Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 15 février 2016 est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 15 février 2016, la division générale du Tribunal a déterminé que l’intimée avait quitté son emploi avec justification en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler à la division d’appel le 25 février 2016. La permission d’en appeler a été accordée par la division d’appel le 11 mars 2016.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question en litige sous appel ;
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales ;
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires ;
  • L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] L’appelante était représentée à l’audience par Elena Kitova. L’intimée était également représentée à l’audience.

Droit applicable

[6] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’intimée était fondée à quitter son emploi aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

Arguments

[8] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de l’appel :

  • La division générale a commis une erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS, puisqu’elle aurait mal appliqué à la présente affaire le principe établi dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Langlois, 2008 CAF 18. La Cour d’appel fédérale a confirmé que bien qu’il soit légitime pour un travailleur de vouloir progresser dans la vie en changeant d’employeurs, l’on ne peut pas s’attendre à ce que ceux qui cotisent à la caisse d’AE assument les coûts de ce désir légitime ;
  • La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, conformément à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS ;
  • Les éléments de preuve présentés contredisent clairement la conclusion de la division générale selon laquelle l’intimée était fondée à quitter son emploi, au titre du sous-alinéa 29c)(vi) de laLoi sur l’AE ;
  • Il est clairement établi dans la jurisprudence qu’un prestataire doit avoir reçu une véritable offre d’emploi d’un nouvel employeur ;
  • Or, une possibilité d’emploi ou la possibilité de trouver un emploi après avoir quitté le sien ne satisfait pas au critère relatif à la justification, aux termes du sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE ;
  • La question à trancher consiste à déterminer si le départ de l’intimée constituait la seule solution raisonnable ;
  • Les éléments de preuve indiquent que bien que le Manoir P. P. ne lui garantissait pas d’heures de travail, au moment où elle a volontairement quitté son emploi, elle travaillait pendant davantage d’heures que lorsqu’elle travaillait pour le K. E. Senior Home Care (Soins à domicile pour personnes âgées K. E.) ;
  • Bien que l’appelante reconnaisse que l’intimée ait peut-être pris la bonne décision d’un point de vue personnel en quittant son emploi pour un autre, elle n’a pas satisfait au critère à savoir si elle était fondée à quitter son emploi, conformément au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE ;
  • Compte tenu de toutes les circonstances entourant le départ volontaire de l’intimée, cette dernière n’a pas démontré que son départ était la seule solution raisonnable au moment où elle a quitté. De plus, son départ volontaire a créé un risque inutile de chômage, et elle demande à la caisse de l’AE d’assumer ce risque ;
  • Une application adéquate des faits de la présente affaire au critère juridique de justification mène à la conclusion raisonnable que l’intimée n’a pas montré que quitter l’emploi qu’elle occupait constituait sa seule solution, aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE.

[9] L’Intimée fait valoir les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • En juin 2015, elle a rencontré des représentants de Développement social de la province afin d’obtenir une réorientation de carrière. Elle s’est inscrite et a suivi une orientation professionnelle intensive pendant deux mois ;
  • Après avoir travaillé pour le Manoir P. P. pendant cinq ans, elle a quitté cet emploi le 19 juillet 2015 en raison de situations liées au travail (stress, manque de respect en milieu de travail, travailler dans des situations dangereuses) ;
  • À la fin de juillet et au début d’août, elle a recueilli les renseignements nécessaires (vérifications judiciaires et de vulnérabilité) pour obtenir son emploi pour K. E. Senior Home Care ;
  • Le 3 août 2015, elle a commencé à travailler à temps plein pour K. E. Senior Care ;
  • Elle a toujours été soit dans une situation où elle avait un emploi ou dans une situation où elle se cherchait activement un emploi. Elle n’a jamais été inactive ;
  • L’assurance-emploi servait de filet de sécurité pendant qu’elle était en transition d’un emploi à un autre.

Normes de contrôle

[10] L’appelante soutient que la norme de contrôle pour les questions de droit et de fait est le caractère raisonnable, et que celle pour les questions de droit est le caractère correct - Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[11] L’intimée n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[12] Le Tribunal note que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, (2015) CAF 242, a indiqué au paragraphe 19 de sa décision que [traduction] « [l]orsqu “elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale indique également les faits suivants [traduction] :

[n]on seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

La Cour conclut que « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[14] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l’affaire Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[15] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[16] Lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’intimée, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

[24] En l’espèce, la prestataire, qui était en congé de maladie à cause de son milieu de travail, est retournée travailler lorsqu’on lui a demandé de le faire et a continué d’exercer ce travail pendant un mois. Cependant, lorsqu’elle s’est trouvé un autre emploi dans son domaine des soins à domicile et puisqu’elle n’aimait toujours pas son milieu de travail, elle a quitté son emploi au Manoir P. P. et a accepté un emploi pour K. E. Senior.

