Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Madame M. M., prestataire, a pris part à l’audience par téléconférence.

Introduction

[1] L’appelante a déposé une demande de prestations d’assurance-emploi débutant le 22 février 2015. Le 16 septembre 2015, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») informe la prestataire qu’elle ne peut lui verser de prestations d’assurance- emploi à partir du 8 juin 2015 puisqu’elle a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit de travail. Le 29 octobre 2015, suite à sa demande de révision, la Commission informe la prestataire que la décision rendue en lien avec le conflit collectif est maintenue. La prestataire a porté cette décision en appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le « Tribunal ») le 24 novembre 2015.

[2] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience Téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. La complexité de la ou des questions en litige.
  2. L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires.
  3. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[3] La prestataire interjette appel de la décision concernant une inadmissibilité qui lui a été imposée aux termes du paragraphe 36 (1) de la Loi parce qu’elle a perdu un emploi ou n’a pu reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où elle exerçait un emploi.

Droit applicable

[4] Le paragraphe 2 (1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») définit le conflit collectif comme étant :

« conflit collectif » signifie conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées.

[5] L’article 36 de la Loi indique :

  1. (1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations avant :
    1. a) soit la fin de l'arrêt de travail;
    2. b) soit, s'il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.
  2. (2) La Commission peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements précisant le nombre de jours d'inadmissibilité dans une semaine dans le cas du prestataire qui a perdu un emploi à temps partiel ou qui ne peut reprendre un emploi à temps partiel pour la raison mentionnée au paragraphe (1).
  3. (3) L'inadmissibilité prévue au présent article est suspendue pendant la période pour laquelle le prestataire établit avoir autrement droit à des prestations spéciales ou à des prestations en raison de l'article 25 à condition qu'il prouve, de la manière que la Commission peut ordonner, que l'absence de son emploi était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l'arrêt de travail.
  4. (4) Le présent article ne s'applique pas si le prestataire prouve qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé.
  5. (5) Lorsque des branches d'activités distinctes, qui sont ordinairement exercées en tant qu'entreprises distinctes dans des locaux distincts, sont exercées dans des services différents situés dans les mêmes locaux, chaque service est réputé, pour l'application du présent article, être une usine ou un atelier distincts.

[6] Le paragraphe 54 (g) de la Loi indique :

La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements :

  1. (g) prévoyant, pour l’application de l’article 36, les circonstances qui constituent le début ou la fin d’un arrêt de travail;

[7] L’article 53 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement ») indique :

  1. (1) Pour l'application de l'article 36 de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), l'arrêt de travail à une usine, à un atelier ou en tout autre local prend fin lorsque :
    1. a) d'une part, le nombre d'employés présents au travail représente au moins 85 pour cent du niveau normal;
    2. b) d'autre part, les activités qui y sont exercées pour la production de biens ou de services représentent au moins 85 pour cent du niveau normal.
  2. (2) Lorsque, par suite d'un arrêt de travail, il survient des circonstances qui font en sorte que le nombre d'employés présents au travail et les activités liées à la production de biens ou de services à une usine, à un atelier ou en tout autre local ne représentent pas au moins 85 pour cent du niveau normal, l'arrêt de travail prend fin :
    1. a) dans le cas d'une cessation des affaires ou d'une restructuration permanente des activités ou dans un cas de force majeure, au moment où ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances;
    2. b) dans le cas où les conditions économiques ou du marché changent ou dans le cas où surviennent des changements technologiques, au moment où :
      1. (i) d'une part, il y a une reprise des activités à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local,
      2. (ii) d'autre part, ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances.
  3. (3) Aux fins du calcul des pourcentages visés aux paragraphes (1) et (2), il n'est pas tenu compte des mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l'employeur pendant l'arrêt de travail dans le but d'en compenser les effets.

Preuve

[8]  Les éléments de preuve contenus au dossier indiquent que :

  1. Lettre de démission indiquant que la prestataire ne retournera pas au travail après le conflit de travail, et ce, à partir du 26 avril 2015 (GD2-7).
  2. Déclaration de grève à partir du 1er avril 2015 chez Delastek inc. (GD3-13).
  3. Enquête sur le début de l’arrêt de travail – partie patronale. La prestataire était en arrêt de travail pour des raisons médicales depuis le 18 février 2015 (GD3-14 à GD3-22).
  4. Enquête sur le début de l’arrêt de travail – partie syndicale (GD3-23 à GD3-28).
  5. Convention collective (GD3-29 à GD3-63).
  6. Relevé d’emploi de Delastek inc. indiquant un dernier jour de travail le 18 février 2015 en raison de « maladie ou blessure » (GD3-64).
  7. Relevé d’emploi du Gouvernement du Québec indiquant une période de travail du 30 avril 2015 au 5 juin 2015 en raison d’un manque de travail (GD3-77).
  8. Le 28 octobre 2015, l’employeur, Gouvernement du Québec, indique que la prestataire occupait un poste occasionnel de moins d’un an sans droit de rappel. L'employeur mentionne que la durée du contrat était du 30 avril au 28 novembre 2015. Le contrat a pris fin le 5 juin 2015 par manque de travail. Il mentionne que la prestataire travaillait dans une pépinière et qu'il n'y avait plus de travail pour elle (GD3-84).
  9. Le 28 octobre 2015, la prestataire indique à la Commission qu’elle ne participe pas au conflit, ne le finance pas et n’y est pas intéressée. De plus, elle ajoute qu’elle n’a pas l’intention de retourner chez Delastek après la fin du conflit. Elle mentionne avoir payé des cotisations syndicales à chacune de ses paies. Elle confirme faire partie du syndicat Unifor, section Local 2109. La prestataire confirme avoir participé aux assemblées syndicales. Elle confirme avoir exercé son droit de vote. Elle a payé seulement les cotisations syndicales obligatoires. Elle ne sait pas si elle recevra une augmentation de salaire rétroactive si le salaire est révisé rétroactivement. Elle indique avoir décidé de ne pas retourner chez son employeur Delastek lorsqu'elle a commencé à travailler chez son nouvel employeur le 30 avril 2015. Elle n'a jamais remis sa démission. Elle a quitté son emploi parce qu’elle désirait trouver un emploi plus payant et qu'elle envisageait également un retour aux études. La prestataire mentionne qu’en acceptant l’emploi du Conseil du Trésor, elle savait que c'était un emploi indéterminé de quelques semaines. Elle mentionne qu'elle travaillait à temps plein, 38.75 heures par semaine avec un taux horaire de 19$/heure (GD3-85/86).

