Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 31 décembre 2015, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a accueilli l'appel de l'intimé dans lequel la Commission de l'assurance-emploi du Canada (Commission) avait déterminé qu'elle (prestataire) ne se qualifiait pas pour recevoir des prestations en vertu des paragraphes 7(3) et 7(4) de Loi sur l'assurance-emploi (Loi sur l'AE). L'intimée était présente à l'audience de la DG tenue par téléconférence, ainsi qu'un témoin.  Personne n’y était pour le compte de la Commission.

[2] Une demande de permission d'en appeler de la décision de la DG fut déposée auprès de la division d'appel (DA) le 14 janvier 2016.  La permission d’en appeler a été accordée le 9 mars 2016.

[3] Le présent appel a procédé sous la forme d’une audience sur la foi du dossier pour les raisons suivantes :

  1. L’absence de complexité de la question soulevée en appel;
  2. La demande de l'appelante;
  3. Le membre a déterminé qu’il n’est pas nécessaire de tenir une nouvelle audience;
  4. L’exigence, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[4] Les faits suivants ne sont pas contestés :

  1. La dernière journée de travail de l'intimée était le 26 juin 2015, et elle a déposé sa demande de prestations régulières en juillet 2015;
  2. La période de référence a été établie du 29 juin 2014 au 27 juin 2015;
  3. Il lui fallait avoir accumulé 910 heures d’emploi assurable;
  4. Il y avait quatre relevés d'emploi (RE) à son dossier;
  5. L'appelante croit qu'elle avait 1 045 heures d'emploi assurable puisqu’elle additionne les heures des quatre RE;
  6. La Commission a déterminé, à l'étape de révision, qu'elle avait 844 heures d'emploi assurable;
  7. La Commission a déterminé que l'intimée avait un nombre d'heures d'emploi assurable insuffisant et qu'elle ne pouvait recevoir de prestations régulières.

[5] La DG a conclu qu'en combinant les quatre relevés d'emploi, l'intimée avait 1 045 heures d'emploi assurable, suffisamment pour pouvoir présenter une demande de prestations régulières.

Questions en litige

[6] Déterminer si la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Il faudra également déterminer s’il convient, pour la DA, de rejeter l’appel, de rendre la décision que la DG aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la DG pour réexamen, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision de la DG.

Droit applicable

[8] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] La permission d’en appeler a été accordée en se basant sur le fait que l’appelant avait exposé des motifs correspondant aux moyens d’appel énumérés et que l’un de ces motifs au moins conférait à l’appel une chance raisonnable de succès, en l’occurrence, celui ayant trait aux moyens d’appel prévus à l'alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[10] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS prescrit les pouvoirs de la division d’appel.

Observations

[11] L’appelante a fait valoir ce qui suit :

  1. La DG a erré en droit lorsqu'elle a accueilli l'appel de l'intimée portant sur la question des heures d'emploi assurable, conformément à l'article 7 de la Loi sur l'AE;
  2. La norme de contrôle applicable pour les questions de fait est celle du caractère raisonnable;
  3. La DG a conclu que l'intimée avait accumulé 1 045 heures d'emploi assurable pendant sa période de référence, et que cela consistait en une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance;
  4. La DG n'a pas reconnu le fait selon lequel le RE W40921056 était une version modifiée du RE original W37987371 car il incluait les heures des deux RE, plutôt que celles ayant uniquement été incluses dans la version modifiée;
  5. L'intimée n'avait pas le nombre d'heures d'emploi assurable pour se qualifier à des prestations puisqu'elle n'avait pas accumulé le nombre d'heures requis de 910 heures.

[12] L'intimée n’a présenté aucune observation.

Analyse

[13] La DA du Tribunal a accordé la demande de permission d'en appeler sur la question de conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, en ce qui a trait à deux RE étant pris en considération lorsque l'un remplaçait potentiellement l'autre.

La décision relative à cette demande de permission d’en appeler affirmait :

[traduction]

[12] Bien que la DG ait énoncé les dispositions législatives pertinentes aux questions soulevées en appel, la demanderesse soutient que la DG a tiré des conclusions de fait erronées, plus précisément, lorsqu’elle a conclu que la défenderesse avait accumulé 1 045 heures d’emploi assurable.  Plus particulièrement, la demanderesse soutient que la DG a considéré deux RE alors qu’elle n’aurait dû tenir compte que du dernier, car il modifiait et remplaçait le premier RE.

[13] Si les heures d’emploi assurable des deux RE ont été comptées alors que l’un des RE remplaçait l’autre, donc cette conclusion de fait aurait été « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ».  Par conséquent, les conclusions de fait relatives aux RE et au total d’heures d’emploi assurable de la défenderesse au cours de sa période de prestations justifient une révision.

Norme de contrôle

[15] L’appelante a fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

[16] La Cour d’appel fédérale a statué, dans Canada (Procureur général) c. Jewett, 2013 CAF 243, Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190 et dans d’autre cas, que la norme de contrôle pour les questions de droit et de compétence pour ce qui est des appels du conseil arbitraire (Conseil) en matière d’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait, aux questions mixtes de fait et aux questions de droit est celle du caractère raisonnable.

[17] Jusqu’à tout récemment, la DA considérait que les décisions de la DG pouvaient être révisées selon les mêmes normes applicables aux décisions du conseil arbitral.