[25] Le membre du Tribunal estime que dans ce cas, la prestataire est entrée directement en communication avec son nouvel employeur avant de quitter son emploi, et elle a effectivement été embauchée au téléphone à ce moment-là, mais son nouvel employeur devait toutefois vérifier ses antécédents, car cela est nécessaire dans son domaine de travail.

[26] En l’espèce, le membre du Tribunal a révisé la preuve et conclut que selon la preuve de la prestataire, cette dernière avait obtenu une assurance raisonnable d’un autre emploi avant de quitter son emploi précédent.

(…)

[28] Le membre du Tribunal conclut que compte tenu des circonstances du milieu de travail de la prestataire, et compte tenu du fait qu’elle s’était trouvé un autre emploi avant de quitter son emploi, la prestataire n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment qu’elle l’a fait.

[17] Très respectueusement, la décision de la division générale ne peut pas être maintenue pour les motifs mentionnés ci-dessous.

[18] Les faits dans la présente affaire ne sont pas contestés. L’intimée travaillait à 057033 NB Inc. (le Manoir P. P.) jusqu’au 20 mars 2015, moment auquel elle a quitté cet emploi pour cause de maladie. Elle a alors présenté une demande de prestations de maladie prenant effet le 22 mars 2015. Le 3 juillet 2015, elle a demandé de recevoir des prestations régulières. Un relevé d’emploi provenant du Manoir P. P. a été fourni et a confirmé que l’appelante était retournée travailler le 22 juin 2015 et avait quitté cet emploi le 17 juillet 2015.

[19] L’intimée a avisé l’appelante qu’elle avait volontairement quitté son emploi au Manoir P. P. le 17 juillet 2015 où elle était payée 12,52 $ de l’heure, et qu’elle avait commencé son nouvel emploi pour K. E. Senior Home Care le 3 août 2015 où elle était payée l’équivalent d’environ 14,50 $ de l’heure.

[20] L’intimée a été embauchée pour travailler environ 20 heures par semaine selon les besoins de l’employeur à ce moment-là, et elle travaillait environ 35 heures par semaine pour son ancien employeur.

[21] Lorsque le Tribunal lui a demandé pourquoi elle avait quitté son ancien employeur puisqu’il lui offrait plus d’heures de travail, l’intimée a répondu que son nouvel employeur lui offrait un salaire plus élevé, la payait par dépôt direct et non par chèque et elle estimait que de quitter un petit employeur pour travailler pour une plus grosse entreprise serait plus avantageux pour elle à long terme.

[22] Si l’on applique les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Muhammad Imran, 2008 CAF 17 à la présente affaire, l’on ne peut contester le fait que l’intimée avait une « assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat » lorsqu’elle a quitté son emploi pour le Manoir P. P.

[23] Outre l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat, l’alinéa 29c) invite à tenir compte de toutes les circonstances qui entourent le départ de l’intimée pour déterminer si celui-ci constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

[24] Comme il a été affirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Langlois c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 18, bien qu’il soit légitime pour un travail de vouloir améliorer son sort en changeant d’employeur ou en changeant la nature de son travail, il ne peut faire supporter le coût de cette légitimité par ceux et celles qui contribuent à la caisse de l’assurance-emploi. Quitter un emploi où l’appelante travaillait environ 35 heures par semaine pour un emploi qui offre 20 heures par semaine sans garantie d’heures de travail, et ainsi provoquer délibérément la réalisation du risque de chômage, ne constitue pas une justification au sens de la Loi sur l’AE.

[25] De plus, compte tenu de la preuve présentée à la division générale, le Tribunal n’est pas convaincu que les conditions de travail de l’appelante étaient intolérables à un point tel qu’elle n’avait pas d’autre choix que de démissionner immédiatement. Le fait que l’intimée soit retournée travailler pour son ancien employeur après avoir présenté sa demande de prestations de maladie corrobore cette conclusion.

[26] Une application adéquate des faits de la présente affaire au critère juridique de justification mène à la conclusion que l’intimée n’a pas montré que quitter l’emploi qu’elle occupait constituait sa seule solution, aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 15 février 2016 est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

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