Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’exclusion est annulée.

Introduction

[2] Le 30 septembre 2015, la division générale du Tribunal a déterminé ceci :

  • L’appelante était fondée à quitter son emploi, au titre des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[3] L’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel le 9 novembre 2015, après que la décision de la division générale lui ait été communiquée le 14 octobre 2015. La permission d’en appeler lui a été accordée le 17 novembre 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question en litige sous appel.
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales.
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires.
  • L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] Lors de l’audience, l’appelante était présente et était représentée par Stan Zigelstein. L’intimée était représentée par Warren Dinham.

Droit applicable

[6] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a conclu que l’appelante n’était pas fondée à quitter son emploi, au titre des articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

Arguments

[8] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de l’appel :

  • L’appelante plaide que la division générale n’a pas dûment pris en considération toutes les circonstances de son cas ;
  • Elle plaide que si la division générale avait dûment tenu compte de toutes les circonstances qui l’affectaient, la division générale aurait conclu que l’appelante était admissible au bénéfice des prestations ;
  • Elle soutient que l’analyse de la division générale ne fait pas mention des problèmes de santé de l’appelante et de son mari et de la nécessité des prestations d’assurance-maladie de l’appelante, prestations auxquelles l’appelante n’aurait plus accès à la retraite, si elle demeurait employée après le 31 décembre 2014 ;
  • Qui plus est, l’appelante affirme que la division générale a conclu de façon erronée qu’elle n’avait pas reçu d’invitation ni d’incitation, de la part de la direction, à prendre sa retraite lorsqu’elle l’a fait ;
  • Elle soutient que la lettre du 27 septembre 2012 incitait les employés admissibles à prendre leur retraite avant le 31 décembre 2014, en vantant l’avantage de recevoir des prestations continues d’assurance maladie et de soins dentaires, et, à l’inverse, pénalisait les employés admissibles qui souhaitaient prendre leur retraite après le 31 décembre 2014 ;
  • Elle plaide qu’en raison de sa santé fragile, elle n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son employeur pour s’assurer d’obtenir des prestations complémentaires de soins de santé et dentaires aux retraités, prestations auxquelles elle et son mari n’auraient pas eu accès si elle était demeurée employée après la date butoir du 31 décembre 2014.

[9] L’Intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • La division générale n’a pas commis une erreur de droit en rendant sa décision. La division générale a fondé sa décision sur une interprétation correcte des articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE ;
  • Lorsqu’un prestataire quitte volontairement son emploi, il lui incombe de démontrer qu’aucune autre solution raisonnable ne s’offrait à lui au moment où il l’a fait ;
  • La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il ne suffit pas que le prestataire prouve qu’il a agi de façon raisonnable en quittant son emploi ; agir raisonnablement peut constituer un motif valable, mais pas nécessairement une justification. Il doit être démontré qu’à la lumière de l’ensemble des circonstances, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable ;
  • En l’espèce, la division générale a entendu les témoignages oraux de l’appelante, examiné les éléments de preuve documentaire et appliqué les dispositions pertinentes de la législation et de la jurisprudence aux faits de l’affaire ;
  • La division générale a déterminé que bien qu’elle compatisse aux circonstances de l’appelante, elle ne satisfaisait pas aux exigences d’admissibilité pour recevoir des prestations ;
  • La décision de la division générale de maintenir l’imposition d’une exclusion semble respecter entièrement les paramètres des dispositions législatives et de la jurisprudence susmentionnées et ne constitue donc pas une erreur d’interprétation ou d’application de la loi ;
  • La division générale n’a pas fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Norme de contrôle

[10] L’appelante n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[11] L’intimée soutient que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable – Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

[12] Le Tribunal note que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, a indiqué au paragraphe 19 de sa décision que [traduction] « [l]orsqu'elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale indique également les faits suivants [traduction] :

[n]on seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[14] La Cour conclut que « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans la décision Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[16] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[17] L’appelante en appelle de la décision de la division générale datée du 30 septembre 2015. La question faisant l’objet de l’appel était à savoir si l’appelante avait quitté volontairement son emploi sans motif valable, aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

[18] À la lumière des informations au dossier, l’intimée a conclu que l’appelante ne pouvait pas recevoir de prestations, car elle avait quitté volontairement son emploi sans motif valable. Le 30 septembre 2015, la division générale a rejeté l’appel de l’appelante au motif que l’appelante avait quitté volontairement son emploi pour des raisons personnelles puisqu’elle aurait pu continuer à travailler pour l’employeur.

