Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie, la décision de la division générale portant sur la question de la défalcation est annulée.

Introduction

[2] Le 29 août 2015, la division générale du Tribunal a conclu que l’appelante n’avait pas exercé sa compétence d’une manière judiciaire lorsqu’elle a décidé de ne pas défalquer, en entier ou en partie, une somme due par l’intimée à la suite d’un versement excédentaire.

[3] L’appelante a sollicité la permission d’en appeler à la division d’appel le 10 septembre 2015. La décision de la division générale a été communiquée à l’appelante le 7 août 2015. La permission d’en appeler lui a été accordée le 16 septembre 2015.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • La complexité des questions en litige sous appel;
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales.
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires;
  • Le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement), de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] L’appelante était représentée à l’audience par Stephanie Yung-Hing. L’intimée était présente à l’audience.

Question en litige

[6] La division générale avait-elle la compétence nécessaire pour trancher la question de la défalcation du versement excédentaire ?

Droit applicable

[7] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) indique que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) Elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Arguments

[8] L’appelante a fait valoir les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé de ne pas appliquer l’article 112,1 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). L’article 112,1 de la Loi a été adopté le 16 décembre 2014; il prescrit que la décision par un appelant de défalquer une dette ne puisse être le sujet d’une révision en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Par conséquent, une décision par l’appelante au sujet d’une défalcation ne peut faire l’objet d’un appel aux termes de l’article 113 de la Loi;
  • L’appelante fait valoir que l’article 112,1 de la Loi a été adopté afin de dissiper tout doute qui pourrait être soulevé à la suite de l’arrêt Steel et afin « d’offrir une interprétation contraignante » de la règle pertinente, qui veut que la décision de l’appelante de défalquer une dette ne peut faire l’objet d’une révision en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi, et que, par conséquent, elle ne peut faire l’objet d’un appel à la division générale;
  • La division générale était liée par l’article 112,1 de la Loi parce que les dispositions déclaratoires ont un effet rétroactif et qu’elles s’appliquent à toutes les affaires en instance. L’affaire actuelle était toujours en instance lorsque la nouvelle disposition a été adoptée et a pris effet, le Tribunal l’ayant instruite en novembre 2014, mais n’ayant rendu sa décision qu’au mois de juillet 2015;
  • Que la division générale soit un tribunal nouvellement constitué assujetti à une nouvelle législation ne constitue pas une carte blanche pour que ses membres rendent des décisions basées sur un raisonnement qui ne tient pas compte des précédents. La Cour suprême du Canada a conclu qu’une cour inférieure n’est pas autorisée à outrepasser les précédents contraignants;
  • La division générale n’a pas la compétence requise pour rendre une décision au sujet de la défalcation de la dette de l’intimé;
  • Aucune décision ne fut rendue par l’appelante en ce qui a trait à la demande de défalcation de l’intimée en raison de difficultés financières,en vertu de l’alinéa 56(1)f) du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement);
  • La division générale a erré lorsqu’elle a pris en charge les pouvoirs de défalcation conférés exclusivement et uniquement à l’appelante.

[9] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • La division générale peut défalquer une dette aux termes de l’article 54 de la Loi sur le MEDS;
  • L’appelante a reconnu avoir demandé que sa situation financière soit prise en considération et a également reconnu qu’une décision de refuser une défalcation avait été prise (Preuve GD3- 193);
  • Dans ses observations de l’appelante devant la section de l’assurance-emploi du Tribunal de la sécurité sociale, datée le 21 juillet 2014, Earl Hoffman reconnaît, à la page GD4-2, que son appel se fonde sur son « incapacité de rembourser le versement excédentaire »; pourtant, il ne suggère pas à la division générale que c’est une impossibilité puisque cela dépasse la compétence de celle-ci, il ne laisse pas entendre que l’appelante n’avait pas examiné la question;
  • Si la compétence d’une instance doit demeurer identique à celle de son prédécesseur, pourquoi changer. Pourquoi ne pas garder le statu quo ? Les nouvelles instances et les nouvelles législations requièrent de nouvelles interprétations; si le Tribunal se trouve lié au précédent sur toute question, le « changement » ne pourra jamais s’opérer.
  • Voici l’occasion idéale de réviser des décisions dépassées, comme l’a fait la division générale, plutôt que de les citer comme jurisprudence afin de maintenir le statu quo;
  • À la lecture de l’appel et des affaires citées en appui de celui-ci, il me semble que l’appelante présente un schéma de comportement répétitif selon lequel il ne tient pas compte de demandes de défalcation pour ensuite déclarer qu’aucune décision n’a été prise, ce qui oblige les victimes de ce procédé, comme Zach Steel et elle-même, l’intimée, de s’adresser aux tribunaux pour régler leurs litiges;
  • L’appelante était au courant de la demande de l’intimée; elle a pris la décision de ne pas défalquer la dette, il s’ensuit qu’aux termes de l’article 54 de la Loi sur le MEDS, le Tribunal peut « [...] modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre ou la Commission aurait dû rendre. »

