Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, et le dossier est renvoyé à la division générale (section de l’assurance emploi) pour qu’elle procède à une nouvelle audience devant un membre différent.

Introduction

[2] Le 9 mai 2016, la division générale a conclu que l'appelante avait quitté volontairement son emploi sans justification en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L'appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel le 15 juin 2016 après avoir reçu la décision de la division générale le 16 mai 2016. La permission d’en appeler lui a été accordée le 27 juin 2016.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la question en litige sous appel;
  • le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  • les renseignements figurant au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires;
  • l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] Lors de l’audience, l’appelante était présente et était représentée par P. T.. Bien qu'elles aient été informées de la date de l'audience, l'intimée et la personne mise en cause (employeur) n'ont pas participé à l'audience.

Droit applicable

[6] Au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, il est prévu que les seuls moyens d’appels sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale erra lorsqu’elle a conclu que l'appelante a quitté volontairement son emploi sans justification au titre des articles 29 et 30 de la Loi.

Arguments

[8] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • Le droit d'être entendu est essentiel à toute audience. La question d’exclusion des témoins d’une audience, à l’exception de leur témoignage, constitue un droit à la justice naturelle et à l’équité procédurale, particulièrement si la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales et compte tenu de la relation contentieuse en apparence entre l'appelante et l'ancien employeur.
  • L'appelante a demandé l'exclusion de témoins à deux reprises dans ses observations. L'appelante avait le droit fondamental d'être entendue relativement à la question avant que le Tribunal rende une décision.
  • L'appelante est d'avis qu'elle n'a pas été entendue de manière intégrale et équitable avant que la division générale rende sa décision.
  • Cela n'est pas fondé sur le fait que les audiences du Tribunal de la sécurité sociale sont des audiences informelles peuvent ou doivent être présentes tout au long de l'audience. Cela constitue une erreur de droit. Si l'équité et la justice naturelle ne permettent pas un degré désiré d'informalité, cela n'est pas permissible. Il incombait au Tribunal d'entendre les préoccupations des parties, d'examiner leurs observations et de rendre une décision raisonnable.
  • Le fait de déclarer que les témoins ont le droit d'être présents tout au long de l'audience parce qu'une audience est ouverte au public constitue une erreur de droit. L'exclusion de témoins est une question relavant du pouvoir discrétionnaire, qui doit être dûment étudié et exercé par le Tribunal, selon ce que permettent les circonstances, l'équité et la justice naturelle. La présence de témoins tout au long d'une audience n'est pas dictée par le fait qu'une audience est ouverte au public.
  • Le membre de la division générale explique longuement les déclarations que l'employeur aurait faites quant à la question de l'exclusion de témoins. Cela ne s'est tout simplement pas produit, que ce soit dans les observations présentées à la division générale ou à l'audience.
  • L'appelante n'a pas été entendue de manière équitable et intégrale quant à la question de l'exclusion de témoins.
  • Il existe une crainte raisonnable que le membre du Tribunal avait déjà tranché la question de l'exclusion de témoins et qu'il a ainsi instruit la cause sans entendre ou prendre en considération les observations des deux parties avant de rendre sa décision.

[9] L’intimée fait valoir les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • Selon la décision de la division générale, l'appelante a amorcé la cessation d'emploi, et ce même si le délai prévu par l'appelante a été raccourci par l'emploi. Par conséquent, la décision est raisonnable.
  • La division générale a examiné la jurisprudence et apprécié la preuve, à savoir celle selon laquelle rien ne démontre que l'intention de l'employeur était de congédier l'appelante, mais plutôt d'essayer de résoudre certains problèmes en milieu de travail.
  • Il est établi depuis longtemps que, si le prestataire quitte volontairement son emploi et que cette démission est acceptée par l'employeur, le prestataire a volontairement quitté son emploi.
  • Le bon critère juridique pour un départ volontaire au titre de l'article 29 de la Loi est la question de savoir s'il s'agissait de la seule solution raisonnable dans le cas du prestataire.
  • En examinant la preuve, la division généralement a correctement appliqué la législation et la jurisprudence pour conclure que les faits n'appuyaient pas le fait que la seule solution était de donner sa démission. La division générale a raisonnablement conclu que, même si l'appelante avait l'impression d'avoir été congédiée, un avis ouvert n'appuie pas l'existence d'une justification (ou l'élimination d'une disqualification). La division générale a conclu qu'une solution raisonnable aurait été que l'appelante reste à l'emploi tout en travaillant sur la suggestion de résolution de l'employeur.
  • Il existe un courant jurisprudentiel constant selon lequel l’insatisfaction d’un employé par rapport à ses conditions de travail ne constitue pas une justification pour quitter son emploi à moins que l’employé puisse montrer que les conditions étaient intolérables au point qu’il n’avait pas eu d’autre option que de démissionner, après avoir pris des mesures pour tenter de remédier à la situation.
  • En ce qui concerne la question du manquement au principe de justice naturelle relatif à l'exclusion de témoins à d'autres fins que pour rendre un témoignage, il n'y a eu aucunement manquement au principe de justice naturelle. Cependant, si la division d'appel conclut qu'il y a eu manquement au principe de justice naturelle comme il est prétendu par l'appelante, l'intimée ne s'oppose pas à un renvoi de l'affaire à la division générale afin de tenir une nouvelle audience pour permettre à l'appelante de présenté ses arguments de façon intégrale.

