoir de nouveaux éléments de preuve il convient d’analyser la question en quatre temps :

  1. La DA peut-elle annuler ou modifier une décision de la DG?
  2. Les nouveaux éléments de preuve sont-ils des « faits nouveaux »?
  3. Si les nouveaux éléments de preuve ne sont pas des « faits nouveaux » les nouveaux éléments de preuve sont-ils liés à un manquement à la justice naturelle?
  4. Si les nouveaux éléments de preuve ne sont pas des « faits nouveaux » existe-t-il des circonstances exceptionnelles comme dans les arrêts Dubois ou Courchene?
(a) La DA peut-elle annuler ou modifier une décision de la DG?

[29] L’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS indique qu’une décision pourrait être annulée ou modifiée « si de nouveaux faits sont présentés » ou si le Tribunal est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

[30] La DA peut annuler ou modifier une décision qu’elle a rendue, mais ne peut pas annuler ou modifier une décision de la DG. Une demande de modification ou d’annulation d’une décision de la DG devrait être présentée à la DG du Tribunal pour ce faire.

[31] Étant donné le délai d’un an pour présenter la demande d’annuler ou de modifier, il est peut-être trop tard pour que l’appelante puisse présenter une demande à la DG. Dans les circonstances, je discuterai des autres questions.

(b) Les nouveaux éléments de preuve sont-ils des « faits nouveaux »?

[32] Dans l’arrêt Chan, la Cour d’appel fédérale a affirmé que le réexamen d’une décision en se fondant sur faits nouveaux devrait se faire qu’en de rares occasions :

¶ 11 La révision d’une décision par un juge-arbitre sur le fondement de « faits nouveaux » ayant été déposés est et devrait demeurer une denrée rare. On accorde un grand nombre d’occasions de contester des décisions qui les affectent aux prestataires d’assurance-emploi et les juges-arbitres devraient faire très attention à ce que les prestataires négligents ou mal intentionnés n’abusent pas du processus de révision. […]

[33] Les nouveaux éléments de preuve que l’appelante cherche à présenter ont la forme de procès-verbal de transaction d’une affaire devant la Commission des normes du travail entre l’appelante et son employeur. Celle-ci se fonde sur ce document pour démontrer qu’elle n’a pas quitté volontairement son emploi.

[34] Il existe une différence entre des faits nouveaux et de nouveaux éléments de preuve à l’appui de faits connus. Comme mentionné plus haut dans l’arrêt Chan : « Une version différente des faits déjà connus de la prestataire, de simples réflexions après coup ou la constatation soudaine des conséquences d’actions passées ne sont pas des « faits nouveaux ».

[35] Des éléments de preuve disponibles au moment de l’audience devant la DG, mais non présentés, ne peuvent être considérés comme des faits nouveaux : arrêt Velez, précité.

[36] Les « faits nouveaux » doivent s’être produits après la décision ou avant celle-ci, à condition qu’ils aient été impossibles à révéler malgré la diligence : arrêt Chan, précité.

[37] La question n’est pas de savoir si l’appelante était au courant qu’il devait présenter les nouveaux éléments de preuve à l’audience de la DG, mais bien de savoir si l’appelant, en agissant de façon diligente, aurait pu présenter ces éléments de preuve : Canada (P.G.) c. Hines, 2011 CAF 252.

[38] En l’espèce, le nouvel élément de preuve que l’appelante souhaite déposer est un document qui n’existait pas au moment de l’audience devant la DG. Ce document est daté d’octobre 2015, et l’audience devant la DG a eu lieu en juin 2015. Par conséquent, il pourrait répondre au critère juridique de « faits nouveaux », s’il avait des répercussions importantes sur la conclusion de l’affaire.

[39] Même si la DA ne peut annuler ou modifier une décision de la DG, elle peut être en mesure de recevoir le document dans un autre but.

(c) Les nouveaux éléments de preuve sont-ils liés à un manquement à la justice naturelle?

[40] L’appelante ne s’appuyait pas sur le manquement à un principe de justice naturelle dans sa demande de permission d’en appeler.

[41] De plus, les nouveaux éléments de preuve que l’appelante désire soumettre ne sont pas liés à un manquement au principe de justice naturelle. Ils ne peuvent être reçus par la DA selon l’exception établie dans l’arrêt Velez.

