Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli et la cause référée à la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) pour une nouvelle audience.

Introduction

[2] En date du 23 octobre 2015, la division générale du Tribunal a conclu que :

  • L’appelante était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi, parce qu’elle n'avait pas présenté sa carte de déclaration dans les délais prévus aux articles 10 et 50 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et à l'article 26 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »).

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 26 novembre 2015 après avoir reçu communication de la décision de la division générale en date 27 octobre 2015. La demande pour permission d’en appeler a été accordée le 8 décembre 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que cet appel procéderait par téléconférence, pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • le caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] L’appelante était présente à l’audience avec son représentant, Me Hugo Marquis. L’intimée était représentée par Elena Kitova.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] La question en litige est la suivante:

  • La division générale a-t-elle erré en fait et/ou en droit en concluant que l’appelante était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi, parce qu’elle n'avait pas présenté sa carte de déclaration dans les délais prévus aux articles 10 et 50 de la Loi et à l'article 26 du Règlement?

Arguments

[8] L’appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • Bien que la division générale se soit bien dirigée en droit, il appert qu'elle a arrêté son analyse aux principes de base alors que le dossier en l'espèce commandait une étude plus approfondie des nuances à apporter lorsque l'information erronée émane de l’intimée ou de l'un de ses représentants;
  • La Cour d'appel fédérale confirme qu'une information erronée ne doit pas nécessairement émaner de l’intimée pour que celle-ci engendre un motif raisonnable de retard. Inutile de dire qu’à plus forte raison, une information erronée qui émane véritablement de l’intimée peut bien évidemment constituer un motif raisonnable;
  • Pourtant, à la lecture du jugement de la division générale, il appert que c'est notamment ce qui est reproché à l'appelante : ne pas avoir mis en doute ou refuser de croire des informations émanant de l’intimée;
  • Certains tribunaux se sont penchés sur des situations ou une information erronée émanait de l’intimée elle-même. La jurisprudence en question ne semble aucunement avoir été prise en compte par la division générale qui s'est limitée à énoncer certains arrêts de principes et a reprocher à l'appelante de ne pas avoir poussé ses démarches plus loin;
  • La division générale a erré en droit en interprétant de façon beaucoup trop restrictive les principes qui sous-tendent la définition d'un motif valable justifiant le retard ce qui revient à imposer à l'appelante un fardeau bien au-delà de ce qui a été établi par la jurisprudence;
  • La division générale a erré dans son application du droit aux faits en insistant de façon démesurée sur le statut de l'agente et en omettant de prendre en considération les facteurs pertinents qui permettaient de conclure qu'une personne raisonnable aurait cru qu'elle n'était pas admissible à l'assurance- emploi;
  • La division générale a erré en écrivant au paragraphe 15 de sa décision que la conversation a laissé comprendre à l'appelante qu'elle n'était « probablement » pas admissible aux prestations, considérant que la preuve non contredite est à l'effet que l'appelante n'était simplement pas admissible auxdites prestations;
  • Une erreur similaire se trouve au paragraphe 16 de la décision dans lequel la division générale écrit que l'appelante aurait affirmé avoir été informée par l'agente qu'elle n'avait « peut-être »pas assez d'heures. Pourtant, la preuve non contredite est à l'effet que l'agente lui a dit qu'elle n'avait simplement pas cumulé suffisamment d'heures;
  • En l'espèce, la question de l'admissibilité était uniquement basée sur un nombre d'heures travaillées. Le 18 mai 2012, une employée de l’intimée a communiqué avec l'appelante et pendant la conversation, ayant le dossier sous les yeux ainsi que le nombre exact d'heures travaillées, l'agente a affirmé à l'appelante qu'elle n'était pas admissible;
  • L'agente n'a pas indiqué à l'appelante qu'elle serait « peut-être admissible car la décision finale était rendue par une autre personne et que seule une lettre de refus pourrait le confirmer ».  Elle a plutôt dit qu'elle n'avait pas assez d'heures, mais qu'elle devait attendre la lettre de refus pour faire une demande d'assurance sociale. Cette importante distinction n'a pas été faite par la division générale;
  • La division générale accorde manifestement une grande importance à la lettre du 31 mai 2012, et particulièrement à cette phrase qui indique qu'il est important de «compléter ses déclarations». Cependant, il est évident que cette phrase s'adresse à un prestataire qui est admissible, de même que l'ensemble de la lettre. La division générale a erré en affirmant que la formulation de cette lettre faisait naître l'obligation. pour l'appelante, de remettre en question les informations reçues de l’intimée elle-même alors que cette lettre ne laisse sous-entendre d'aucune façon que l'agente s'était trompée et que finalement l'appelante était admissible;
  • La division générale a erré en reprochant à l'appelante, au paragraphe 33 de la décision, de ne pas avoir communiqué avec l’intimée « si l'appelante avait eu un doute. » Or, justement, dans toute la preuve présentée devant la division générale, jamais il n'a été question d'un doute de la part de l'appelante.
  • La division générale a fondé sa décision sur la fausse prémisse que l'appelante avait eu un doute, et qu'elle aurait donc dû faire des démarches supplémentaires, alors que ce n'est définitivement pas le cas;
  • L’appelante soumet avoir agi comme une personne raisonnable l'aurait fait en apprenant d'une employée de l’intimée qu'elle n'était pas admissible, d'autant plus qu'elle croyait effectivement ne pas l'être dès le départ.

