Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Aperçu

[1] La prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi le 8 avril 2016. L’intimée a rejeté sa demande initiale de prestations et maintenu sa décision à la suite d’un réexamen. L’appel de l’appelante a été présenté hors délai au Tribunal, mais une prorogation du délai pour interjeter appel a été accordée.

[2] Le Tribunal doit déterminer si l’appelante a quitté volontairement son emploi sans justification au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance‑emploi (la Loi).

[3] L’audience a eu lieu par téléconférence en raison de l’information au dossier, y compris de la nécessité d’obtenir des renseignements supplémentaires, de la possibilité qu’un interprète soit présent, du fait que l’appelante serait représentée et de la disponibilité de services de vidéoconférence dans la région où vit l’appelante. Le mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

[4] L’appelante a assisté à l’audience en compagnie de son frère, qui était son représentant désigné (représentant). Il n’était pas là en qualité d’interprète. Le Tribunal est convaincu que l’appelante a compris la procédure, puisqu’il lui a été demandé à l’audience si elle comprenait l’anglais et qu’elle a répondu sans hésitation par l’affirmative. Le Tribunal lui a demandé des précisions les quelques fois où il a eu du mal à la comprendre compte tenu de son accent, et elle les a fournies.

[5] Cet appel est rejeté, car l’appelante n’a pas prouvé qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi. Les motifs de cette décision sont décrits ci-dessous.

Preuve

[6] Le 5 avril 2016, l’appelante a quitté son emploi. Elle a présenté une demande initiale de prestations, et une période de prestations a été établie à compter du 10 avril 2016.

[7] Dans sa demande, elle a déclaré avoir quitté son emploi parce qu’elle ressentait [traduction] « trop de pression et du stress », sans qu’aucune personne en particulier soit responsable de sa décision de partir et sans qu’aucun événement final précipite son départ (GD3-7). Elle n’a pas cherché un autre emploi avant de quitter celui qu’elle occupait parce qu’elle était malade et devait rester chez elle. Elle a déclaré, comme il est indiqué dans la pièce GD3-8, qu’elle avait parlé à son superviseur ([traduction] « mon départ ne le dérangeait pas ») et à la gestionnaire des ressources humaines (« elle a dit que c’était d’accord »).

[8] Le 28 avril 2016, elle a signalé à l’intimée que le [traduction] « travail était très dur, qu’on lui mettait constamment la pression tous les jours » et qu’après dix ans, elle n’en pouvait plus. Elle a également signalé qu’elle devait travailler avec des produits chimiques et qu’elle était trop stressée pour continuer (GD3-19).

[9] Le 3 mai 2016, l’employeuse a affirmé à l’intimée que l’appelante ne s’était jamais plainte une seule fois en dix ans que le travail était trop dur. L’employeuse estimait que l’appelante était partie en raison d’une plainte de harcèlement sexuel déposée par sa sœur. Elle a dit que l’appelante s’était déclarée malade pendant les mêmes trois jours que sa sœur, qui était en congé payé durant l’enquête relative à sa plainte, et qu’ensuite sa sœur avait appelé le jour où elle devait retourner au travail juste avant le début de son quart pour dire que ni l’une ni l’autre n’y retourneraient. L’appelante ne s’est pas présentée au travail (GD3-20).

[10] Plus tard, l’intimée a demandé à l’appelante de répondre aux commentaires de l’employeuse, et elle a autorisé son frère à parler en son nom. L’intimée a dit à son frère qu’elle n’était pas fondée à quitter son emploi parce qu’une autre solution raisonnable aurait été de s’entretenir avec son employeuse avant de partir ou encore de communiquer avec le ministère de la Santé ou le ministère du Travail. Le compte rendu de cette conversation ne démontre aucune réfutation de la part du frère de l’appelante (GD3-21).

[11] Par la correspondance datée du 6 mai 2016, l’intimée a informé l’appelante qu’elle n’était pas admissible à recevoir des prestations, car elle avait quitté volontairement son emploi sans motif valable au sens de la Loi puisque [traduction] « le départ volontaire n’était pas la seule solution raisonnable dans votre cas (GD3-22) ».

