Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale est annulée et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 25 janvier 2016, la division générale du Tribunal a déterminé que l’intimée avait démontré qu’elle avait un motif valable pour toute la période de son retard à présenter sa demande initiale de prestations conformément à l’article 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler à la division d’appel le 11 février 2016. La permission lui en a été accordée le 26 septembre 2016.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • La complexité des questions en litige sous appel;
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires;
  • Le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] À l’audience, l’appelante était représentée par Carol Robillard; l’intimée était présente.

Droit applicable

[6] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) indique que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) Elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré lorsqu’elle a conclu que l’intimée, à qui il incombait de démontrer qu’elle avait un motif valable pour toute la période de son retard à déposer sa demande initiale de prestations, avait réussi à en faire la preuve en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi.

Arguments

[8] L’appelante a fait valoir les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance; elle a commis une erreur de droit en interprétant incorrectement le critère juridique pour déterminer un motif valable pour présenter une demande en retard.
  • Aux termes du paragraphe 10(4) de a Loi, le critère juridique pour estimer un motif comme valable n’est pas de déterminer si la prestataire a agi comme le ferait une personne raisonnable dans cette situation, mais bien de déterminer si la prestataire a agi comme le ferait une personne raisonnable afin de satisfaire à ses droits et obligations selon la Loi.
  • L’intimée avait accumulé suffisamment d’heures assurables pour se qualifier à la date antérieure et a pu avoir un motif valable pour son retard quant au délai initial entre le 1er juin 2014 et le 4 octobre 2014, au moment où elle était en convalescence et où elle bénéficiait d’une indemnité de départ. Cependant, la Cour d’appel fédérale (CAF) soutient qu’un motif valable en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi doit s’appliquer à la période de délai entière.
  • Les faits en l’espèce indiquent que l’intimée n’a fait aucune démarche pour se renseigner sur ses droits et ses obligations quant à une demande de prestations, en dépit du fait qu’elle était disponible pour travailler et qu’elle était à la recherche d’un emploi.
  • La Cour d’appel fédérale a réaffirmé que les prestataires ont le devoir de se renseigner sur leurs droits et leurs obligations et sur les mesures à prendre pour protéger une demande de prestations. L’intention de ne pas réclamer de prestations d’assurance-emploi et de chercher un autre emploi ne constitue pas un motif valable pour ce retard.
  • La conclusion raisonnable, basée sur les faits en l’espèce, est que l’intimée n’a pas démontré un motif valable pour la période entière de son retard et que, aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi, la conclusion à laquelle il faut arriver est que les critères stricts pour l’antidatation d’une demande n’ont pas été respectés.
  • Par conséquent, l’intimée n’a pas accumulé suffisamment d’heures assurables la qualifiant pour des prestations aux termes des articles 7 et 8 de la Loi au 30 mars 2015. Elle avait accumulé 319 heures assurables au cours de sa période de référence du 30 mars 2014 au 28 mars 2015, mais elle devait en avoir accumulé 560 pour être admissible aux prestations ordinaires.

[9] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • Il lui semble que la décision de la division générale est juste;
  • Elle croit que la division générale n’a pas commis une erreur d’interprétation du critère juridique du motif valable pour un retard de demande de prestations.
  • Elle a également l’impression que la division générale n’a pas commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  • À l’exception des six semaines pendant lesquelles elle se remettait d’une intervention chirurgicale, du 9 février au 22 mars, elle s’est cherché du travail de façon continue, sans succès.

Normes de contrôle

[10] L’appelante n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[11] L’intimée soutient que la norme de contrôle pour les questions de droit et de faits est le caractère correct de la décision; cf. Martens c. Canada (Procureur général), (2008) CAF 240.

[12] Le Tribunal note que, la Cour d’appel fédérale, a indiqué au paragraphe [19] de sa décision que [traduction] :

« [l]orsqu 'elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale indique également que [traduction] :

[n]on seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[14] La Cour conclut que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l’affaire Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), (2015) CAF 274.

[16] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[17] L’appelante fait valoir que les faits en l’espèce indiquent que l’intimée n’a fait aucune démarche pour se renseigner sur ses droits et ses obligations quant à une demande de prestations, en dépit du fait qu’elle était disponible pour travailler et qu’elle était à la recherche d’un emploi. Son intention de ne pas réclamer de prestations d’assurance-emploi et de chercher un autre emploi ne constitue pas un motif valable pour ce retard.

[18] L’intimée fait valoir que la division générale n’a pas commis une erreur d’interprétation du critère juridique du motif valable pour son retard de demande de prestations. À l’exception des six semaines pendant lesquelles elle se remettait d’une chirurgie, du février au mars, elle s’est cherché du travail de façon continue, sans succès.

[19] En accueillant l’appel de l’intimée, la division générale avait tiré les conclusions suivantes :

Le membre du Tribunal conclut que la durée du retard de la prestataire soulève des préoccupations, mais que, considérant ses problèmes de santé, son âge, ses années de travail ininterrompues et sa mauvaise compréhension de la politique sur les 52 semaines, il estime qu’il est possible de reconnaître un motif valable du retard pour la période entière puisque la prestataire a agi comme le ferait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

[20] Malheureusement pour l’intimée, la décision de la division générale doit être annulée. Bien que la division générale ait cité le bon critère juridique dans sa décision, il ne l’a pas appliqué correctement aux faits en l’espèce.

[21] Pour établir l’existence d’un motif valable aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi, un prestataire doit réussir à démontrer qu’il a fait ce que toute personne raisonnable se trouvant dans la même situation aurait fait pour se renseigner sur ses droits et obligations en vertu de la Loi. La Cour d’appel fédérale a réaffirmé à de nombreuses reprises que les prestataires ont le devoir de se renseigner sur leurs droits et obligations et sur les mesures à prendre pour protéger une demande de prestations; cf. Canada (PG) c. Kaler, (2011) CAF 266 et Canada (PG) c. Dickson, (2012) CAF 8.

[22] Qui plus est, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé qu’un motif valable doit s’appliquer à la période entière du retard aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi; cf. Canada (Procureur général) c. Dickson, (2012) CAF 8.

[23] Le Tribunal estime que la division générale a erré en concluant, à partir des éléments de preuve qui lui étaient présentés, que l’intimé a agi comme une personne raisonnable et prudente se trouvant dans la même situation l’aurait fait pour se renseigner sur ses droits et obligations, et pris les mesures nécessaires pour protéger sa demande de prestations en vertu de la Loi.

[24] La preuve non contestée dont la division générale était saisie démontre que l’intimée n’a pas présenté une demande de prestations parce qu’elle venait de recevoir une indemnité de départ et qu’elle ne croyait pas être admissible à qui que ce soit. Dès que sa santé le lui a permis, elle s’est mise à la recherche d’un emploi. N’arrivant pas à obtenir un emploi, elle a enfin présenté une demande de prestations le 29 mars 2015.

[25] Malheureusement pour l’intimée, le dossier ne révèle aucun effort de sa part pour vérifier son admissibilité ni pour déterminer ses obligations aux termes de la Loi. Qui plus est, son retard à présenter une demande fondée sur l’espoir de se trouver un emploi ou sur l’hypothèse fausse et non fondée qu’elle ne soit pas admissible ne constitue pas un motif valable aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi cf. Howard c. Canada (Procureur général), (2011) CAF 116, Canada (Procureur général) c. Innes, (2010) CAF 341, et Shebib c. Canada (Procureur général), (2003) CAF 88.

[26] Pour les raisons ci-haut, l’appel est accueilli et la décision de la division générale est annulée.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli, la décision de la division générale est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

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