[9] Tel que convenu à l’audience, la prestataire a fait suivre les documents suivants :

  1. Avis de démission daté du 1er décembre 2015 et indiquant que la prestataire démissionne volontairement en date du 26 avril 2015 (GD6-1).
  2. Talon de paie pour la période du 29 novembre 2015 au 5 décembre 2015 pour le paiement des vacances dues (GD6-2).
  3. Relevé d’emploi modifié indiquant que la prestataire a remis sa démission le 1er décembre 2015 (GD6-3).
  4. Lettre du syndicat Unifor datée du 17 novembre 2015 indiquant que la prestataire n’a reçu aucune allocation de grève depuis le début du conflit de travail (GD6-4).

[10] La preuve soumise à l’audience par le témoignage de l’appelante révèle que :

  1. Lorsqu’elle a reçu l’offre d’emploi pour la pépinière, elle a décidé de ne pas retourner pour son ancien employeur qui était en grève depuis le 1er avril.
  2. Elle n’a pas fait la grève. Elle a remis sa démission et a eu un autre emploi. Elle était en recherche d’emploi puis a effectué un retour aux études.
  3. Elle indique qu’elle s’était informée auprès du Centre d’appels de Service Canada pour savoir si elle pourrait recevoir des prestations après son travail pour la pépinière et ont lui avait indiqué qu’elle serait admissible, mais cela n’a pas été le cas en raison du conflit.
  4. Elle indique qu’elle n’avait aucun lien avec la grève et était en désaccord avec celle-ci. Elle a une lettre du syndicat indiquant qu’elle n’a pas reçu d’aide de leur part.
  5. Elle indique avoir démissionné de chez Delastek, mais croit que c’est avant octobre. Elle indique avoir reçu son 4%, mais ne pas avoir eu de nouveau relevé d’emploi. Elle a remis sa lettre de démission en personne et a indiqué que celle-ci était effective au 26 avril.
  6. L’emploi à la pépinière devait être de plus longue durée. Il était prévu du 30 avril jusqu’à 28 novembre, mais des mises à pied non prévues ont été effectuées. Elle n’y a travaillé que 5 semaines. Elle a effectué un retour aux études le 9 mars 2016.
  7. Elle indique qu’elle avait eu un arrêt de travail chez Delastek en raison de maladie. Elle n’a pas quitté sur recommandation médicale bien que c’est la situation chez Delastek qui est la cause de son arrêt de travail. Son médecin a indiqué qu’elle était apte à reprendre le travail au 30 avril lorsqu’elle a obtenu l’emploi à la pépinière.
  8. Elle n’a pas démissionné de chez Delastek immédiatement puisqu’elle trouvait cela inutile puisqu’il y avait un conflit de travail. De plus, elle n’était pas intéressée par ce conflit, n’en était pas d’accord, mais tous les employés de la production étaient membres du syndicat. Elle indique que le conflit de travail est toujours en cours.
  9. Elle a remis en mains propres sa lettre de démission aux ressources humaines. Elle indique qu’elle n’a pas pu y aller immédiatement puisque ça brassait et qu’il y avait des bousculades. De plus, elle se faisait reprocher de ne pas faire de piquetage et avait peur pour sa sécurité si elle se rendait sur place. Elle indique que des injonctions ont été obtenues contre le syndicat qui ne pouvait plus faire de piquetage à une certaine distance de l’usine. Puis, le propriétaire a engagé des agents de sécurité et il lui a été possible de se présenter sur place, sur rendez-vous avec les ressources humaines afin qu’elle puisse avoir accès au bureau.
  10. Enfin, elle indique que lorsque la Commission a tenté de la joindre le 2 et le 4 septembre, elle avait échappé son cellulaire dans l’eau et il ne fonctionnait plus. Lorsqu’elle s’en est procuré un nouveau, les messages n’y étaient pas et elle ne les a donc pas eus, car elle aurait rappelé la Commission.

Arguments des parties

[11] L’Appelante a fait valoir que :

  1. La prestataire indique qu’elle peut prouver qu’elle n’a pas de lien avec le conflit en cours chez Delastek inc. Elle indique qu’elle recevra sous peu une lettre du syndicat Unifor qui confirme qu’elle n’a jamais reçu de prestation de leur part.
  2. Elle peut aussi prouver qu’elle ne retournera pas au travail chez Delastek après le conflit (lettre de démission), qu’elle a eu un nouvel emploi depuis et qu’elle est à la recherche d’un meilleur emploi.

