Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Représentante de l’appelante : Louise Laviolette

Intimée : N. G.

Introduction

[1] Le 26 février 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a accueilli l’appel de l’intimée alors que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (appelante) avait déterminé qu’elle avait volontairement quitté son emploi sans justification et lui avait imposé une exclusion d’une période indéterminée en application des articles 18 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). L’intimée a assisté à l’audience de la division générale tenue par téléconférence, mais pas l’appelante.

[2] La division générale a jugé que l’intimée était fondée à quitter son emploi conformément à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE, car elle avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal le 9 mars 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 4 mai 2016, au motif qu’en rendant sa décision, la division générale n’avait pas appliqué le bon critère juridique à la question du départ volontaire et qu’il pourrait s’agir d’une erreur de droit ou d’une erreur mixte de fait et de droit.

[4] Cet appel a été instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions faisant l’objet de l’appel;
  2. l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de droit ou sur une erreur mixte de fait et de droit.

[6] La division d’appel doit-elle rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale?

Droit applicable

[7] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] La permission d’en appeler avait été accordée sur la base que l’appelante avait exposé des motifs qui cadrent avec les moyens d’appel énumérés, et qu’au moins l’un de ces motifs conférait à l’appel une chance raisonnable de succès, en l’occurrence les motifs ayant trait aux moyens d’appel prévus aux alinéas 58(1)b) et c) de la Loi sur le MEDS.

[9] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel.

[10] Aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE, un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

Observations

[11] Les observations de l’appelante peuvent se résumer ainsi :

  1. La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le bon critère juridique à la question du départ volontaire, conformément à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE;
  2. Bien que l’intimée ait possiblement pris une bonne décision d’un point de vue personnel en quittant son emploi, ses motifs ne sont pas valables aux termes de la Loi sur l’AE;
  3. Il est prévu à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE que pour être fondé à quitter volontairement son emploi, le prestataire ne doit pas avoir d’autre solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances;
  4. L’intimée n’a pas participé à des entrevues avec d’autres employeurs avant d’avoir quitté son emploi chez Accountivity inc.; par conséquent, on ne peut pas établir qu’elle connaissait son futur type d’emploi ou même l’identité de son futur employeur;
  5. Une solution raisonnable que l’intimée aurait pu adopter était de prévoir des entrevues en dehors de ses heures de travail et de demeurer employée jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un emploi convenable;
  6. Quitter son emploi pour améliorer sa situation ne constitue pas une justification au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE;
  7. L’appelante a donc correctement imposé une exclusion à l’intimée en date du 30 août 2015.

[12] Les observations faites par l’intimée lors de l’audience de l’appel peuvent se résumer ainsi :

  1. Pendant la semaine du 2 septembre 2015, elle a quitté son emploi temporaire chez Accountivity inc.;
  2. Elle avait prévu trois entrevues dans la semaine suivante et elle s’y est rendue;
  3. On lui a offert un emploi permanent, qu’elle occupe toujours, et elle n’a plus eu recours aux prestations d’AE;
  4. Pour elle, quitter son emploi temporaire constituait la bonne décision à prendre pour ne pas perdre ses compétences et occuper plutôt un poste où elle en acquiert.

[13] La division d’appel du Tribunal avait accordé la permission d’en appeler sur la question du départ volontaire aux motifs d’une erreur de droit et d’une erreur mixte de fait et de droit.

Norme de contrôle

[14] L’appelante soutient que la division d’appel ne doit aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, pour les questions mixtes de fait et de droit et pour les questions de fait, la division d’appel doit faire preuve de déférence envers la division générale. Elle peut seulement intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[15] La Cour d’appel fédérale a statué, dans Canada (Procureur général) c. Jewett, 2013 CAF 243, dans Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190 et dans d’autre cas, que la norme de contrôle pour les questions de droit et de compétence dans le cadre des appels du conseil arbitraire en matière d’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable.

[16] Cependant, dans Canada (Procureur général) c. Paradis et dans Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a suggéré que cette approche ne convient pas lorsque la division d’appel du Tribunal examine les appels des décisions rendues par la division générale en assurance-emploi.

[17] La Cour d’appel fédérale, dans Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274, a fait référence à l’arrêt Jean, supra, et a déclaré qu’il n’était pas nécessaire que la Cour se penche sur la question de la norme de contrôle que la division d’appel doit appliquer aux décisions de la division générale. L’affaire Maunder portait sur une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada.

