Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] En date du 15 juin 2015, la division générale du Tribunal a conclu que :

  • Les montants reçus d’Air Canada constituaient de la rémunération en vertu de l’article 35 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement) et que celle-ci devait être répartie conformément au principe contenu dans l’alinéa 36 (19) b) du Règlement et ce, en date du 20 mars 2012 et pour cette semaine.

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 14 juillet 2015. Permission d’en appeler a été accordée le 25 janvier 2016.

[4] En date du 25 janvier 2016, une correspondance fût expédiée à Aveos Fleet Performance Inc. et Air Canada afin de savoir s’ils désiraient demeurer des parties au dossier d’appel. Aucune réponse n’a été reçue par le Tribunal. Le Tribunal a donc ordonné qu’aucune partie ne soit ajoutée.

[5] En date du 4 août 2016, une conférence préparatoire a été tenue par le Tribunal afin que les parties puissent :

  • clarifier certaines questions procédurales soulevées au cours de l’appel;
  • présenter le temps approximatif requis aux fins de l’argumentation;
  • soumettre tout aveu ou entente préalable à l’audience;
  • déterminer la possibilité d’une autre entente entre les parties en ce qui concerne certaines questions;
  • établir les prochaines étapes et les dates possibles des parties pour l’audience et discuter de toutes les questions procédurales connexes.

[6] En date du 31 août 2016, les parties ont fait suite à la conférence préparatoire et aux demandes du Tribunal.

[7] L’audience de l’appel a eu lieu le 10 novembre 2016 à Montréal, Québec.

Mode d'audience

[8] Le Tribunal a déterminé que l’audience de cet appel procéderait en personne et par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • La demande des parties.
  • La complexité de la ou des questions en litige;
  • L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires;
  • De la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible selon les critères des règles du Tribunal en ce qui a trait aux circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[9] Lors de l’audience, l’Appelante était représentée par Me Vanessa Luna et Me Stéphanie Yung-Hing. L’intimée était représentée par Me Hans Marotte. Martin Richard, Lea Bacon, Jean Millette, Alexandre Pigeon, Susanne-Joanne Labris et Mohamed Kallad ont également assisté à l’audience.

La loi

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[11] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en concluant que les montants reçus d’Air Canada constituaient de la rémunération en vertu de l’article 35 du Règlement et que celle-ci devait être répartie conformément au principe contenu dans l’article 36 du Règlement.

Arguments

[12] L’Appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel :

  • La division générale a erré dans son analyse et son interprétation du paragraphe 36(9) du Règlement ce qui l’a amené à énoncer le mauvais test pour l’application de 36(9);
  • Selon la division générale, il fallait déterminer : « pourquoi les sommes ont été payées, par qui elles ont été payées, et en vertu de quel emploi. »;
  • Il appert que la division générale a introduit de façon erronée des critères d’application du paragraphe 36(9) du Règlement qui ne s’y trouvent pas, soit la nécessité d’une connexion entre la source de la rémunération et l’emploi perdu. Ce faisant, la division générale a erré à l’égard du test applicable du paragraphe 36(9);
  • Ni le texte ni la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale ne supporte l’interprétation de la division générale; les conditions d’application du paragraphe 36(9) du Règlement sont claires et la Cour d’appel fédérale s’est prononcée à plusieurs reprises à ce sujet;
  • Dans un premier temps, le texte du paragraphe 36(9) du Règlement établit clairement que les conditions d’application de cette disposition sont énoncées au « premier segment », soit l’existence d’une rémunération payée ou payable en raison d’un licenciement ou d’une cessation d’emploi;
  • Le « troisième segment » du paragraphe 36(9) du Règlement, « …répartie sur un nombre de semaines qui commence la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi, de sorte que la rémunération totale tirée par lui de cet emploi dans chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égale à sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi » n’énonce pas des conditions d’application du paragraphe 36(9). Ce troisième segment énonce tout simplement des modalités d’application. Il ne devient pertinent qu’une fois qu’il a été déterminé que les conditions d’application que l’on retrouve au premier segment sont réunies;
  • Étant donné que la division générale a conclu que les sommes reçues par l’intimé constituaient une indemnité de départ et donc une rémunération en vertu de l’article 35 du Règlement, la seule question qui demeurait en suspens était de déterminer à quel moment l’obligation de verser des indemnités de départ s’était cristallisée; En d’autres mots, les indemnités de départ étaient- elles devenues payables au moment du transfert des intimés chez Aveos en juillet 2011, ou au moment de l’insolvabilité et du licenciement ou la cessation d’emploi en mars 2012?;
  • En faisant du troisième segment une condition d’application du paragraphe 36(9) du Règlement, la division générale a été amenée à se poser la mauvaise question afin de déterminer si les indemnités de départ reçues par l’intimé devait être répartie en vertu de cette disposition;
  • La Cour d’appel fédérale a confirmé à maintes reprises que le paragraphe 36(9) du Règlement, ou sa disposition précédente, met l’accent sur la raison pour laquelle la rémunération a été versée;
  • Il n’y a rien dans le libellé du paragraphe 36(9) du Règlement ou dans les décisions de la Cour d’appel fédérale qui exige que les sommes payées en raison d’un licenciement ou d’une cessation d’emploi proviennent de l’actif de l’employeur qui a mis fin à l’emploi;
  • Quoiqu’il soit important de reconnaître les arrêts qui préconisent une interprétation large et libérale de la Loi sur l’assurance emploi (Loi) dans le but de « …procurer des prestations aux chômeurs… », cet objectif doit toutefois se concilier avec l’objectif d’indemniser une perte et le but correspondant d’éviter d’indemniser en l’absence d’une perte;
  • L’interprétation de la division générale va à l’encontre de l’objectif d’éviter d’indemniser en l’absence d’une perte. Cet objectif se trouve, entre autres, aux articles 12 et 19 de la Loi et des articles 35 et 36 du Règlement;
  • Le refus de la division générale d’appliquer le paragraphe 36(9) du Règlement alors qu’elle reconnaît que ces sommes constituent une indemnité de départ mène à une application incohérente de la Loi et de son Règlement;
  • La jurisprudence est constante à l’effet que l’indemnité de départ constitue une rémunération en vertu de l’article 35 du Règlement et qu’elle doit être répartie en vertu du paragraphe 36(9) du Règlement sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi;
  • La division générale a conclu que les indemnités de départ ont été payées ou payables à l’intimé à titre d’ancien employé d’Air Canada et non en raison du licenciement ou de la cessation d’emploi chez Aveos. Bien que l’appelante n’appuie pas cette conclusion, il n’en demeure pas moins que la division générale a déterminé que le motif du paiement des indemnités de départ était la perte d’un emploi;
  • La preuve au dossier démontre que les indemnités de départ étaient payées ou payable en raison d’un licenciement ou d’une cessation d’emploi. Les indemnités de départ ont été payées par Air Canada conformément au Programme de cessation d’emploi ordonné par le CCRI et à l’ordonnance 9996-U. Le Programme de cessation d’emploi est clair à l’effet que les indemnités de départ étaient payables si l’insolvabilité, la liquidation ou la faillite d’Aveos entraînait la résiliation des contrats Air Canada-Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente des employés de chez Aveos et ce, avant le 30 juin 2013;
  • De plus, l’arbitre Teplitsky a confirmé dans sa décision du 12 septembre 2012 que ce sont les évènements de mars 2012 qui ont déclenchés l’obligation de verser les indemnités de départ;
  • La division générale a erré en faits et en droit en refusant de répartir la valeur des indemnités de départ en vertu du paragraphe 36(9) du Règlement sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi chez Aveos en mars 2012;
  • L’obligation de payer des indemnités de départ s’est cristallisée en mars 2012 lorsque les conditions du paragraphe 4 du Programme de cessation d’emploi ont été réunies;
  • La division générale a reconnu dans sa décision qu’une des conditions d’admissibilité au paiement des indemnités de départ était le licenciement des employés par Aveos;
  • Puisque les conditions d’application du paragraphe 36(9) du Règlement sont réunies, le paragraphe 36(19) du Règlement ne trouve pas application puisque celui-ci ne trouve application que si aucune autre disposition s’applique;
  • La division générale a erré dans son application de l’arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans Conrad v. Imperial Oil Limited and McColl- Frontenac Petroleum Inc., [1999] NSJ No 68 (QL) puisqu’elle adopte la position de l’appelante dans cette affaire qui n’a pourtant pas eu gain de cause.