(d) Existe-t-il des circonstances exceptionnelles comme dans les arrêts Dubois ou Courchene?

[42] Les arrêts Courchene, précité, et Canada (P.G.) c. Boulton (1998), 208 N.R. 63 (CAF) portaient sur des documents qui servaient de règlement à un conflit de travail ou d’emploi entre un prestataire d’AE et son ancien employeur. L’arrêt Dubois, supra, a été affirmé dans l’affaire Courchene.

[43] Dans l’arrêt Courchene, le juge-arbitre a accueilli en tant qu’élément de preuve, le procès-verbal du règlement qui n’était pas devant le conseil, sous forme d’une demande de modifier et d’annuler. Dans l’arrêt Boulton, l’accord était un élément de preuve devant le conseil. Dans l’arrêt Dubois, la Cour d’appel fédérale a indiqué que le nouvel élément de preuve, sous forme de certificat médical, aurait dû être accueilli afin d’être présenté devant le juge-arbitre là où aucune demande de modification ou d’annulation n’avait été soulevée.

[45] Je souligne que le courant jurisprudentiel des affaires Dubois, Courchen et Boulton a été conclu selon un régime qui permettait qu’un juge-arbitre modifie ou annule une décision du conseil. Comme il a été mentionné précédemment, la DA ne peut annuler ou modifier une décision de la DG. Toutefois, la DA considère qu’une décision de la DG est révisable selon les mêmes principes qu’une décision du conseil (dont on interjette appel devant le juge-arbitre).

[46] En considérant les récentes décisions dans les arrêts Paradis, précité, Maunder, précité, et Hurtubise, précité, ainsi que les différences entre l’article 66 de la Loi sur le MEDSS et l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE (disposition pour la modification ou l’annulation), je suis convaincue que ce courant jurisprudentiel lie la révision d’une décision de la DG par la DA.

[47] Une lecture de la jurisprudence permet de limiter son application aux affaires d’inconduite pour lesquelles un accord de règlement entre le prestataire et l’employeur était contradictoire à une conclusion d’inconduite du prestataire. Par contre, certaines décisions de la DA ont allégué que ces affaires ne sont pas limitées à ce but : par exemple DA-14-99 (C. B. c. Commision de l’assurance-emploi du Canada, 2016 TSSDAAE 40).

[48] Dans les circonstances et jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ordonne le contraire, je me guiderai à l’aide de la jurisprudence d’AE existante. Concernant la question en litige en l’espèce, je vais accueillir et évaluer les nouveaux éléments de preuve de l’appelante.

Nouveau document et départ volontaire

[49] L’appelante soutient que, selon le procès-verbal de transaction, l’ancien employeur ne bloquerait pas sa demande de prestations d’AE et que son ancien employeur lui a dit qu’il ne pouvait pas changer les motifs concernant l’émission du relevé d’emploi (de [traduction] « démission » à un autre motif). L’appelante prétend que le procès-verbal de transaction appuie la conclusion selon laquelle elle n’a pas quitté volontairement son emploi.

[50] Le procès-verbal de transaction comprend ce qui suit :

  • [traduction]
  • CONSIDÉRANT QU’K. A. était employé par X en tant qu’aide de maintien à domicile;
  • ET CONSIDÉRANT QU’K. A. a cessé de travailler le 21 novembre 2014;
  • ET CONSIDÉRANT QU’K. A. a porté plainte concernant le code des normes du travail de la Nouvelle-Écosse;
  • ET CONSIDÉRANT QU’K. A. et Gusborough ont négocié des conditions de séparations mutuellement acceptables;
  • ET CONSIDÉRANT QU’K. A. et X conviennent que les conditions de règlement doivent être produites à l’écrit dans le présent procès-verbal de transaction;
  • POUR CES MOTIFS, le présent procès-verbal de transaction témoigne que, en vue des conditions mentionnées ultérieurement et compte tenu de celles-ci, K. A. et X (appelés collectivement ci-après les parties) conviennent ce qui suit :

[51] Au moyen du procès-verbal de transaction, l’appelante et son ancien employeur se sont entendus en ces termes :

