Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le 18 mai 2017 [sic], la division générale du Tribunal a statué que l’appelante avait quitté son emploi sans justification conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

Mode d'audience

[3] Le Tribunal a tenu une audience au téléphone pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question en litige;
  • La crédibilité des parties ne devrait pas constituer un enjeu principal;
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin d’obtenir des renseignements supplémentaires;
  • L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[4] L’appelante et son représentant, Bernie Hughes, ont participé à l’audience. L’intimée était représentée par Suzanne Prud’homme.

Droit applicable

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[6] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur en concluant que l’appelante n’avait pas été fondée à quitter son emploi conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.

Observations

[7] L’appelante avance les arguments suivants pour appuyer son appel :

  • La déclaration de l’employeur, voulant qu’il l’avait vue en marchant avoir une discussion animée avec une collègue, n’est pas crédible et est contredite par la propre déclaration de l’employeur à la Direction des normes d’emploi;
  • Contrairement aux conclusions tirées par la division générale, l’appelante n’avait pas été l’instigatrice de l’altercation;
  • L’appelante et sa collègue s’étaient brièvement entretenues, à l’initiative de cette dernière. La principale altercation avait impliqué deux autres employés;
  • Elle avait essayé de faire comprendre son point de vue à l’employeur, mais il n’avait pas voulu l’écouter;
  • Frustrée, elle avait quitté le bureau, pris ses clefs, puis elle était retournée chez elle pour se calmer et discuter avec son époux;
  • En moins de 10 minutes, elle avait téléphoné à l’employeur depuis chez elle pour lui demander quand elle pourrait retourner au travail. L’employeur ignorait jusque-là qu’elle était à la maison;
  • L’employeur avait permis aux autres employés de quitter le lieu de travail pour reprendre leurs esprits;
  • Le simple fait de quitter physiquement son lieu de travail ne signifie pas de quitter son emploi;
  • Elle n’avait pas amorcé la cessation d’emploi et son employeur lui avait dit qu’elle était [traduction] « mise à pied pour l’instant »;
  • L’employeur avait réglé la demande de l’appelante auprès de la Direction des normes d’emploi.

[8] L’intimée avance les arguments suivants pour appuyer sa position :

  • Il n’est pas contesté que l’appelante est partie de son lieu de travail et qu’elle est allée chez elle;
  • Qui plus est, il est avancé que la question de savoir si l’appelante avait été ou non l’instigatrice de l’altercation avec l’autre employé n’est pas pertinente pour déterminer si elle avait été « fondée » à quitter volontairement son emploi;
  • Un départ volontaire est une cessation d’emploi amorcée par le prestataire, et non par l’employeur;
  • Lorsque l’appelante a quitté la réunion avec l’employeur et qu’elle est partie du lieu de travail sans en parler, elle a quitté volontairement son emploi conformément à l’alinéa 29c) de la Loi;
  • À la lumière de la preuve présentée, il était raisonnable que la division générale conclue que l’appelante avait amorcé la cessation de son emploi en retournant chez elle, et cet événement avait strictement l’allure d’une démission;
  • En l’espèce, l’appelante a quitté son emploi après que son employeur l’ait réprimandée pour avoir eu une altercation avec un collègue. L’appelante a soutenu que l’employeur, qui aurait crié après elle, avait agi de façon inappropriée, qu’elle en avait eu assez et qu’elle était donc partie et retournée chez elle. D’après la preuve, l’appelante n’a pas épuisé toutes les solutions raisonnables dont elle disposait avant de quitter son emploi;
  • Il n’était pas déraisonnable que la division générale conclue que, bien que l’appelante eut été en colère et avait eu besoin de [traduction] « se calmer », elle aurait pu recourir à d’autres solutions que de quitter le lieu de travail, et elle aurait notamment pu aller à la salle manger, au stationnement ou à son poste de travail pour reprendre ses esprits;
  • La division générale a bien appliqué aux faits de l’affaire le critère juridique relatif à la « justification » conformément à l’alinéa 29c) de la Loi, et ses conclusions, en plus d’être raisonnables, étaient fondées sur la preuve, la loi et la jurisprudence portées à sa connaissance;
  • Il n’y a rien dans la décision de la division générale qui permette de croire qu’elle ait été partiale au détriment de l’appelante ou qu’elle n’ait pas fait preuve d’impartialité. La preuve ne révèle pas non plus qu’il y aurait eu un manquement à la justice naturelle dans cette affaire.

Norme de contrôle

[9] L’appelante n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[10] L’intimée soutient que la division d’appel ne doit aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, la division d’appel doit faire preuve de déférence à l’endroit de la division générale en ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit. Elle ne peut intervenir que si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance - Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[11] Le Tribunal souligne que la Cour d’appel fédérale a affirmé, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, que « [l]orsqu’elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[12] La Cour d’appel fédérale a ajouté ce qui suit :

Non seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale […].