[13] L’intimée soumet les arguments suivants à l’encontre de l’appel de l’appelante :

  • Le libellé même de l’article 36(9) du Règlement indique clairement que seules les sommes versées par le dernier employeur peuvent être réparties en vertu de cet article;
  • Une lecture attentive de l’article 36(9) du Règlement indique que la seule rémunération qui peut être répartie en vertu de cet article est celle tirée du dernier emploi perdu et non pas d'un emploi précèdent;
  • Si le Législateur avait voulu que l'article 36(9) s'applique aux sommes versées par un précèdent employeur suite à la cessation du dernier emploi, il aurait plutôt libellé cet extrait d'article comme suit : de sorte que la rémunération totale tirée par lui en raison de la cessation ou du licenciement de cet emploi et non de sorte que la rémunération totale tirée par lui de cet emploi;
  • Si le Législateur avait voulu que l'article 36(9) s'applique dans les cas de sommes versées par un précèdent employeur, il l'aurait expressément prévu par un libellé différent;
  • Si l’intention du Législateur était de prendre en compte les sommes versées par un précèdent employeur pour l'application de l'article 36(9), il aurait alors ajouté : et abstraction faite de la provenance de la rémunération;
  • Le Guide de la détermination de l'admissibilité (GDA) prévoit d'ailleurs expressément que le terme « cet emploi » de l'article 36(9) réfère à l'emploi perdu;
  • L'appelante a informé plusieurs appelants à l'effet que les sommes provenant d'Air Canada ne seraient pas considérées puisqu' elles ne provenaient pas du dernier employeur; Cette façon de voir les choses est non seulement conforme au libellé de l'article 36(9), tel que mentionné précédemment, mais elle correspond également à la propre interprétation que l’appelante donne à cet article;
  • En effet, le Guide de la détermination de l’admissibilité, qui constitue l'outil d'interprétation fourni aux fonctionnaires pour appliquer la Loi, nous apprend que la rémunération totale provenant de «cet emploi » de l'article 36(9) réfère à la rémunération provenant de l’emploi perdu;
  • Le Guide de la détermination de l’admissibilité indique également que les sommes versées par un précédent employeur ne doivent pas être considérées comme une rémunération provenant de l’emploi perdu (cet emploi);
  • L’analyse historique de cette disposition règlementaire confirme d'ailleurs cette interprétation. Les dispositions relatives à la répartition de la rémunération versée à la cessation de l’emploi font partie du Règlement depuis très longtemps. En poussant la recherche jusqu'au début des années 70, on apprend que pendant de nombreuses années, le libellé de plusieurs dispositions antérieures considérées comme les ancêtres de l'actuel article 36 incluait spécifiquement les sommes versées par un précèdent employeur;
  • L'article 36 tel que nous le connaissons maintenant ne fait plus référence aux deux notions soit; son employeur ou son ancien employeur, mais uniquement à la « (...) rémunération totale tirée par lui de cet emploi (...) ». Ce changement dans le libellé de l'article confirme que l'intention du Législateur a changé et que l'article 36 exclut maintenant expressément les sommes venant d’un précèdent employeur;
  • Une analyse de l'économie du Règlement confirme que le Législateur ne désire pas que les sommes provenant d'un précèdent employeur aient d'impact négatif sur les prestations acquises sur la base d'un nouvel emploi; Par exemple, le Législateur s'est assuré à l'article 35(7) du Règlement que la pension que reçoit un prestataire d'un premier employeur ne soit pas considérée comme de la rémunération lorsqu'il réussit à se qualifier avec un nouvel emploi;
  • Un autre exemple se retrouve à l'article 35(7)d) qui prévoit que les augmentations rétroactives de salaire ou de traitement ne constituent pas de la rémunération, peu importe par quel employeur elles sont versées;
  • L'article 36(9) du Règlement a pour but de retarder le versement des prestations lorsqu'un prestataire reçoit une rémunération à la fin de son emploi; Cela a pour effet d'empêcher ce prestataire de toucher rapidement ses prestations, il s'agit donc d'une forme de restriction au droit de recevoir des prestations; Cette restriction doit donc être interprétée de façon restrictive selon les enseignements de la Cour suprême du Canada ainsi que selon les règles d'interprétation des lois;
  • La Loi étant de nature sociale, l'interprétation de ses dispositions doit se faire de façon large et libérale et tout doute doit bénéficier aux prestataires;
  • Puisque l'alinéa (9) de l'article 36 ne trouve pas application, on doit néanmoins trouver le bon alinéa qui permettra de repartir correctement la rémunération reçue par les appelants de la part de leur précèdent employeur, Air Canada; À la lecture de tous les alinéas de l'article 36, le seul qui puisse s'appliquer est l'alinéa (19)b);
  • La rémunération versée par Air Canada n'a évidemment pas été reçue en échanges de services mais a résulté d'une opération bien précise, soit la décision de l'arbitre Teplitsky du 12 septembre 2012; C'est uniquement à partir de cette date qu'Air Canada était dans l'obligation légale de verser les sommes dues en vertu du programme de cessation d’emploi entre elle et le syndicat (AIMTA);
  • Ainsi, l’intimée devrait voir cette rémunération reçue d’Air Canada imputée selon l'article 36(19) b) du Règlement sur la seule semaine du 9 septembre 2012, cette date étant le dimanche qui précède la décision de l’arbitre Teplitsky du 12 septembre 2012;