[18] Cependant, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Paradis; Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a suggéré que cette approche ne convient pas lorsque la DA du Tribunal révise les décisions en matière d’assurance-emploi rendues par la DG.

[19] Dans l'affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274, s'est référée à Jean, supra, et a déterminé qu'il n'était pas nécessaire pour la Cour de considérer la question de la norme de contrôle qui doit être appliquée par le DA aux décisions de la DG. L'affaire Maunder porte sur une demande de prestations d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada.

[20] Dans l'affaire récente Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147, la Cour d'appel fédérale a considéré une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la DA qui rejetait sommairement un appel de la DG. La DA a appliqué la norme de contrôle suivante : la décision à caractère raisonnable pour des questions de droit et la décision à caractère raisonnable pour les questions de fait et de droit. La DA a conclu que la décision de la DG était [traduction] « cohérente avec les éléments de preuve portés à sa connaissance et à caractère raisonnable... » La DA a mis en application l'approche jugée non appropriée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jean, supra.  Dans l'affaire Hurtubise, la Cour fédérale d'appel n'a pas émis de commentaire sur la norme de contrôle et a conclu qu'elle était « incapable de conclure que la décision de la division d'appel était déraisonnable. »

[21] Il semble y avoir divergence en ce qui a trait à l'approche que la DA du Tribunal devrait suivre lorsqu'elle révise des décisions en matière d'assurance-emploi rendues par la DG, et particulièrement à savoir si la norme de contrôle pour les questions de droit et de compétence pour les appels en matière d'assurance-emploi de la DG, diffère de la norme de contrôle des questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[22] Je ne sais pas trop comment concilier ces divergences apparentes.  En tant que tel, je vais évaluer cet appel en me référant aux dispositions d'appel prévues dans la Loi sur le MEDS et sans référence au « caractère raisonnable » et au « caractère correct », puisqu'ils sont reliés à la norme de contrôle.

Relevés d’emploi

[23] La DG a décrit les quatre RE, comme suit :

[traduction]

[7] Sur un relevé d'emploi (RE), daté du 8 juillet 2015, un employeur a indiqué que l'appelante avait 285 heures d'emploi assurable entre le 16 mars 2015 et le 26 juin 2015.  L'appelante fut renvoyée en raison du manque de travail.

[…]

[9] Sur un RE, daté du 18 mars 2015, un employeur a indiqué que l'appelante avait 199 heures d'emploi assurable entre le 5 janvier 2015 et le 13 mars 2015. L'appelante fut renvoyée en raison du manque de travail.

[10] Sur un RE, daté du 22 décembre 2015, un employeur a indiqué que l'appelante avait 350 heures d'emploi assurable entre le 25 août 2014 et le 19 décembre 2014.  L'appelante fut renvoyée en raison du manque de travail.

[11] Sur un RE, daté du 8 septembre 2015, un employeur a indiqué que l'appelante avait 211 heures d'emploi assurable entre le 29 décembre 2014 et le 13 mars 2015. L'appelante fut renvoyée en raison du manque de travail.

[24] Les deux RE en question sont ceux décrits aux paragraphes [9] et [11] de la décision de la DG, soit le RE W37987371 et le RE W40921056, respectivement.

[25] RE W40921056 (GD3-18) indique à la boîte 2 - [traduction] « no de série du RE modifié ou remplacé » - W37987371 (GD3-16).

[26] Les différences significatives des deux RE sont :

  1. Première journée travaillée : 29-12-2014 dans le RE W40921056 et 05-01-2015 dans le RE W37987371;
  2. Nombre total d'heures d'emploi assurable : 211 dans le RE W40921056 et 199 dans le RE W37987371.

[27] Le RE W40921056 inclut une période d'une semaine d'heures d'emploi assurable de plus. Il est clair qu'il modifie et remplace le RE W37987371.

[28] En additionnant les heures de ces deux RE pour calculer le nombre total d'heures d'emploi assurable, la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[29] Ceci constitue une erreur sujette à révision conformément à l'alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[30] En raison de cette erreur, la DA doit procéder à sa propre analyse et déterminer s’il y a lieu de rejeter l’appel, de rendre la décision que la DG aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la DG, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision : paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS.

[31] Est-ce que la DG est en mesure de rendre la décision que le DG aurait dû rendre sur cette question?  Je conclus qu'elle l'est, puisque les faits nécessaires pour rendre cette décision ne sont pas contestés et qu'aucun nouvel élément de preuve n'est requis des parties.

Erreur de la DG et décision de la DA

[32] La DG a conclu que l'intimée avait un total de 1 045 d'heures d'emploi assurable.  Toutefois, la DG a compté 199 heures à deux reprises.  Par conséquent, l'intimée n'avait que 846 heures d'emploi assurable.

[33] L'intimée nécessitait 910 heures d'emploi assurable pour se qualifier à des prestations.

[34] L'intimée ne s'est donc pas qualifiée pour des prestations conformément à l'article 7 de la Loi sur l'AE.

[35] En considérant les observations des parties, mon réexamen de la décision de la DG et du dossier d'appel, je conclus que la DG a tiré une conclusion de fait erronée lorsqu'elle a rendu sa décision, et j'accueille l'appel.

[36] Dans les circonstances, je suis en mesure de rendre la décision que la DG aurait dû rendre (soit le rejet sommaire de l'appel de l'intimée devant la DG).

Conclusion

[37] L'appel est accueilli, et la décision de la DG est infirmée.

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