Norme de contrôle

[10] L’appelante n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[11] L'intimée soutient que la division d'appel ne doit aucune déférence à l'égard des conclusions de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, pour les questions mixtes de fait et de droit, la division d'appel doit faire preuve de déférence à la division générale. Elle peut seulement intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de fait et de droit est celle de la décision raisonnable: Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[12] Le Tribunal souligne que dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale énonce au paragraphe 19 de sa décision que « lorsqu’elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale précise également ce qui suit :

Non seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[14] La Cour conclut que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l'arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Maunder c. Canada (P.G.), 2015 CAF 274.

[16] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[17] Le Tribunal a tenu l’audience relative à l’appel en l’absence de l'appelante et de l'employeur, puisqu’il estimait que les parties avaient été avisées de la tenue de l’audience conformément à l'article 12 du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale.

[18] La division générale a refusé la motion d'exclusion de témoins présentée par l'appelante pour les raisons suivantes :

[traduction]

[151] Le Tribunal a examiné la demande de l’appelante et a demandé des observations à l’employeur, qui a participé à l’audience.

[152] L’employeur a fait part de son désir que B.E. continue de participer à l’audience parce que le témoin pourrait corroborer son avis concernant les événements ayant mené à la réunion d’évaluation de rendement et durant cette réunion. De plus, elle pourrait clarifier les faits et les accusations en l'espèce. L’employeur a déclaré que E.W. fournirait un contexte et une connaissance directe du comportement de l’appelante. De plus, il a déclaré qu’il avait autorisé l’absence de ses employés afin que ceux-ci participent à l’audience (GD16).

[153] Le Tribunal a tenu compte des observations des deux parties et il a conclu que, sur le fondement de la justice naturelle des deux parties, les témoins continueraient de participer à l'audience parce que celle-ci était publique.

[19] L’appelante soutient que la question relative à l’exclusion de témoins d’une audience, à l’exception du témoignage, en est une de justice naturelle et d’équité procédurale, particulièrement si la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales

[20] L’appelante fait valoir que le fait de déclarer que les témoins ont le droit de participer à l’ensemble d’une audience parce que celle-ci est ouverte au public ou que le rôle du Tribunal est de tenir des audiences informelles constitue une erreur de droit.

[21] L’intimée est d’avis que, si la division d’appel conclut qu’il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle, comme l’appelante le prétend, elle ne s’oppose pas au renvoi de l’affaire devant la division générale afin qu’une nouvelle audience soit tenue pour permettre à l’appelante de présenter ses arguments de façon intégrale.

[22] L’employeur n’a présenté aucune observation avant l’audience relativement à la question concernant la justice naturelle et l’équité procédurale.

[23] La bonne approche à appliquer par les tribunaux administratifs à cet égard a été établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe c. Canada (C.A.), [1992] A.C.F. no 308 :

[traduction]

6 Bien qu'il ne puisse y avoir aucun doute que la Commission établit sa propre procédure et que, quoi qu'il en soit, la décision d'exclure ou non des témoins relève du pouvoir discrétionnaire, je suis d'avis que le pouvoir discrétionnaire en l'espèce a été exercé en se fondant sur un principe erroné.

7 Dans un tribunal, l'ordonnance visant à exclure des témoins est accordée de manière courante. Cela veut dire qu'il existe une présomption en faveur de l'exclusion lorsqu'elle est demandée et qu'il incombe à la partie s'opposant à cette exclusion de prouver que l'ordonnance ne devrait pas être accordée pour une partie ou l'ensemble des témoins. Très fréquemment, les parties elles-mêmes ou leurs représentants sont exemptés de l'ordonnance d'exclusion afin d'assurer l'équité de l'audience. Il est également fréquent d'exempter des experts au motif que leur témoignage, qui est une question d'appréciation, est moins susceptible d'être indûment influencé par le témoignage des autres. Si la question est de nature discrétionnaire, il existe un grand nombre d'autres circonstances où l'exclusion de témoins peut être refusée à juste titre, mais, dans toutes ces circonstances, le refus nécessite une justification, et non l'exclusion.

8 Évidemment, les tribunaux administratifs ne sont pas toujours tenus de suivre les mêmes règles que les tribunaux. Les exigences d'un tribunal particulier dépendront de la nature de l'enquête effectuée et la question de savoir la mesure dans laquelle la procédure pourrait être jugée comme étant contradictoire. Dans le cas des commissions d'appel nommées en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique en général, et plus précisément dans les circonstances particulières en l'espèce, je suis d'avis que la Commission aurait dû aborder son pouvoir discrétionnaire de la même façon qu'un tribunal le ferait. t.