Normes de contrôle

[14] Les parties sont d’avis que la norme de la décision raisonnable, ou qu’une déférence, s’applique à l’égard des questions mixtes de fait et de droit. Toutefois, l’appelante est d’avis que la division d’appel ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la division générale sur les questions de droit.

[15] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (P.G.) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[16] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

« [N]on seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et [qu’elle] n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale ».

[17] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi ».

[18] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder v. Canada (A.G.), 2015 FCA 274.

[19] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

Introduction

[20] Considérant l’obligation du Tribunal de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, obligation prévue à l’article 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, et selon entente entre les parties, la présente décision s’appliquera également aux dossiers mentionnés en annexe de la présente puisqu’ils soulèvent essentiellement les mêmes questions de fait et de droit.

Décision de la division générale

[21] La division générale a conclu que les sommes reçues constituaient une rémunération conformément à l’article 35 du Règlement et que les sommes versées par Air Canada aux intimés devaient être réparties conformément au principe figurant à l’alinéa 36(19)b) du Règlement. Puisque la transaction est en date du 20 mars 2012, la division générale a conclu que le total de cette rémunération devait être réparti à partir de cette date et sur cette semaine.

[22] Pour la division générale, pour que le paragraphe 36 (9) du Règlement soit celui applicable, il faut non seulement être en présence d’une rémunération payée en raison d’un licenciement ou d’une cessation d’emploi, mais également que le montant versé le soit pour la cessation de l’emploi perdu et non seulement pour la rémunération versée par un employeur précédent, et ce même si la perte de l’emploi perdu constitue une des conditions à l’obtention de la somme en question de l’employeur précédent.

Permission d’en appeler

[23] Au soutien de sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a soutenu que la preuve présentée à la division générale, la loi et la jurisprudence appuient sa position voulant que les indemnités de départ devaient être réparties de la manière prescrite au paragraphe 36(9) du Règlement, et ce à partir de la semaine où a eu lieu le licenciement ou la mise à pied chez Aveos, en mars 2012.

[24] La permission d’en appeler a été accordée par le Tribunal le 25 janvier 2016.

Position des parties en appel

[25] Selon l’appelante, la preuve devant la division générale, la loi et la jurisprudence démontreraient que les indemnités de départ devraient être réparties de la manière prescrite au paragraphe 36(9) du Règlement, et ce, à partir de la semaine du licenciement ou de la cessation de l’emploi occupé chez Aveos, à savoir la semaine du 18 mars 2012.

[26] Selon l’intimé, une lecture attentive de l’article 36(9) du Règlement indique que la seule rémunération qui peut être répartie en vertu de cet article est celle tirée du dernier emploi perdu et non pas d'un emploi précèdent. L’analyse historique de cette disposition réglementaire confirmerait cette interprétation. Le Guide de la détermination de l'admissibilité (GDA) prévoit d'ailleurs expressément que le terme « cet emploi » de l'article 36(9) réfère à l'emploi perdu. Puisque le paragraphe 36(9) ne s’applique pas, l’intimé devrait voir cette rémunération reçue d’Air Canada imputée selon l’alinéa 36(19) b) du Règlement sur la seule semaine du 9 septembre 2012, cette date étant le dimanche qui précède la décision de l’arbitre Teplitsky du 12 septembre 2012.

Les faits non contestés

[27] Suite à la conférence préparatoire et pendant l’audience de l’appel, les parties ont convenus des faits ci-dessous mentionnés.

[28] Afin de résoudre toute question en suspens au dossier du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) No 26054-C, Air Canada, Aveos et l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA) (« les parties ») ont conclu un mémoire d’entente le 8 janvier 2009 (« mémoire d’entente de janvier 2009 »). Le mémoire d’entente de janvier 2009 a été conclu aux fins des objectifs suivants, advenant que le CCRI émette une ordonnance scindant les unités de négociations en raison de la vente des services techniques d’Air Canada (STAC s.e.c.) :

  1. Faciliter la transition ordonnée de certains employés d’Air Canada vers Aveos en conformité avec la préférence exprimée par ces employés; et
  2. Établir les modalités d’emploi qui s’appliqueront aux employés d’Air Canada qui choisissent de devenir employés d’Aveos;

[29] Le mémoire d’entente de janvier 2009 offrait sept options de transition aux employés d’Air Canada, dont celle de devenir employés d’Aveos. Plus particulièrement, les employés avaient les options suivantes :

  1. Demeurer des employés d’Air Canada (Option 1)
  2. Accepter un emploi disponible chez Aveos (Option 2)
  3. Prendre leur retraite d’Air Canada afin d’accepter un emploi chez Aveos, si l’employé était affecté à du travail au bénéfice d’Aveos (Option 3)
  4. Démissionner d’Air Canada afin d’accepter un emploi chez Aveos, si l’employé était affecté à du travail au bénéfice d’Aveos (Option 4)
  5. Les employés éligibles à la retraite qui demeurent chez Air Canada (Option 1) avaient l’option d’accepter un emploi chez Aveos si leur ancienneté ne leur permettait pas de demeurer à l’emploi d’Air Canada (Option 5)
  6. Les employés admissibles qui n’étaient pas affectés à du travail au bénéfice d’Aveos et qui choisissent en vertu de l’Option 1 de demeurer employés d’Air Canada et qui pourraient prendre leur retraite afin d’accepter un emploi chez Aveos (Option 6)
  7. Les employés admissibles qui n’étaient pas affectés à du travail au bénéfice d’Aveos et qui choisissent en vertu de l’Option 1 de demeurer des employés d’Air Canada, pourraient démission d’Air Canada afin d’accepter un emploi chez Aveos (Option 7)

[30] Les employés disposaient de soixante-quatorze jours de la date d’effet de l’ordonnance du CCRI scindant les unités de négociations pour effectuer leur choix. Si un employé affecté à du travail au bénéfice d’Aveos à la date de l’ordonnance du CCRI n’indiquait pas de choix ou ne retournait pas le formulaire de choix avant la date limite, il était réputé avoir choisi l’Option 2, soit d’accepter un emploi disponible chez Aveos.