[traduction]
  1. X doit payer à K. A. deux semaines de salaire et 4 % d'indemnité de congé selon un horaire de 26 heures par semaine et un salaire de 17,95 $ l’heure, conformément au présent procès-verbal de transaction. Des déductions et des retenues s’appliquent.
  2. K. A. reconnait que le montant précisé au paragraphe 1 ci-dessus comprend toutes les prestations relatives au code des normes du travail de la Nouvelle-Écosse, à la loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, au common law, au contrat d’emploi ou autrement.
  3. X doit produire un relevé d’emploi modifié afin d’y inclure le montant payé comme il a été précisé au paragraphe 1 seulement. X ne modifiera pas le bloc 16, le motif de production du relevé d’emploi, dans la version modifiée. K. A. convient qu’elle est entièrement responsable de tout remboursement d’AE qui pourrait être demandé. X convient de ne pas participer à tout appel relatif à l’admissibilité d’K. A. aux prestations d’AE.
  4. K. A. convient de signer l’accord de renonciation et de confidentialité. K. A. convient de renvoyer à X la copie originale signée du présent procès-verbal de transaction et de l’accord de renonciation et de confidentialité ci-joint. Le versement des sommes du règlement prévues au paragraphe 1 est conditionnel à la signature d’K. A. et au renvoi du présent procès-verbal de transaction et l’accord de renonciation et de confidentialité ci-joint.
  5. K. A. convient de renoncer à sa plainte aux normes du travail contre X en ce qui concerne sa cessation d’emploi le 21 novembre 2014.
  6. Les parties reconnaissent avoir reçu un avis juridique indépendant relativement à l’affaire et que les conditions du présent procès-verbal de transaction et de l’accord de renonciation et de confidentialité ci-joint sont comprises et acceptées librement et volontairement par chaque partie.

[52] L’arrêt Boulton, supra, est l’autorité en matière de ce en quoi une proposition d’accord peut constituer un élément de preuve qui pourrait réfuter d’autres éléments de preuve d’inconduite dans certaines circonstances et peut être considérée par le juge-arbitre dans les affaires appropriées.

[53] Dans l’arrêt Boulton, la Cour d’appel fédérale s’est référée à l’affaire Canada (P.G.) c. Wile (A-233-94) a déclaré ce qui suit :

Le raisonnement qui se dégage de l’arrêt Wile est que, avant qu’une transaction puisse être invoquée pour réfuter une constatation antérieure d’inconduite, il faut qu’il y ait une preuve quelconque en la matière qui neutraliserait la position prise par l’employeur durant l’enquête de la Commission ou lors de l’audience du conseil arbitral.

Selon l’accord dans l’affaire Boulton, tous les griefs furent retirés comme étant totalement ou finalement résolus et le prestataire fut réintégré dans son emploi pour être ensuite licencié en vertu de son ancienneté à la même date. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’accord ne renferme aucun aveu exprès ou implicite que les faits consignés dans le dossier déposé auprès de la Commission étaient erronés ou qu’ils ne reflétaient pas de façon exacte les événements ayant mené à la cessation de l’emploi et par conséquent, les modalités de l’accord n’étaient pas en contradiction avec la conclusion antérieure d’inconduite.

[54] Dans l’arrêt Wile, l’accord de règlement inclut la phrase suivante : « Aucune faute n’est reconnue ou alléguée par l’une ou l’autre des parties au sujet des malheureux différends qui les opposent ». La Cour d’appel fédérale a soutenu que cette phrase ne pouvait être utilisée pour annuler les fondements selon lesquels le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

[55] Dans l’arrêt Courchene, le juge-arbitre a conclu que la teneur du procès-verbal de l’accord de règlement « contredisait l’allégation d’inconduite de l’employeur ». La Cour d’appel fédérale a conclu que les modalités, dans l’ensemble, pouvaient raisonnablement être compris comme étant contradictoire à une allégation d’inconduite de la part du prestataire et s’est plus particulièrement référée à :

La lettre de congédiement est remplacée par une lettre de démission, tous les renseignements concernant le grief sont retirés du dossier de la défenderesse, le relevé d’emploi est modifié de manière à indiquer que la décision de mettre fin à la période d’emploi a été prise d’un commun accord et – élément très important – la défenderesse reçoit une compensation substantielle (équivalant à douze semaines de salaire, après une période d’emploi d’un an et demi).

