Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie. La décision de la division générale est modifiée conformément à ces motifs.

Introduction

[2] Antérieurement, un membre de la division générale a rejeté l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre d’une décision antérieure de la Commission.

[3] Dans les délais, le demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel, et la permission d’en appeler a été accordée.

[4] Le 10 août 2016, une audience a été tenue par téléconférence. L'appelant était présent et a présenté des observations par le biais de son représentant, mais pas la Commission. J'étais convaincu du fait qu'elle avait reçu un avis adéquat, j'ai donc procédé en son absence.

[5] Quarante-cinq minutes après le début de l'audience, la Commission a communiqué avec le personnel du Tribunal pour demander un ajournement. Après l'audience, une demande écrite fut déposée dans laquelle la Commission a expliqué que « [e]n raison d'un malentendu [sic], la Commission ne pouvait pas assister à l'audience ».

[6] Au moment de la communication initiale, l'audience était toujours en cours. J'ai donc demandé à l'appelant de fournir des observations orales et lui ai permis de présenter des observations écrites supplémentaires s'il le désirait. Dans les délais, l'appelant l'a fait. L'appelant s'est opposé à l'ajournement sur de nombreux motifs, incluant le fait que la Commission disputait sa cause depuis un bon moment et qu'une audience préalablement organisée avait dû être ajournée en raison de difficultés techniques de la part du Tribunal.

[7] J'ai donc poursuivi l'audience sans prendre une décision en ce qui a trait à la demande de la Commission puisqu'il était convenu que j'examinerais ladite requête uniquement après que la Commission aurait formellement présenté une demande écrite et que l'appelant aurait eu l'occasion de présenter des observations écrites auxquelles il est fait référence ci-dessus. À ce moment, j'avais espoir que la Commission se serait éventuellement jointe à la téléconférence et qu'elle aurait expliqué sa demande de façon plus élaborée, même si ce n'est pas ce qui est arrivé.

[8] La Commission a déposé des observations écrites complètes sur le fondement avant l'audience, lesquelles j'ai examinées. Par conséquent, qu'il y ait ajournement ou non, la position de la Commission est déjà au dossier. Pour ce motif, et en considérant la décision que je prendrai quant à l'appel, je conclus que la Commission ne subira peu ou pas de préjudice si l'ajournement est refusé.

[9] D'autre part, si un ajournement était accordé, l'appelant aurait à plaider de nouveau toute sa cause et le temps consacré à le faire à l'audience du 10 août 2016 aurait été perdu. Le fait d'accorder un ajournement causerait un préjudice substantiel à l'appelant.

[10] Après avoir considéré ce qui précède, je juge que les intérêts de la justice seraient mieux servis si l'ajournement était refusé. Pour ce motif, je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder la demande d'ajournement.

Droit applicable

[11] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

[12] Cette affaire repose sur l'application appropriée de la loi au sujet de la question de la disponibilité dans les cas où le prestataire n'a pas de permis de travail valide.

[13] L'appelant, dans ses arguments détaillés et raisonnés avec soin, indique que le membre de la division générale a erré en concluant qu'il n'était pas disponible au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (Loi).

[14] En résumé, ces arguments sont au nombre de trois. Premièrement, l'appelant a déclaré avoir répondu au critère de disponibilité comme indiqué dans l'affaire Faucher c. Canada (Emploi et immigration), A-56-96, et que le membre de la division générale a erré lorsqu'il n'a pas tiré cette conclusion. Deuxièmement, il argumente que lors de la création de la Loi, l'intention du Parlement était de veiller à ce que les prestataires reçoivent des prestations dans les circonstances où l'indisponibilité leur est imposée pour des circonstances hors de leur contrôle. Il a cité un nombre de décisions de juges-arbitres à cet effet. Troisièmement, il soutient que la division générale a erré en concluant (au paragraphe 32 de sa décision) qu'il était indisponible puisqu'un « prestataire doit activement chercher un emploi convenable, même s'il semble raisonnable pour le prestataire de ne pas le faire ».