[31] Le mémoire d’entente de janvier 2009 prévoyait aussi les conditions d’emploi chez Aveos en fonction de l’option choisie. Les employés qui optaient ou qui étaient réputés avoir opté pour un emploi chez Aveos (Options 2 ou 5) maintenaient leur ancienneté, leur date de service et leur taux de paie. Ils étaient assujettis, notamment, aux conditions d’emploi suivantes :

  1. L’employé était rayé de la liste d’ancienneté d’Air Canada et placé sur la liste d’ancienneté d’Aveos;
  2. La date d’ancienneté de l’employé chez Aveos serait la même que sa date d’ancienneté chez Air Canada;
  3. La date de service de l’employé Aveos serait la même que sa date de service chez Air Canada;
  4. L’employé continuait d’être payé au taux en vigueur dans la convention collective applicable;
  5. Aveos prendra en charge la responsabilité de certains avantages de retraite et hors retraite gagnés au cours de l’emploi chez Air Canada;
  6. L’employé participera aux régimes d’avantages sociaux d’Aveos qui seront équivalents aux stipulations des régimes d’Avantages sociaux d’Air Canada énoncés dans la convention collective applicable;
  7. Les droits de rappel à d’autres escales détenus par des employés actifs continueront chez Aveos et pourront être exercés après l’achèvement de la transition d’un employé.

[32] Le mémoire d’entente de janvier 2009 comportait également des questions toujours en instance entre les parties, notamment, la question de savoir si des employés qui acceptent un emploi chez Aveos sont, aux termes de la convention collective applicable ou du Code canadien du travail, en droit de recevoir une indemnité de cessation d’emploi. Les parties convenaient de résoudre les questions en instance au moyen d’un processus de médiation/arbitrage de différends définitif et exécutoire devant l’arbitre Martin Teplitsky ou tel autre arbitre qu’il peut désigner.

[33] Par le mémoire d’entente de janvier 2009, les parties convenaient de résoudre pleinement et irrévocablement la plainte au CCRI dans le dossier No. 26054-C et demandaient au CCRI d’intégrer le mémoire d’entente de janvier 2009 à une ordonnance du CCRI. Les parties ont également convenu qu’Air Canada et Aveos déposeraient une demande conjointe au CCRI en vertu des articles 44 et 45 du Code canadien du travail pour demander une déclaration de vente d’entreprise advenant que le CCRI rende une ordonnance intégrant le mémoire de janvier 2009.

[34] Le 22 janvier 2009, le CCRI a déclaré que le mémoire d’entente de janvier 2009 était conforme aux exigences du Code canadien du travail et constituait le règlement complet et définitif de la plainte au dossier No. 26054-C.

[35] Le 25 juin 2010, tel que convenu dans le mémoire d’entente de janvier 2009, Air Canada et Aveos ont présentés une demande conjointe auprès du CCRI (dossier No. 28234-C) en vertu des articles 44 et 45 du Code canadien du travail dans laquelle ils visaient à obtenir une déclaration de vente d’entreprise ainsi que des ordonnances afin de faciliter le transfert des employés d’Air Canada vers Aveos.

[36] Le 1er octobre 2010, l’AIMTA a déposé une demande auprès du CCRI (dossier No. 28402-X) en vertu de l’article 35 du Code canadien du travail afin que le CCRI déclare qu’Air Canada et Aveos constituaient un employeur unique.

[37] Le CCRI a ordonné que la demande de déclaration de vente d’entreprise (Dossier No. 28234-C) et la demande de déclaration d’employeur unique (dossier No. 28402-C0 soient réunies.

[38] Le 31 janvier 2011, le CCRI a émis une décision (Ordonnance No. 9994-U) dans les dossiers Nos 28234-C et 28402-C déclarant que :

  1. 1) la vente des éléments d’actif et de passif, en vertu de l’entente d’achat d’éléments d’actif conclue le 22 juin 2007 par les STAC s.e.c. et l’entreprise appelée Aveos Perfomance aéronautique inc., constitue une vente d’entreprise au sens de l’article 44 du Code;
  2. 2) Aveos Performance aéronautique inc. est l’employeur successeur des Services techniques Air Canada (STAC), société en commandite; et
  3. 3) Aveos Performance aéronautique inc. et Air Canada constituent des employeurs distincts, et la demande de déclaration d’employeur unique présentée par l’AIMTA en vertu de l’article 35 du Code est donc rejetée.

[39] Par l’Ordonnance 9994-U, le CCRI ordonne aussi que :

[ ... ]

Et LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES ORDONNE que le [mémoire d’entente de janvier 2009]…,programme de cessation d’emploi….créé conformément à l’ordonnance 9996-U, et la présente ordonnance règlement en bonne et due forme et en tous points toutes les questions relatives à la vente d’entreprise des STAC s.e.c. à Aveos…et les conséquences résultant de cette vente, que ce soit à l’égard du [Code canadien du travail], de la convention collective applicable ou autrement.

[40] Dans le contexte du litige dans les dossiers Nos 28234-C et 28402-C devant le CCRI, Air Canada a proposé un programme de cessation d’emploi visant le groupe du grand entretien (« Programme de cessation d’emploi ») à l’AIMTA.