[13] La Cour a conclu que « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[14] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a plus tard été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[15] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[16] L’appelante soutient qu’elle n’avait pas été l’instigatrice de l’altercation contrairement aux conclusions de la division générale. Elle avait eu une brève conservation avec un collègue, qui en avait été l’instigateur. L’altercation principale avait impliqué deux autres employés. Elle prétend qu’elle avait essayé de faire part de son point de vue à l’employeur, mais que celui-ci n’avait pas voulu l’écouter.

[17] Frustrée, elle avait quitté le bureau, pris ses clefs, puis elle était retournée chez elle pour se calmer et discuter avec son époux. En moins de 10 minutes, elle avait téléphoné à son employeur depuis chez elle pour lui demander quand elle pourrait retourner au travail. L’employeur ignorait jusque-là qu’elle était à la maison. Elle a soutenu que l’employeur avait autorisé les autres employés à quitter le lieu de travail pour qu’ils puissent se calmer.

[18] Durant l’audience d’appel, l’appelante a grandement insisté sur le fait qu’elle n’avait pas été l’instigatrice de l’altercation et qu’elle n’avait pas été impliquée dans les vives discussions pour lesquelles elle avait été convoquée dans le bureau de son supérieur. Elle était simplement assise à son poste de travail et n’avait eu rien à voir avec l’altercation entre deux autres employés.

[19] Le Tribunal estime qu’il n’est pas important de savoir, en l’espèce, qui avait été l’instigateur de l’altercation.

[20] Cependant, la majeure partie de la preuve démontre plutôt que l’appelante avait véritablement été impliquée dans une altercation avec une collègue. L’appelante admet qu’elle avait eu une brève conversation avec une collègue. Dans sa déclaration écrite, ladite collègue déclare qu’elle et l’appelante avaient crié l’une après l’autre (GD-3-21). Un autre de ses collègues a aussi affirmé qu’ils avaient un différend et qu’ils ne s’entendaient pas bien au quotidien (GD3-22). Une autre de ses collègues affirme qu’elle avait vu une employée intervenir pour dire qu’elle en avait eu assez des engueulades et des ragots entre elles (GD3- 23).

[21] La preuve corrobore clairement la conclusion de la division générale, voulant qu’une ambiance malsaine régnait entre les femmes au travail et que l’appelante participait activement à ce conflit (paragr. 36 de la décision).

[22] Cela dit, la seule question sur laquelle devait véritablement statuer la division générale était de savoir si l’appelante avait quitté volontairement son emploi conformément aux articles 29 et 30 de la Loi. Elle a conclu que l’employeur avait compris que l’appelante avait démissionné lorsqu’elle avait quitté le travail et était allée chez elle, et que l’appelante aurait pu recourir à d’autres solutions raisonnables (paragr. 25 et 43 de la décision).

[23] L’appelante soutient que de quitter son lieu de travail pour se calmer ne correspond pas à une démission. Elle n’a pas amorcé la cessation d son emploi, et c’est son employeur qui lui a dit qu’elle était [traduction] « mise à pied pour l’instant ».

[24] La preuve révèle que la cessation d’emploi découlait directement du fait que l’appelante avait dit à son employeur [traduction] « je sacre mon camp » et qu’elle était partie du travail deux fois. L’employeur a bel et bien vu l’appelante quitter le travail en trombe (GD6- 4). Ce n’est donc pas l’employeur qui a amorcé la cessation d’emploi. Si elle n’avait pas quitté les lieux, elle occuperait encore son emploi, comme ses collègues qui se sont calmés en parlant avant l’assistant de l’employeur (GD3-25, GD6-4).

[25] Un prestataire dont l’emploi prend fin parce qu’il a fait connaître son intention de quitter son emploi, que soit verbalement ou par écrit, ou par l’intermédiaire de ses actions, est considéré comme ayant quitté volontairement son emploi au titre de la Loi, même s’il exprime plus tard le souhait de garder son emploi ou s’il change d’avis.

[26] Même si l’appelante a rapidement téléphoné à son employeur pour lui communiquer son souhait de revenir travailler pour lui, ses actions doivent être considérées comme un départ volontaire au sens des articles 29 et 30 de la Loi.

[27] Pour ce qui est des changements que l’employeur a apportés au relevé d’emploi et de l’entente conclue par l’entremise de la Direction des normes d’emploi, il appartenait à la division générale d’apprécier la preuve et de parvenir à une décision. Elle n’est pas liée par la manière dont les motifs de cessation d’emploi sont qualifiés par l’employeur et l’employé ou un tiers – Canada (Procureur général) c. Boulton, A-45-96.

[28] Comme on l’a mentionné durant l’audience de l’appel, le Tribunal n’est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. La compétence du Tribunal est circonscrite par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. À moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

[29] Le Tribunal conclut qu’aucun élément de preuve ne permet d’étayer les moyens d’appel invoqués par l’appelante ou tout autre moyen d’appel possible. Il appartenait à la division générale de rendre la décision qu’elle a rendue, et celle-ci est conforme à la loi et la jurisprudence établie.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté.

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