Norme de contrôle

[10] L’appelante fait valoir que la division d’appel devrait faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait de la division général et qu’elle ne peut intervenir qui si la conclusion de fait a été tirée « de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. » Toutefois, sur les questions de justice naturelle, de compétence et de droit, la division d’appel n’a pas a faire preuve de déférence. - Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, (2015) CAF 50.

[11] L’intimée n’a pas fait de représentations concernant la norme de contrôle applicable.

[12] Le Tribunal note que dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, (2015) CAF 242, la Cour d’appel fédérale énonce au paragraphe [19] de sa décision que « Lorsqu’elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[13] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[14] La Cour d’appel fédérale a conclu que lorsque la division d’appel « entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans la décision Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), (2015) CAF 274.

[16] En se fondant sur les directives susmentionnées, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

Les faits

[17] Le 25 mai 2009, l’intimée a présenté une demande initiale de prestations d’assurance-emploi à la suite de son départ de P. W. C., le 5 mai 2009. Elle a présenté une demande renouvellée le 3 novembre 2009, après avoir reçu le versement d’indemnités de départ. Elle a été jugée admissible aux prestations ordinaires du 25 octobre 2009 au 2 octobre 2010, une période de 47 semaines. À la suite d’une enquête, l’appelante a décidé, le 19 février 2014, que l’intimée était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 11 octobre 2009 au 10 avril 2010 parce qu’elle était considérée comme travailleuse autonome, qu’elle n’était pas disponible pour travailler et qu’elle se trouvait à l’étranger. L’intimée a également été frappée d’inadmissibilité du 1er au 20 juillet 2010, parce qu’elle se trouvait à l’étranger. L’avis de dette indique que l’intimée devait 12 212 $ à compter du 22 février 2014.

[18] Le 13 mars 2014, l’intimée a présenté une demande de révision. Dans une lettre datée le 9 juin 2014, l’appelante a informé l’intimée qu’elle maintenait tous les aspects de sa décision originale et que si le remboursement de la dette mettait celle-ci dans une position difficile, elle devrait entrer en communication avec le Centre d’appels de la gestion des créances de l’Agence du revenu du Canada afin de discuter d’une entente de paiements basée sur ses circonstances particulières. Pour ce qui est de la défalcation de la dette, l’appelante a décidé qu’étant donné les faits, elle ne pouvait pas la défalquer en vertu de l’alinéa 56(1)e) et du paragraphe 56(2) du Règlement. L’intimée a déposé un avis d’appel à la division générale le 7 juillet 2014.

Décision de la division générale

[19] L’appel a été instruit à la division générale le 15 novembre 2014, la décision a été rendue le 29 juillet 2015; la division générale a conclu que :

  • L’intimée n’était travailleuse autonome que dans une moindre mesure;
  • l’appel quant à la disponibilité de cette dernière serait accueilli;
  • l’intimée se trouvait à l’étranger, mais que les dates et la durée de l’inadmissibilité seraient modifiées à la faveur de l’intimée;
  • l’appel portant sur le dépôt de fausses déclarations faites sciemment serait rejeté;
  • elle avait la compétence de réviser une décision de défalcation de la part de l’appelante; elle a annulé 95 % de la dette de l’intimée et a recommandé que la dette soit remboursée en versements de 40.$ par mois.

La division générale avait-elle la compétence nécessaire pour trancher la question de la défalcation du versement excédentaire ?

[20] L’appelante prétend que la division générale a commis une erreur de droit en décidant de ne pas appliquer l’article 112,1 de la Loi qui avait été adoptée le 16 décembre 2014; celle-ci prévoit qu’une décision de défalquer de la part d’un appelant ne peut faire 'objet d’une révision en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Par conséquent, la décision de l’appelante sur une défalcation ne peut faire l’objet d’un appel devant la division générale aux termes de l’article 113 de la Loi. L’appelante plaide que l’article 112,1 de la Loi a été adopté afin de dissiper tout doute à la suite de l’arrêt Steel et afin « d’offrir une interprétation contraignante » de la règle pertinente, à savoir qu’une décision de l’appelante sur une défalcation ne peut faire l’objet d’une révision en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi, et que, par conséquent, elle ne peut faire l’objet d’un appel devant la division générale.

