Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Madame S. L., l’appelante, a assisté à l’audience par téléconférence.

Introduction

[1] L’appelante a présenté une demande de prestations ordinaires d’assurance-emploi le 31 août 2009; toutefois, sa dernière journée d’emploi remontait au 28 avril 2006, soit quelque trois ans plus tôt. Le 18 janvier 2012, l’appelante a requis que sa demande soit antidatée au mois de juillet 2006.

[2] Le 20 février 2012, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) lui a refusé sa demande d’antidater au motif qu’elle n’avait pas démontré un motif valable pour son retard entre le 1er juillet 2006 et le 16 janvier 2012.

[3] L’appelante a porté la décision de la Commission en appel auprès du Conseil arbitral qui à son tour refusa son appel le 26 mars 2013. Insatisfaite de la décision du Conseil arbitral, l’appelante a demandé la permission d’en appeler auprès de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal). Le 5 février 2015, la permission d’en appeler a été accordée; le 12 mars 2015, la division d’appel a accueilli l’appel et l’affaire a été renvoyée devant la division générale du Tribunal pour être examinée de nouveau.

[4] Initialement, une audience a été tenue le 8 juillet 2016; cependant, au début de l’audience, l’appelante a fait savoir qu’elle n’avait pas le dossier complet (elle l’avait égaré), l’audience fut donc ajournée. Le Tribunal a de nouveau fait parvenir le dossier à l’appelante. À l’audience du 20 juillet 2016, on a établi que l’appelante avait bien reçu le dossier complet et qu’elle était prête à procéder. L’audience par téléconférence avait été fixée à 10 h, mais l’appelante s’est trompée d’heure et a téléphoné au Tribunal immédiatement. Le membre a accommodé la demande de l’appelante de tenir l’audience plus tard dans la journée; l’appelante y a assisté.

[5] L’audience a été tenue par téléconférence étant donné l’information au dossier, notamment le besoin d’information additionnelle, et le fait que le mode d’audience doive respecter les exigences du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) voulant qu’il procède de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[6] Le membre doit décider si la demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été présentée par l’appelante à une date antérieure en application du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

Droit applicable

[7] Le paragraphe 10(4) de la Loi sur l’AE énonce les conditions requises pour permettre qu’une demande initiale de prestations soit considérée comme ayant été faite à une date antérieure.

[8] Pour qu’une demande initiale de prestations soit antidatée afin de prendre effet à une date antérieure, le prestataire doit démontrer :

  1. qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations, et
  2. qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

Preuve

[9] L’appelante travaillait jusqu’au 28 avril 2006 (AD2-18). Elle n’a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi que le 31 août 2009, plus de 3 ans plus tard (AD2-16). Le 2 octobre 2009, la Commission a refusé sa demande de prestations parce qu’elle n’avait accumulé aucune (zéro) heure d’emploi assurable pendant sa période de référence, soit du 31 août 2008 au 29 août 2009 (AD2- 19).

[10] Le 18 janvier 2012, environ trois ans et demi après avoir présenté une demande de prestations qui lui a été refusée, l’appelante a requis que sa demande soit antidatée au mois de juillet 2006. Elle a affirmé avoir tardé à présenter une demande parce qu’elle n’avait pas reçu sa fiche de cessation d’emploi à ce moment-là, parce que sa fille et sa mère étaient malades, parce qu’elle s’était concentrée sur la recherche d’emploi et qu’elle avait fini par devenir malade et devoir subir une intervention chirurgicale au cœur en février 2009 (AD2-20). L’appelante a également déposé une demande pour son relevé d’emploi et une copie de sa cotisation fiscale comme preuves qu’elle avait été employée pendant cette année (AD2-21 à AD2-23 et AD2-26).

[11] Le 20 février 2012, la Commission lui a refusé sa demande d’antidater au motif que l’appelante n’avait pas démontré un motif valable pour son retard entre le 1er juillet 2006 et le 16 janvier 2012 (AD2-24).

