Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli et la cause renvoyée à la division générale (section de l’assurance-emploi) pour une nouvelle audience par un nouveau membre.

Introduction

[2] En date du 27 mai 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelant a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 30 juin 2016 après avoir reçu la décision de la division générale en date du 2 juin 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 15 juillet 2016.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en concluant que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi.

Observations

[5] L’appelant soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • La division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle en lui reprochant dans sa décision l’absence de témoins pour corroborer sa version des évènements alors qu’il n’a jamais été informé par la division générale que cela était préjudiciable à sa cause;
  • La division générale lui a imposé un fardeau de preuve plus lourd et différent que celui de la balance des probabilités;
  • La division générale a erré en concluant qu’il existait un lien de causalité entre son congédiement et les évènements du mois de juillet 2015. Il soutient que les faits démontrent qu’il a été congédié pour d’autres motifs. Il plaide qu’il a d’ailleurs déposé un grief contestant son congédiement.

[6] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • La division générale a correctement interprété le paragraphe 30(1) de la Loi et a appliqué le concept juridique de l’inconduite, qui consiste à déterminer si l'acte reproché au prestataire a été volontaire ou du moins a été d'une telle insouciance ou négligence qu'il avait des répercussions sur le rendement au travail et qu'il a porté préjudice à l'employeur;
  • Les faits au dossier démontrent clairement que l’appelant a été averti à plusieurs reprises concernant le devoir d’utiliser le lève-personne ainsi qu’au sujet de son langage. Malgré ces avertissements, l’appelant a de nouveau utilisé des propos inadéquats et a, une fois de plus, levé une résidente qui venait de faire une chute sans attendre l’infirmière;
  • Les évènements dont fait état la lettre de congédiement ont été corroborés et admis par l’appelant. Rien au dossier n’appuie l’argument de ce dernier selon lequel il a été congédié pour d’autres motifs;
  • En ce qui concerne l’argument de l’appelant relativement au fardeau de la preuve, la division générale a bien rendu sa décision sur la prépondérance de la preuve. Le membre a évalué attentivement la preuve présentée et n’a pas accordé de crédibilité à la version des faits de l’appelant;
  • Il appartient à la division générale d’apprécier la preuve et tirer des conclusions au chapitre de la crédibilité. La division d’appel ne doit pas intervenir si la décision de la division générale est raisonnablement compatible avec la preuve devant elle;
  • La décision de la division générale est bien fondée en faits et en droit et appuyée par la jurisprudence en la matière. La nature et la répétition des manquements reprochés et l’absence d’amélioration vis-à-vis les attentes exprimées par l’employeur démontrent que l’appelant a été l’artisan de son propre malheur. Il a agi de façon délibérée avec une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire qu’il a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son emploi, ce qui constitue de l’inconduite.

La loi

[7] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Normes de contrôle

[8] L’appelant n’a fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[9] L’intimée soumet que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable - Pathmanathan c. Bureau du juge- arbitre, 2015 CAF 50.

[10] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision, que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[11] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

[N]on seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et [qu’elle] n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[12] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[13] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[14] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

[15] Dans un premier temps, le Tribunal ne tiendra compte que de la preuve produite devant la division générale pour rendre la présente décision. Il n’appartient pas à la division d’appel d’accepter une preuve qui aurait dû être produite lors de l’audience devant la division générale. Il ne s’agit pas d’une audience de novo.

[16] L’appelant soutient que la division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle en lui reprochant dans sa décision l’absence de témoins pour collaborer sa version des évènements alors qu’il n’a jamais été informé par la division générale que cela était préjudiciable à sa cause. En exigeant une corroboration de sa version, la division générale lui a imposé un fardeau de preuve plus élevé que celui de la balance des probabilités.

[17] Il soutient également que la division générale a erré en concluant qu’il existait un lien de causalité entre son congédiement et les évènements du mois de juillet 2015.

[18] Lorsqu’elle a rejeté l’appel de l’appelant, la division générale a conclu que :

[57] L’appelant a mis beaucoup d’emphase sur le fait qu’on lui reprochait de ne pas avoir utilisé le lève-personne lors de l’incident survenu en juillet 2015. Il a déposé en preuve une procédure indiquant que si la personne qui a chuté est mobile l’utilisation du lève-personne n’est pas automatique. L’appelant fait valoir que compte tenu de la situation, il avait appliqué la bonne procédure.

[58] J’ai examiné les documents concernant cette directive que nous retrouvons en page GD2-15. Effectivement, elle y figure.

[59] Toutefois, je constate qu’au mois de juillet 2014, une lettre a été remise à l’appelant (page GD3-18). On peut clairement y lire que l’appelant avait été avisé dès la mi-février 2014 de toujours utiliser le lève-personne.

(Soulignement par le soussigné)

[19] Il est vrai que le Tribunal en appel n’est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. Cependant, le Tribunal se doit d’intervenir lorsqu’une décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

[20] La lettre du mois de juillet 2014 à laquelle se réfère la division générale au soutien de sa décision indique plutôt ce qui suit :

À la mi-février, vous avez été avisé par votre supérieur immédiat de toujours utiliser le lève-personne tel qu’indiqué sur votre plan de travail et de le respecter.

(Soulignement par le soussigné)

[21] Le plan de travail (pièce GD2-25) qui dicte les règles à suivre en cas de chute indique ce qui suit :

Si un usager peu coopérant est impatient de se relever et est apte à le-faire, il est préférable d'aider celui-ci à se relever, même si l'infirmière n'a pas encore procédé à l'examen. Le maintenir au sol peut accentuer l'anxiété ou l'agressivité.

[22] Selon la déclaration de l’employeur, l'évènement qui a mis fin à l'emploi de l’appelant est la levée d'une résidente sans attendre l'arrivée et l'évaluation d'une infirmière (pièce GD3-16). Or, la position de l’appelant devant la division générale est à l’effet qu’il n’a pas commis d’inconduite car il a respecté son plan de travail. Il plaide qu’il n’a aucun lien de causalité entre son congédiement et les évènements du mois de juillet 2015 et qu’il ne pouvait savoir qu’il serait congédié car il a respecté les règles d’intervention postchute.

[23] Le Tribunal se doit donc d’intervenir puisque la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[24] Au surplus, la division générale semble avoir exigé une preuve de corroboration du témoignage de l’appelant pour être convaincue de sa position lorsqu’elle mentionne dans sa décision ce qui suit :

« De plus, je remarque que pas un témoin, ami ou collègue n’apportent de versions corroboratives afin de prouver que l’appelant aurait été victime d’une situation qui ne peut lui être imputable. »

[25] Le Tribunal est d’avis que la division générale a imposé à l’appelant un fardeau trop lourd lorsqu’elle a déclaré qu’aucune preuve de corroboration ne venait appuyer son témoignage. Il ne faut pas oublier qu’il incombe à l’intimée ou à l'employeur d'établir que la perte de l'emploi d'un prestataire est attribuable à son inconduite. La division générale a ainsi commis une erreur de droit, une erreur qui l’a peut-être conduite à tirer des conclusions de fait qui ne sont pas appuyées par la preuve.

[26] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal renvoie le dossier devant la division générale (section de l’assurance-emploi) afin qu’un nouveau membre procède à une nouvelle audience.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli et la cause renvoyée à la division générale (section de l’assurance-emploi) pour une nouvelle audience par un nouveau membre.

[28] Le Tribunal ordonne que la décision de la division générale en date du 27 mai 2016 soit retirée du dossier.

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