[41] Le 31 janvier 2011, le CCRI a émis l’ordonnance No. 9996-U (révisée) par laquelle il ordonne que le Programme de cessation d’emploi, tel que décrit à l’Annexe A de cette ordonnance, soit mis en œuvre. De même, le CCRI ordonne que :

[ ... ]

5) les parties doivent respecter intégralement le [mémoire de janvier 2009] et les modifications qui y ont été apportées par le [protocole d’entente] du 8 juin 2009 et le programme de cessation d’emploi visant le groupe du grand entretien. ET LE CONSEIL ORDONNE que le [mémoire de janvier 2009]…, le programme de cessation d’emploi…décrit à l’annexe A de la présente ordonnance, et la présente ordonnance règlent adéquatement et en tous points toutes les questions relatives à la vente d’entreprise des STAC s.e.c. à Aveos…et les conséquences résultant de cette vente, que ce soit à l’égard du [Code canadien du travail], de la convention collective applicable ou autrement.

[42] Air Canada, Aveos et l’AIMTA étaient donc tenus de respecter les ordonnances du CCRI Nos. 9994-U et 9996-U, le mémoire d’entente de janvier 2009, et le Programme de cessation d’emploi, qui réglaient toutes les questions relatives à la vente de l’entreprise et les conséquences résultant de cette vente

[43] En vertu du Programme de cessation d’emploi, Air Canada s’oblige à payer un maximum de 1500 indemnités de départ aux employés admissibles représentés par l’AIMTA advenant la survenance de certains évènements dans un temps défini.

[44] Les modalités du Programme de cessation d’emploi étaient les suivantes :

  1. 1. Le programme de cessation d’emploi consiste en un maximum de 1500 indemnités de départ.
  2. 2. Le montant de l’indemnité de départ prévue par le programme équivaut à deux semaines de salaire par année entière de service continu à Air Canada et à Aveos, jusqu’à concurrence de 52 semaines…
  3. 3. Tout employé représenté par l’AIMTA sera admissible à l’indemnité de départ…n’importe quand jusqu’au 30 juin 2015 en cas de mise à pied permanente, de licenciement ou de mise à pied temporaire qui deviendrait permanente parce qu’Aveos cesserait d’être le fournisseur exclusif de services de grand entretien à Air Canada, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 ci-dessous. Ces circonstances peuvent avoir lieu avant le 30 juin 2013, mais pas après le 30 juin 2015.
  4. 4. Tout employé représenté par l’AIMTA sera admissible à l’indemnité de départ…n’importe quand jusqu’au 30 juin 2013 si l’insolvabilité, la liquidation ou la faillite d’Aveos entraînerait à la fois la résiliation des contrats conclus par Air Canada et Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente d’employés représentés par l’AIMTA. […]
  5. 6. Aveos n’a et n’aura aucune obligation ou responsabilité financière relativement au présent programme de cessation d’emploi. […]
  6. 8. Tout différent quant à la mise en œuvre du présent programme de cessation d’emploi qu’Air Canada, l’AIMTA et Aveos n’arriveraient pas à régler sera renvoyé à un processus de médiation/arbitrage exécutoire mené par Me Martin Teplistky, c. r., ou par tout autre arbitre dont les parties conviendront.
  7. 9. L’indemnité de départ accordée à un employé par Air Canada dans le cadre du présent programme de cessation d’emploi équivaut à tout paiement à titre de préavis de congédiement ou de mise à pied et à toute indemnité de départ qu’Air Canada ou Aveos pourraient devoir verser à l’employé en vertu du Code canadien du travail(« le Code ») ou de la convention collective applicable.
  8. 10. Les montants payés conformément au programme de cessation d’emploi d’Air Canada rencontre[nt] toute exigence d’indemnité de départ dont pourraient bénéficier ces employés en application de tout programme d’adaptation négocié ou imposé par un arbitre en vertu de la Section IX du Code. Si cela s’avère nécessaire, une demande fondée sur l’article 228 du Code peut être présentée afin de confirmer ce résultat.

[45] Les employés qui ont accepté ou ont été réputés avoir accepté des emplois chez Aveos ont été par la suite transférés chez Aveos le ou vers le 24 juillet 2011. Subséquemment, Air Canada a émis des relevés d’emploi décrivant la raison du relevé d’emploi à la case 16 comme étant « autre » et incluant l’observation suivante à la case 18 : « Cessation – Aveos transition 24/07/2011 ».

[46] En mars 2012, environ huit mois après le transfert des employés, Aveos est devenu insolvable et s’est mis sous la protection contre les créanciers en vertu de la Loi des Arrangements avec les Créanciers des Compagnies. Le 20 mars 2012, Aveos a mis fin à l’emploi des employés. Aveos a par la suite émis des relevés d’emploi décrivant la raison du relevé d’emploi à la case 16 comme étant « Manque de Travail / Fin de saison ou de contrat ».

[47] Suite à la fin de leur emploi, l’intimée a déposé une demande initiale de prestations. Les employés admissibles ont reçus des prestations d’assurance-emploi.

[48] Le 12 septembre 2012, l’arbitre Teplitsky a tenu une audience au sujet du Programme de cessation d’emploi. Dans une décision émise la même journée, l’arbitre Teplitsky confirme l’exclusion des employés retraités, qui ont démissionné ou qui ont été réembauchés, du Programme de cessation d’emploi. L’arbitre Teplitsky a également déterminé la date d’entrée en service sur laquelle la formule de calcul est basée et le mode de paiement des indemnités de départ.

[49] Vers décembre 2012, environ neuf mois après la cessation d’emploi, les employés ont reçu les premiers versements de leurs indemnités de départ en vertu du Programme de cessation d’emploi.

[50] L’appelante a déterminé que les indemnités de départ constituaient un revenu au sens de l’article 35 du Règlement. En se fondant sur le paragraphe 36(9) du Règlement, l’appelante a réparti la valeur des indemnités de départ sur les semaines d’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi à compter de la date de l’insolvabilité d’Aveos et de la cessation d’emploi chez Aveos.

La rémunération - l’article 35 du Règlement

[51] Le Tribunal est d’avis que les montants reçus d’Air Canada constituent une rémunération au sens de l’article 35 du Règlement.

[52] Le paragraphe 35(2) du Règlement prévoit que « la rémunération qu’il faut prendre en compte…est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi… ».

[53] Selon les principes de l’arrêt Canada (A.G.) v. Roch, 2003 FCA 356, il est important qu’il existe un lien suffisant entre le revenu et l’emploi occupé, en d’autres mots, que le revenu soit le fruit d’un travail ou donné en compensation pour un travail effectué.