9 La procédure en vertu de l'article 21, même si elle est façonnée comme une [traduction] « enquête », est très contradictoire de nature, car le demandeur et l'employeur sont aux côtés opposés de la question et ils sont généralement représentés par des personnes expérimentées dans ce type spécialisé de litige. La situation a été expliquée avec justesse par le juge Cattanach de la Section de la première instance :

Bien qu'il n'y ait aucun lis inter partes dans le vrai sens de l'expression, il y a néanmoins un duel entre deux parties. L'administrateur général est devant la commission pour expliquer que la sélection du candidat retenu était fondée sur le système du mérite, et le candidat non retenu est présent pour établir que cela n'a pas été le cas. Cette situation a été décrite et établie par l’autorité comme un quasi-lis entre quasi-parties.

10 De plus, il y aura souvent une partie concernée ou plus, notamment les candidats retenus ou les personnes dont les noms ont été inscrits sur les listes d'admissibilité. Ces parties ont le droit de participe à l'audience et, si elles choisissent de témoigner, elles doivent se soumettre à un contre-interrogatoire. Les circonstances étaient très similaires à celles d'un procès, la Commission d'appel doit être régie par les mêmes facteurs lorsqu'elle examine l'exclusion de témoins.

11 En ce qui concerne les faits particuliers en l'espèce, il faut rappeler que la demande d'exclusion était particulièrement dirigée (et limitée) aux deux membres du jury de présélection et que le troisième membre du comité de sélection, qui agissait comme représentant de l'employeur, allait nécessairement être présent à l'ensemble de l'audience à ce titre. L'enquête en soi a été dirigée particulièrement vers le processus de présélection dont a fait l'objet le demandeur de la part du jury et au moyen duquel le candidat retenu a été choisi par le comité de sélection. Les membres de ces comités ne sont que des êtres humains, et il y a rarement lieu de s'attendre à autre chose que des personnes qui tentent de présenter leurs décisions sous le meilleur jour possible lorsque celles-ci sont contestées. Ces faits en soi ont créé une forte présomption en faveur de l'ordonnance d'exclusion par la Commission d'appel dans l'intérêt de l'équité et de l'exactitude de l'enquête. Il est important de souligner que la décision finale du Conseil, lorsqu'elle a été rendue, contenait un certain nombre de conclusions favorables sur la crédibilité relativement aux membres du jury de préslection sur lesquelles le représentant de l'intimée s'est rapidement fondé lorsqu'il a fait valoir un autre aspect de cette demande.

12 À mon avis, la Commission d'appel a commis une erreur de droit lorsqu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour exclure des témoins en se fondant sur un principe erroné. Au lieu de se demander s'il y existait des raisons pour lesquelles les deux membres du comité de sélection et du jury de présélection ne devraient pas être exclus, question à laquelle il n'existait qu'une réponse dans les circonstances, le Conseil s'est demandé s'il était convaincu que ces membres devraient être exclus. Étant donné que les ordonnances d'exclusion, par leur nature même, sont demandées et obtenues avant que les témoins ne témoignent, il est très difficile pour une partie de préciser et d'exprimer clairement les motifs d'exclusion à l'avance. À ce stade, ces motifs seront nécessairement fondés sur la simple possibilité ou le simple soupçon de partialité ou de fabrication ou de manipulation de la preuve. Après le témoignage rendu, s'il existe des documents sur lesquels cette allégation peut s'appuyer, il est trop tard, et le mal est fait.

[24] En appliquant ces principes de la Cour d'appel fédérale aux faits en l'espèce, il ne fait aucun doute que la procédure devant la division générale était contradictoire de nature, car l'appelant et l'employeur se trouvaient aux côtés opposés de la question. De plus, les deux témoins de l'employeur ont participé à l'audience pour corroborer et étayer la position de l'employeur. Ces faits en soi ont créé une forte présomption en faveur de l'ordonnance d'exclusion par la division générale dans l'intérêt de l'équité et de l'exactitude de l'enquête.

[25] Il est important de souligner que la décision finale de la division générale, lorsqu'elle a été rendue, concluait que les déclarations de l'employeur étaient appuyées par le témoignage des témoins.

[26] Le Tribunal convient avec l'appelante que la division générale a commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a conclu que, étant donné que l'audience était ouverte au public ou que le rôle du Tribunal est de tenir des audiences informelles, les témoins de l'employeur avaient le droit de participer à l'ensemble de l'audience. Les témoins en l'espèce ont été probablement influencés en entendant le témoignage d'autres personnes, et l'exclusion aurait dû être accordée.

[27] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal accueille l’appel et le dossier est renvoyé à la division générale (section de l’assurance-emploi) pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent.

Conclusion

[28] L’appel est accueilli et le dossier est renvoyé à la division générale (section de l’assurance emploi) pour qu’elle procède à une nouvelle audience devant un membre différent.

[29] La décision de la division générale datée du 9 mai 2016 doit être retirée du dossier.

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