Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli et la cause renvoyée à la division générale (section de l’assurance-emploi) pour une nouvelle audience par un nouveau membre.

Introduction

[2] En date du 3 octobre 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que l’appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 2 novembre 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 9 novembre 2016.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en concluant que l’appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi.

Le loi

[5] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[6] L’appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel :

  • La division générale a tranché la question de la crédibilité de l'appelante sur la base d'une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portes à sa connaissance;
  • Elle allègue que lors de l'audition, l'appelante ne se souvenait pas du contenu des plaintes qu'elle a déposées contre ses collègues aux paragraphes 17 et 46 de cette décision;
  • Au contraire, tel que le démontre l'enregistrement de l'audition de la minute 9:27 à la minute 21:35, l’appelante a témoigné au sujet des abus qu'elle a dénoncés, et elle en a donné des détails, notamment les résidents dont les droits auraient été lésés, ainsi que les préposés qui auraient mal agi, selon elle;
  • À l'écoute même de l'enregistrement audio, il appert qu'est erronée, cela dit en tout respect pour la division générale, la conclusion de fait qui a été tirée au paragraphe 46 selon laquelle la crédibilité de l’appelante était entachée, car elle ne se souvenait pas de ce qu'elle avait écrit contre ses collègues de travail;
  • Non seulement elle a donné des détails quant aux abus dénoncés, mais elle a aussi témoigné que des plaintes qu'elle avait faites n'étaient pas écrites, contrairement à ce qui est allégué aux paragraphes 46 et 17 de la décision, mais verbales, et qu’elle s’était plutôt rendue directement au bureau de sa superviseure pour lui faire part de son malaise;
  • À partir d'une conclusion de fait erronée : soit l'absence de souvenir de l'appelante, la division générale a déterminé que le témoignage de celle-ci n'était pas crédible;
  • Or, l'appelante a témoigné en détail au sujet des abus qu'elle aurait observés, tout comme elle a réfuté de façon crédible et détaillée, la totalité des plaintes qui lui ont été adressées; et sa crédibilité ne devrait donc pas être minée de la sorte;
  • N'eût été cette conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portes à sa connaissance, la crédibilité du témoignage de l’appelante aurait été préservée.
  • Étant donné qu'il faut accorder plus de poids à la preuve directe fournie par le témoignage de l'appelante, nous sommes d'avis que sa version des faits, selon laquelle elle a été congédiée parce qu'elle dénonçait les mauvais traitements subis par certains résidents, aurait dû être retenue.

[7] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • La question que le Tribunal devait trancher était à savoir si l’appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite en vertu des articles 29 et 30 de la Loi;
  • Pour qu’un geste puisse constituer de l’inconduite au sens de l’article 30 de la Loi, il faut que l’acte reproché ait un caractère volontaire ou délibéré ou résulte d’une insouciance ou d’une négligence telle qu’elle frôle le caractère délibéré;
  • Le rôle de la division d’appel du Tribunal se limite à décider si l'appréciation des faits par la division générale était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier;
  • Le rôle du juge-arbitre (maintenant la division d’appel) se limite à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral (maintenant la division générale) était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier;
  • De plus, il ne relève pas du conseil arbitral (maintenant la division générale) de juger de la façon dont l’employeur a sanctionné l’employé ni de la sévérité de la sanction et c’est ce qu’a conclu la division générale;
  • Dans le présent dossier, l’appelante a reçu le 23 février 2015 un avis écrit mentionnant que c’était le dernier avertissement. Il y est précisé que son rôle est de donner assistance aux résidents dans le besoin sans se soucier de l’heure ou de la paperasse qui peut être faite plus tard. Le 9 décembre 2015, elle a reçu un autre avertissement l’informant que si cela se reproduisait à nouveau, il y aurait des mesures telles qu’un congé sans solde pouvant aller jusqu’au congédiement. Pour faire suite à ce dernier avertissement, les plaintes ont continué et l’employeur n’a pas eu d’autre choix que de la suspendre sans solde et de la congédier par la suite;
  • L’appelante savait qu’elle devait respecter le code de conduite de son employeur, car elle risquait le congédiement;

Normes de contrôle

[8] Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable - Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[9] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision, que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[10] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

[N]on seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et [qu’elle] n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[11] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[12] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[13] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel. Les parties n’ont fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

Analyse

[14] L’appelante soutient que la division générale a tranché la question de sa crédibilité sur la base d'une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portes à sa connaissance. Elle allègue que la division générale a erré en fait en concluant que l’appelante ne se souvenait pas du contenu des plaintes qu'elle avait déposées contre ses collègues (paragraphes 17 et 46 de la décision).

[15] La division générale en est venue à la conclusion suivante quant à la crédibilité de l’appelante :

[46] Le Tribunal a constaté dans le témoignage de l’appelante une mémoire sélective de certains faits qui entache sa crédibilité. Alors qu’elle commente les plaintes portées contre elle et relate en détails les événements ayant mené à ces plaintes, elle ne se souvient pas de ce qu’elle a écrit contre ses collègues de travail.

[16] Compte tenu des motifs d’appel dans le présent dossier, le Tribunal a écouté attentivement l’enregistrement de l’audience devant la division générale.

[17] Contrairement à la conclusion de la division générale, le Tribunal constate de l’enregistrement de l’audience, que l’appelante a effectivement témoigné, avec détails, des abus qu'elle a verbalement dénoncés, en précisant même le nom des résidents dont les droits auraient été lésés, ainsi que les préposés qui, selon sa version, auraient mal agi.

[18] La jurisprudence est depuis longtemps établie en ce qui concerne l'affirmation suivante : à moins de circonstances particulières évidentes, la question de crédibilité doit d'abord être laissée à la division générale qui est mieux en mesure d'en décider. Le Tribunal n'interviendra que s'il devient manifeste que le prononcé de la division générale sur cette question est fondé sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive, dans le contexte de la preuve des faits mis devant elle pour lui permettre d'en décider.

[19] Le Tribunal n’a d’autres choix que d’intervenir ici sur la question de crédibilité telle qu'évaluée par la division générale, car il existe des circonstances particulières évidentes. À partir d'une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, soit l'absence de souvenir de l'appelante, la division générale a déterminé que le témoignage de celle-ci n'était pas crédible.

[20] Au surplus, la division générale a ignoré les éléments portés à sa connaissance par l’appelante. Dans sa décision, la division générale en est venue à la conclusion que l’appelante se bornait à nier la teneur des documents de l’employeur. Or, le Tribunal a constaté de l’écoute de l’enregistrement de l’audience que, loin de se borner à nier les documents de l’employeur, l’appelante répond en détail aux reproches de l’employeur.

[21] Pour les raisons mentionnées ci-dessus, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de renvoyer le dossier à la division générale pour une nouvelle audience par un nouveau membre.

Conclusion

[22] Le Tribunal accueille l’appel et retourne le dossier à la division générale (section de l’assurance-emploi) afin qu’un nouveau membre procède à une nouvelle audience.

[23] Le Tribunal ordonne que la décision de la division générale en date du 3 octobre 2016 soit retirée du dossier.

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