Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] L’appelante conteste la constitutionnalité de la législation à la base de la décision de l’Intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) de lui refuser ses prestations. Il y a d’abord eu une première décision rendue par la division générale. Puis l’appelant a porté la décision en appel. La division d’appel a maintenu la décision de la division générale, mais a retourné l’appel devant la division générale, mais seulement aux fins de statuer sur l’argument de Charte déposé par l’appelante.

[2] Le Tribunal a mis en branle son processus de contestation par la Charte. Les parties ont reçu du Tribunal une ordonnance en date du 14 juin 2016 fixant les modalités aux parties quant au contenu de leurs positions à présenter et des délais à présenter. Le 7 octobre 2016, l’appelante a déposé son mémoire auprès du Tribunal. Dans les jours qui ont suivi, le Tribunal s’est déclaré satisfait et a demandé à l’intimée de faire de même. Elle avait jusqu’au 7 janvier 2017 pour présenter son mémoire. Au lieu d’envoyer son mémoire au Tribunal, l’intimée a envoyé une requête au Tribunal demandant que la cause de l’appelante soit rejetée sommairement.

[3] La présente requête de l’intimée demandant au Tribunal de rejeter sommairement la demande de l’appelante n’a pas fait l’objet d’une audience, et le Tribunal rend sa décision sur la foi du dossier.

Question en litige

[4] La demande de rejet préliminaire de la demande déposée par la Commission à l’encontre du mémoire déposé par l’appelante doit-elle être accueillie?

Preuve

[5] Conformément au processus de traitement des dossiers de Charte déposés devant le Tribunal, le Tribunal a d’abord tenu une conférence préparatoire le 7 juillet 2016, et le même jour, suite à cette conférence préparatoire, le Tribunal a rendu une décision interlocutoire qui comprenait une ordonnance en lien avec les échéanciers à respecter par les parties, de même que les éléments à déposer devant le Tribunal. Ainsi, le Tribunal a ordonné à l’appelante de :

  1. indiquer la/les disposition(s) de la Loi sur l’assurance-emploi en cause;
  2. indiquer les droits et libertés qui auraient été violés (par exemple, préciser la/les disposition(s) de la Charte canadienne des droits et libertés ou de la Déclaration canadienne des droits);
  3. exposer le fondement factuel de la contestation constitutionnelle;
  4. expliquer en quoi la/les disposition(s) de la Loi sur l’assurance-emploi viole(nt) les droits et libertés protégés;
  5. indiquer les réparations demandées;
  6. contenir une copie de tous les éléments de preuve à l’appui, y compris les affidavits et les éléments de preuve d’expert;
  7. contenir une copie de la jurisprudence applicable et des autres textes faisant autorité sur lesquels le dossier est fondé, s’il y a lieu.

[6] Le 12 et 14 octobre 2016, l’appelante a déposé son mémoire comprenant, selon elle, les éléments requis par le Tribunal.

[7] De son côté, la Commission avait jusqu’au 7 janvier 2017 pour déposer son propre mémoire avec ses observations.

[8] Au lieu de déposer ses observations et argumentations, la Commission a déposé une requête demandant au Tribunal de rejeter sommairement l’appel de l’appelante, et subsidiairement, si le Tribunal rejetait ladite requête, la Commission a demandé une extension de délai supplémentaire pour déposer ses observations et argumentations.

Arguments des parties

[9] L’appelante n’a pas déposé de représentations sur la requête de la Commission.

[10] L’intimée a soutenu que :

  1. Le présent appel n’a aucune chance raisonnable de succès.
  2. Le dossier déposé par l’appelante devant le Tribunal ne permet pas au Tribunal de rendre une décision sur la constitutionnalité du paragraphe 21 (3) de la Loi sur l’assurance- emploi (la Loi) parce qu’il est dépourvu d’une preuve factuelle suffisante.
  3. L’appelante s’est simplement contentée d’alléguer, sans en faire la démonstration, que le paragraphe 21(3) de la Loi violait son droit à l’égalité garanti en vertu du paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne des droites et libertés (la Charte).
  4. Pour qu’une différence de traitement soit discriminatoire en vertu de l’article 15 de la Charte, il faut, en tout premier lieu, que la disposition législative contestée crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue.
  5. Or, si la Loi prévoit différents traitements de la rémunération reçue lors de période de chômage par le prestataire, ces derniers ne sont pas fondés sur un motif énuméré ou analogue. Ils sont établis en fonction du type de prestations reçues, lesquelles sont déterminées en tenant compte de la disponibilité et de la capacité de travailler du prestataire au moment où il présente sa demande de prestations ou quand des prestations lui sont versées.
  6. Par conséquent, l’intimée demande que l’appel soit rejeté de façon sommaire conformément au paragraphe 53 (1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS). L’article 4 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) prévoit également que le Tribunal peut déterminer toute question relative à l’instance.

