Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 26 juillet 2016 est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] En date du 26 juillet 2016, la division générale du Tribunal a conclu que l’intimée n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 22 août 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 26 août 2016.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que l’audience de cet appel procéderait par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • du fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • du caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • de la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’appelante était représentée par Rachel Paquette. L’intimée était présente et représentée par Me Sylvain Pratte. L’employeur était absent, malgré la réception de l’avis d’audience.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] La division générale du Tribunal a-t-elle erré en concluant que l’intimée n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi?

Observations

[8] L’appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel :

  • La division générale a erré dans son interprétation du paragraphe 30(1) de la Loi;
  • La division générale devait décider si les gestes reprochés à l’intimée constituaient de l’inconduite. La notion juridique d’inconduite aux fins de cette disposition a été définie par la jurisprudence comme une inconduite délibérée dont la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle était de nature à entraîner son congédiement;
  • La Cour d’appel fédérale a établi que la notion d'inconduite délibérée n'implique pas qu'il soit nécessaire que le comportement fautif résulte d'une faute, il suffit que l'inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Finalement, il doit y avoir un lien de causalité entre l'inconduite reprochée et son emploi. Autrement dit, l’inconduite doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail;
  • La division générale s’est attardée au type de transaction financière précisé dans le Code d’éthique plutôt qu’à déterminer si les gestes reprochés à l’intimée constituent un manquement à une obligation implicite résultant de son contrat de travail;
  • Le Code d’éthique spécifie que le personnel doit éviter toutes confidences au sujet des difficultés financières et indique clairement que toute forme de sollicitation financière auprès des résidents est interdite. Selon le dictionnaire français, solliciter signifie attirer (l’attention), provoquer (l’intérêt), éveiller (la curiosité);
  • Un prêt provenant d’un résident en raison de confidences au sujet de difficultés financières est une forme de sollicitation financière qui, par conséquent, contrevient au Code d’éthique de l’employeur. Dans ces circonstances, l’intimée a rompu le lien de confiance qui doit exister entre un employeur et ses employés, ce qui constitue de l’inconduite;
  • Il est vrai que les transactions n’ont pas eu lieu au Centre, que le résident était un ami de son conjoint et que c’est le résident qui a offert son aide.

    Cependant, les transactions ont été effectuées après l’admission du au Centre et pendant que l’intimée travaillait pour la résidence. Dans ces circonstances, l’intimée devait respecter le Code d’éthique de l’employeur;
  • La jurisprudence a confirmé qu’il n’est pas nécessaire que l’inconduite se soit déroulée sur les lieux du travail; une infraction commise ailleurs que dans le cadre de l’emploi peut se révéler de l’inconduite si l’infraction fait en sorte qu’une condition essentielle de l’emploi cesse d'être satisfaite et entraîne le congédiement;
  • L’intimée était consciente des gestes qu’elle posait lorsqu’elle acceptait les versements. De plus, elle a indiqué lors de l’audience qu’elle n’était pas certaine de comprendre le Code d’éthique, mais d’avoir consciemment choisi de ne pas en parler à son employeur. On peut donc affirmer que l’intimée a posé les gestes qui lui sont reprochés en toute conscience et volontairement;
  • Après avoir suivi la formation concernant les abus financiers, l’intimée aurait dû raisonnablement savoir qu’elle ne pouvait pas agir comme elle l’a fait sans rompre le lien de confiance entre elle et son employeur et que sa manière d’agir pouvait entraîner son congédiement;
  • Les faits au dossier démontrent que l’intimée a été congédiée pour avoir emprunté de l’argent à un résident et que dans ces circonstances, il y a un lien de causalité entre l’inconduite reprochée et la perte de son emploi.

[9] L’intimée a soumis les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’appelante :

  • Les actes reprochés par l'employeur se sont déroulés dans un cadre privé, avec des parties qui se connaissaient avant que le résident mentionné ne soit admis au Centre de l’employeur, et que lesdits actes ne sont nullement en lien ou en relation avec l’emploi;
  • Les faits concernés n’ayant aucun lien avec l’exercice de l’emploi, elle n’a pas commis une inconduite au sens de la Loi. Il faut qu’il y ait inconduite conformément à la Loi, et non à l’opinion ou aux règles particulières ou à l’interprétation d’un employeur spécifique;
  • La division générale n’a commis aucune erreur de droit et il n’appartient pas à la division d’appel d’intervenir sur l’appréciation des faits par la division générale.