[12] L’intimée a soutenu que :

  1. a) Comme le dossier est présentement en appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale, la Commission n’a pu vérifier la date à laquelle la prestataire aurait fait parvenir sa lettre de démission à l’employeur. Considérant que le 28 octobre 2015, la prestataire avait mentionné à la Commission qu’elle n’avait pas officiellement remis sa démission et le fait que la lettre de démission remise par la prestataire n’est pas datée, il est impossible de déterminer avec justesse la date à laquelle la prestataire a informé l’employeur qu’elle quittait volontairement à son emploi.
  2. b) Les termes « conflit collectif « est défini dans la Loi comme un conflit entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées.
  3. c) Le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations. L’inadmissibilité est retirée soit lorsque survient la fin de l'arrêt de travail ou le jour où le prestataire a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable. Toutes ces dispositions relatives à l'inadmissibilité ne seront pas applicables si le prestataire prouve qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé.
  4. d) La législation précise les conditions qui doivent nécessairement être remplies aux fins de l’inadmissibilité prévue par les dispositions du paragraphe 36(1) de la Loi, dans le contexte où:
    1. 1. le ou la prestataire a perdu un emploi ou ne peut reprendre un emploi;
    2. 2. en raison d’un arrêt de travail;
    3. 3. dû à un conflit collectif;
    4. 4. à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où le prestataire exerçait un emploi.
  5. e) En l’espèce, la preuve au dossier démontre qu’il y avait un conflit collectif au lieu de travail où la prestataire travaillait, soit chez Delastek Inc. La convention collective venait à échéance le 31 mars 2015. Les premières négociations ont débuté le 23 janvier 2015.
  6. f) Le principal enjeu du conflit était la portée de l’accréditation syndicale, ainsi que tout le volet monétaire. Un conciliateur a été nommé. Les négociations, qui ont débuté le 23 janvier 2015, n’ont pas permis aux deux parties de s’entendre en vue du renouvellement de la convention collective. Le 1er avril 2015, une grève générale était déclenchée. L’existence d’un conflit de travail chez Delastek Inc. à Grand-Mère est démontrée selon 36(1) de la Loi sur l’assurance-emploi. (Pages GD3-13 à 63)
  7. g) Selon la Cour d’appel fédérale, lorsque les employés et l’employeur négocient une convention collective, il y a un conflit collectif (Gionest c. Canada (CAC), A-787-81, Canada (PG) c. Simoneau, A-611-96).
  8. h) En second lieu, le conflit collectif dont il est question ici doit nécessairement se situer à l’usine ou tout autre local où la prestataire exerçait son emploi pour l’employeur. L’employeur et le syndicat confirment que le seul lieu de travail des employés affectés par l’arrêt de travail est l’usine de fabrication située à Grand-Mère.
  9. i) Dans le cas présent, la preuve est claire que la prestataire ne pouvait reprendre son emploi chez Delastek Inc. le 8 juin 2015 en raison d’un manque de travail dû au conflit collectif. Par conséquent, les conditions imposant une inadmissibilité aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi ont été rencontrées.
  10. j) La Commission soutient que la jurisprudence appuie sa décision. La Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel une inadmissibilité en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi s’applique quand 1) il y a un conflit collectif au lieu de travail du prestataire; 2) le conflit collectif a causé un arrêt de travail au lieu de travail du prestataire et 3) l’arrêt de travail a causé la perte d’emploi du prestataire (White c. Canada (PG), A- 1037-92)
  11. k) La Cour a confirmé que lorsqu’un arrêt de travail survient durant un conflit collectif, il y a un lien causal entre le conflit collectif et l’arrêt de travail (Canada (PG) c. Simoneau, A- 611-96, Dallaire c. Canada (PG), A-825-95 (la permission d’en appeler a été rejetée par la Cour suprême du Canada, 1996 .C.S.C.R. no. 598).
  12. l) La Cour a confirmé que ces dispositions s’appliquent également à n’importe quel emploi antérieur qu’un prestataire ne peut pas reprendre à une date spécifique en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif (White c. Canada (PG), A-1037-92; Morrison c. CEIC, A-209-89).
  13. m) La Commission indique également que la prestataire n’a pas réussi à prouver qu’elle était admissible aux prestations d’assurance-emploi en vertu du paragraphe 36(4) de la Loi.
  14. n) Comme membre du Local 2109, la prestataire est une partie en cause dans le conflit. Elle négocie avec l’employeur par l’entremise de son représentant syndical.
  15. o) La Commission soutient que la jurisprudence appuie sa décision. La Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel une fois qu’ils ne sont plus admissibles au bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi, les prestataires ont le fardeau de prouver qu'ils y sont de nouveau admissibles en vertu du paragraphe 36(4) de la Loi. (Black c. Canada (PG), 2001 CAF 255)
  16. p) La Cour d’appel fédérale a confirmé qu’afin de déterminer si un prestataire participe à un conflit collectif ou s’il n’est qu’un simple spectateur qui est mêlé à un conflit impliquant un tiers, la conduite du prestataire et de son agent négociateur doit être prise en considération. Si un syndicat a été activement mêlé au conflit collectif, ses membres ne peuvent pas par la suite alléguer qu'ils ont droit à des prestations d'assurance-emploi parce qu'ils ne participaient pas personnellement au conflit, et ce, indépendamment du degré de participation du syndicat au conflit ou de l'intérêt que le syndicat a dans le conflit, ainsi que de toutes les autres circonstances pertinentes (Battista c. Canada (PG), 2004 CAF 241).