[56] Les conditions du procès-verbal de transaction en l’espèce sont très différentes des conditions des accords dans les affaires Boulton et Courchene. La seule mention pertinente aux motifs de la cessation d’emploi est au point 3 concernant le relevé d’emploi. Il fait état que l’employeur ne changera pas les motifs de production du relevé d’emploi. Par conséquent, le motif demeure [traduction] « démission ».

[57] En ce qui a trait au fait que le procès-verbal de transaction est un élément de preuve pour ce qui est du départ volontaire, ce qui contredit la position de l’employeur durant l’enquête menée par le Commission ou au moment de l’audience, je réponds par la négative.

[58] Tout en appliquant la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale à l’affaire présente, il est clair que le procès-verbal de transaction entre l’appelante et son ancien employeur ne contredit pas la conclusion de départ volontaire de la DG.

Conclusion de fait erronée

[59] La conclusion de fait erronée selon l’appelante et pour laquelle la permission d’en appeler a été accordée est la suivante : « remis verbalement sa démission puis est rentrée chez elle. »

[60] L’appelante fait valoir que la conclusion est erronée pour les raisons suivantes :

  1. Elle ne pouvait pas remettre verbalement sa démission; une démission doit être présentée à l’écrit.
  2. Après le conflit verbal avec son superviseur, elle a continué de travailler le reste de la journée, en soirée, le lendemain et pendant deux autres semaines; il était erroné de conclure qu’elle est rentrée chez elle.
  3. Elle a tenté de parler à son superviseur et elle a eu l’impression au téléphone que la situation pourrait se régler.
  4. Son superviseur l’a renvoyée au cours de leur rencontre en personne.

[61] L’intimée soutient que la question de savoir si l’appelante est rentrée chez elle ou non n’est pas pertinente en ce qui concerne la question du départ volontaire. L’appelante a remis verbalement sa démission; elle a peut-être essayé de la rétracter, et l’employeur n’a pas accepté la rétraction, mais il s’agit tout de même d’une démission.

[62] Il ne fait aucun doute que l’appelante a remis verbalement sa démission le 9 novembre 2014 au cours d’une discussion avec son superviseur.

[63] J’estime que la question de savoir si l’appelante « est rentrée chez elle » juste après cette discussion ou non n’est pas une conclusion sur laquelle la DG a fondé sa décision. De plus, cela ne change pas le fait que l’appelante a remis verbalement sa démission. Par conséquent, la conclusion de la DG selon laquelle l’appelante a « remis verbalement sa démission puis est rentrée chez elle » n’était pas une conclusion de fait erronée comme il est décrit à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[64] Le reste des observations de l’appelante en l’espèce conteste à nouveau les faits et arguments déposés auprès de la DG.

[65] Le rôle de la DG en tant que juge des faits consiste à soupeser la preuve et à tirer des conclusions en s’appuyant sur une appréciation de cette preuve. La DA n’est pas le juge des faits.

[66] À titre de membre de la DA du Tribunal, dans le cadre de l’instruction de cet appel, il ne m’appartient pas d’examiner et d’évaluer les éléments de preuve dont disposait la DG dans l’optique de remplacer les conclusions de fait qu’elle a tirées par mes propres conclusions. Le rôle de la DA consiste à déterminer si la DG a commis une erreur susceptible de contrôle prévue au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et, si c’est le cas, de prévoir une réparation pour cette erreur. En l’absence d’une telle erreur susceptible de contrôle, la loi ne permet pas à la DA d’intervenir. Le rôle de la DA n’est pas de d’instruire l’affaire à nouveau.

[67] L’appelante n’a relevé aucune erreur de droit, pas plus qu’il n’a signalé de conclusions de fait erronées que la DG aurait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle en est arrivée à sa décision.

Conclusion

[68] En considérant les observations des parties, mon examen de la décision de la DG et du dossier d’appel, je conclus qu’aucune erreur susceptible de réexamen n’a été accomplie par la DG.

[69] L’appel est rejeté.

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