[10] L’employeur n’a soumis aucun motif à l’encontre de l’appel de l’appelante.

Normes de contrôle

[11] L’appelante soutient que la division d’appel ne doit pas accorder de déférence à l’égard des conclusions de la division générale en ce qui concerne les questions de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, pour des questions mixtes de fait et de droit et les questions de fait, la division d’appel doit faire preuve de déférence envers la division générale. Elle ne peut intervenir qui si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance – Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[12] L’intimée et l’employeur n’ont fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[13] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général.) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[14] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[15] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que lorsque la division d’appel entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi.

[16] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

Analyse

[17] Lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’appelante, la division générale a conclu ce qui suit :

[21] Bien que le Tribunal puisse comprendre la réaction épidermique de l’employeur dans cette cause étant donné la nature des échanges qu’il a découverte entre la prestataire et le résident, il ne peut en venir à la conclusion qu’il s’agit bien là de gestes constituants une inconduite au sens de la Loi.

[22] Le Tribunal est d’avis que bien que les gestes de la prestataire puissent être moralement condamnables, que la Commission n’a pas prouvé qu’il s’agit bel et bien d’une inconduite au sens de la Loi. Il n’est pas clair aux vues de la preuve et des faits proposés que la prestataire a pu commettre un geste qui peut s’assimiler à une infraction au Code d’éthique de l’employeur pouvant mettre son emploi en danger.

[23] La Commission n’a pas prouvé que la prestataire a sollicité le résident pour recevoir le montant qui est allégué dans cette cause. La prestataire maintient pour sa part que c’est de l’impulsion du résident en question, dans un cadre privé entre personnes consentantes et lucides, que la transaction s’est effectuée. Rien dans la preuve présentée par les parties ne permet de contredire cette version des faits, pas même les motifs de la lettre de congédiement fournie par la prestataire d’ailleurs. À ce titre, l’employeur semble assimiler une donation à un prêt non encore remboursé, mais encore, rien dans la preuve ne permet au Tribunal de croire qu’une telle évaluation permet de déclarer un prestataire comme ayant commis des gestes d’inconduite au sens de la Loi.

[24] Finalement, le Code d’éthique de l’employeur ne permet pas à la prestataire d’accepter une « donation ou un legs lorsque cette donation ou ce legs ont été faits à l’époque où le donateur ou le testateur (…) recevait des services dans la résidence. » Aux vues de la preuve, la Commission n’a pas fait la preuve que les montants que la prestataire a reçus n’étaient autre chose que ce qu’elle affirme qu’ils sont, des prêts. Même si le Tribunal peut reconnaitre que la fine ligne de démarcation entre les donations et les prêts est mince dans certains contextes, la preuve n’a pas été faite que les sommes, bien que non encore remboursées par la prestataire, n’étaient autre chose que des prêts, concept non couvert pas le code de l’employeur.

[18] La division générale semble conclure qu’il y a absence d’inconduite parce que l’intimée a reçu des sommes sous forme de prêt d’un résident, alors que le Code d’éthique interdit toute « donation ou un legs lorsque cette donation ou ce legs ont été faits à l’époque où le donateur ou le testateur (…) recevait des services dans la résidence. ». Pourtant, la division générale reconnaît dans sa décision que les gestes posés par l’intimée sont « moralement condamnables » et que la « ligne de démarcation entre les donations et les prêts est mince ».

[19] De l’avis du Tribunal, cette interprétation du Code d’éthique par la division générale est erronée à la lecture même du texte, et ne tient pas compte du but visé par le Code.