[19] Les faits dans la présente affaire ne sont pas contestés. Une demande initiale de prestations a été présentée prenant effet le 4 janvier 2015 (pages GD3-3 à GD3-16). Dans sa demande de prestations, l’appelante a indiqué qu’elle a pris sa retraite parce que l’entreprise avait indiqué que si elle prenait sa retraite le 31 décembre 2014, elle recevrait des prestations de maladie durant toute sa vie (GD3-7). L’appelante a fourni une copie de l’avis de l’employeur daté du 27 septembre 2012, qui confirmait qu’à la suite de l’acquisition d’Alcon Canada Inc., les régimes de soins de santé et d’assurance dentaire d’une personne retraitée seront arrêtés à partir du 1er janvier 2015 (GD3-19 à GD3-21).

[20] Pour déterminer si une personne était fondée à quitter volontairement un emploi, cela dépend si elle n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter, après avoir tenu compte de toutes les circonstances incluant les multiples circonstances spécifiques énumérées à l’article 29 de la Loi sur l’AE. Le fardeau de la preuve pour établir la justification repose sur l’appelante.

[21] Bien que la division générale ait correctement énoncé le critère juridique applicable, le Tribunal conclut qu’elle a négligé d’appliquer ce critère aux faits en l’espèce et n’a pas cherché à savoir si l’appelante, après avoir considéré toutes les circonstances, n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi. Par conséquent, le critère n’a pas été appliqué et interprété correctement.

[22] De plus, la division générale a ignoré la preuve dont elle était saisie lorsqu’elle a conclu que l’appelante n’avait pas reçu d’invitation ni d’incitation, de la part de la direction, à prendre sa retraite lorsqu’elle l’a fait.

[23] Le Tribunal est donc justifié d’intervenir et de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre dans cette affaire.

[24] Le Tribunal conclut que les conditions et modalités ont été sensiblement modifiées par l’employeur en ce qui a trait aux prestations de maladie de l’appelante liées à la pension offerte par son employeur. Une décision a dû être prise au plus tard le 31 décembre 2014 afin qu’elle puisse bénéficier des prestations de maladie pendant toute sa vie par l’intermédiaire de son employeur. Contrairement aux conclusions tirées par la division générale, elle a clairement été influencée à adopter une ligne de conduite qui n’était pas de son plein gré.

[25] Cela s’apparente à une modification de la rémunération ou du salaire, et il s’agit de circonstances qui doivent être prises en considération pour déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ de l’appelante constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[26] Elle plaide qu’en raison de sa santé fragile, elle n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son employeur pour s’assurer d’obtenir des prestations complémentaires de soins de santé et dentaires aux retraités, prestations auxquelles elle et son mari n’auraient pas eu accès si elle était demeurée employée après la date butoir du 31 décembre 2014.

[27] Compte tenu de son âge avancé (63 ans à l’époque en cause), il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle travaille plus de deux ans après la date butoir du 31 décembre 2014. Si la politique de la compagnie n’avait pas discontinué les régimes de soins de santé et d’assurance-dentaires des personnes retraitées, et cela, pour les personnes qui étaient admissibles et qui prenaient leur retraite après le 31 décembre 2014, l’appelante serait probablement demeurée au service de son employeur tant et aussi longtemps que son âge et sa santé lui auraient permis. Sa retraite a donc été forcée en raison des changements apportés à la politique de l’entreprise.

[28] Le Tribunal conclut que l’appelante, à la lumière des circonstances de la perte potentielle de prestations importantes de soins médicaux et dentaires, de son âge et de son admissibilité prochaine à la retraite, n’a pas eu d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

Conclusion

[29] L’appel est accueilli et l’exclusion est annulée.

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