  17. q) La Cour suprême du Canada a donné une interprétation restrictive de la phrase « financer un conflit collectif ». « Financer » signifie un lien actif, direct, volontaire entre le financement et la grève et un lien significatif entre le paiement et le conflit. Cela nécessite une contribution volontaire, intentionnelle du prestataire. Conséquemment, le paiement de contributions syndicales obligatoires qui sont placées dans un fonds duquel sont payés les grévistes ne constitue pas un financement au sens de la loi puisque le prestataire n’a pas le choix de payer les contributions afin de s’assurer un statut de membre en règle au sein du syndicat (Hills c. Canada (PG), 1988 1 R.C.S. 513).
  18. r) En l’espèce, la preuve est claire que la prestataire n’a pu reprendre son emploi le 8 juin 2015 en raison du conflit collectif. La prestataire a conservé son droit de rappel et sera éventuellement rappelée par l’employeur après l’arrêt de travail qui est toujours en cours. Par conséquent, la prestataire est devenue inadmissible aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi jusqu’à ce que les conditions spécifiées au paragraphe 36(1)(a) ou au paragraphe 36(1)(b) de la Loi soient rencontrées.
  19. s) La Commission soutient que la jurisprudence appuie sa décision. La Cour d’appel fédérale a confirmé que c’est la cause de la perte d’emploi du prestataire au moment où il est devenu en chômage qui le rend inadmissible aux prestations. Par conséquent, une fois que le prestataire a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, l’inadmissibilité demeure, et ce, jusqu’à ce que l’une des situations énumérées dans la Loi se concrétise, et ce, même si le conflit collectif cesse d’être la vraie cause de l’état de chômage (Canada (PG) c. Gadoury, 2004 CAF 14 (la permission d’en appeler a été rejetée par la Cour suprême du Canada , C.S.C. Dossier No. 30815).
  20. t) La Cour a confirmé le principe qu’à moins que la relation entre les employés et l’employeur et le syndicat soit rompue de manière permanente, les conditions aux termes du paragraphe 36(4) de) la Loi n’ont pas été rencontrées (Canada (PG) c. Hurren, A-942- 85).
  21. u) Dans ce cas, l’arrêt de travail ne s’est pas terminé, parce qu’il y a toujours une grève illimitée en cours chez l’employeur Delastek Inc. Par conséquent, la prestataire fait l’objet d’une inadmissibilité aux termes de l’article 36(1) de la Loi jusqu’à ce que la condition de l’article 53 du Règlement soit rencontrée.
  22. v) La Commission soumet que la jurisprudence appuie sa décision. La Cour d’appel fédérale a affirmé que la fin de l’arrêt de travail s’est produite lorsque les conditions stipulées au Règlement ont été rencontrées. La Cour a de plus confirmé qu’il revient à la Commission d’évaluer la situation basée sur les exigences de la Loi et du Règlement. (Carole Oakes- Pepin c. Canada (PG), A-38-96)
  23. w) Une inadmissibilité aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi peut être terminée lorsque le prestataire a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.
  24. x) Les critères quant à savoir si le prestataire exerçait un emploi d’une façon régulière sont 1) l'emploi était ferme, sérieux, authentique, 2) il y avait une continuité dans l'emploi, et 3) il y avait régularité de l’horaire de travail.
  25. y) Dans ce cas, la Commission soutient que le nouvel emploi de la prestataire ne rencontrait pas les 3 critères de l’article 36(1) (b) de la Loi, parce que bien qu’il y ait un contrat prévu jusqu’au 28 novembre 2015 pour l’employeur Gouvernement du Québec – Conseil du Trésor (Pépinière Grandes-Piles), la prestataire a subi un manque de travail en date du 5 juin 2015. La prestataire a accumulé 198 heures d’emploi assurables avec cet emploi.
  26. z) Par conséquent, l’inadmissibilité en vertu de l’article 36(1) de la Loi ne peut pas être terminée avant la fin de l’arrêt de travail chez Delastek Inc.
  27. aa) La Commission soutient que la jurisprudence appuie sa position. La Cour d’appel fédérale a conclu que le nouvel emploi ne peut pas être un emploi «fictif» ou une «façade». L'expression «de façon régulière» sous-entend la notion de «continuité» et elle doit être opposée à «occasionnel et intermittent». Ce qui est exigé est un cadre fixe plutôt qu'une période fixe d'emploi. L’emphase à l’article 36(1)(b) de la Loi est mise sur« la régularité de l’horaire de travail » (Canada (PG) c. McKenzie, A-1460-92).
  28. ab) Il ne fait aucun doute que le nouvel emploi a été réel et authentique avec un horaire de travail régulier. Par contre, un des critères indissociables réfère à la « continuité » de l’emploi. Dans le cas présent, l’emploi a pris fin plus tôt que prévu et aucune preuve n’a été présentée à l’effet que les circonstances étaient indépendantes de la volonté de l’employeur.
  29. ac) Pour tous ces motifs, la Commission soutient que l’inadmissibilité imposée selon les dispositions du paragraphe 36(1) de la Loi ne pourra donc être terminée avant que l’une des conditions définies aux alinéas 36(1)a) ou b) de la Loi soit remplie.
  30. ad) Dans certaines circonstances, une inadmissibilité aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi peut être terminée lorsqu’il y a rupture complète et définitive de la relation employeur-employé.
  31. ae) Par contre, ce n'est pas tant la nature de la rupture qui est en soi déterminante et ouvre droit aux prestations, mais bien la preuve que la prestataire ne participe pas au conflit collectif, ne le finance pas et n’a pas d’intérêt direct. Dans ce cas-ci, la Commission a déterminé que la prestataire a conservé un lien avec son employeur puisqu’en date du 28 octobre 2015, aucune démission officielle n’avait été remise et la lettre de démission qu’elle a soumise ne comporte aucune date d’envoi ni de signature. De plus, aucune des sommes légales n’a été versée, ce qui soutient le fait qu’il n’y a pas eu de cessation définitive d’emploi.