[18] Dans l’affaire Hurtubise v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147, la Cour d’appel fédérale a examiné une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la division d’appel qui avait rejeté un appel d’une décision de la division générale. La division d’appel avait appliqué la norme de contrôle suivante : celle de la décision correcte quant aux questions de droit et celle de la décision raisonnable quant aux questions de fait et de droit. La division d’appel a conclu que la décision de la division générale était « compatible avec les éléments de preuve portés à sa connaissance et qu’il s’agit d’une décision raisonnable […] ». La division d’appel a mis en application l’approche que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Jean, supra, avait jugée comme inappropriée, mais la décision de la division d’appel fut rendue avant l’arrêt Jean. Dans l’arrêt Hurtubise, la Cour d’appel fédérale n’a fait aucun commentaire au sujet de la norme de contrôle et a conclu qu’elle n’était [traduction] « pas en mesure de juger que la décision de la division d’appel était déraisonnable ».

[19] Il semblerait y avoir des divergences au sujet de l’approche que la décision [sic] d’appel du Tribunal devrait utiliser pour réviser les décisions en matière d’assurance-emploi qui ont été rendues par la division générale, plus particulièrement, de savoir si la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de compétence dans les appels en matière d’assurance-emploi de la division générale diffère de la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit.

[20] Je ne suis pas convaincue de la façon de procéder pour concilier ces divergences apparentes. Par conséquent, j’évaluerai cet appel en me référant aux dispositions d’appel prévues dans la Loi sur le MEDS et sans référence aux critères « raisonnable » et « correct », puisqu’ils sont reliés à la norme de contrôle.

[21] En l’espèce, des erreurs de droit et des erreurs mixtes de fait et de droit sont alléguées.

Faits non contestés

[22] Les points suivants ne sont pas contestés :

  1. L’intimée a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi et la demande initiale a pris effet le 2 août 2015;
  2. On lui a offert un emploi temporaire chez Accountivity inc., où elle a travaillé du 31 août 2015 au 2 septembre 2015;
  3. Dans le cadre de cet emploi, elle devait faire de l’entrée de données, mais elle n’aimait pas cela; elle a demandé un autre poste, mais aucun n’était libre; elle croyait qu’elle perdrait des compétences si elle demeurait en poste;
  4. Elle a demandé congé pour se présenter à des entrevues menées ailleurs, mais son gestionnaire n’approuverait pas la demande;
  5. Au moment de son départ, elle n’avait pas passé d’entrevue pour un autre emploi et n’avait reçu aucune autre offre d’emploi; elle a passé des entrevues après avoir quitté son emploi temporaire;
  6. Elle a réussi à trouver un autre emploi peu de temps après être partie;
  7. Elle a pris une bonne décision d’un point de vue personnel.

Analyse

[23] La décision de la division générale faisait référence à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Imran, 2008 CAF 17.

[24] Dans l’affaire Imran, la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge-arbitre avait admis l’argument du prestataire selon lequel il n’aurait pas pu demeurer en poste et se trouver un meilleur emploi, et que sur ce fondement, il avait conclu que le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi. Cette conclusion entrait en conflit avec la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Traynor, (1995) A.C.F. no 836, qui affirmait que le programme d’assurance-emploi ne permettait pas à un prestataire de quitter un emploi dans le seul but d’améliorer son sort sur le marché.

[25] La Cour d’appel fédérale a également fait des commentaires au sujet de l’argument de M. Imran, selon lequel les emplois dans son domaine (ingénierie) étant abondants, il avait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans l’avenir immédiat, une justification de quitter son emploi de façon volontaire. Qui plus est, il avait réussi à se trouver un autre emploi en ingénierie peu de temps après avoir quitté son emploi. La Cour avait déclaré que ces facteurs ne suffisaient pas à établir une justification pour quitter son emploi volontairement aux termes du sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE, et ce pour la raison suivante [traduction] :

Le sous-alinéa 29c)(vi) requiert l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. En l’espèce, aucune de ces trois exigences n’est remplie. Au moment où il choisit lui-même de devenir chômeur, le défendeur ne sait pas s’il aura un emploi, il ne sait pas de quel emploi auprès de quel employeur il s’agirait, il ne sait pas à quel moment dans l’avenir il aurait un emploi [...]