[54] Le paragraphe 2 du Programme de cessation d’emploi prévoit spécifiquement que le montant de l’indemnité de départ prévue par le programme équivaut à deux semaines de salaire par année entière de service continu à Air Canada et à Aveos, jusqu’à concurrence de 52 semaines. De plus, le paragraphe 4 du Programme de cessation d’emploi prévoit que tout employé représenté par l’AIMTA sera admissible à l’indemnité de départ en cas de licenciement ou de mise à pied permanente d’Aveos.

[55] Le paragraphe 9 du Programme de cessation d’emploi énonce également que l’indemnité «équivaut à tout paiement à titre de préavis de congédiement ou de mise à pied et à toute indemnité de départ qu’Air Canada ou Aveos pourraient devoir verser à l’employé en vertu du Code canadien du travail ou de la convention collective applicable ».

[56] La Cour d’appel fédérale a affirmé à maintes reprises que ce genre de versement constituait de la rémunération - Canada (A.G.) v. Savarie, [1996] F.C.J. No. 1270.

[57] La preuve et la jurisprudence pertinente ci-dessus mentionnée supporte la conclusion de la division générale à l’effet que les montants payés par Air Canada constituent bien une rémunération au sens de l’article 35 du Règlement.

La répartition de la rémunération – l’article 36 du Règlement

[58] L’appelante soumet que le mode de répartition applicable est celui prévu à l’article 36(9) du Règlement qui se lit comme suit :

36(9) Sous réserve des paragraphes (10) à (11), toute rémunération payée ou payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est, abstraction faite de la période pour laquelle elle est présentée comme étant payée ou payable, répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi, de sorte que la rémunération totale tirée par lui de cet emploi dans chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égale à sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi.

[59] L’appelante soutient que les indemnités de départ devraient être réparties conformément au paragraphe 36(9) du Règlement puisqu’elles ont été payées ou étaient payables en raison d’un licenciement ou de la cessation de l’emploi occupé chez Aveos.

[60] L’intimé soumet que le mode de répartition applicable est celui prévu à l’article 36(19) du Règlement qui se lit comme suit :

36(19) La rémunération non visée aux paragraphes (1) à (18) est répartie :

  1. a) si elle est reçue en échange de services, sur la période où ces services ont été fournis;
  2. b) si elle résulte d’une opération, sur la semaine où l’opération a eu lieu.

[61] L’intimée soutient que seule la rémunération versée par le dernier employeur peut être répartie conformément au paragraphe 36(9) du Règlement. Elle soutient que le terme « cet emploi » figurant au paragraphe 36(9) fait référence à l’emploi duquel l’employé a été mis à pied ou qui a cessé, soit l’emploi chez Aveos en l’occurrence, et non un emploi auprès d’un employeur précédent, à savoir Air Canada.

[62] L’intimée soutient que le terme « ancien employeur » a été retiré de la disposition pertinente au fil du temps parce que le législateur ne voulait plus tenir compte de l’ancien employeur. La rémunération provenant d’un employeur précédent ne devrait pas être considérée comme une rémunération provenant de cet emploi (l’emploi perdu). Enfin, l’intimée soutient que le guide de l’appelante elle-même indique que la rémunération issue d’un autre employeur n’est pas considérée comme étant une rémunération de « cet emploi ».

[63] Puisque le paragraphe 36(9) ne s’applique pas, l’intimé plaide qu’il devrait voir cette rémunération reçue d’Air Canada imputée selon l’article 36(19) b) du Règlement sur la seule semaine du 9 septembre 2012, cette date étant le dimanche qui précède la décision de l’arbitre Teplitsky du 12 septembre 2012.

[64] Pour les motifs ci-après énoncés, le Tribunal est d’avis que la division générale a erré en concluant que les montants reçus d’Air Canada devaient être répartis conformément au principe contenu dans l’alinéa 36 (19) b) du Règlement et ce, en date du 20 mars 2012 et pour cette semaine.

[65] La preuve devant la division générale démontre qu’en vertu du Programme de cessation d’emploi, Air Canada devait payer un maximum de 1500 indemnités de départ aux employés admissibles représentés par l’AIMTA advenant la survenance de certains évènements dans un temps défini.

[66] Les modalités du Programme de cessation d’emploi étaient les suivantes :

  1. 1. Le programme de cessation d’emploi consiste en un maximum de 1500 indemnités de départ.
  2. 2. Le montant de l’indemnité de départ prévue par le programme équivaut à deux semaines de salaire par année entière de service continu à Air Canada et à Aveos, jusqu’à concurrence de 52 semaines…
  3. 3. Tout employé représenté par l’AIMTA sera admissible à l’indemnité de départ…n’importe quand jusqu’au 30 juin 2015 en cas de mise à pied permanente, de licenciement ou de mise à pied temporaire qui deviendrait permanente parce qu’Aveos cesserait d’être le fournisseur exclusif de services de grand entretien à Air Canada, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 ci-dessous. Ces circonstances peuvent avoir lieu avant le 30 juin 2013, mais pas après le 30 juin 2015.
  4. 4. Tout employé représenté par l’AIMTA sera admissible à l’indemnité de départ…n’importe quand jusqu’au 30 juin 2013 si l’insolvabilité, la liquidation ou la faillite d’Aveos entraînerait à la fois la résiliation des contrats conclus par Air Canada et Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente d’employés représentés par l’AIMTA. […]
  5. 6. Aveos n’a et n’aura aucune obligation ou responsabilité financière relativement au présent programme de cessation d’emploi. […]
  6. 8. Tout différent quant à la mise en œuvre du présent programme de cessation d’emploi qu’Air Canada, l’AIMTA et Aveos n’arriveraient pas à régler sera renvoyé à un processus de médiation/arbitrage exécutoire mené par Me Martin Teplistky, c.r., ou par tout autre arbitre dont les parties conviendront.
  7. 9. L’indemnité de départ accordée à un employé par Air Canada dans le cadre du présent programme de cessation d’emploi équivaut à tout paiement à titre de préavis de congédiement ou de mise à pied et à toute indemnité de départ qu’Air Canada ou Aveos pourraient devoir verser à l’employé en vertu du Code canadien du travail(« le Code ») ou de la convention collective applicable.
  8. 10. Les montants payés conformément au programme de cessation d’emploi d’Air Canada rencontre[nt] toute exigence d’indemnité de départ dont pourraient bénéficier ces employés en application de tout programme d’adaptation négocié ou imposé par un arbitre en vertu de la Section IX du Code. Si cela s’avère nécessaire, une demande fondée sur l’article 228 du Code peut être présentée afin de confirmer ce résultat.

