Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] En date du 16 octobre 2015, la division générale du Tribunal a conclu que l’appelant avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[3] L’appelant a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 20 novembre 2015. Il a reçu communication de la décision le 22 octobre 2015. La permission d’en appeler a été accordée le 30 novembre 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que l’audience de cet appel procéderait par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • du caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’appelant était absent mais représenté par S. S. L’employeur était représenté par A. D. L’intimée n’a pas assisté à l’audience malgré la réception de l’avis d’audience.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle erré en concluant que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi?

Arguments

[8] L’appelant soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • La division générale a correctement exercé sa compétence, mais elle a erré en fait et en droit;
  • Au paragraphe 39 de sa décision rendue le 16 octobre 2015, la division générale a procédé à l'analyse d'un geste posé par l’appelant alors qu'il était toujours à l'emploi de son employeur;
  • L’appelant a pris une photographie d'un numéro de pièce pour un appareil laser que l'on peut facilement retrouver sur Internet, puis a transmis cette photographie a un ami et ancien collègue de travail;
  • L'employeur a admis qua cette information est effectivement publique (paragraphe 13 aa) de la décision de la division générale);
  • En concluant que ce geste constituait de l'inconduite au sens de la Loi et de la jurisprudence, la division générale impose à l’appelant, qui était tenu à une obligation générale de loyauté envers son employeur en vertu de son contrat de travail, un devoir de réserve plus strict que ce qui est exigé d'un professionnel tenu au secret professionnel;
  • Dans le présent dossier, l’appelant a partagé de l'information publique avec autrui;
  • L’appelant ne savait donc pas ou ne pouvait assurément pas savoir que le fait de partager des informations publiques avec autrui était de nature à entraver l'exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu'il soit congédié;
  • L’appelant a toujours respecté son devoir de loyauté envers son employeur.

[9] L’intimée a soumis les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’appelant :

  • La division générale n’a pas erré en droit ou en fait, et qu’il a correctement exercé sa compétence.
  • La division d’appel n’est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. Les compétences de la division d’appel sont limitées par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social;
  • Ainsi, puisque la division générale a fait une appréciation de l’ensemble des faits au dossier, et qu’il a rendu une décision raisonnable, l’appel de l’appelant doit être rejeté.

[10] L’employeur soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’appelant :

  • L’appelant a signé un contrat de confidentialité avec l’employeur lors de son embauche;
  • L’appelant a perpétré un vol de propriété intellectuelle puisque les informations transmises sont des informations techniques spécifiques sur des équipements hautement spécialisés qui ne sont connus que par des personnes travaillant dans le laboratoire de l’employeur;
  • L’appelant a transmis de l’information confidentielle à un concurrent pour lui indiquer quelle pièce il devait utiliser pour réparer un appareil spécifique;
  • L’appelant a fait profiter deux anciens employés de l’expertise développée par l’employeur;
  • L’information transmise par l’appelant n’était pas publique et n’était pas disponible sur l’internet;
  • L’appelant a fait de la concurrence déloyale à son employeur;
  • L’appelant contribuait à la formation d’une entreprise concurrente alors qu’il était encore à l’emploi de l’employeur;
  • La décision de la division générale est bien fondée en fait et en droit.

[11] L’appelant et l’intimée soumettent que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte - Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240 et que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

[12] L’employeur n’a fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[13] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (PG) c. Jean, 2015 FCA 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[14] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

[N]on seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et [qu’elle] n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[15] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[16] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder v. Canada (AG), 2015 FCA 274.

[17] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

[18] L’appelant soutient que la division générale a erré en fait et en droit lorsqu’elle a procédé à l’analyse du geste posé par l’appelant alors qu’il était toujours à l’emploi de son employeur.

[19] Il plaide qu’il a pris une photographie d'un numéro de pièce pour un appareil laser que l'on peut facilement retrouver sur Internet, puis a transmis cette photographie à un ami et ancien collègue de travail. Il a donc partagé de l'information publique avec autrui.

[20] L’appelant ne savait donc pas ou ne pouvait assurément pas savoir que le fait de partager des informations publiques avec autrui était de nature à entraver l'exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu'il soit congédié. Selon l’appelant, il n’a commis aucune inconduite au sens de la Loi.

[21] L’employeur, quant à lui, a soutenu devant la division générale que l’appelant a perpétré un vol de propriété intellectuelle puisque les informations transmises sont des informations techniques spécifiques sur des équipements hautement spécialisés qui ne sont connus que par des personnes travaillant dans le laboratoire de l’employeur. Il plaide que l’appelant a transmis de l’information confidentielle à un concurrent pour lui indiquer quelle pièce il devait utiliser pour réparer un appareil spécifique. Il a donc fait profiter deux anciens employés de l’expertise développée par l’employeur. L’employeur plaide que cette information n’était pas publique et n’était pas disponible sur l’Internet. Il soutient que l’appelant a fait de la concurrence déloyale à l’entreprise et qu’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi.