[20] Il y a lieu de reproduire le texte du Code d’éthique de l’employeur qui mentionne ce qui suit :

CODE D’ÉTHIQUE

En application de l’article 36 du Règlement

L’exploitant d’une résidence privée pour aînés doit adopter, à l’intention de ses administrateurs, des membres de son personnel, de ses bénévoles et de toute autre personne qui travaille dans la résidence, un code d’éthique qui précise les pratiques et les comportements attendus à l’égard des résidents. Ce code d’éthique doit traiter minimalement les éléments suivants :

  1. 1. le droit des résidents et de leurs proches d’être traités avec respect et courtoisie;
  2. 2. le droit du résident à l’information et à la liberté d’expression;
  3. 3. le droit du résident à la confidentialité et à la discrétion;
  4. 4. l’interdiction pour l’exploitant, les membres du personnel, les bénévoles ou les autres personnes qui travaillent dans la résidence d’accepter, de la part des résidents, des donations ou des legs faits à l’époque où ils demeuraient dans la résidence, ou d’effectuer toute forme de sollicitation financière ou autre auprès d’eux.

La donation, le legs et la sollicitation

Un exploitant ou un membre du personnel de cet exploitant qui n’est ni le conjoint ni un proche parent du donateur ou du testateur ne peut accepter une donation ou un legs lorsque cette donation ou ce legs ont été faits à l’époque où le donateur ou le testateur étalent soignés ou recevaient des services dans la résidence.

Le personnel ne peut faire de sollicitation financière ou autre auprès des résidents.

(Mis en évidence par le soussigné)

[21] La mention « ou autre » faite à deux reprises dans le Code d’éthique vise manifestement à ne pas limiter l’interdiction aux donations, aux legs et à la sollicitation financière. Elle représente la collection de toutes les éventualités non mentionnées explicitement dans le Code tout en respectant le but visé par le Code, soit d’éviter toute situation d’ordre financière entre le personnel et les résidents. Il est incontestable que l’interdiction vise les transactions financières entre le personnel et les résidents, incluant les prêts.

[22] Il y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié – Mishibinijima, A-85-06.

[23] La Cour d’appel fédérale a indiqué à plusieurs reprises que la violation délibérée du code de conduite de l’employeur constitue de l’inconduite au sens de la Loi – Canada (Procureur général) c. Bellavance, 2005 CAF 87; Canada (Procureur général) c. Gagnon, 2002 CAF 460.

[24] La preuve non contestée démontre que l’intimée, membre du personnel, a accepté des montants d’argents d’un résident sur une période d’environ un an, soit un montant approximatif de 5 600,00 $. L’employeur parle d’un chèque de 1 600,00 $ complété par l’intimée mais signé par le résident, et de montants de 200,00 $ ou de 300,00 $ par semaine par la suite. Une plainte a été déposée par la sœur du résident en question.

[25] L’intimée connaissait le Code d’éthique, avait signé plusieurs documents à l’effet qu’elle en avait pris connaissance et elle avait suivi une formation touchant les abus financiers.

[26] Que le résident soit un ami de son conjoint, qu’il ait effectué les prêts de son plein gré et en pleine connaissance de cause, à l’extérieur du lieu de travail, ne change aucunement l’interdiction prévue par le Code d’éthique qui proscrit les relations financières entre les résidents et le personnel, et ce, pour des raisons évidentes.

[27] Le Tribunal considère que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et qu’il est justifié d’intervenir afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.

[28] La preuve devant la division générale démontre clairement le non-respect délibéré par l’intimée du Code d’éthique de l’employeur, ce qui constitue de l’inconduite et ce qui a été la cause directe de la perte de son emploi. Au surplus, l’intimée pouvait prévoir que ces gestes seraient susceptibles de provoquer un congédiement, car elle connaissait le Code d’éthique et avait même reçu une formation en ce sens.

[29] Il ressort des déclarations initiales de l’intimée qu’elle a reconnu avoir fait une « gaffe » et avoir par la suite regretté ses actes (pièces GD3-9, GD3-10), mais les regrets sont non pertinents pour savoir s’il y a eu inconduite au sens de la Loi – Canada (Procureur général) c. Hastings, 2007 CAF 372.

[30] Pour les raisons susmentionnées, l’appel est accueilli.

Conclusion

[31] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 26 juillet 2016 est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

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