Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

[1] Le Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) a tenu une audience par téléconférence pour les motifs énoncés dans l’avis d’audience daté du 23 juin 2016, soit l’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires. Ce mode permet le mieux de répondre aux besoins d’adaptation des parties. De plus, il est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal à savoir que l’audience doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[2] L’appelant, Monsieur R. G., était accompagné de Mme Laurence Coté-Lebrun, stagiaire du Service juridique de la CSN lors de l’audience tenue le 6 juillet 2016.

[3] La Commission de l’assurance emploi du Canada (la Commission) ne s’est pas présentée.

Décision

[4] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). L’appel est accueilli.

Introduction

[5] L’appelant a travaillé pour Ambulance SLM du 27 juillet 2006 au 18 juin 2015 (GD3-5).

[6] Le 7 juillet 2015, l’appelant a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi établie à compter du 21 juin 2015 (GD3-3 à GD3-18).

[7] Le 18 août 2015, dans son avis de décision, la Commission a avisé l’appelant qu’il n’avait pas droit aux prestations à partir du 21 juin 2015 parce qu’il avait perdu son emploi chez Ambulance Chicoutimi Inc., le 17 juin 2015, en raison de sa propre inconduite (GD3-20 et GD3- 21).

[8] Le 3 septembre 2015, l’appelant a déposé une demande de révision devant la Commission (GD3-22 à GD3-23).

[9] Le 22 octobre 2015, dans sa décision sur la révision administrative, la Commission a avisé l’appelant qu’elle n’avait pas changé sa décision sur le litige (GD3-32 a GD 3-33).

[10] Le 3 décembre 2015, l’appelant a déposé un appel devant le Tribunal.

Question en litige

[11] Le Tribunal doit déterminer si l’appelant a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, en vertu des articles 29 et 30 de la Loi.

Droit applicable

[12] Les paragraphes 29a) et b) de la Loi:

Pour l'application des articles 30 à 33 :

  1. a) « emploi » s'entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d'emploi, mais n'est pas assimilée à la perte d'emploi la suspension ou la perte d'emploi résultant de l'affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l'exercice d'une activité licite s'y rattachant;

[13] Paragraphe 30(1) de la Loi:

Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu'il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures requis, au titre de l'article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu'il ne soit inadmissible, à l'égard de cet emploi, pour l'une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[14] Paragraphe 30(2) de la Loi:

L'exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n'est pas affectée par la perte subséquente d'un emploi au cours de la période de prestations.

[15] Vu les conséquences sérieuses qui y sont associées, une conclusion d’inconduite doit être fondée sur des éléments de preuve clairs et non sur de simples conjectures et hypothèses. En outre, c’est à la Commission de prouver l’existence de tels éléments de preuve, et ce, indépendamment de l’opinion de l’employeur. (Crichlow A-562-97)

[16] Le simple fait qu’il existe une transaction ne tranche pas la question de savoir si l’employé a été renvoyé en raison de sa propre inconduite. Il appartient au Tribunal d’examiner les preuves et témoignages et d’en tirer les conséquences de droit. Le Tribunal n’est pas lié par la manière dont les motifs de renvoi sont qualifiés par l’employeur et le prestataire ou un tiers. (Morris A-291-98, demande d’autorisation d’appel devant la C.S.C. rejetée [1999] C.S.C.R. 304; Boulton A-45-96; Perusse A-09-81).

[17] Le mot « inconduite » n’est pas défini comme tel dans la jurisprudence. Il s’agit largement d’une question de circonstances. (Gauthier A-6-98; Bedell A-1716-83)

[18] L’interprétation du mot « inconduite » est une question de droit, mais la question de savoir si un acte ou une omission en particulier constitue de l’inconduite est une question de fait. (Tucker A-381-85; Bedell A-1716-83)

[19] La preuve de l’élément psychologique est nécessaire. La conduite du prestataire doit être délibérée ou à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère volontaire (McKay- Eden A-402-96; Jewell A-236-94; Brissette A-1342-92; Tucker A-381-85; Bedell A- 1716-83).