[9] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’appelante:

  • La division générale n’a pas erré ni en droit ni en fait et elle a correctement exercé sa compétence;
  • Le paragraphe 10 (5) de la Loi stipule que: « Lorsque le prestataire présente une demande de prestations, autre qu’une demande initiale, après le délai prévu par règlement pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si celui-ci démontre qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard. »;
  • La jurisprudence a établi que pour établir l’existence d’un motif valable à présenter une demande de prestations, le prestataire doit démontrer qu’il a promptement pris les moyens de s’informer de son admissibilité au bénéficie des prestations et que l’ignorance de la Loi ou le manque d’expérience du régime d’assurance-emploi ne constitue pas un motif valable pour tarder à demander des prestations;
  • Selon une jurisprudence établie, le conseil arbitral (maintenant la division générale) demeure le maître dans l’appréciation de la preuve et l’intervention d’un juge-arbitre (maintenant la division d’appel) n’est recevable que lorsque la division générale commet une erreur de droit ou omet de considérer un élément important de la preuve, ou que sa décision va à l’encontre de la preuve présentée;
  • La décision de la division générale est conforme à la législation ainsi qu’à la jurisprudence en la matière et elle est raisonnablement compatible avec les faits au dossier. La division générale s'en est remis à l'ensemble de la preuve qui lui était présentée et il a expliqué ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique.

Normes de contrôle

[10] L’appelante n’a fait aucune représentation au Tribunal en ce qui concerne la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision de la division générale.

[11] L’intimée soutient que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et la norme de contrôle aux questions mixte de fait et de droit est celle de la décision raisonnable - Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (PG) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[13] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

« [N]on seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et [qu’elle] n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale. »

[14] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder v. Canada (AG), 2015 FCA 274.

[16] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

[17] Le Tribunal constate que le présent dossier revient une deuxième fois devant la division d’appel pour les mêmes motifs que lors du premier appel.

[18] Le Tribunal a tenté d’obtenir copie de l’enregistrement de l’audience devant la division générale. Il a été informé par la division générale que l’enregistrement n’était pas disponible.

[19] En l’absence d’enregistrement, le Tribunal acceptera la version de l’appelante à moins qu’il y ait des raisons de douter de la crédibilité de l’appelante. Ce n’est pas le cas dans le présent dossier.

[20] L’appelante souligne qu’elle a témoigné devant la division générale à l’effet qu’une représentante de l’intimée lui avait clairement mentionné lors d’une téléphonique en date du 18 mai 2012 qu’elle n’avait pas assez d’heures et qu’elle n’avait pas droit aux prestations. Elle lui aurait également indiqué d’attendre la lettre de refus pour faire une demande d'assurance sociale.

[21] L’appelante remet ainsi en question le résumé de la conversation effectué par l’agente de l’intimée à l’effet qu’elle aurait été avisée qu’elle serait « peut-être » inadmissible aux prestations (Pièce GD2-37). Elle n’a donc pas attendu la lettre du 31 mai 2012 car elle avait déjà été informée par téléphone de la décision défavorable de l’intimée.  Elle mentionne avoir été induite en erreur par l’agente de l’intimée.

[22] Cette version de l’appelante se retrouve dans son formulaire d’appel à la division générale (Pièce GD2-18), dans sa demande d’antidatation (Pièce GD2-36) et dans sa demande d’appel devant le conseil arbitral (Pièce GD2-38).

[23] Malgré la reconnaissance par a division générale que l’appelante ait pu être induite en erreur par la conversation téléphonique du 18 mai 2012, la division générale a erré dans son application du droit aux faits en insistant sur le statut de l'agente de l’intimée plutôt que de considérer si l’information erronée reçue par l’appelante avait effectivement engendré un motif raisonnable de retard.

[24] Au surplus, la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, lorsqu’elle conclut que:

« [29] L’agente l’aurait alors avisé qu’une lettre de confirmation suivrait sous peu.…»

[25] Or, cette conclusion de fait cruciale au soutien de la décision de la division générale est contraire au témoignage de l’appelante lors de l’audience à l’effet que l’agente lui aurait clairement mentionné qu’elle n’avait pas assez d’heures et qu’elle n’aurait pas droit aux prestations et qu’elle devait attendre la lettre de refus avant de se présenter à l’aide sociale.

[26] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que la décision de la division générale est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La décision va manifestement à l’encontre de la preuve présentée.

[27] Il est bon de rappeler que lorsque la division générale est confrontée à des éléments de preuve contradictoires, elle ne peut les ignorer. Elle doit les considérer. Si elle décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, elle doit en expliquer les raisons – Bellefleur c. Canada (PG), 2008 CAF 13, Parks c. Canada (PG), A-321-97.

[28] Puisque la division générale est maître des faits et plus en mesure de décider de la question de crédibilité, le Tribunal retourne le dossier devant la division générale (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre procède à une nouvelle audience.

Conclusion

[29] Le Tribunal accueille l’appel et réfère la cause à la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre procède à une nouvelle audience.

[30] Le Tribunal ordonne que la décision de la division générale en date du 23 octobre 2015 soit retirée du dossier.

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