[21] L’intimée prétend qu’il s’agit de l’occasion idéale de réviser des décisions dépassées, comme l’a fait la division générale, plutôt que de les citer comme jurisprudence afin de maintenir le statu quo; que, si le Tribunal se trouve lié aux précédents sur toute question, le changement ne pourra jamais s’opérer. L’intimée prétend que le Tribunal peut, en vertu de l’article 54 de la Loi sur le MEDS « modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre ou la Commission aurait dû rendre. »

[22] Dans l’affaire Steel c, Canada (PG), (2011) CAF 153, le prestataire était tenu de rembourser un versement excédentaire de prestations et il a soutenu avoir demandé à la Commission de défalquer cette dette en vertu du paragraphe 56(1) du Règlement en raison d’un « préjudice abusif ». La majorité de la Cour d’appel fédérale, sans décider de la question de compétence, a conclu ce qui suit :

[30] « En l’absence d’une décision, le conseil et le juge-arbitre n’avaient aucune raison de trancher les questions que M. Steel souhaite soulever en ce qui concerne la défalcation de sa dette. Il n’est pas une « [personne] qui fait l’objet d’une décision de la Commission » qui peut interjeter appel de la décision devant le conseil. Il n’y a pas non plus de décision qui pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. La question que M. Steel souhaite soulever ne se pose tout simplement pas dans le présent dossier. L’affaire ne soulève aucune question justiciable. »

[23] Malgré la position de la majorité, le juge Stratas s’est dit d’avis que la question de compétence ne pouvait être évitée et que la Cour avait le devoir au préalable de se prononcer sur cette question. Il mentionne ce qui suit :

« [54] Dans la présente affaire, M. Steel est tenu de rembourser un versement excédentaire de prestations. Il soutient qu’il a demandé à la Commission de défalquer cette dette en vertu du paragraphe 56(1) du Règlement sur l’assurance — emploi, DORS/96-332 en raison d’un « préjudice abusif. » M. Steel prétend que la Commission a rejeté sa demande de défalcation.

[55] Par conséquent, M. Steel a interjeté appel au conseil arbitral, puis au juge-arbitre en vertu des paragraphes 114(1) et de l’article 115 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. (1996), ch. 23. Ces dispositions, reproduites en annexe des motifs de ma collègue, permettent à « quiconque » (en anglais, claimant ou other person) d’interjeter appel devant le conseil arbitral ou le juge-arbitre. Une demande de contrôle judiciaire peut ensuite être présentée à la Cour en vertu de l’article 118 de la Loi.

[56] Selon la jurisprudence de notre Cour, M. Steel n’est pas un « prestataire » : Cornish-Hardy c. Canada (Conseil arbitral), (1979) 2 C.F. 437 (C.A.); conf. par CanLII 187 (CSC), (1980)] R.C.S. et Canada (Procureur général) c. Filiatrault (1998), 235 N.R. 274 (C.A.F.).

[57] Par conséquent, la question de la compétence se résume à savoir si M. Steel est une « autre personne » en vertu du paragraphe 114(1) et de l’article 115 de la Loi. Si M. Steel est une « autre personne », il peut alors interjeter appel devant le conseil arbitral et le juge-arbitre, et il peut ensuite soumettre à la Cour une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 118 de la Loi de la Loi. Si M. Steel n’est pas une « autre personne », il ne pourra alors procéder que par voie de contrôle judiciaire du refus de la Commission devant la Cour fédérale en vertu des articles 18 […] et 18,1 […] de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[58] Depuis déjà quelque temps, la Cour estime que les personnes lésées par des décisions en matière de défalcation rendues par la Commission doivent agir par voie de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale : Cornish-Hardy et Filiatrault, précités. Il ne leur est pas possible d’emprunter la voie de l’appel et du contrôle judiciaire devant le conseil arbitral, le juge-arbitre, puis la Cour.

[59] Cependant, les arrêts Cornish-Hardy et Filiatrault ont été rendus sur le fondement de dispositions législatives différentes : avant la réforme législative de 1996, ces dispositions étaient le paragraphe 79(1) et l’article 80 de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1. Elles étaient plus limitées que ne le sont le paragraphe 114(1) et l’article 115 de la Loi actuelle. Le paragraphe 79(1) ne permettait qu’à un « prestataire » ou à « un employeur du prestataire » d’interjeter appel d’une décision de la Commission devant le conseil arbitral. L’article 80 permettait à « la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l’employeur est membre » d’interjeter appel d’une décision du conseil arbitral devant un juge-arbitre. Ni l’une ni l’autre disposition ne permettait à une « autre personne » d’interjeter appel.