[20] Une conduite répréhensible ne constitue pas nécessairement une inconduite. L’inconduite est un manquement d’une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement. (Locke 2003 CAF 262 (CanLII); Cartier 2001 CAF 274 (CanLII); Gauthier A-6-98; Meunier A-130-96).

[21] L’appréciation subjective par un employeur du type d’inconduite qui justifie le renvoi ne saurait être considérée comme liant le Tribunal et ne saurait satisfaire au fardeau de la preuve qui incombe à la Commission. (Fakhari A-732-95)

[22] Dans l’affaire Hastings (2007 CAF 372 (CanLII)), la Cour qualifie et raffine la notion d’inconduite. Ainsi la Cour a établi qu’il « (…) y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. »

[23] Pour que le Tribunal puisse conclure à l’inconduite, il doit disposer des faits pertinents et d’une preuve suffisamment circonstanciés pour lui permettre, d’abord, de savoir comment l’employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement était répréhensible. (Meunier A-130-96; Joseph A-636-85)

[24] Dans l’affaire Fakhari (A-732-95), la Cour soutient que « (…) l'appréciation subjective par un employeur du type d'inconduite qui justifie le renvoi pour juste cause ne saurait être considérée comme liant le conseil arbitral. Il n'est pas difficile d'envisager des cas où les actes d'un employé pourraient être régulièrement qualifiés d'inconduite, mais la décision de l'employeur de renvoyer cet employé sera à juste titre considérée comme arbitraire pour ne pas dire déraisonnable. Nous ne croyons pas que le simple fait pour un employeur d'être convaincu que la conduite en question est une inconduite, et que c'était là le motif de la cessation de l'emploi, satisfasse au fardeau de la preuve qui incombe à la commission en application de l'article 28. »

[25] Dans l’affaire Larivée (2007 CAF 132), la Cour d’appel fédérale établit que c’est à la Commission de s’acquitter du fardeau de la preuve et de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’un ou l’autre des gestes d’un prestataire constituait de l’inconduite.

[26] Dans l’affaire Tucker (A-381-85), la Cour d’appel fédérale précise ce qui constitue de l’inconduite, ce que la Loi omet de faire. Ainsi la Cour a établi que : « (…) pour constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontairement ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. »

[27] Pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, il n’est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’acte répréhensible ou l’omission reprochée à l’intéressée soit « volontaire », c’est-à-dire conscient, délibéré ou intentionnel. (Caul 2006 CAF 251 (CanLII); Pearson 2006 CAF 199 (CanLII)

[28] L’objectif de la Loi est l’indemnisation des personnes dont l’emploi s’est involontairement terminé et qui se retrouvent sans travail. La perte d’emploi contre laquelle la personne est assurée doit être involontaire. (Gagnon 1988 CanLII 48 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 29)

Preuve

[29] L'appelant est ambulancier, il a été congédié par son employeur pour des motifs administratifs, il conduisait un véhicule d’urgence alors que son permis de conduire n’avait pas été renouvelé. (GD3-16).

[30] Lors d’une vérification annuelle auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) l'employeur a appris que l’appelant n’avait renouvelé son permis.

[31] Le 11 mars 2014, l’appelant a été suspendu pour une infraction identique. Il avait été avisé que si un autre événement de la sorte se reproduisait il pourrait faire face à un congédiement.

[32] L’appelant reconnaît que la 1ère fois, il n'avait plus de domicile et vivait dans son auto, il n’avait donc pas fait son renouvellement.

[33] L'année suivante, lorsque la même situation s'est reproduite, il n'avait pas fait son changement d'adresse parce qu’il n'avait pas reçu son avis de renouvellement.

[34] Le 8 juin 2015, c’est l’employeur qui a avisé l’appelant que ce dernier n’avait plus de permis valide. L’appelant était sans permis valide depuis plus de 8 mois.