[12] L’appelante a présenté une demande de révision, que l’intimée a reçue le 20 mai 2016 (GD3-23 à GD3-24). Dans sa demande, elle a dit avoir quitté son emploi pour des raisons d’ordre médical et parce qu’elle se sentait malade depuis des années. Elle a joint une lettre de son médecin datée du 3 mai 2016 (GD3-25) qui indique, considérant que certains mots de cette note manuscrite ne sont pas clairs, qu’elle [traduction] « souffrait de maux de tête, de somnolence – que travailler avec une ligne électrique contenant des produits chimiques lui donnait un mal de tête, de la difficulté à dormir et également de l’hypertension… elle avait donc décidé de quitter son emploi pour recouvrer la santé (sic) ».

[13] Elle a également déclaré dans sa demande : [traduction] « Je ne connaissais pas la politique de départ de l’entreprise compte tenu de ma faible connaissance de l’anglais. »

[14] Au cours de l’entrevue du 24 juin 2016, dans le cadre du processus de révision, l’appelante a dit à l’intimé [traduction] qu’« elle travaille tout le temps avec des produits chimiques » et que cela lui occasionne des maux de tête, même si elle n’a jamais demandé un congé de maladie. Elle a indiqué avoir consulté le médecin avant de quitter l’emploi qu’elle occupait, mais [traduction] « ne lui avoir jamais parlé de quitter son emploi », et celui‑ci ne lui avait jamais suggéré. Elle a affirmé qu’elle s’était plainte au service du contrôle de la qualité au travail à propos des produits chimiques, mais pas à son superviseur ni à sa gestionnaire (GD3-26).

[15] Elle a de plus affirmé qu’après la plainte de harcèlement déposée par sa sœur, le jour où celle‑ci devait retourner au travail, [traduction] « les deux sœurs estimaient que les autres employés les regardaient de travers », selon le compte rendu de cette entrevue figurant dans la pièce GD3-26. [Traduction] « Elles se sentaient insultées et harcelées. Elles sont parties ensemble ce jour‑là. »

[16] L’intimée a appelé l’employeuse le jour même pour obtenir une réponse aux prétentions de l’appelante. L’employeuse a précisé que l’appelante avait travaillé comme assembleuse de filtres de piscines, mais a soutenu qu’elle n’avait jamais été en contact avec des produits chimiques et qu’elle était rarement exposée à la colle industrielle. Elle ne s’était jamais plainte de ce problème et n’avait pas demandé non plus de congé de maladie (GD3‑27).

[17] Plus tard le même jour, l’appelante a affirmé qu’elle était en contact avec des produits chimiques et que l’employeuse mentait. Elle a dit n’avoir jamais parlé à son employeuse, car elle estimait qu’elle ne s’en soucierait pas. Elle n’a pas déposé de plainte relative à la santé et à la sécurité, car elle ignorait qu’elle pouvait le faire. Elle n’a pas demandé de congé de maladie ni de congé régulier. Elle a consulté un médecin après avoir quitté son emploi parce que l’intimée avait indiqué avoir besoin d’un certificat médical; elle l’avait souvent consulté, mais n’avait jamais demandé de certificat (GD2-28).

[18] Selon les commentaires de l’appelante consignés par l’intimée au sujet de la plainte de harcèlement déposée par sa sœur, l’appelante a soutenu que [traduction] « lorsqu’elles sont retournées au travail, elles se sont senties mal traitées, et les gens les regardaient de travers… après avoir travaillé dix ans là-bas, elles ne devraient pas être traitées ainsi. C’était la première fois que cela arrivait » (GD2-28).

[19] Elle a dit avoir cherché un autre emploi, mais uniquement lorsqu’elle prenait des jours de congé pour le faire. En général, elle travaillait fort et n’avait pas le temps de chercher un autre travail (GD2-28).

[20] La décision rendue à l’issue d’une révision, datée du 24 juin 2016, a confirmé la conclusion initiale de départ volontaire non justifié (GD3-29 à GD3-31).

