Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 11 juillet 2016 est annulée et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 11 juillet 2016, la division générale a déterminé que l’intimé n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel le 29 juillet 2016. La permission d’en appeler lui a été accordée le 10 août 2016.

Mode d’audience

[3] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question en litige.
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales.
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires.
  • L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[4] L’appelante était représentée par Carol Robillard lors de l’audience. L’intimé était aussi présent à l’audience.

Droit applicable

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[6] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’intimé n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite, conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.

Arguments

[7] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de l’appel :

  • Il y a inconduite si le prestataire savait ou se devait de savoir que sa conduite est de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il est réellement possible qu’il soit congédié. Toutefois, la notion d’inconduite délibérée n’implique pas d’intention malveillante; il suffit que l’inconduite soit consciente, délibérée ou intentionnelle. Finalement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite et l’emploi.
  • L’inconduite doit être commise par le prestataire alors qu’il exerçait un emploi au service de l’employeur et représenter un manquement à une obligation envers l’employeur émanant expressément ou implicitement du contrat de travail.
  • Les actes de l’intimé constituent de l’inconduite, et la décision de la division générale n’est pas justifiée. Les parties conviennent que l’intimé avait été congédié pour avoir jeté du courrier publicitaire à plusieurs occasions, avoir intentionnellement retardé l’envoi de courrier et être en possession de courrier dans son véhicule personnel.
  • La décision de la division générale estimait que les actes de l’intimé ne constituaient pas de l’inconduite parce qu’ils n’étaient pas délibérés en raison de son état de santé. Les examens médicaux, bien qu’ils confirment la dépression et d’autres troubles de santé, ne font pas montre de la non-responsabilité de l’intimé dans son manquement aux exigences de son poste.
  • De plus, la division générale a omis de justifier la raison pour avoir attribué peu de poids, ou pas de poids du tout, au fait que l’intimé ait affirmé d’emblée qu’il jetait du courrier délibérément, par mesure de représailles envers son employeur.
  • À l’application correcte du critère juridique relatif à l’inconduite aux faits incontestés de la présente affaire, l’on conclut que l’intimé, lequel occupait un poste de confiance et qui a jeté du courrier et en retardé l’envoi, a enfreint le code de conduite des employés, ce qui équivaut à une inconduite conformément à la Loi.
  • La division générale a tiré une conclusion de fait erronée, de façon abusive ou arbitraire, et l’appelante demande respectueusement à la division d’appel de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS.

[8] L’intimé présente les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • L’employeur savait qu’il était en possession de courrier dans son véhicule personnel, mais il ne l’avait pas averti à la première occasion.
  • Il n’était pas au courant de l’interdiction d’être en possession de courrier dans son véhicule personnel.
  • On ne lui a jamais imposé une mesure disciplinaire pour avoir été en possession de courrier dans son véhicule.
  • Il éprouvait des troubles psychologiques depuis 2014, mais l’employeur n’a pas pris conscience de la situation.
  • En ce qui concerne le fait d’avoir jeté du courrier publicitaire, son cerveau était malade, il n’était pas dans un état complètement fonctionnel.

Norme de contrôle

[9] L’appelante soutient que la division d’appel ne doit aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, pour les questions mixtes de fait et de droit et pour les questions de fait, la division d’appel doit faire preuve de déférence envers la division générale. Elle ne peut intervenir que si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance – Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[10] L’intimé n’a présenté aucune observation concernant la norme de contrôle applicable.

[11] Le Tribunalconstate que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la [d]ivision générale du Tribunal de la sécurité sociale, la [d]ivision d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[12] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

Non seulement la [d]ivision d’appel a-t-elle autant d’expertise que la [d]ivision générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale [...].

[13] La Cour d’appel fédérale a conclu que « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la [d]ivision d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi ».

[14] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, comme il est décrit dans l’arrêt Jean,a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[15] Par conséquent, à moins que la division générale ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[16] Lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’appelant [sic], la division générale a tiré les conclusions suivantes [traduction] :

[40] Le Tribunal a passé en revue les éléments de preuve à l’appui des allégations de l’employeur mentionnant que l’appelant avait intentionnellement retardé la livraison du courrier. Le Tribunal ne juge pas que les actes de l’appelant répondent au critère juridique relatif à l’inconduite parce qu’ils ne comportent pas d’élément moral. Le Tribunal reconnaît que la décision de l’appelant d’avoir conservé temporairement du courrier dans son véhicule était probablement déraisonnable et imprudente. Néanmoins, le Tribunal estime que les actes de l’appelant ne répondent pas au critère juridique relatif à l’inconduite parce qu’il n’avait pas été averti auparavant que de conserver temporairement du courrier dans son véhicule pourrait se traduire en son congédiement.