[35] Le dossier de l’appelant est en arbitrage avec son syndicat CSN. Il tente de récupérer son poste (GD3-22 à GD3-23).

[36] Le Dr. Gérard Leblanc M.D., F.R.C.P. (Psychiatre) a produit une évaluation qui précise qu’à son avis, il lui apparait probable que les facteurs de stress majeurs vécus depuis 2013 (et ceux survenus dans le passé dans une moindre mesure) et que la condition psychique présentée par Monsieur R. G. depuis l'année 2013 peuvent expliquer d'une manière prépondérante les comportements de Monsieur R. G. et/ou les reproches que l'employeur semble lui avoir adresses.

[37] De plus, l'ensemble de ces facteurs explique probablement et en majeure partie les comportements décrits et certaines des erreurs commises par Monsieur R. G. en regard du non- renouvellement de son permis de conduire en septembre 2014 (distractions; oublis; conclusions erronées; détérioration de la gestion de ses affaires personnelles; tendance à procrastiner; etc.).

[38] Il suggère que l'employeur et/ou le décideur tiennent compte de l'ensemble de la situation décrite et de la condition psychiatrique du travailleur dans le choix et l'application des mesures disciplinaires et/ou des mesures d'accommodement appropriées.

Arguments des parties

[39] L’Appelant a fait valoir que :

  1. Qu’il conteste la décision de la Commission;
  2. Que son représentant pourra démontrer qu’il souffrait de problèmes psychologiques qui expliquaient ses comportements;
  3. Que son représentant pourra démontrer que son congédiement était injustifié;

[40] L’intimée a soutenu que:

  1. Que le paragraphe 30(2) de la Loi prévoit l’imposition d’une exclusion d’une durée indéterminée s’il est établi que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Pour que le geste reproché constitue de l’inconduite au sens de l’article 30 de la Loi, il faut qu’il ait un caractère volontaire ou délibéré ou qu’il résulte d’une insouciance ou d’une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré. Il doit également y avoir une relation de cause à effet entre l’inconduite et le congédiement;
  2. Que l’employeur a congédié l’appelant parce qu’il n’avait pas renouvelé son permis de conduire;
  3. Que l’appelant était ambulancier, et la possession d’un permis de conduire est nécessaire, selon l’art. 1.21 de la convention collective;
  4. Que l’appelant était au courant des sanctions inhérentes au fait de ne pas détenir de permis de conduire;
  5. Qu’elle ne peut accepter d’excuse pour justifier le comportement de l’appelant vu qu’il était de sa responsabilité de s’assurer qu’il détenait tous les permis nécessaires;
  6. Qu’il s’agit pas d’une période de plus de 8 mois, pendant laquelle il a conduit le véhicule de l’employeur sans permis;
  7. Qu’elle considère que le fait de ne pas être au sommet de sa forme ne peut justifier le bris d’une condition essentielle à l’emploi, d’autant plus que l’appelant avait déjà été suspendu pour la même raison;
  8. Qu’elle tient à rappeler au Tribunal que l’appelant devait détenir un permis de conduire valide pour travailler. Le fait de conduire sans permis constitue en soi une contravention à la Loi.
  9. Qu’elle ne considère pas que l’employeur ait une responsabilité quelconque dans le fait que le prestataire n’ait pas fait son changement d’adresse ni payé son permis de conduire;
  10. Qu’elle ne peut considérer qu’il y a délai de prescription, puisque le prestataire n’avait pas le droit de conduire depuis le 3 septembre 2014, soit plus de huit (8) mois.
  11. Qu’elle soutient que l’appelant a perdu son emploi en raison de sa négligence. L’appelant n’avait plus de permis valide au moment où l’employeur a fait la vérification auprès de la SAAQ;
  12. Qu’elle est d’avis que l'obtention d'un permis de conduire valide faisait partie de ses obligations. Or, il a négligé de payer son permis. Il est clairement établi que le fait de ne pas avoir de permis de conduire est une inconduite au sens de la Loi;
  13. Que les troubles psychologiques ne le dispensent pas de respecter ses obligations;
  14. Que la preuve établit clairement que le prestataire a été congédié à cause de son inconduite. La Commission soumet que sa décision est appuyée par la jurisprudence.