[26] La Cour d’appel fédérale avait conclu qu’au moment de quitter son emploi, on n’aurait pas pu affirmer que M. Imran savait quel emploi futur il occuperait ni l’identité de son employeur futur. M. Imran n’a donc pas établi qu’il était fondé à quitter son emploi pour le motif prévu au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE.

[27] Après la référence faite à l’affaire Imran, la division générale, pour la présente affaire, a conclu que l’intimée avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans l’avenir immédiat (sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE). Cette conclusion a été tirée sur la base que l’intimée avait passé deux entrevues dans les deux jours suivant sa cessation d’emploi, que la tenue des entrevues, l’embauche et le début d’emploi ont eu lieu dans les 17 jours qui ont suivi la cessation d’emploi.

[28] Avec respect envers le membre de la division générale, les faits en l’espèce ne peuvent être distingués de ceux dans la décision Imran. Au moment où l’intimée a choisi de se trouver en chômage, elle ne savait pas si elle trouverait un emploi, de quel type d’emploi il s’agirait, ni par quel employeur elle serait embauchée, ni à quel moment elle occuperait un poste. La Cour d’appel fédérale a établi que la situation factuelle ne constitue pas une justification pour quitter son emploi conformément au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE.

[29] Les questions mixtes de fait et de droit concernent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, 2002 CSC 33. En l’espèce, la division générale a erré dans son application du critère juridique pour la justification aux faits de cette affaire, conformément au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l’AE. Par conséquent, la division générale a erré quant à une question mixte de fait et de droit.

[30] Il s’agit d’une erreur sujette à révision conformément aux alinéas 58(1)b) et c) de la Loi sur le MEDS.

[31] Je note également que la division générale a jugé que l’intimée avait une autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi au moment où elle l’a fait (paragraphe 24 de la décision de la division générale). Cette conclusion est étrange car la division générale a conclu que l’intimée était fondée à quitter son emploi. Pour être fondé à quitter volontairement son emploi, l’intimée doit démontrer n’avoir aucune autre solution que celle de quitter au moment où elle l’a fait.

Erreur de la division générale et décision de la division d’appel

[32] Étant donné l’erreur commise par la division générale, la division d’appel doit procéder à sa propre analyse et déterminer s’il y a lieu de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision : Housen c. Nikolaisen, supra, au paragraphe 8, et au paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS.

[33] La division d’appel est-elle apte à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre à l’égard de cette question? Je conclus qu’elle l’est, puisque les faits nécessaires pour rendre cette décision ne sont pas contestés et qu’aucun nouvel élément de preuve n’est requis des parties.

[34] Outre l’affaire Imran, la Cour d’appel fédérale a établi que de quitter son emploi pour améliorer sa situation ne constitue pas une justification au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE : Canada (Procureur général) c. Langevin, 2011 CAF 163. Il a également été confirmé que s’il est légitime pour un travailleur de vouloir améliorer son sort en changeant d’employeur ou de nature d’emploi, il ne peut faire supporter le coût de cette légitimité par ceux et celles qui contribuent à la caisse de l’assurance-emploi : Canada (Procureur général) c. Langlois, 2008 CAF 18.

[35] L’appelante ne conteste pas le fait que l’employeur de l’intimée a décliné sa demande de congé pour se rendre à des entrevues. Cependant, l’appelante soutient qu’il n’était pas interdit à l’intimée de conserver son emploi jusqu’à ce qu’elle trouve autre chose de mieux et qu’elle aurait pu tenter de planifier ses entrevues à des moments qui n’entraient pas en conflit avec ses heures de travail.

[36] Je considère que les décisions Imran, Langevin et Langlois de la Cour d’appel fédérale font jurisprudence. La situation de l’intimée ne constitue pas une justification pour avoir quitté volontairement son emploi au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE.

[37] De plus, une autre solution raisonnable s’offrait à l’intimée au moment où elle a quitté son emploi. Elle aurait pu conserver l’emploi temporaire pendant qu’elle cherchait un autre emploi, et ce jusqu’à ce qu’elle trouve mieux.

[38] Dans ces circonstances, je suis en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, c’est-à-dire le rejet de l’appel de l’intimée devant la division générale.

Conclusion

[39] L’appel est accueilli, et la décision de la division générale est annulée.

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