[41] Le Tribunal reconnaît que la lettre de congédiement de l’appelant mentionnait aussi qu’il avait jeté du courrier publicitaire. Le Tribunal est conscient que l’appelant n’a pas contesté avoir jeté certains documents publicitaires dans les jours qui ont suivi une dispute verbale avec une chef de service (madame Hewlett-Bedard). Pendant l’audience, l’appelant a témoigné que son cerveau était malade au moment où il a jeté le courrier publicitaire. Il a ajouté qu’il n’était pas dans un état complètement fonctionnel en ce temps. L’appelant a aussi fait référence à des documents médicaux démontrant qu’il souffrait de dépression clinique parmi d’autres troubles médicaux.

[…]

[44] Comme il est mentionné précédemment, l’appelant n’a pas contesté qu’il a jeté certains documents publicitaires après avoir eu une altercation avec madame Hewlett-Bedard. Mais, la question dont le Tribunal est saisi demeure : L’acte de l’appelant répond-il au critère juridique relatif à l’inconduite? En résumé, est-il possible que l’appelant savait (ou se devait de savoir) que cet acte aurait entraîné son congédiement? Le Tribunal juge que les troubles médicaux importants de l’appelant (sa dépression clinique en particulier) doivent être examinés pour déterminer s’il répond au critère juridique relatif à l’inconduite. L’appelant a fait valoir que son cerveau était malade à ce moment. Il a aussi mentionné qu’il n’était pas dans un état complètement fonctionnel. Compte tenu des rapports médicaux au dossier d’appel (et du témoignage oral de l’appelant), le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’a pas démontré d’élément moral dans ses actes puisqu’il était dépassé par ses troubles médicaux au moment où il a jeté le courrier publicitaire.

[17] Avec le plus grand respect pour la division générale, sa décision ne peut pas être maintenue.

[18] La notion d’inconduite délibérée n’implique pas qu’il soit nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle (Canada (Procureur général) c. Hastings, 2007 CAF 372).

[19] La preuve non contestée présentée à la division générale démontre que l’appelant [sic], un facteur pendant près de dix ans, a été en possession de courrier dans son véhicule pour se rendre à la clinique de physiothérapie sans l’autorisation de son employeur, a retardé la livraison du courrier et a jeté du courrier publicitaire à plusieurs occasions après s’être disputé avec sa chef de service qui refusait de lui payer des heures supplémentaires : toutes des infractions à la politique de la compagnie dont il était au courant.

[20] La conclusion de la division générale selon laquelle l’intimé était dépassé par ses troubles de santé n’est pas suffisante en soi pour écarter l’élément volontaire des actes et pour justifier l’inapplicabilité de l’exclusion mentionnée au paragraphe 30(1) de la Loi pour le cas de l’intimé.

[21] La preuve devant la division générale démontre que l’intimé avait été patient à la clinique Psychiatric Outpatient Group Therapy Services [clinique externe psychiatrique de thérapie de groupe] de l’hôpital de Surrey, du mois d’août 2014 au 27 août 2014, où il a participé à un groupe ISLW (Introductory Skills to Living Well [introduction aux compétences pour vivre bien]) et où il a joint le groupe pour la dépression, du 29 janvier 2015 au 19 mars 2015. Il était aussi suivi au centre de santé mentale de Surrey pour une évaluation des troubles concomitants et un plan de traitement de trois séances prévues entre le 22 décembre 2014 et le 20 janvier 2015. Le médecin de famille a rédigé une lettre datée du 15 octobre 2015 pour détailler les nombreux troubles de santé que l’intimé avait subis au cours des 18 derniers mois.

[22] Toutefois, les évènements qui ont mené au congédiement de l’intimé ont eu lieu en juin 2015, des mois après sa participation au groupe pour la dépression et après la planification de ses trois séances de traitement. Fait plus important encore, l’intimé a témoigné devant la division générale qu’il avait été conseillé par son médecin en mars 2015 de retourner au travail, mais de modifier ses tâches. Il est retourné à ses tâches de travail normales, quatre semaines par la suite (paragraphe 27 de la décision).

[23] Le Tribunal juge que la preuve devant la division générale ne permet simplement pas de conclure que les actes de l’intimé n’étaient pas délibérés.

[24] À l’application correcte du critère juridique relatif à l’inconduite aux faits incontestés de la présente affaire, l’on conclut que l’intimé, lequel occupait un poste de confiance et qui a jeté du courrier et en retardé l’envoi, a donc enfreint le code de conduite des employés, ce qui équivaut à une inconduite conformément à la Loi.

[25] L’intimé aurait dû savoir, en agissant de la sorte, que sa conduite était de nature à entraîner son congédiement – Canada (Procureur général) c. Secours, [1995] A.C.F. no 210, Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36.

[26] Pour les motifs susmentionnés, l’appel sera accueilli.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 11 juillet 2016 est annulée et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

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