Analyse

[11] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

[12] Le législateur a prévu à l’article 53 de la LMEDS que la Division générale rejette de façon sommaire un appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. À ce jour, il semble que ce soit la première fois que la Section de l’assurance-emploi de la division générale du Tribunal reçoit une telle requête de la part de la Commission ou d’une partie. En fait, seul le Tribunal engendrait ce processus en envoyant un avis d’intention de rejet sommaire (article 22 du Règlement) avant de rejeter sommairement un appel afin de permettre à l’appelant de présenter ses observations. Il s’agit donc d’une situation inusitée d’avoir une partie qui présente une demande de rejet sommaire.

[13] La question est intéressante ne fût-ce que strictement au plan procédural. En effet, une partie peut-elle demander le rejet (sommaire ou non) d’un appel et non le Tribunal?

[14] Le rejet sommaire est prévu à l’article 22 du Règlement. C’est un pouvoir spécifique à la division générale, et il se fait à l’instigation du Tribunal et non d’une des parties. C’est la division générale qui avise l’appelant de l’intention de rejeter l’appel sommairement, et après l’écoulement d’un délai raisonnable permettant de présenter des arguments suite à l’envoi d’un avis de rejet sommaire, rend sa décision. Cet outil n’est donc pas disponible aux parties et elles ne peuvent s’en prévaloir.

[15] Cependant, une partie peut-elle demander au Tribunal de rejeter un appel ou voire même un document ou des représentations? Dans ce cas-ci, le Tribunal pourrait considérer la requête de la Commission comme une demande de rejet simple de l’appel et non pas une demande de rejet sommaire. En effet, ce que la Commission plaide est à l’effet que l’appelante n’a pas rempli ses obligations conformément aux exigences de l’ordonnance rendue par le Tribunal le 14 juin 2016. Par conséquent, l’appel tomberait car, faut-il le rappeler, c’est la seule question en litige devant la division générale.

[16] Le Tribunal est d’avis que oui. En effet, et sur ce point, le Tribunal est d’accord avec la position de la Commission, l’article 4 du Règlement du TSS lui permet de déterminer toute question relative à l’instance. Par conséquent, la requête est recevable à sa face même au niveau de la forme, mais à titre d’une demande de rejet simple et non pas d’une demande de rejet sommaire.

[17] Quant au fond de la requête, il s’agit de déterminer si à ce stade, l’appel de l’appelante doit être rejeté sans que la question constitutionnelle soit débattue devant le Tribunal.

[18] La jurisprudence vient nous apporter certains éclaircissements quant à l’utilisation d’une procédure de rejet. La Cour d’appel fédérale dans Lessard-Gauvin c. Procureur Général du Canada, 2013 CAF 147 nous dit ceci :

« La norme pour rejeter de façon préliminaire un appel est rigoureuse. Cette Cour ne rejettera sommairement un appel que lorsqu’il est évident que le fondement de celui-ci n’a aucune chance raisonnable de succès et est manifestement voué à l’échec : Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 1, 414 N.R. 278, 98 Imm. L. R. (3d) 165 aux par. 7-8; Yukon Conservation Society c. Office national de l’énergie, [1979] 2 C.F. 14 (C.A.F.) à la p. 18; Arif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 157, 405 N.R. 381, 321 D.L.R. (4th) 760 au par. 9. » Les soulignés sont de nous.

[19] Dans un arrêt rendu par la Cour suprême, soit l’affaire R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée (2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45), (paragraphes 17 à 25), la Cour a examiné le critère applicable aux requêtes en radiation des avis de mise en cause en vertu du paragraphe 19(24) des Supreme Court Rules de la Colombie-Britannique. Il est important de préciser ici qu’il s’agit d’une procédure différente que celle du rejet sommaire étudié par la Cour d’Appel fédérale dans Lessard-Gauvin, précitée. La règle en question prévoit notamment ce qui suit :

« À tout moment, la cour peut ordonner la radiation ou la modification de tout ou partie d’un acte de procédure au motif, selon le cas : a) qu’il ne révèle aucune demande raisonnable ou défense valable [...] et la cour peut rendre un jugement, ou ordonner la suspension des procédures ou le rejet de l’instance et peut ordonner de faire payer les dépens à titre de dépens spéciaux. »

[20] Même si c’est une décision qui n’a pas le poids de « jurisprudence » puisque la règle du stare decisis ne s’y applique pas, ma collègue Shu-Tai Cheng de la Division d’Appel du Tribunal a rendu une décision très intéressante dans 2015TSSDA1132 analysant les différentes tendances de la Division d’Appel du Tribunal en matière de rejet sommaire. Encore une fois, il s’agit de décisions portant sur le rejet sommaire et non le rejet simple. Elle s’exprime comme suit :

« Il semble se dégager trois tendances des décisions antérieures de la division d’appel à l’égard des appels relatifs à des rejets sommaires prononcés par la division générale :

Dans les décisions AD-13-825, AD-14-131, AD-14-310 et AD-5-74, le critère juridique consistait à déterminer s’il ressort clairement à la lecture du dossier que l’appel est voué à l’échec, quels que soient les éléments de preuve ou les arguments qui pourraient être présentés à l’audience. Ce critère est énoncé dans les arrêts de la Cour d’appel fédérale Lessard-Gauvin c. Canada (PG), 2013 CAF 147, Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 1, et Breslaw c. Canada (PG), 2004 CAF 264.