[12] Le 18 février 2013, l’appelante a interjeté appel de la décision de la Commission auprès du Conseil arbitral; elle a affirmé avoir présenté une demande il y a quelques années, mais elle lui avait été refusée au motif qu’elle n’avait pas de preuve de rémunération et qu’elle n’avait pas de relevé d’emploi (RE). Elle a tardé parce que a) en 2006, elle prenait soin de sa mère malade qui est décédée le 13 mars 2007; b) elle était à la recherche d’emploi sans succès; elle avait survécu grâce à ses économies, mais avait fini par perdre sa maison et devoir déménager; c) sa fille était devenue malade et était décédée subitement le 1er juillet 2009; d) en 2010, elle est devenue malade à son tour et a dû subir une intervention chirurgicale au cœur le 15 février 2011(AD2-29 à AD2-32).

Témoignage

[13] À l’audience, elle a déclaré ne pas pouvoir se rappeler sa dernière journée d’emploi et a demandé que sa demande soit antidatée au mois de juillet 2006. En fait, elle désirait que celle-ci soit antidatée au 28 avril 2006, effectivement sa dernière journée de travail.

[14] L’appelante a déclaré avoir présenté une demande de prestations en août 2009, mais qu’elle avait présumé avoir été refusée à ce moment-là (le 2 octobre 2009) parce qu’elle n’avait pas de RE et qu’elle n’avait donc pas de preuve d’emploi ou de rémunération pour l’année 2006. Elle a déclaré qu’elle n’avait communiqué avec un centre de Service Canada qu’après avoir présenté une demande de prestations et qu’elle eut détenu une preuve de rémunération (nouvelle cotisation) pour l’année 2006.

[15] L’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas demandé des prestations dès sa cessation d’emploi, le 28 avril 2006, parce qu’elle croyait sincèrement ne pas pouvoir le faire sans son RE. Désespérée, elle a finalement présenté sa demande en août 2009 en désirant enclencher la démarche même sans avoir tout. Elle a fourni une preuve de rémunération pour l’année 2006, le 17 septembre 2009, en recevant une nouvelle cotisation de l’impôt sur son revenu (référence dans la preuve AD1-44).

[16] L’appelante a expliqué qu’entre le 28 avril 2009 et le 31 août 2009, il sa passait plein de choses dans sa vie personnelle. Elle n’avait pas toute sa tête et était incapable de réfléchir correctement à cause de tous les facteurs de stress personnel qu’elle subissait à l’époque. Elle avait tardé a demander des prestations parce que a) elle se concentrait sur les soins à prodiguer à sa mère; b) elle était stressée par la dépendance aux narcotiques de sa fille, qui est décédée subitement le 1er juillet 2009; c) elle posait sa candidature sans succès à des emplois et d) elle ne détenait pas de RE jusqu’à ce moment.

Observations

[17] L’appelante a fait valoir qu’elle avait tardé à présenter une demande de prestations jusqu’à ce qu’elle puisse prouver qu’elle avait été employée et avait été rémunérée en 2006; elle avait présumé devoir détenir un RE ou une autre preuve pour présenter une demande. De plus, à compter de sa dernière journée de travail, soit le 28 avril 2006, jusqu’au jour où elle a déposé sa demande, elle n’avait pas les idées claires à cause de circonstances personnelles atténuantes, notamment, les soins à prodiguer à sa mère avant son décès, la dépendance de sa fille, la recherche infructueuse d’emploi et finalement, la perte de sa maison puis son déménagement.

[18] La Commission a fait valoir que l’appelante n’avait pas démontré un motif valable pour avoir tardé à déposer sa demande de prestations pendant toute la durée du retard, soit du 1er juillet 2009 au 16 janvier 2012, parce qu’elle avait pris la décision personnelle de ne pas présenter une demande plus tôt. Elle aurait dû entrer en communication avec le bureau d’assurance-emploi afin de se faire conseiller sur la bonne procédure pour déposer une demande de prestations. Il se peut bien que l’appelante ait été aux prises avec des questions personnelles, toutefois, ses circonstances n’étaient pas exceptionnelles au point où elles l’auraient empêché de présenter une demande de prestations dès 2006 ou de s’informer de ses droits et responsabilités au cours de ce long retard de 5 ans et demi.

Analyse

[19] Pour que sa demande initiale de prestations soit antidatée, il incombe au prestataire de prouver a) qu’il remplissait les conditions requises pour recevoir les prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée, un motif valable justifiant son retard à présenter la demande initiale de prestations.