[15] La Commission soutient que le membre de la division générale a bien fait de rejeter l'appel, puisque le fait de ne pas disposer d'un permis de travail est une condition personnelle qui empêche un prestataire d'être disponible pour travailler en vertu de l'art. 18 de la Loi. Toutefois, la Commission indique que le permis de travail de l'appelant lui fut restitué après la décision de la division générale. Elle soutient que l'inadmissibilité antérieure aurait dû se terminer le jour où le permis fut restitué (le 3 décembre 2014).

[16] Les faits en l’espèce sont inhabituels, mais incontestés.

[17] L'appelant possédait un permis de travail valide et a renouvelé son permis approximativement 10 fois au cours des années. Toutefois, en 2013, les questions du formulaire de renouvellement ont changé. Au lieu de demander si le prestataire était membre ou non d'un groupe politique dans son pays d'origine (une question à laquelle l'appelant a toujours répondu « oui », le formulaire de renouvellement demandait maintenant si le prestataire était membre d'un groupe politique qui avait recours à la violence pour atteindre ses buts. Puisque l'appelant ne croyait pas que son ancien groupe agissait de la sorte, il a répondu « non ».

[18] Malheureusement pour l'appelant, des officiels de Citoyenneté et immigration Canada (ICC) ont traité sa réponse comme une exception. Sans recevoir d'autres renseignements de l'appelant (même s'il semble qu'un essai infructueux d'entrer en communication avec lui a eu lieu), sa demande a été refusée. L'appelant a présenté une demande à nouveau, cette fois en fournissant des détails sur les motifs de sa réponse, mais a fait face à des difficultés additionnelles qui n'étaient pas reliées à cette affaire, en raison d'un frais de demande plus élevé dont il n'était pas au courant. Éventuellement, ces deux problèmes ont été surmontés et l'appelant a reçu un permis de travail. Par la suite, il s’est vu accorder un statut de résident canadien permanent. À tout moment, l'appelant fut franc au sujet de son affiliation à ce groupe et, comme il a été prouvé par le biais du statut de résident permanent qui lui fut éventuellement accordé, cette affiliation n'a pas été jugée comme un motif suffisant pour renier à l'appelant la permission de rester au Canada. Rien ne suggère que l'appelant a trompé qui que ce soit durant ce processus.

[19] Entre le moment où il a perdu son permis et son éventuel rétablissement, l'appelant ne s'est pas engagé dans une recherche d'emploi active. Selon l'appelant, ceci est justifié par le fait qu'il avait un emploi garanti dès qu'il recevrait son renouvellement et aussi, par le fait que même s'il avait cherché un emploi, il n'avait pas le droit de travailler légalement au Canada en l’absence d’un permis de travail valide.

[20] Dans sa décision, le membre de la division générale a indiqué de façon correcte le test d'admissibilité approprié cité dans Faucher, selon lequel trois facteurs doivent être analysés :

« […] le désir de retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable serait offert, l’expression de ce désir par des efforts pour se trouver cet emploi convenable, et le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail […] »

[21] Le membre a ensuite examiné ces trois facteurs et a conclu que l'appelant ne cherchait pas un emploi, qu'il n'avait pas prouvé sa disponibilité et a rejeté son appel. Le membre a également conclu que l'appelant n'était pas disponible pour travailler jusqu'à ce qu'il reçoive son nouveau permis de travail.

[22] Avant de continuer, je dois exprimer mon accord avec l'appelant pour ce qui est du fait que la vraie question est de déterminer si un prestataire pourrait être disponible (selon les circonstances de l'appelant) en l'absence d'un permis de travail valide et qu'en raison des circonstances de l'appelant une recherche d'emploi (ou l'absence d'une telle recherche) n'était pas un critère déterminant de sa disponibilité.

[23] Cela dit, je suis d'accord avec la conclusion ultime qu'a rendue le membre de la division générale, toutefois, pour différents motifs. En arrivant à cette conclusion, je tire plusieurs observations et conclusions.