[22] L’intimée, quant à elle, a soutenu devant la division générale que l’acte reproché n’avait pas un caractère délibéré et que l’appelant ne devait pas raisonnablement savoir qu’il s’exposait à un congédiement en transmettant, à un ami et ancien collègue de travail, un numéro de pièce, pour un appareil laser, que l’on peut facilement retrouver et se procurer sur Internet, chez un autre fournisseur que l’entreprise de l’employeur. De plus, même si l’employeur a démontré que le client a transmis cette information, pendant ses heures de travail, ce motif ne pouvait pas être retenu pour déterminer l’inconduite, puisque ce n’est pas un motif invoqué dans l’avis de congédiement émis par l’employeur le 17 décembre 2014.

[23] En appel, l’intimée soutient maintenant que la décision de la division générale concluant à de l’inconduite n’est pas déraisonnable compte tenu de la preuve au dossier, et par conséquent, que l’appel de l’appelant devrait être rejeté. L’intimée ne s’est malheureusement pas présentée à l’audience afin d’expliquer au Tribunal ce revirement de position.

[24] Lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’employeur, la division générale a conclu ce qui suit :

[39] Cependant, le fait de prendre des clichés sur les lieux d’emploi et de les transmettre à un groupe de personnes auquel il est associé ou duquel il souhaite obtenir un emploi est une inconduite au sens de la Loi. Ici il n’est pas question de photos personnelles, mais bien de photos de matériaux utilisés par l’employeur dans le cadre de ses opérations sur une machine précise. L’employeur n’a pas prouvé par contre, tel qu’il le soulève pourtant au dossier, que le prestataire a pu s’approprier des biens de l’employeur ou qu’il est allé fureter à des endroits de ses serveurs où il n’avait pas l’autorisation de le faire. N’empêche que sur demande de personnes à qui il s’est associé et qui avaient des buts concurrentiels à l’entreprise, il a fourni non pas directement ses connaissances personnelles ou les liens web qu’il a fourni au Tribunal (pièce GD10-1 à 7), mais une photo d’une pièce que l’employeur avait en stock pour réparer un appareil sur lequel il travaillait. Au terme de la discussion qui a eu lieu lors de l’audience, cette photo aurait été prise à travers les stocks de l’employeur. Le prestataire argue certes qu’il savait où se trouvait cette pièce parce qu’il réparait des appareils contenant cette pièce chaque semaine, mais rien ne le contraignait à prendre ladite photo et de l’envoyer à un tiers concurrent de l’employeur.

[40]…. Dans ce cas, bien que l’information transmise au groupe concurrent de l’employeur par le prestataire soit « publique », l’acte d’envoyer une photo d’une pièce de l’employeur à un potentiel concurrent direct pour répondre à une question technique de celui-ci est de l’inconduite au sens de la Loi.

[41] Il ne semble pas évident qu’au moment où il posait ce geste, que le prestataire était soit à la recherche d’un emploi, qu’il était en négociation pour un salaire ou un traitement, ou qu’il était en négociation quant à son statut dans cette nouvelle compagnie concurrente de celle de son employeur. Le Tribunal est d’avis que le prestataire agissait alors à titre de collaborateur d’un groupe constitué concurrent à celui de son employeur. À ce titre, le Tribunal croit que sa conduite a été insouciante et négligente au sens de l’arrêt Tucker (A-381-85) et qu’il a décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[25] La division générale devait décider en l’instance si le geste posé constituait de l’inconduite au sens de la Loi Canada (PG) c. Marion, 2002 CAF 185.

[26] Il y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont menés au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié – Mishibinijima c. Canada (PG), 2007 CAF 36.

[27] La division générale a conclu que l’acte d’envoyer une photo d’une pièce de l’employeur à un potentiel concurrent direct pour répondre à une question technique de celui-ci est de l’inconduite au sens de la Loi. Au surplus, elle en vient à la conclusion qu’en posant ce geste sans l’autorisation de l’employeur, l’appelant a décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[28] Tel que souligné à bon droit par la division générale, rien ne contraignait l’appelant à prendre ladite photo sans l’autorisation de son employeur et à même son inventaire et de l’envoyer à un tiers concurrent de l’employeur. La preuve prépondérante devant la division générale démontre que par son geste, l’appelant a eu une conduite déloyale envers son employeur trahissant ainsi sa confiance. En conséquence, le geste reproché à l’appelant constitue de l'inconduite au sens de la Loi.

[29] La division d’appel n'est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. Les compétences du Tribunal sont limitées par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. À moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel – Canada (PG) c. Ash, A-115-94.

[30] Le Tribunal ne peut conclure que la division générale a erré de la sorte. La décision de la division générale est compatible avec la preuve au dossier et est conforme aux dispositions législatives pertinentes, tel qu'interprétées par la jurisprudence.

Conclusion

[31] L’appel est rejeté.

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