[60] Bien que le paragraphe 114(1) et l’article 115 de la Loi actuelle aient une portée plus large en ce qu’ils permettent à « quiconque » (une autre personne) d’interjeter appel, la Cour a continué de suivre la position adoptée dans les arrêts Cornish-Hardy et Filiatrault : Buffone c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines), (2001) CanLII 22143 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Mosher, (2002) CAF 355; Canada (Procureur général) c. Villeneuve, (2005) CAF 440.

[61] Dans les arrêts Buffone, Mosher et Villeneuve, la Cour a considéré que la question de la compétence était réglée. Les motifs de chacune de ces décisions laissent entendre que la Cour n’avait reçu aucune observation sur les dispositions législatives applicables. Dans chaque cas, c’est un prestataire non représenté par avocat qui s’est présenté devant la Cour.

[…]

[74] Je suis d’avis que la décision du législateur d’ajouter les mots « quiconque » (en anglais other person) au paragraphe 114(1) et à l’article 115 de la Loi actuelle avait pour but de permettre à des personnes comme M. Steel d’interjeter appel de décisions relatives à des demandes de défalcation devant le conseil arbitral et le juge-arbitre, et ensuite de saisir la Cour. Sinon, il serait très difficile de déterminer ce que le législateur avait à l’esprit lorsqu’il a ajouté ces mots.

[75] À mon avis, il serait possible de vérifier la validité de cette interprétation en examinant l’intention générale du législateur qui sous-tend le régime administratif, comme le démontrent les dispositions législatives particulières qu’il a adoptées : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, (2002) CSC 42, (2002) 2 (1992) 2 R.C.S. 394. Ce régime administratif vise à détourner les questions relatives à l’assurance-emploi du système judiciaire pour les diriger vers les mécanismes d’arbitrage plus informels, plus spécialisés et plus efficaces mis en place par le législateur. L’interprétation que je donne du terme « quiconque » est compatible avec cet objectif et favorise sa réalisation.

[76] Une interprétation contraire signifierait que la défalcation d’une obligation de rembourser un versement excédentaire de prestations, question liée à l’admissibilité à des prestations d’assurance-emploi, serait détournée de ce régime informel, spécialisé et efficace et dirigée vers un système judiciaire plus lent, plus formel et plus exigeant sur le plan des ressources. Cette interprétation n’a aucun sens. Seul le plus clair des textes de loi, non-présent en l’espèce, pourrait nous conduire à un tel résultat.

[77] Les énoncés des arrêts Buffone, Mosher et Villeneuve qui proposent une réponse différente à la question de la compétence en l’espèce sont au mieux considérés comme ne reflétant pas l’opinion réfléchie des tribunaux qui ont tranché ces affaires. En outre, dans la mesure où les arrêts Cornish-Hardy et Filiatrault empêchent des personnes comme M. Steel d’interjeter appel au conseil arbitral et au juge-arbitre en vertu du paragraphe 114(1) et de l’article 115 de la Loi, ils ne devraient plus être appliqués. Ces décisions reposent sur l’ancienne Loi qui, contrairement à la Loi actuelle, ne permet pas à une « autre personne » d’interjeter appel.

[78] Par conséquent, j’estime que M. Steel était une « autre personne » en vertu du paragraphe 114(1) et de l’article 115 et pouvait interjeter appel devant le conseil arbitral et le juge-arbitre et, qu’en vertu de l’article 118, il pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour. La Cour a donc compétence. »

[24] La Cour fédérale a récemment eu l’occasion de se pencher sur la question de compétence en matière de défalcation dans l’affaire récente Bernatchez c. Canada (PG), (2013) CF 111. La Cour mentionne ce qui suit :

« [23] Avant d’examiner le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, il convient de se pencher sur le forum approprié pour entendre le présent litige. Lors de l’audition, j’ai soulevé d’office cette question et j’ai invité les parties à faire des représentations à ce sujet, à la lumière des motifs concourants rédigés par le juge Stratas, de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Steel c Canada (Procureur général), (2011) CAF 153 (CanLII), (2011) CAF 153, 418 NR 327. Dans cette affaire, le juge Stratas s’est dit d’avis que depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur l’assurance-emploi LC (1996), c 23 [LAE], « quiconque », et non plus simplement un « prestataire », comme c’était le cas auparavant, peut interjeter appel d’une décision de la Commission… Il s’ensuivrait que, même dans les cas de défalcation, une décision de la Commission peut être portée en appel devant le conseil arbitral, le juge-arbitre et puis la Cour d’appel fédérale, conformément à l’article 118 de la LAE. »

[24] Le demandeur n’a pas fait de représentations additionnelles à ce sujet. En revanche, le Procureur général a soutenu que la Cour fédérale est toujours le forum approprié pour entendre une demande de contrôle judiciaire relative à une décision de défalcation de la Commission, dans la mesure où les motifs du juge Stratas ne liaient pas cette Cour.