Analyse

[13] Le paragraphe 2 (1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») définit le « conflit collectif » comme étant un conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées.

[14] Les paragraphes 36 (3) et (4) de la Loi établissent les raisons pour lesquelles une inadmissibilité en raison d’un conflit collectif peut être suspendue ou ne pas s’appliquer :

[15] Le paragraphe 36 (3) indique :

L'inadmissibilité prévue au présent article est suspendue pendant la période pour laquelle le prestataire établit avoir autrement droit à des prestations spéciales ou à des prestations en raison de l'article 25 à condition qu'il prouve, de la manière que la Commission peut ordonner, que l'absence de son emploi était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l'arrêt de travail.

[16] La prestataire était en arrêt de travail pour des raisons de maladie depuis le 19 février 2015. Elle indique avoir été déclarée être apte au travail à partir du 30 avril 2015. Le Tribunal constate que la prestataire a demandé des prestations spéciales et que des prestations de maladie lui ont été versées jusqu’au 25 avril 2015 (GD4-2).

[17] Par conséquent, le Tribunal est d’avis que l’inadmissibilité est suspendue en vertu du paragraphe 36 (3) de la Loi du 1er avril 2015 au 25 avril 2015, puisque la prestataire avait droit à des prestations spéciales pendant cette période.

[18] Le paragraphe 36 (4) indique :

Le présent article ne s'applique pas si le prestataire prouve qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé.

[19] La prestataire indique contester le fait qu’elle soit inadmissible aux prestations puisqu’elle n’est pas en accord avec ce conflit, n’y participe pas et ne le finance pas. Elle indique s’être trouvé un emploi ailleurs et avoir démissionné en date du 26 avril 2015.

[20] Dans Black, la Cour a indiqué qu’il incombe au prestataire de prouver qu’il n’a pas participé à un conflit collectif et n’était directement intéressé par celui-ci (Black c. Canada (Commission de l’assurance-emploi) 2002 CAF 255, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] C.S.C.R. no 526).

[21] La Commission soumet que comme membre du Local 2109, la prestataire est une partie en cause dans le conflit. Elle négocie avec l’employeur par l’entremise de son représentant syndical.

[22] Le Tribunal constate que la prestataire a confirmé qu’elle a payé des cotisations syndicales, qu’elle faisait partie du syndicat Unifor, section Local 2109, qu’elle a assisté aux assemblées et exercé son droit de vote (GD3-85).

[23] Néanmoins, elle indique qu’elle a démissionné au 26 avril 2015 et qu’elle n’a donc pas participé au conflit, et cela, dès son début. Elle a indiqué à la Commission qu’elle avait décidé de ne pas retourner chez son employeur dès qu’elle a obtenu un nouvel emploi, mais qu’elle n’avait pas remis sa démission (GD3-85).

[24] Le Tribunal constate que la lettre de démission est datée du 1er décembre 2015, mais que la prestataire y indique que sa démission elle est effective au 26 avril 2015 (GD6-1). De plus, le Tribunal constate que les montants dus à la prestataire en raison de la cessation d’emploi ont été payés sur le talon de paie émis pour la période du 29 novembre 2015 au 5 décembre 2015 (GD6- 2). Enfin, le relevé d’emploi amendé indique que la prestataire a remis sa démission le 1er décembre 2015 (GD6-3).

[25] La prestataire a expliqué ne pas avoir été en mesure d’aller porter sa démission plus rapidement, en raison du climat qui régnait chez l’employeur. Elle indique s’être fait reprocher par le syndicat de ne pas participer activement au piquetage. Elle indique qu’elle craignait pour sa sécurité si elle se présentait pour rencontrer la personne responsable des ressources humaines. Elle soutient que 2 injonctions ont été imposées afin d’empêcher les grévistes de s’approcher des portes de l’employeur et que l’employeur a dû embaucher un agent de sécurité. Ce n’est que suite à l’embauche de cet agent de sécurité et sur rendez-vous avec son employeur qu’elle a pu se présenter au travail afin de remettre sa démission.

[26] Dans Battista, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’afin de déterminer si un prestataire participe à un conflit collectif ou s’il n’est qu’un simple spectateur qui est mêlé à un conflit impliquant un tiers, la conduite du prestataire et de son agent négociateur doit être prise en considération. Si un syndicat a été activement mêlé au conflit collectif, ses membres ne peuvent pas par la suite alléguer qu'ils ont droit à des prestations d'assurance-emploi parce qu'ils ne participaient pas personnellement au conflit, et ce, indépendamment du degré de participation du syndicat au conflit ou de l'intérêt que le syndicat a dans le conflit, ainsi que de toutes les autres circonstances pertinentes (Battista c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 241).

[27] En lien avec le financement, la prestataire soumet une lettre du syndicat indiquant qu’elle n’a reçu aucune allocation de grève de la part du syndicat (GD6-4).

[28] La Cour suprême du Canada a donné une interprétation restrictive de la phrase « financer un conflit collectif ». « Financer » signifie un lien actif, direct, volontaire entre le financement et la grève et un lien significatif entre le paiement et le conflit. Cela nécessite une contribution volontaire, intentionnelle du prestataire. Conséquemment, le paiement de contributions syndicales obligatoires qui sont placées dans un fonds duquel sont payés les grévistes ne constitue pas un financement au sens de la loi puisque le prestataire n’a pas le choix de payer les contributions afin de s’assurer un statut de membre en règle au sein du syndicat (Hills c. Canada (PG), 1988 1 R.C.S. 513).

[29] Malgré le fait que la prestataire n’ait reçu aucune allocation de grève provenant de son syndicat et malgré son intention de démissionner et de ne pas participer au conflit, étant membre du syndicat, ayant pu exercer son droit de vote et continuant à être représentée par ce même syndicat, le Tribunal ne peut conclure que la prestataire ne participait pas au conflit collectif ni qu’elle ne le finançait pas, au moment où celui-ci a été déclenché.