[20] En l’espèce, l’appelante a perdu son emploi le 28 avril 2006, mais n’a présenté une demande de prestations que le 31 août 2009. Le 18 janvier 2012, l’appelante a déposé une demande pour antidater sa demande de prestations au mois de « juillet 2009 » (AD1-32). Le paragraphe10(4) de la Loi prévoit que lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure, il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard. En l’espèce, l’appelant a déposé une demande initiale de prestations le 31 août 2009 et non pas le 18 janvier 2012, au moment où la demande d’antidater a été déposée. Par conséquent, la Commission a fait une erreur lorsqu’elle a déterminé que l’appelante aurait dû démontrer qu’elle avait un motif valable pour son retard à compter de la date antérieure jusqu’au 16 janvier 2012. De plus, au sujet de cette date antérieure, puisque l’appelante a affirmé qu’elle n’avait pas présenté une demande de prestations en « juillet 2006 » (AD2- 20), la Commission a présumé que cette date antérieure était le 1er juillet 2006, sans avoir clarifié la chose auprès de l’appelante. À l’audience, l’appelante a déclaré qu’elle avait été incapable de se rappeler la date de sa dernière journée de travail, elle l’avait supposée et avait indiqué « juillet 2006 » en réalité cependant, elle voulait que sa demande soit réputée commencer le 28 avril 2006, date qui s’est révélée être sa dernière journée de travail. En conséquence, le membre conclut que le retard qu’on aurait dû considérer s’échelonnait du 28 avril 2006 au 31 août 2009.

[21] Le membre estime que, selon les renseignements du RE, l’appelante avait accumulé un nombre suffisant d’heures d’emploi assurables pour être admissible aux prestations à cette date antérieure, soit le 28 avril 2006. Par conséquent, la question en litige est de savoir si l’appelante avait un motif valable pour son retard pendant toute la période débutant le 28 avril 2006 et se terminant le 31 août 2009.

[22] D’après la Cour d’appel fédérale (CAF), pour établir l’existence d’un motif valable de retarder la présentation d’une demande initiale de prestations, le prestataire doit démontre qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans la même situation pour connaître ses droits et ses obligations sous le régime de la Loi cf. Mauchel c. Procureur général du Canada,(2012) CAF 202; Bradford c. Commission de l’assurance-emploi du Canada,(2012) CAF 120; Procureur général du Canada c. Albrecht,A-172-85.

[23] En l’espèce, l’appelante a fait valoir invariablement qu’elle n’avait pas présenté de demande de prestations à la cessation de son emploi le 28 avril 2006 parce qu’on ne lui avait pas remis un billet de cessation d’emploi à ce moment-là. Elle avait présumé avoir besoin d’une quelconque preuve de rémunération ou d’emploi. Le 31 août 2009, en désespoir de cause, elle a présenté une demande de prestations bien qu’elle n’ait pas réussi à déposer une preuve d’emploi avant le mois de septembre 2009 lorsqu’elle a reçu une nouvelle cotisation de son impôt sur le revenu (AD1-35 et AD1-38), quelque temps plus tard. L’appelante a déclaré qu’elle avait tardé a présenter une demande initiale de prestations pour la période du 28 avril 2006 au 31 août 2009 à cause de son état d’esprit du moment, troublé par l’obligation de faire face à ses circonstances personnelles. En 2006, elle avait dû s’occuper de sa mère malade jusqu’au décès de celle-ci le 13 mars 2007 (AD2-30). Elle avait également dû affronter la maladie et la mort subite de sa fille le 1er juillet 2009. L’appelante a déclaré que, pendant tout ce temps, elle s’était cherché du travail sans succès et qu’elle avait survécu grâce à ses économies, mais qu’au bout du compte elle avait perdu sa maison et avait dû déménager.

[24] Le membre a tout d’abord pris en considération l’explication de l’appelante, à savoir qu’elle n’était tout simplement pas au courant ou qu’elle avait présumé pouvoir présenter une demande de prestations sans preuve d’emploi ou de rémunération, c’est-à-dire sans RE. Le membre a tenu compte du fait que la jurisprudence est claire à ce sujet : le fait d’attendre de recevoir un RE n’est pas un motif valable pour ce retard (CUB 74601). En l’espèce, à l’instar d’autres affaires examinées par la Cour d’appel fédérale (CAF), l’appelante ignorait tout simplement ou présumait qu’elle ne pouvait présenter une demande de prestations sans RE. Ces décisions constituent un précédent. Le membre a tenu compte du fait que la jurisprudence confirme qu’il n’y a pas non plus motif valable lorsqu’un prestataire se fie à des renseignements non vérifiés ou à des suppositions non fondées cf. Trinh (2010) CAF 335 et Rouleau A-4-95. De plus, la jurisprudence établie veut que l’ignorance de la loi, même de bonne foi, ne constitue pas un motif valable pour un retard cf. Kaler (2011) CAF 266, Howard (2011) CAF 116, Somwaru (2010) CAF 336 et Innes (2010) CAF 341.