Analyse

[41] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite.

[42] Pour démontrer qu’il y eu de l’inconduite, le fardeau incombe à l’employeur et la Commission de faire la preuve que l’appelant savait ou devait savoir que son comportement était incompatible avec son emploi. Le Tribunal est d’avis que ni la Commission ni l’employeur ne se sont déchargés de ce fardeau.

[43] « L’employeur et la Commission ont le fardeau de démontrer que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, suivant la prépondérance de la preuve.» (Larivée 2007 CAF 312 (CanLII) Or, le Tribunal est d’avis que ni l’employeur ni la Commission ne se sont déchargés de ce fardeau avec la preuve présentée.

[44] Dans les cas d’inconduite, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la Tribunal n’a pas à se demander si le congédiement ou la sanction était justifié. (Fakhari A-732-95. Il doit plutôt déterminer si le geste posé par le prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi (Marion 2002 CAF 185 (CanLII)).

[45] Pour que l’appelant soit accusé d’inconduite, il faut qu’il fût conscient que son geste entrainerait inévitablement son congédiement. Il n’est pas raisonnable de conclure que l’appelant savait ou devait savoir que son comportement pourrait mener à son congédiement puisque son état de santé psychologie lui faisait grandement défaut.

[46] La preuve démontre que l’appelant avait perdu la notion des responsabilités ordinaires de la vie. Il avait perdu ses points de repères naturels et psychologiques. Il ne pouvait évaluer la portée de l’ensemble de ses gestes.

[47] A l’audience, la représentante de l’appelant a fait remarquer que des gestes répréhensibles de même type de la part de collègues de travail ont été sanctionnés par l’obligation de ne pas conduire les véhicules d’urgence, mais d’être au travail comme technicien de support.

[48] Le Tribunal s’appuie sur l’arrêt (Mishibinijima 2007 CAF 85 (CanLII)) qui établit : « que dans un cas d’inconduite, le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur.»

[49] Le Tribunal est d’avis qu’on ne peut reproché que l’acte eût un caractère volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré. Suite à plusieurs expériences néfastes, l’appelant avait tout simplement perdu ses repères.

[50] Le Tribunal s’appuie sur la Cour fédérale d’appel (Tucker 1986 CAF 381) qui a déterminé « que pour constituer de l’inconduite en vertu de la Loi, il faut que l’acte reproché ait un caractère volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré.»

[51] La Cour d’appel fédérale a déterminé qu’il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte d’emploi.

[52] « Il faut que l’inconduite cause la perte d’emploi et qu’elle en soit une cause opérante.» (Brissette A-1342-92)

[53] Or, les éléments de preuve démontrent clairement que l’appelant n’avait plus la capacité d’évaluer froidement les diverses situations qui se présentaient a lui.

[54] Les éléments de preuve ne démontrent pas que l’appelant a posé un geste qui a mené à son congédiement. Or son comportement n’était pas «volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré» comme l’établit l’arrêt Tucker 1986 CAF 381.

[55] Pour que le Tribunal puisse conclure à l’inconduite, il doit disposer des faits pertinents et d’une preuve suffisamment circonstanciés pour lui permettre, d’abord, de savoir comment l’employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement était répréhensible. (Meunier A-130-96; Joseph A-636-85). Or, la preuve médicale du Dr, Gerard Leblanc M.D., F.R.C.P. (Psychiatre) présentée comble ce besoin et nous permet de conclure que l’appelant n’était pas en état de savoir que son comportement pourrait mener à son congédiement.

Conclusion

[56] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.