[30] Néanmoins, le Tribunal est d’avis qu’à compter de sa démission soit le 1er décembre 2015, la prestataire ne participait plus au conflit, ne le finançait plus et n’y était plus intéressée. Le Tribunal est d’avis que la démission de la prestataire a été effective à cette date et bien qu’elle avait l’intention de démission bien avant, elle a conservé un lien d’emploi avec l’employeur jusqu’au 1er décembre 2015 en vertu du paragraphe 36 (4) de la Loi.

[31] Le CUB 11403 confirmé par la Cour d’appel fédérale (Canada (Procureur général) c. Hurren, CAF #A-942-85) indique :

« Que la retraite du prestataire soit "prématurée" ou "intégrale et définitive", elle était évidemment absolue, en ce qui concerne la fin des rapports qui l'unissaient à son employeur et à son syndical. Le prestataire a en fait prouvé "qu’il répond à toutes les conditions énumérées au paragraphe 44(1)" pour citer M. le juge Pratte dans une décision unanime rendue dans une affaire en appel curieusement et faussement intitulée Procureur général du Canada c. le juge-arbitre... [1977] 2 C.F. 696. »

[32] Bien que la situation de la prestataire ne soit pas celle d’une retraite, il n’en demeure pas moins que sa démission a mis fin à son lien d’emploi avec son employeur. Elle renonçait alors à la possibilité de retourner chez son employeur suite à la fin du conflit collectif. Ainsi le Tribunal est d’avis que l’inadmissibilité ne s’applique pas en vertu du paragraphe 36 (4) de la Loi, à partir du 1er décembre 2015, puisque la prestataire ne participait plus au conflit de travail, ne le finançait plus et n’y était plus intéressée, ayant remis sa démission à cette date, soit le 1er décembre 2015.

[33] Par conséquent, la question qui doit être analysée par le Tribunal est de savoir si la prestataire était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

[34] Le Tribunal constate que la Commission a déterminé que la prestataire était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi, à partir du 8 juin 2015, puisqu’elle a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit de travail. La Commission explique que la prestataire a présenté une demande de renouvellement le 25 juin 2015 et que cette demande a été renouvelée automatique par le système informatique. La prestataire a reçu des prestations à compter de la date du renouvellement, soit le 7 juin 2015 jusqu’au 12 septembre 2015.

[35] La prestataire ne remet pas en question le fait d’avoir cessé de travailler en raison d’un conflit collectif chez Delastek où elle travaillait. Elle indique qu’une grève a été déclenchée le 1er avril 2015 et qu’en date de l’audience, le conflit n’était toujours pas réglé. Par contre, au moment du déclenchement de la grève, elle était en arrêt de travail pour des raisons de maladie. Elle a repris le travail pour un autre employeur et était apte au travail à partir du 30 avril 2015.

[36] Ainsi, en vertu de du paragraphe 36 (1) de la Loi, un prestataire n’est pas admissible aux prestations de l’assurance-emploi s’il a :

  1. perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi;
  2. en raison d'un arrêt de travail;
  3. dû à un conflit collectif;
  4. à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi.

[37] La Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel une inadmissibilité en vertu du paragraphe 36 (1) de la Loi s’applique quand 1) il y a un conflit collectif au lieu de travail du prestataire; 2) le conflit collectif a causé un arrêt de travail au lieu de travail du prestataire et 3) l’arrêt de travail a causé la perte d’emploi du prestataire (White c. Canada (PG), A-1037-92).

[38] La Cour a confirmé que lorsqu’un arrêt de travail survient durant un conflit collectif, il y a un lien causal entre le conflit collectif et l’arrêt de travail (Canada (PG) c. Simoneau, A-611- 96, Dallaire c. Canada (PG), A-825-95.

[39] Selon la Cour d’appel fédérale, lorsque les employés et l’employeur négocient une convention collective, il y a un conflit collectif (Gionest c. Canada (CAC), A-787-81, Canada (PG) c. Simoneau, A-611-96).

[40] Le premier facteur a considéré en vertu du paragraphe 36 (1) est le fait qu’un prestataire ait perdu un emploi ou ne peut reprendre un emploi.

[41] La prestataire était en arrêt de travail pour des raisons de maladie depuis le 18 février 2015. À l’audience, elle a indiqué avoir été apte au travail à compter du 30 avril 2015. Le Tribunal constate que cette date est confirmée par le fait que la prestataire a repris le travail, pour un nouvel employeur, à cette date (GD3-77).

[42] Par conséquent, le Tribunal est satisfait qu’en date du 30 avril 2015, la prestataire ne pouvait reprendre son emploi chez Delastek. Le Tribunal a pris en considération le fait que la Commission a imposé une inadmissibilité à partir du 8 juin 2015. Néanmoins, en se basant sur la preuve et les observations présentées par les parties, le Tribunal est d’avis que la prestataire était apte au travail le 30 avril 2015 et qu’à cette date, elle ne pouvait reprendre le travail puisqu’une grève était déclenchée depuis le 1er avril 2015 (GD3-13).

[43] Les deuxième et troisième facteurs à considérer sont l’arrêt de travail qui est dû à un conflit collectif.

[44] Le conflit collectif est défini au paragraphe 2 (1) de la Loi :

« conflit collectif » signifie conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées.

[45] La preuve démontre qu’une grève a été déclenchée le 1er avril 2015 en raison de demandes syndicales visant à modifier la portée du certificat d’accréditation qui empêche de poursuivre la négociation. Le monétaire n’a pas encore été discuté (GD3-15). Le syndicat confirme le déclenchement de la grève et que les points en litige concernent le travail des cadres, salaires et autres (GD3-24). La convention collective est échue depuis le 31 mars 2015 et un conciliateur a été nommé.

[46] Le Tribunal est donc satisfait qu’il y a un arrêt de travail qui est dû à un conflit collectif.