[25] Le membre reconnaît que l’appelante a cherché un emploi tout en s’appuyant sur ses propres ressources financières pendant la période du retard. Le membre félicite l’appelante pour ses efforts à se trouver un emploi le plus tôt possible. Toutefois, la CAF n’a pas conclu au motif valable dans les cas où l’intention initiale du prestataire était de ne pas présenter sa demande parce qu’il tentait de se trouver un emploi cf. Howard (2011) CAF 116; Ouimet (2010) CAF 83, Shebib (2003) CAF 88; Smith A-549-92; Caron A-395-85 et Dunnington A-1 865-83. En l’espèce, le membre comprend que l’appelante n’a pas retardé sa demande de façon intentionnelle dans l’espoir de se trouver un emploi. C’est plutôt qu’elle ne savait pas comment s’y prendre sans RE et qu’elle était dépassée par les éléments stressants dans sa vie personnelle. L’appelante a cependant invoqué cette raison pour justifier son retard. Par conséquent, le membre l’a prise en considération. Étant donné la jurisprudence, le membre conclut que l’espoir de se trouver un emploi, bien que louable, ne constitue pas un motif valable pour tarder à déposer une demande de prestations.

[26] De plus, d’après la Cour d’appel fédérale, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, on s’attend à ce qu’une personne raisonnable vérifie assez rapidement si elle a droit à des prestations d’assurance-emploi et quelles sont ses obligations aux termes de la Loi cf. Procureur général du Canada c. Kaler, (2011) CAF 266, Procureur général du Canada c. Innes, (2010) CAF 341; Procureur général du Canada c. Somwaru (2010) CAF 336; Procureur général du Canada c. Burke, (2012) CAF 139. Le membre ajoute que le prestataire n’est pas simplement tenu d’agir de manière raisonnable ou d’avoir une « raison valable » justifiant son retard. Pour démontrer un motif valable justifiant son retard à présenter une demande de prestations, le prestataire doit prouver qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans la même situation pour s’acquitter de ses droits et de ses obligations en vertu de la Loi.

[27] En l’espèce, aucun élément de preuve n’indique que des circonstances exceptionnelles ont empêché l’appelante de s’informer de ses droits et obligations ou de demander des prestations à un moment ou un autre pendant la période du retard qui a duré plus de trois ans, soit du 28 avril 2006 au 31 août 2009. Le membre comprend et il a tenu compte du fait que l’appelante a subi beaucoup de stress à cause de la maladie et de la mort de sa mère et de sa fille pendant cette période. Le membre reconnaît également qu’elle avait été incapable de se trouver de l’emploi et qu’elle avait essuyé des difficultés financières. Toutefois, le membre conclut que malgré sa situation alarmante, l’appelante n’a pas cherché à se renseigner dans un bureau de Service Canada ou sur le site Web de celui-ci pendant toute la période du retard. L’eût-elle fait, elle aurait été informée de son admissibilité potentielle aux prestations d’assurance-emploi et on lui aurait conseillé de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi comme elle l’a fait le 31 août 2009 même sans RE en main.

[28] Le membre fait remarquer que la possibilité d’antidater une demande de prestations est un avantage qui devrait être appliqué exceptionnellement et parcimonieusement cf. McBride (2009) CAF 1; Scott (2008) CAF 145; Brace (2008) CAF 118.

[29] Ayant pris en considération toutes les raisons du retard de l’appelante en regard de la jurisprudence pertinente, le membre conclut que l’appelante n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans cette situation, à savoir se renseigner sur ses droits et obligations et prendre les mesures nécessaires pour protéger sa demande de prestations en vertu de la Loi sur l’AE.

[30] Par conséquent, le membre conclut que sa demande initiale de prestations ne peut pas être antidatée au 28 avril 2006 parce que l’appelante n’a pas démontré un motif valable pour le retard à présenter une demande de prestations tout au long de la période du 28 avril 2006 au 31 août 2009, en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[31] L’appel est rejeté.

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