[67] Il n’est pas contesté que l’intimée a accepté ou est réputée avoir accepté un emploi chez Aveos. Subséquemment, Air Canada a émis un relevé d’emploi, daté du 29 juillet 2011, décrivant la raison du relevé d’emploi à la case 16 comme étant « autre » et incluant l’observation suivante à la case 18 : « Cessation – Aveos transition 24/07/2011 ».

[68] En mars 2012, environ huit mois après le transfert des employés, Aveos est devenu insolvable et s’est mis sous la protection contre les créanciers en vertu de la Loi des Arrangements avec les Créanciers des Compagnies. Le 20 mars 2012, Aveos a mis fin à ses activités et à l’emploi des employés.

[69] Le 12 septembre 2012, l’arbitre Teplitsky a tenu une audience au sujet du Programme de cessation d’emploi. Dans une décision émise la même journée, l’arbitre Teplitsky confirme l’exclusion des employés retraités, qui ont démissionné ou qui ont été réembauchés, du Programme de cessation d’emploi. L’arbitre Teplistky a également déterminé la date d’entrée en service sur laquelle la formule de calcul est basée et le mode de paiement des indemnités de départ par Air Canada.

[70] À la suite de l’audience et de la décision de septembre 2012, l’intimée a reçu son premier versement de la part d’Air Canada.

[71] Le Tribunal estime que le Programme de cessation d’emploi établi clairement les conditions afin de recevoir l’indemnité :

  1. Premièrement, vous devez être un employé d’Aveos afin de recevoir le paiement; et
  2. Deuxièment, le paragraphe 4 du Programme de cessation d’emploi prévoit que l’indemnité devient payable si l’insolvabilité, la liquidation ou la faillite d’Aveos entraîne à la fois la résiliation des contrats conclus par Air Canada et Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente d’employés représentés par l’AIMTA, et ce au plus tard 30 juin 2013.

[72] L’insolvabilité d’Aveos entraînant la résiliation des contrats conclus par Air Canada et Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente des employés d’Aveos est survenue le 20 mars 2012.

[73] La Cour d’appel fédérale a réitéré à plusieurs reprises qu’un paiement effectué en vertu du paragraphe 36(9) du Règlement couvre « toute partie de rémunération qui devient due et exigible au moment où se termine le contrat de travail et commence l'état de chômage » - Brulotte c. Canada (P.G.), 2009 CAF 149, Lemay v. Canada (P.G.), 2005 CAF 433.

[74] La Cour d’appel fédérale a également déterminé que la répartition doit être effectuée selon les termes du paragraphe 36(9) du Règlement peu importe la période pour laquelle la rémunération est présentée comme étant payée ou payable - Canada (P.G.) c. Roch, 2003 CAF 356.

[75] Dans le présent dossier, la rémunération est devenue due et exigible au moment où s’est terminé le contrat de travail chez Aveos et a commencé l'état de chômage même si le paiement d’Air Canada a eu lieu seulement après la décision de l’arbitre Teplitsky rendue en septembre 2012.

[76] De l’avis du Tribunal, la division générale a erré en concluant que la provenance du versement était une condition à l’application du paragraphe 36(9) du Règlement. Autrement dit, la division générale a erré lorsqu’elle s’est demandé par qui les sommes avaient été payées dans son analyse de l’article 36 du Règlement.

[77] En effet, la Cour d’appel fédérale a établi que la source du paiement est non pertinente lorsqu’il s’agit de savoir si le paragraphe 36(9) du Règlement est applicable. Dans le cas de la répartition de la rémunération, la Cour d’appel fédérale nous enseigne que le paragraphe 36(9) du Règlement met l’accent sur le motif ou la raison du versement de la rémunération et non sur le moment et/ou la source du versement – Brulotte, c. Canada (P.G.), 2009 CAF 149, Canada (P.G.) v. Roch, 2003 CAF 356, Canada (P.G.) c. King, [1996] F.C.J. No. 483.

[78] La preuve devant la division générale démontre sans équivoque que les indemnités de départ ont été payées ou étaient payables en raison du licenciement ou la mise à pied permanente d’employés d’Aveos.

[79] L’intimée plaide vigoureusement que l’utilisation du terme « cet emploi » au paragraphe 36(9) du Règlement fait référence à l’emploi duquel l’employé a été mis à pied ou qui a cessé, en l’occurrence l’emploi chez Aveos, et non à l’emploi auprès d’un employeur précédent, à savoir Air Canada. Elle soutient que l’ancienne version du paragraphe 36(9) précisait la possibilité de tenir compte de la rémunération provenant d’un employeur précédent, mais que ce n’est pas le cas dans la version plus récente. Selon l’intimée, cela démontre l’intention du législateur de ne pas tenir compte de la rémunération issue d’un employeur précédent, mais seulement de celle de l’emploi perdu. Elle soutient que le GDA de l’appelante elle-même appuie sa position selon laquelle une somme versée par un autre employeur (Air Canada) ne doit pas être considérée comme une rémunération provenant de l’emploi perdu (Aveos).

[80] Il est important de rappeler que le GDA est un manuel d’interprétation qui ne lie pas le Tribunal - Canada (P.G.) c. Greey, 2009 CAF 296, Canada (P.G.) c. Savard, 2006 CAF 327. Ceci étant dit, le Tribunal ne voit aucune contradiction entre ses présentes conclusions et la rédaction et l’intention du GDA.

[81] En considérant la preuve au dossier, la division générale ne pouvait conclure que le paiement avait été effectué en raison du licenciement ou de la cessation de son emploi auprès de l’employeur précédent, Air Canada. Cette conclusion n’est tout simplement pas appuyée par la preuve. L’argument à l’effet que la rémunération résultant de l’employeur précédent, Air Canada, ne devrait pas être considéré comme une rémunération provenant d’Aveos, l’emploi perdu, est sans fondement, puisque le paiement n’a pas été effectué en raison du licenciement ou de la cessation d’emploi chez Air Canada mais plutôt en raison du Programme de cessation d’emploi accepté par toutes les parties.