[21] L’appelante a envoyé son avis d’appel à l’intimée par erreur; l’appel a été présenté hors délai au Tribunal le 13 octobre 2017 (GD2-1 à GD2-9; GD2A1 à GD2-5). Une prorogation du délai pour interjeter appel lui a été accordée le 23 février 2017.

[22] À l’audience, l’appelante a expliqué que son travail consistait à assembler des filtres et qu’elle devait pousser un lourd chariot tous les jours pour mener ses filtres assemblés à une zone d’entreposage. Elle a soutenu que l’odeur générale des produits chimiques sur les lieux de travail la rendait malade, expliquant ensuite que le centre du filtre qu’elle devait assembler avait une [traduction] « petite » odeur. Elle a plus tard affirmé que le centre avait une [traduction] « très forte odeur ».

[23] L’appelante a dit au Tribunal qu’elle s’était d’abord plainte à la [traduction] « collectivité de la sécurité » avant Noël (2015). Elle a ensuite dit qu’elle s’était plainte à de nombreuses reprises, mais que personne n’était intervenu.

[24] L’appelante a fait les déclarations ci‑après en ce qui concerne ses problèmes de santé : elle s’était sentie malade pendant quelques mois avant de finir par quitter son emploi parce qu’elle ne pouvait pas dormir. Elle était donc allée consulter le médecin pour obtenir des pilules; cela faisait [traduction] « peut‑être un an » qu’elle était malade, mais elle n’était pas allée voir le médecin parce qu’elle ne voulait pas se plaindre; elle s’était toutefois plainte au travail qu’elle se sentait malade depuis deux ou trois ans.

[25] Elle a confirmé avoir parlé à son chef d’équipe et à un représentant de la sécurité, mais pas à son superviseur ni à sa gestionnaire. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas demandé de congé de maladie, mais qu’elle avait pris les six jours de congé de maladie auxquels elle avait droit chaque année.

[26] Elle a d’abord affirmé avoir cherché du travail tous les jours avant de partir, expliquant qu’elle avait envoyé partout son curriculum vitæ par télécopieur. Elle a ensuite déclaré qu’elle avait commencé à chercher du travail le lendemain de son départ.

[27] Elle a déclaré que le jour où elle avait quitté son emploi, elle avait pris sa décision en raison de ce qui était arrivé à sa sœur. Elle a affirmé qu’après que sa sœur eut porté plainte, elle avait peur de devenir victime de harcèlement elle aussi, en particulier si sa sœur partait et qu’elle restait toute seule au travail.

[28] Son représentant a fait valoir que les autres problèmes s’étaient accumulés pendant les années au cours desquelles sa sœur avait travaillé pour l’entreprise, mais que l’appelante était partie principalement en raison de ce qui était arrivé à sa sœur.

Observations

[29] L’appelante a présenté les observations suivantes :

  1. Elle était stressée au travail parce que le travail était dur et qu’on lui « mettait la pression tous les jours ». Elle devait travailler avec des produits chimiques et cela la rendait malade, lui causant de fréquents maux de tête. Après dix ans, elle n’en pouvait plus.
  2. Elle avait tenté de se plaindre à la « collectivité de la sécurité » au travail, mais on lui avait refusé assistance tant de fois qu’elle ne s’était jamais plainte à son employeuse parce que celle‑ci ne s’en souciait pas.
  3. Elle n’avait pas demandé de congé de maladie, mais avait consulté le médecin avant de quitter son emploi. Elle n’avait obtenu un certificat du médecin qu’après son départ parce que l’intimée lui avait dit qu’il lui en fallait un.
  4. Elle avait été mal traitée après que sa sœur eut déposé une plainte pour harcèlement sexuel. Les employés les regardaient de travers et s’en prenaient à elles. L’appelante avait peur d’être harcelée à son tour.
  5. Elle avait cherché un autre travail avant de quitter celui qu’elle occupait chaque fois qu’elle prenait des congés, mais pas de façon régulière parce qu’elle travaillait très durement.