[47] Enfin, le dernier facteur à prendre en considération est le fait que ce conflit collectif a lieu à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où la prestataire exerçait un emploi.

[48] La preuve démontre que l’entreprise n’a qu’une seule usine située à Grand-mère (GD3-14 et GD3-23).

[49] Ainsi, le Tribunal est satisfait que le conflit de travail a lieu à l’usine où la prestataire exerçait son emploi, l’entreprise n’ayant qu’une seule adresse et usine de production.

[50] La prestataire ne conteste pas le fait qu’elle ne puisse travailler chez Delastek en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif et ayant lieu dans l’usine où elle travaille. Par conséquent, en se basant sur la preuve et les observations présentées par les parties, le Tribunal est d’avis que l’existence d’un conflit de travail chez Delastek Inc. à Grand-Mère est démontrée selon le paragraphe 36 (1) de la Loi et qu’une inadmissibilité s’applique en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à partir du 1er  avril 2015.

[51] Néanmoins, le Tribunal doit prendre en considération les alinéas 36 (1) a) et b) de la Loi qui précisent le moment où l’inadmissibilité cesse. Ainsi, un prestataire n'est pas admissible au bénéfice des prestations avant :

  1. a) soit la fin de l'arrêt de travail;
  2. b) soit, s'il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.

[52] La Cour d’appel fédérale a confirmé que c’est la cause de la perte d’emploi du prestataire au moment où il est devenu en chômage qui le rend inadmissible aux prestations. Par conséquent, une fois que le prestataire a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, l’inadmissibilité demeure, et ce, jusqu’à ce que l’une des situations énumérées dans la Loi se concrétise, et ce, même si le conflit collectif cesse d’être la vraie cause de l’état de chômage (Canada (PG) c. Gadoury, 2005 CAF 14).

[53]    Le Tribunal est d’avis que l’alinéa 36 (1) a) de la Loi ne s’applique pas dans la situation actuelle puisque la prestataire a confirmé que le conflit collectif n’était toujours pas, au moment de l’audience, terminé.

[54]  L’alinéa 36 (1) b) de la Loi indique qu’un prestataire n’est pas admissible aux prestations avant, s'il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.

[55] La prestataire a indiqué s’être trouvé un autre emploi. Elle a travaillé du 30 avril 2015 au 5 juin 2015 pour le Gouvernement du Québec. Elle a indiqué que son emploi a pris fin prématurément en raison d’un manque de travail.

[56] Pour sa part, la Commission soutient que le nouvel emploi de la prestataire ne rencontrait pas les 3 critères de l’article 36(1) (b) de la Loi, parce que bien qu’il y ait un contrat prévu jusqu’au 28 novembre 2015 pour l’employeur Gouvernement du Québec (Pépinière Grandes- Piles), la prestataire a subi un manque de travail en date du 5 juin 2015. La prestataire a accumulé 198 heures d’emploi assurables avec cet emploi.

[57] La Commission précise qu’il ne fait aucun doute que le nouvel emploi a été réel et authentique avec un horaire de travail régulier. Par contre, un des critères indissociables réfère à la « continuité » de l’emploi. Dans le cas présent, l’emploi a pris fin plus tôt que prévu et aucune preuve n’a été présentée à l’effet que les circonstances étaient indépendantes de la volonté de l’employeur.

[58] Dans McKenzie, la Cour d’appel fédérale a indiqué :

« À la lumière de l'arrêt Abrahams, il est évident qu'il ressort implicitement de l'interprétation de l'alinéa 31(1)c) que l'emploi n'a pas besoin d'être de longue durée. La durée n'est pas une caractéristique de l'alinéa 31(1)c). Ce qu'il faut c'est un «cadre fixe plutôt qu'une période fixe d'emploi». La Cour a mis l'accent sur «la régularité de l'horaire de travail». On doit donc poser la question suivante : le prestataire a-t-il un emploi réel ou s'agit-il seulement d'une façade? Le juge Wilson a exclu l'emploi sur appel ou l'emploi qui ne serait que «d'un jour ou deux, ici et là, sans engagement ferme de la part du prestataire ou de son nouvel employeur».

Dans Commission de l'Emploi et de l'Immigration c. Roy, la Cour a examiné le cas de trois prestataires qui avaient cessé de travailler en raison d'un conflit collectif à l'usine sidérurgique. Le premier, un commis magasinier avait été embauché par son frère pendant un peu plus d'une semaine pour faire des travaux sur un abri utilisé par ce dernier pendant la saison estivale pour vendre de la crème glacée aux passants. Le travail consistait à «faire de la peinture, réparer le toit et fabriquer des tablettes». Les deux savaient que le travail ne durerait que quelques jours, sans en connaître, au départ, la durée précise. Le deuxième, un opérateur de locomotive, avait été engagé pour une durée de dix-sept jours comme aide-camionneur, par une petite compagnie de distribution d'eau gazeuse. Il avait travaillé un total de soixante-cinq heures, réparties également sur trois semaines. Le troisième, un serrurier, s'était trouvé un emploi de journalier dans une conserverie où il avait travaillé régulièrement, depuis le 28 juillet 1982 jusqu'au 6 octobre 1982, soit, jusqu'à la fin de la récolte annuelle et la cessation des activités saisonnières de mise en conserve de la compagnie. La majorité des juges de notre Cour ont conclu que les trois prestataires avaient un emploi «régulier» car ce qui importait n'était pas la durée de l'emploi, mais sa continuité ainsi que la régularité de l'horaire de travail imposée à l'employé.

Le juge Pratte a déclaré ce qui suit à la page 197 :

Celui qui exerce une occupation de façon occasionnelle ne l'exerce donc pas de façon régulière. Quand exercera-t-on un emploi de façon occasionnelle? Lorsque, à mon avis, on s'engagera pour un laps de temps si bref qu'il sera vraiment impossible de juger de la régularité de l'horaire de travail » (Canada (Procureur général) c. McKenzie, A-1460- 92).