[24] Premièrement, je prends acte de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Vezina c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 198, où la Cour conclut que :

« La question de la disponibilité est une question objective, il s’agit de savoir si un prestataire est suffisamment disponible en vue d’un emploi convenable : pour avoir droit aux prestations d’assurance-chômage (assurance-emploi). Elle ne peut pas être subordonnée aux raisons particulières, quelque compassion qu’elles puissent susciter, pour lesquelles un prestataire impose des restrictions à sa disponibilité. Car, si le contraire était vrai, la disponibilité serait une exigence très variable, tributaire qu’elle serait des raisons particulières qu’invoque l’intéressé pour expliquer son manque relatif de disponibilité. »

[25] Deuxièmement, même si la décision d'un juge-arbitre (CUB 44956) citée par l'appelant à l'audience est en fait directement reliée au sujet en cause et qu'elle a été suivie par d'autres juges-arbitres, elle indique que l'art. 18 de la Loi n'était « pas applicable dans les circonstances sous révision ».

[26] L'article 18 de la Loi prévoit qu'un prestataire doit être disponible pour travailler pour qu'il puisse recevoir des prestations d'assurance-emploi régulières, et non des prestations de maladie. Avec le plus grand des respects pour le juge-arbitre, je refuse de suivre toute décision qui ne considère pas cette exigence juridique de base ou qui est en conflit avec l'affaire Vézina. J'indique également que je ne suis en aucun cas lié aux décisions de juges-arbitres.

[27] Troisièmement, je constate que l'intimée a perdu son permis de travail après avoir répondu à une question de CIC d'une façon dont CIC n'a pas été satisfait. Bien que je reconnais que l'appelant n'a pas intentionnellement voulu tromper avec sa réponse, son permis lui fut refusé parce que CIC a jugé que la réponse qui aurait été appropriée aurait été le contraire de celle fournie par l'appelant.

[28] Je dois donc attribuer la perte éventuelle de ce permis aux gestes de l’intimé, qui ont eu comme effet de limiter ses chances (à zéro, en fait) de réintégrer le marché canadien de la main-d’œuvre pendant la période en question. Pour ce motif, il n'est pas nécessaire que j'examine les difficultés auxquelles l'appelant a dû faire face à la suite de la hausse de frais de la demande, qui sont survenues plus tard.

[29] Quatrièmement, je reconnais (tout comme les parties) que cette question spécifique semble être nouvelle et n’a jamais encore été traitée directement par les tribunaux. Même en laissant de côté les points susmentionnés, l’on doit admettre qu’aux yeux d’un observateur externe il semblerait fort illogique qu’une personne qui n’a pas le droit de travailler légalement au Canada puisse être considérée comme étant disponible pour travailler au sens de la Loi et qu’elle reçoive des prestations régulières qui ne sont pas des prestations de maladie. À mes yeux, cela ne pouvait être et n’était pas l’intention du Parlement lorsque la Loi a été rédigée.

[30] Je compatis à la situation de l'appelant. Même s'il a présenté sa demande en avance et qu'il a fourni ce qui, selon lui, constituait une bonne réponse à la nouvelle question de CIC, son renouvellement de permis fut refusé. S’il avait été informé des conséquences possibles sur son gagne-pain, il aurait pu en traiter plus tôt avec les autorités compétentes et, par conséquent, il aurait peut-être pu éviter cette interruption de la couverture de son permis de travail. Mais il n'était pas informé. Ce n’était peut-être pas de sa faute, mais c’était de sa responsabilité.

[31] Compte tenu des faits en l’espèce, je conclus que l’intimé n’était pas suffisamment disponible pour un emploi convenable, à compter du moment où il a perdu son permis de travail jusqu’au moment où celui-ci lui a été rendu, puisqu'il n’avait pas le droit de travailler légalement au Canada pendant cette période, en raison de sa propre conduite.

[32] La décision de la division générale est donc modifiée en conséquence.

Conclusion

[33] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli en partie. La décision de la division générale est modifiée conformément à ces motifs.

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