[30] L’intimée a présenté les observations suivantes :

  1. Une autre option raisonnable avant de partir aurait été de se plaindre à son employeuse ou encore au ministère de la Santé ou au ministère du Travail.
  2. Elle n’a pas pris de congé de maladie et ce n’est environ qu’un mois après avoir quitté son emploi qu’elle a obtenu un certificat du médecin justifiant des problèmes de santé liés au travail.
  3. Elle aurait pu demander un congé pour pouvoir chercher un autre emploi avant de quitter celui qu’elle occupait.
  4. Elle n’a jamais mentionné la plainte de sa sœur comme un motif de départ dans sa demande de prestations, faisant valoir qu’aucun événement unique ne l’avait incité à quitter son emploi. Elle n’a jamais fait part du problème avant que l’intimée l’aborde, après avoir obtenu cette information de l’employeuse.

Analyse

[31] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe de la présente décision.

[32] Le Tribunal doit d’abord déterminer si l’appelante a quitté volontairement son emploi. Le critère pour évaluer le départ volontaire figure dans la décision Procureur général du Canada c. Peace, 2004 CAF 56, au paragraphe 15 :

« En vertu du paragraphe 30(1), la question de savoir si un employé a quitté volontairement son emploi est une question simple. La question qu’il faut se poser est la suivante : l’employé avait-il le choix de rester ou de partir? »

[33] Il ne fait aucun doute que l’appelante avait le choix de rester. Elle ne conteste pas le fait que, comme l’a fait valoir l’intimée et le corrobore son employeuse, lorsqu’elle a quitté son emploi, c’était elle et non l’employeuse qui avait mis fin à son emploi. Par conséquent, le Tribunal estime que l’intimée s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle avait quitté volontairement son emploi.

[34] Une fois que l’intimée a démontré que l’appelante a quitté volontairement son emploi, le fardeau de la preuve se déplace alors vers l’appelante à qui il incombe de démontrer qu’elle était « fondée » à quitter son emploi (Procureur général du Canada c. White, 2011 CAF 190).

[35] Le critère visant à déterminer si l’appelante est « fondée » à quitter son emploi aux termes de l’article 29 de la Loi consiste à se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Procureur général du Canada c. White, 2011 CAF 190).

[36] La Cour d’appel fédérale dans Tanguay c. Commission de l’assurance‑emploi A‑458‑84, a établi une distinction claire entre un « motif valable » et une « justification ». En termes simples, une personne peut avoir de bonnes raisons de quitter son emploi, mais cela ne constitue pas une « justification ».

[37] Le Tribunal a pris en considération les diverses raisons du départ de l’appelante pour examiner toutes les circonstances qui lui sont propres. Dans sa demande, elle a indiqué ressentir « trop de pression et du stress », soulignant qu’aucun événement en particulier n’avait rendu les conditions intolérables au point où elle avait dû partir. Quelques semaines plus tard, son récit mettait l’accent sur le stress physique et le fait « qu’on lui mettait la pression tous les jours » et qu’elle devait travailler avec des produits chimiques. Dans sa demande de révision, elle a fait état de problèmes médicaux. Elle a ensuite affirmé qu’elle avait été mal traitée après que sa sœur eut déposé une plainte pour harcèlement et qu’elle avait peur d’être harcelée elle aussi.

[38] Cela ne signifie pas qu’il n’a pas été permis à l’appelante de fournir d’autres raisons avant et pendant la tenue de l’audience ou que ses diverses déclarations étaient contradictoires. Toutefois, le Tribunal se demande pourquoi elle n’a pas fait mention dès le départ d’une raison à laquelle elle a ensuite accordé un poids important : sa crainte de devenir elle aussi une victime de harcèlement sexuel au travail, qui est l’une des circonstances non exhaustives lorsqu’il s’agit de déterminer si une justification existe, comme l’énonce l’alinéa 29c)(i) de la Loi.