[25] Il est vrai que les motifs du juge Stratas ne représentent qu’un obiter dictum auquel la majorité n’a pas souscrit. Il est également exact de soutenir que la défalcation ne fait pas partie de l’expertise du conseil arbitral puisque c’est en qualité de débiteur et non de prestataire qu’une personne fait une telle demande. Cela étant dit, le raisonnement du juge Stratas me paraît inattaquable. La jurisprudence antérieure reposait sur le fait que l’article 79 de la Loi sur l’assurance-chômage, LRC (1985), c U-1, ne conférait un droit d’appel qu’au prestataire, ce qui excluait la personne qui demandait une remise de dette, puisqu’elle agissait alors non pas en tant que prestataire, mais plutôt en tant que débitrice. Or, le législateur a modifié cette disposition en 1996 en introduisant le paragraphe 114(1) de la LAE, lequel prévoit que « quiconque fait l’objet d’une décision de la Commission » peut interjeter appel de cette décision devant le conseil arbitral et le juge-arbitre. Je serais donc porté à me ranger à cet argument et à rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur pour ce seul motif. Deux raisons m’incitent cependant à examiner sa demande au fond.

[26] Tout d’abord, le défendeur a raison de soutenir que les propos du juge Stratas dans l’arrêt Steel ne lient pas formellement cette Cour tant et aussi longtemps que la Cour d’appel n’aura pas fait sienne l’opinion exprimée par le juge Stratas et n’aura pas explicitement écarté les nombreuses décisions qu’elle a rendues (avant et après la modification législative adoptée en 1996) à l’effet qu’une décision de la Commission refusant la défalcation d’une somme ne peut faire l’objet d’un appel au conseil arbitral : voir notamment Cornish-Hardy c Canada (Conseil arbitral) (1979), (1979) 2 CF 437 (disponible sur QL) (CA), conf 980 CanLII (CSC), (1980) RCS Canada (Procureur général) c Idemudia, 236 NR 359 au para 1, 86 ACWS (3d) 253; Buffone c Canada (ministre du Développement des Ressources humaines), (2001) ACF no 38 au para 3 (QL); Canada (Procureur général) c Mosher, (2002) CAF 355 (CanLII) au para 2, 117 ACWS (3d) 650; Canada (Procureur général) c Villeneuve, (2005) CAF 440 (CanLII) au para 16, 352 NR 60. »

[25] La division générale a adopté de façon compréhensible, les opinions et motifs du juge Stratas lorsqu’elle a rendu sa décision reliée à la présente affaire. Cependant, les motifs du juge Stratas ne représentent qu’un obiter dictum auquel la majorité de la Cour d’appel fédérale n’a pas souscrit. La division générale ne pouvait tout simplement pas ignorer les nombreuses autres décisions de la Cour d’appel fédérale rendues avant et après la modification législative adoptée en 1996 voulant qu’après une décision de la Commission refusant la défalcation d’une somme, un prestataire doit procéder au moyen d’une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale.

[26] L’appelante plaide que l’article 112,1 de la Loi a été adopté afin de dissiper tout doute à la suite de l’arrêt Steel et afin « d’offrir une interprétation contraignante » de la règle pertinente, à savoir qu’une décision de l’appelante sur une défalcation ne peut faire l’objet d’une révision aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi, et que, par conséquent, elle ne peut faire l’objet d’un appel devant la division générale. Le Tribunal est d’accord.

[27] Bien que l’intimé ait demandé respectueusement au Tribunal de réviser ce qu’il considère comme une « règle dépassée », il apparaît clairement que le législateur était satisfait de l’interprétation qu’il fût fait par les cours au cours des années sur la question de compétence.

[28] Le Tribunal doit intervenir et annuler la décision de la division générale sur la question de la défalcation.

Conclusion

[29] L’appel est accueilli en partie, la décision de la division générale portant sur la question de la défalcation est annulée.

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