Dans les décisions AD-15-236, AD-15-297 et AD-15-401, la division d’appel a appliqué un critère juridique formulé différemment, lequel consiste à établir, pour déterminer s’il y a lieu de rejeter un appel de façon sommaire, s’il existe une question litigieuse ou si la demande est fondée, par exemple s’il s’agit d’une affaire [traduction] « sans aucun espoir » ou dont le fondement est [traduction] « faible ». Pour autant que l’appel soit fondé sur des faits adéquats et que l’issue ne soit pas manifeste, il n’y a pas lieu de prononcer un rejet sommaire. Il ne conviendrait pas non plus de rejeter de façon sommaire un appel dont le fondement est « faible », lequel exige forcément d’évaluer le bien-fondé de l’affaire, d’examiner la preuve et de déterminer la valeur de celle-ci.

Dans les décisions AD-15-216 et AD-15-260, la division d’appel n’a pas formulé de critère juridique précis et a seulement invoqué le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. » Les soulignés sont de nous.

[21] La jurisprudence nous enseigne donc que ce genre de requêtes en rejet, que ce soit une demande de rejet sommaire ou de rejet simple, si elles sont très nécessaires à la bonne conduite et à l’utilisation efficace des ressources judiciaires et quasi-judiciaire, doivent être utilisées avec prudence. Que l’on utilise le critère de la Cour d’Appel fédérale dans Lessard-Gauvin, précitée, ou de la Cour suprême dans Imperial Tobbacco, précité, ou par les divers courants existants à la Division d’appel du Tribunal, 2015TSSAD1132 précité, on y retrouve les notions que l’appel a « aucune chance de succès », « voué à l’échec », « pas de demande ou défense valable », « sans espoir ou fondement faible ».

[22] La barre est donc haute. Les cas où le Tribunal a utilisé cette procédure se retrouve dans des situations où l’assise juridique rend impossible un éventuel succès. Or, ici ce n’est pas le cas. Le Tribunal ne peut trouver application à aucun des qualificatifs établis par la jurisprudence précitée.

[23] Dans son ordonnance du 7 juillet 2016, le Tribunal a ordonné aux parties de déposer leurs mémoires respectifs dans des délais impartis. Le Tribunal est d’avis que pour qu’une telle requête puisse être accueillie, il faudrait qu’une partie soit en défaut d’avoir rempli les conditions des Règlements du TSS ou d’une ordonnance ou décision interlocutoire du Tribunal.

[24] Dans ce cas-ci, dans sa décision interlocutoire et ordonnance du 7 juillet 2016, le Tribunal avait demandé à ce que l’appelante dépose un mémoire contenant les sept éléments mentionnés au paragraphe 5 ci-dessus. Le mémoire de l’appelante contient 350 pages, dont 5 seulement en arguments et preuves. Selon la Commission, ceci est insatisfaisant.

[25] Le Tribunal est d’avis que l’appelante a rempli les exigences permettant que l’appel (y compris les arguments constitutionnels) puisse suivre son cours. En effet, on y retrouve exposés les sept éléments exigés par le Tribunal. Un lecteur pourrait trouver que les arguments manquent de poids, ne sont pas assez étoffés ou pourraient être mieux développés. C’est possible, mais à ce stade-ci le Tribunal ne veut pas et ne peut pas se prononcer quant à la suffisance des arguments, sans permettre aux parties de pouvoir argumenter leur position de vive voix devant le Tribunal. Le Tribunal est d’avis que tel que déposé, le document de l’appelante rencontre les exigences minimales. Si l’intimée avait été en défaut de se conformer à l’ordonnance du Tribunal, dans ce cas, l’appel se serait terminé, car la question constitutionnelle n’aurait pas pu être entendue.

[26] La Commission voudrait peut-être que tous les débats constitutionnels doivent pouvoir se faire avec des parties aux larges ressources et avec de savants débats juridiques. Le Tribunal est un tribunal administratif où les enjeux sont parfois pécuniairement moins spectaculaires, mais ils sont néanmoins importants pour des prestataires d’assurance-emploi, et ils ont le droit de pouvoir présenter des arguments constitutionnels.

[27] Pour ces raisons, la requête en rejet de la Commission est rejetée. En fait, dans le libellé de la requête de la Commission, la plupart des arguments présentés sont une réfutation des arguments de l’appelante sur la question constitutionnelle.

[28] Toutefois, et en raison des principes de justice naturelle, le Tribunal accueille la seconde requête de la Commission, et lui accorde un délai supplémentaire de 45 jours afin de présenter son mémoire, quant à sa position sur le fond de la question constitutionnelle, et ce à partir de la date de signification de la présente décision.

Conclusion

[29] La requête principale en rejet de l’appel de l’appelante est rejetée. De plus, le Tribunal accorde à l’intimée 45 jours supplémentaires à partir de la signification de la présente décision pour qu’elle puisse déposer son mémoire.

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