[39] Le Tribunal ne croit pas que cette circonstance s’applique en l’espèce puisque l’appelante n’a jamais affirmé avoir subi du harcèlement et que la plainte de sa sœur n’est pas présentée au Tribunal. Tout ce que les éléments de preuve démontrent, c’est qu’une enquête a eu lieu – ce que l’appelante ne conteste pas –, laquelle indique que l’entreprise a pris ces questions au sérieux et ferait respecter ses politiques.

[40] Le Tribunal fait remarquer que l’appelante n’a pas attendu de voir comment la situation évoluerait après l’enquête, ce qui aurait été une solution raisonnable au lieu de quitter immédiatement son emploi. Il est possible que l’hostilité qu’elle percevait ait fini par s’atténuer et que sa crainte d’être victime de harcèlement à un moment ou à un autre ait fini par se dissiper. Après tout, elle a déclaré que c’était la première fois en dix ans qu’elle était traitée ainsi (GD3-28). Il n’y a donc aucune forme de harcèlement sur laquelle elle pouvait fonder à juste titre ses craintes.

[41] Au lieu d’attendre, selon les dires de l’employeuse, la sœur de l’appelante a appelé juste avant le quart de travail à la date à laquelle elle devait retourner au travail pour préciser que ni l’une ni l’autre n’y retourneraient (GD3-20). Dans la pièce GD3-26, l’appelante a indiqué à l’intimée que « les deux sœurs estimaient que les autres employés les regardaient de travers […] et se sentaient insultées et harcelées ». Cependant, le Tribunal est d’avis que l’appelante aurait pu retourner au travail pour voir si la situation s’améliorerait après la fin de l’enquête. Au lieu de cela, elle n’y est jamais retournée.

[42] Le Tribunal constate que l’appelante a accordé un poids considérable aux problèmes de santé comme raison de son départ, les blâmant grandement dans sa prétention selon laquelle elle « devait travailler avec des produits chimiques ». Il s’agit d’une accusation que réfute catégoriquement son employeuse et pour laquelle il n’existe aucun élément de preuve au dossier. Les deux parties conviennent que son travail consistait à assembler des filtres de piscines. Ce qui est contesté, c’est la question de savoir s’il y avait des odeurs tenaces émanant de ces produits à des niveaux dont on pourrait dire qu’il causent des « conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité » aux termes de l’alinéa 29c)(iv) de la Loi.

[43] Le Tribunal juge que le témoignage que l’appelante a présenté à l’audience était incohérent quant à ce qui la dérangeait précisément, ce qui laisse des questions importantes sans réponse. Était‑ce l’odeur générale à son lieu de travail du fait qu’il s’agissait d’une installation qui fabriquait des produits pour piscines? Y avait‑il une « petite » odeur émanant du centre du filtre ou y avait‑il une « très forte odeur »? L’odeur était‑elle dangereuse?

[44] L’intimée a fait valoir que l’appelante aurait pu communiquer avec le ministère du Travail ou le ministère de la Santé pour déposer une plainte, mais le Tribunal note qu’une personne n’est pas tenue d’informer les autorités provinciales avant de quitter son emploi pour être fondée à le faire. Toutefois, en l’absence d’information qu’une telle plainte aurait pu révéler, le Tribunal ne peut pas se fier uniquement au témoignage de l’appelante sur ses problèmes de santé et sur la preuve médicale qu’elle a soumise pour étayer sa prétention selon laquelle ces problèmes étaient causés directement par un environnement de travail malsain.

[45] Sur ce plan-là aussi, le Tribunal a constaté des incohérences dans ses diverses observations, ce qui laisse une question importante sans réponse : Se sentait‑elle malade depuis quelques mois, « peut‑être un an », deux ou trois ans ou avait‑elle des problèmes de santé liés au travail depuis des années?