[59] Ainsi, le nouvel emploi ne peut pas être un emploi fictif ou une façade. De plus, l'expression « de façon régulière » sous-entend la notion de continuité et elle doit être opposée à ce qui est occasionnel et intermittent. Ce qui est exigé est un cadre fixe plutôt qu'une période fixe d'emploi. L’emphase à l’article 36 (1) (b) de la Loi est mise sur la régularité de l’horaire de travail.

[60] Il ressort donc de l’arrêt McKenzie, trois critères qui doivent être pris en considération pour déterminer si une personne a commencé à exercer ailleurs, d’une façon régulière, un emploi assurable. L’emploi doit être ferme, sérieux et authentique, il doit y avoir une continuité dans le temps et l’horaire de travail doit être régulier.

[61] Le nouvel employeur, le Gouvernement du Québec (pépinière), a confirmé que la prestataire occupait un poste occasionnel de moins d’un an, sans droit de rappel. L'employeur mentionne que la durée du contrat était du 30 avril au 28 novembre 2015. Le contrat a pris fin le 5 juin 2015 par manque de travail (GD3-84).

[62] Bien qu’il s’agisse d’un emploi contractuel, le Tribunal est d’avis que l’emploi offert par le Gouvernement du Québec était un emploi ferme, sérieux et authentique. L’employeur a indiqué avoir embauché la prestataire pour une période allant du 30 avril 2015 au 28 novembre 2015. L’employeur confirme que l’emploi a pris fin prématurément en raison d’un manque de travail. Il s’agissait d’un emploi à temps plein à raison de 38.75 heures/semaine (GD3-85).

[63] Dans Malo, la Cour a indiqué :

« Le juge-arbitre a conclu que "d’une façon régulière" ne vise pas la durée de l’emploi, mais plutôt sa "continuité". Il faut opposer l’expression à "occasionnel" ou "intermittent". Par exemple une personne n’exerce pas un emploi "d’une façon régulière si elle ne doit se présenter au travail que sur appel. "D’une façon régulière, selon lui, exige en cadre fixe plutôt qu’une période fixe d’emploi. Deux jours par semaine peuvent constituer un emploi "régulier". Faire un quart précis de travail chaque jour peut constituer un emploi "régulier". La caractéristique essentielle n’a pas trait à la durée de l’emploi mais à la régularité de l’horaire de travail. Il ressort implicitement de cette interprétation que l’emploi n’a pas besoin d’être de longue durée. Il peut durer le temps d’une grève seulement, pour autant qu’il est régulier pendant qu’il dure. » (Malo c. C.E.I.C., CAF #A- 765-85).

[64] Le Tribunal est d’avis que l’emploi avait une continuité dans le temps puisqu’il devait être pour une durée d’environ 6 mois, selon un horaire régulier. Le fait que l’emploi ait pris fin prématurément n’empêche pas de déterminer que cet emploi était un emploi régulier.

[65] Ainsi, en se basant sur la preuve présentée par les parties, le Tribunal est d’avis que la prestataire a commencé à exercer ailleurs, de façon régulière, un emploi assurable. Le Tribunal est d’avis que l’inadmissibilité aux prestations d’assurance-emploi cesse à partir du 30 avril 2015 puisqu’à ce jour, elle a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable en accord avec l’alinéa 36 (1) b) de la Loi.

[66] Ainsi, en se basant sur la preuve et les arguments présentés par les parties, le Tribunal est satisfait que la prestataire soit inadmissible aux prestations d’assurance-emploi en raison d’un conflit collectif jusqu’à ce que les conditions établies aux alinéas 36 (1) a) ou b) de la Loi soient rencontrées. Néanmoins, l’inadmissibilité imposée cesse à partir du 30 avril 2015, puisque la prestataire a commencé à exercer de façon régulière un emploi assurable en accord avec l’alinéa 36 (1) b) de la Loi.

Conclusion

[67] Ainsi, en se basant sur la preuve et les arguments présentés par les parties, le Tribunal est d’avis que l’existence d’un conflit de travail chez Delastek Inc. à Grand-Mère est démontrée selon le paragraphe 36 (1) de la Loi et qu’une inadmissibilité s’applique en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à partir du 1er  avril 2015.

[68] L’inadmissibilité est suspendue en vertu du paragraphe 36 (3) de la Loi, du 1er avril 2015 au 25 avril 2015, puisque la prestataire avait droit à des prestations spéciales pendant cette période.

[69] De plus, cette inadmissibilité est maintenue jusqu’à ce que les conditions établies aux alinéas 36 (1) a) ou b) de la Loi soient rencontrées. Ainsi, l’inadmissibilité imposée cesse à partir du 30 avril 2015, puisque la prestataire a commencé à exercer de façon régulière un emploi assurable en accord avec l’alinéa 36 (1) b) de la Loi.

[70] Aussi, même si l’inadmissibilité a cessé le 30 avril 2015 en raison du fait que la prestataire a exercé un emploi assurable de façon régulière en vertu de l’alinéa 36 (1) b) de la Loi, le Tribunal est d’avis que l’inadmissibilité aurait aussi cessé, à compter du 1er décembre 2015, en raison de la démission de la prestataire puisque celle-ci ne participait plus au conflit, ne le finançait plus et n’y était plus intéressée. Ainsi, l’inadmissibilité aurait aussi cessé à compter du 1er décembre 2015 en vertu du paragraphe 36 (4) de la Loi.

[71] En résumé, l’inadmissibilité imposée en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif demeure du 26 avril 2015 au 29 avril 2015.

[72] L’appel est accueilli en partie.

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