[82] Il est vrai que l’indemnité de départ est basée en grande parties sur les années de service auprès d’Air Canada mais vous deviez absolument être un employé d’Aveos pour bénéficier du Programme de cessation d’emploi. Conformément aux termes du mémoire d’entente, l’indemnité de départ est devenue due et exigible suivant l’insolvabilité d’Aveos entraînant la résiliation des contrats conclus par Air Canada et Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente des employés d’Aveos. Il n’y a donc aucun doute que la rémunération découle de la perte de l’emploi chez Aveos, conformément aux exigences du paragraphe 36(9) du Règlement.

[83] Dès le mois de mars 2009, l’arbitre Teplitsky a été saisie par les parties elles- mêmes afin de déterminer si un employé d’Air Canada qui acceptait un emploi disponible chez Aveos ou qui choisissait le statut de licenciement avec droits de rappel chez Air Canada aux termes du mémoire d’entente était en conséquence, aux termes de la convention collective applicable ou du Code canadien du travail, en droit de recevoir une indemnité de cessation d’emploi. L’arbitre a tranché la question de la façon suivante :

Il me semble évident, selon les dispositions claires de la loi et comme dans l’affaire Bebeau c. Banque de Montréal [2001] BALC No. 447 et autres décisions, qu’il n’y a pas de licenciement lorsqu’une entreprise est vendue si l’employé accepte un emploi chez l’acheteur.

Par conséquent, les employés qui acceptent un emploi au sein d’Aveos ne sont pas en droit de recevoir une indemnité de cessation d’emploi.

(Soulignement du soussigné)

[84] Le 12 septembre 2012, l’arbitre Teplitsky a tenu une audience et rendu une décision traitant des questions qui découlaient du Programme de cessation d’emploi. Il a confirmé sa décision de mars 2009 et s’est exprimé dans les termes suivants :

Je dois préciser que bien que le terme indemnité de départ soit utilisé, aucun paiement n’était en fait dû lors du départ. C’est plutôt la faillite d’Aveos, ou la perte du contrat d’entretien lourd, qui a déclenché le paiement.

(Soulignement du soussigné)

[85] Le Tribunal est d’avis que, contrairement aux conclusions de la division générale, le versement effectué dans la présente affaire rencontre toutes les conditions du paragraphe 36(9) du Règlement, telles que décrites par l’Honorable juge Marceau de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (P.G.) v. Savarie, [1996] F.C.J. No. 1270. L’Honorable juge Marceau j.c.a. écrit :

À mon avis, un paiement est fait "en raison de" la cessation d'emploi au sens du texte lorsqu'il devient dû et exigible au moment où survient la fin de l'emploi, lorsqu'il est, pour ainsi dire, "déclenché" par l'écoulement du temps d'emploi, lorsque l'obligation qu'il vise à satisfaire n'était que virtuelle tant que se poursuivait l'emploi, et ne devait se cristalliser en devenant liquide et exigible qu'au moment seulement où prendrait fin l'emploi. Ce que l'on veut couvrir, c'est toute partie de rémunération qui devient due et exigible au moment où se termine le contrat de travail et commence l'état de chômage. Car s'il ne convient pas que les économies de l'employé, les argents qui sont déjà à lui, l'empêchent de bénéficier des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage, en revanche, il semble n'être que normal que la rémunération à laquelle il a droit au moment de son départ soit prise en considération avant qu'il ne soit admissible à recevoir des prestations de chômage.

[86] Le versement reçu par l’intimée est devenue dû et exigible au moment de la fin de son emploi chez Aveos, lorsqu’il a, pour ainsi dire, été déclenché par l’insolvabilité d’Aveos entraînant la résiliation des contrats conclus par Air Canada et Aveos et le licenciement ou la mise à pied permanente d’employés d’Aveos, lorsque l'obligation qu'il visait à satisfaire n'était que virtuelle tant que se poursuivait l'emploi, et ne devait se cristalliser en devenant liquide et exigible qu'au moment seulement où prendrait fin l'emploi chez Aveos.

[87] Tel que souligné par la Cour d’appel fédérale, ce que l'on veut couvrir par le paragraphe 36(9) du Règlement, c'est toute partie de rémunération qui devient due et exigible au moment où se termine le contrat de travail et commence l'état de chômage afin que la rémunération à laquelle le prestataire a droit au moment de son départ soit prise en considération avant qu'il ne soit admissible à recevoir des prestations de chômage.

[88] La preuve, la loi et la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale confirment donc qu’il y a lieu de répartir les indemnités de départ de la manière prescrite au paragraphe 36(9) du Règlement et ce, à partir de la semaine du licenciement ou de la mise à pied de chez Aveos, à savoir la semaine du 18 mars 2012.

[89] Avec le plus grand respect pour la division générale, le paragraphe 36(19) du Règlement ne saurait recevoir application dans les circonstances étant donné son caractère supplétif et le fait qu’il n’est mis en cause que lorsqu’aucun des paragraphes 1 à 18 ne trouve application – Brulotte, précité.

[90] Compte tenu de tous les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli.

Conclusion

[91] L’appel est accueilli.

[92] Il y a lieu de répartir les indemnités de départ de la manière prescrite au paragraphe 36(9) du Règlement et ce, à partir de la semaine du licenciement ou de la mise à pied de chez Aveos.

Annexe

No. dossier Nom des appelants
AD-15-593 E. A.
AD-15-595 S. B.
AD-15-598 P. B.
AD-15-600 A. F.
AD-15-601 N. B.
AD-15-602 J. F.
AD-15-605 M. F.
AD-15-607 G. I.
AD-15-610 K. K.
AD-15-614 D. B.
AD-15-623 M. L.
AD-15-628 G. L.
AD-15-629 A. P.
AD-15-632 R. M.
AD-15-634 C. R.
AD-15-639 G. M.
AD-15-642 E. R.
AD-15-645 S. R.
AD-15-648 J. M.
AD-15-651 F. S.
AD-15-652 J. S.
AD-15-655 L. M.
AD-15-664 C. L.
AD-15-669 L. O.
AD-15-671 M. P.
AD-15-688 M. D.
AD-15-690 C. D.
AD-15-692 M. D.
AD-15-694 C. S.
AD-15-698 H. C.
AD-15-699 J. M.
AD-15-704 M. S.
AD-15-707 A. C.
AD-15-710 R. C.
AD-15-713 O. C.
AD-15-721 T. D.
AD-15-731 B. S.
AD-15-736 G. W.
AD-15-751 S. T.
AD-15-754 R. T.
AD-15-755 J. L.
AD-15-757 E. V.
AD-15-764 S. V.
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