[46] Le Tribunal estime que la note du médecin, que l’appelante a présentée presque un mois après avoir quitté son emploi, ne répond pas à cette question, puisqu’elle semble répéter uniquement ce que l’appelante lui avait dit. La note ne fait mention d’aucune visite précédente relativement aux préoccupations de l’appelante et n’indique pas non plus qu’il lui ait conseillé, à quelque moment que ce soit, de quitter son emploi. L’appelante a dit elle‑même à l’intimée qu’elle n’avait jamais discuté de la question du départ avec son médecin. La dernière observation du médecin, « elle avait donc décidé de quitter son emploi pour recouvrer la santé », ne constitue pas une recommandation sur le départ, même rétroactivement.

[47] Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que le danger pour sa santé était tel que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Le Tribunal en est venu à cette conclusion puisqu’aucune preuve objective ne démontre que les conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé (Procureur général du Canada v. Caron, 2003 CAF 254; Sa Majesté la Reine c. Dietrich A‑640-93).

[48] De même, le Tribunal ne peut accorder que peu de poids aux affirmations de l’appelante voulant qu’elle se soit plainte à plusieurs reprises à la collectivité de la « santé et de la sécurité » au travail étant donné qu’elle n’a fourni aucun élément de preuve pour étayer cette prétention, qui est par ailleurs une allégation que dément catégoriquement l’employeuse. Le Tribunal accorde plus de poids au démenti de l’employeuse qu’à l’allégation de l’appelante puisque la fiabilité de son témoignage est remise en question par l’incohérence suivante : dans sa demande, elle a déclaré qu’elle s’était entretenue avec son superviseur et la gestionnaire des ressources humaines avant de partir, mais a ensuite dit à l’intimée qu’elle n’avait consulté personne en ce qui concerne ses problèmes (GD3-26), une affirmation qu’elle a répétée à l’audience.

[49] Le Tribunal fait remarquer que l’appelante avait l’obligation de vérifier sa prémisse selon laquelle il ne servait à rien de se plaindre à la direction parce que personne ne s’en soucierait. D’après la jurisprudence, elle était tenue de discuter d’abord de ses préoccupations avec l’employeuse, ce qui constitue une solution raisonnable au fait de quitter son emploi (Procureur général du Canada c. Hernandez, 2007 CAF 320). Au lieu de cela, elle a confirmé qu’elle avait quitté son emploi sans faire cette démarche. En réalité, elle n’a même pas communiqué avec l’employeuse pour annoncer qu’elle partait, laissant plutôt à sa sœur le soin de le faire par téléphone.

[50] Le Tribunal fait également remarquer l’incohérence entre sa déclaration à l’intimée, selon laquelle elle avait diligemment cherché un autre emploi avant de quitter celui qu’elle occupait – ce qu’elle a répété à l’audience, mais elle s’est par la suite rétractée – et sa déclaration antérieure figurant dans sa demande voulant qu’elle n’ait pas cherché un autre emploi parce qu’elle était malade et devait rester chez elle. Le Tribunal juge plus probable sa déclaration finale sur cette question à l’audience : elle a commencé sa recherche d’emploi le « lendemain » de son départ. Cela amène le Tribunal à conclure que si elle a effectivement déployé des efforts, ceux‑ci étaient uniquement très légers.

[51] Après avoir examiné toutes les circonstances, le Tribunal n’est pas convaincu que les conditions de travail de l’appelante étaient intolérables au point où son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Le Tribunal fait observer que la jurisprudence a confirmé le critère de « la seule solution raisonnable » à de nombreuses occasions (Procureur général du Canada c. Graham, 2011 CAF 311; Procureur général du Canada c. Murugaiah, 2008 CAF 10). Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelante aurait pu conserver son emploi jusqu’à ce qu’elle en trouve un nouveau, ce qui est considéré comme étant une solution raisonnable au fait de quitter son emploi (Murugaiah, supra; Procureur général du Canada c. Campeau, 2006 CAF 376).

[52] En conclusion, selon les éléments de preuve versés au dossier et les observations des deux parties, le Tribunal accepte la position de l’intimée selon laquelle l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi au sens des articles 29 et 30 de la Loi.

Conclusion

[53] L’appel est rejeté.

Annexe

Droit applicable

29 Pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus : 
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
    2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci‑après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

(3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.

(4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.

(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

(6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.

(7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.

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