Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

L’appelante - Uni-Tech Windows Mfrs. Inc. (employeur)

Le mis en cause – R. G. (employé)

L’avocate de l’employé, Mary Ellen McIntyre (représentante), accompagnée de son stagiaire en droit

Un interprète espagnol

Introduction

[1] L’employeur interjette appel de la décision de l’intimée — à la suite de sa demande de révision en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) — de maintenir sa décision d’origine selon laquelle l’employé n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite, et que par conséquent, il n’était pas exclu du bénéfice de prestations, conformément à l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[2] L’employé a présenté une demande de prestations le 5 juillet 2016, et l’intimée a conclu qu’il n’était pas exclu du bénéfice des prestations. L’employeur a demandé la révision de sa décision, soutenant que l’employé devrait être exclu puisqu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Le 13 octobre 2016, la décision d’origine a été maintenue. L’employeur a interjeté appel auprès du Tribunal le 18 octobre 2016.

[3] L’audience a été tenue en personne pour les raisons suivantes :

  1. la complexité de la question en litige;
  2. le fait que la crédibilité puisse être une question déterminante;
  3. le fait que plus d’une partie allait comparaître à l’audience;
  4. l’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires;
  5. le mode d’audience respecte les dispositions du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale voulant que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[4] Au cours de l’audience, les deux parties ont souhaité fournir au Tribunal des éléments supplémentaires : une observation écrite de la part de l’employé et de la preuve présentée sur vidéo de la part de l’employeur. Chacune des parties avait sept jours pour fournir leurs éléments, ainsi que 30 jours pour répondre à tout élément supplémentaire fourni par l’autre partie. Le 8 mai 2017, l’observation de l’employé a été reçue par le Tribunal. L’employeur n’a pas envoyé la preuve sur vidéo et il n’a pas répondu à l’observation de l’employé.

Question en litige

[5] La question en litige est à savoir si l’employé avait perdu son emploi en raison de son inconduite, et devrait par conséquent être sujet à une exclusion en application de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

Preuve

[6] L’employé a perdu son emploi le 24 juin 2016, après avoir travaillé au sein de l’entreprise pendant plus de cinq ans, et il a présenté une demande de prestations le 5 juillet 2016 (GD3-3 à GD3-14). Une période de prestations débutant le 26 juin 2016 a été établie à son profit.

[7] L’employé a décrit l’incident qui a mené à la perte de son emploi comme étant un petit différend avec un collègue qui l’a mené à [traduction] « lancer une radio au sol ».  Il a mentionné dans sa demande de prestations qu’il aurait aimé reprendre cet emploi, mais qu’il avait été congédié (GD3-7 à GD3-8).

[8] L’intimée a essayé de communiquer avec l’employeur, elle a laissé des messages dans sa boîte vocale le 5 août 2016 et le 8 août 2016, mais elle n’a reçu aucune réponse. Le 10 août 2016, l’intimée a rendu sa décision selon laquelle l’employé n’était pas exclu du bénéfice de prestations (GD3-18).

[9] La demande de révision de cette décision de l’employeur a été reçue par l’intimée le 12 septembre 2016 (GD3-19 à GD3-20). Il n’y avait aucun motif sur la demande de révision expliquant pourquoi l’employeur n’était pas d’accord avec la décision.

[10] L’intimée a tenté de communiquer avec l’employeur à l’aide d’une lettre datée du 5 octobre 2016, par téléphone cette même journée, ainsi qu’à deux reprises le 12 octobre 2016 (GD3-22 à GD3-23). Le 13 octobre 2016, l’intimée a rendu sa décision de révision en se fondant sur l’information au dossier. L’employeur a fourni ses notes manuscrites afin de démontrer qu’il avait rappelé les 13, 14 et 17 octobre 2016 (GD7-5), c’est-à-dire après que la décision ait été rendue.

[11] Dans une lettre datée du 13 octobre 2016, l’employeur et l’employé ont été avisés de la décision découlant de la révision, laquelle maintenait la décision initiale relative à la demande de prestations (GD3-24 à GD3-27).

[12] Dans l’appel de l’employeur relativement à la décision de révision, daté du 18 octobre 2016, il a affirmé ce qui suit à GD2-3 :

[traduction]

[A]vant le départ de R. G., il ne se comportait pas bien. Il était agressif et querelleur avec ses collègues, et a continué d’être ainsi même après avoir reçu des avertissements de la gestion.

Le 24 juin 2016, à la suite d’une autre dispute enflammée avec son collègue, il a fait des commentaires condescendants et désobligeants à caractère racial et il est entré dans une colère violente [...] Il s’est emparé d’une radio, avec ses deux mains élevées au-dessus de sa tête, et il l’a fracassée sur le plancher avec toute sa force, et des morceaux de plastique éparpillés sur le plancher en plusieurs morceaux brisés, tout en criant à tue-tête [traduction] « tu vois ça, tu vois ça! ».

[I]l a fait des menaces physiques verbales à ses collègues, en pointant du doigt et en disant [traduction] « j’aurai ta peau! ».

[13] Le 21 février 2017, l’employeur a écrit à l’intimée que l’employé avait menacé de [traduction] « revenir à 17 h après le travail et d’attendre dans le stationnement » pour le collègue avec qui il s’était disputé, et qu’il [traduction] « aura sa peau et lui donnera une leçon ». L’employeur a également fait référence à la dispute comme étant [traduction] « un seul incident au cours duquel le prestataire a agi dans un moment de frustration » (GD7-2 à GD7-3).

[14] L’employeur a joint en annexe sa [traduction] « Politique en matière de santé et de sécurité »', ainsi qu’une section portant sur la [traduction] « Politique en matière de violence et de harcèlement au travail », lesquelles fournissent les définitions suivantes (GD7-5) :

[traduction]

Violence au travail : emploi ou tentative d’emploi de la force physique par une personne envers un collègue dans le lieu de travail causant ou pouvant causer une blessure. Une menace ou un comportement qui est raisonnablement interprété par un collègue comme étant une menace de force exercée pouvant causer une blessure physique.

Harcèlement au travail : tenir des propos vexatoires ou adopter une conduite vexatoire envers un collègue en milieu de travail par une personne qui sait ou qui devrait savoir que cela est importun.

[15] La politique comprend un engagement, qui figure à GD7-5, afin de s’assurer que [traduction] « tous les employés et superviseurs aient l’information et les instructions visant à aider à prévenir la violence et le harcèlement en milieu de travail ». L’appelante a également fourni des photos démontrant l’emplacement de la politique sur un tableau d’affichage (GD7-6 et GD7-7). Les photos n’étaient pas estampillées.

[16] Le 26 avril 2017, l’employeur a présenté une autre observation et y a joint une décision du ministre du Travail qui avait conclu que l’employé n’était pas admissible à une indemnité de congé annuel, à une indemnité de licenciement ou à une indemnité de départ en raison d’une [traduction] « inconduite volontaire, d’une désobéissance et d’une négligence volontaire », fondées sur les définitions se trouvant au paragraphe 1(1) de la Loi modifiant la Loi sur la santé et la sécurité au travail (violence et harcèlement au travail), 2009 (GD9-1 à GD9-5).

[17] Au cours de l’audience le 2 mai 2016, l’employeur a affirmé qu’il avait été témoin de l’incident, mais n’était pas initialement intervenu : [traduction] « J’ai été témoin de l’échange entre eux. Je ne suis pas intervenu. Je leur ai permis d’avoir un dialogue. » Il a confirmé sa description précédente de la dispute, ajoutant que l’employé a lancé la radio — laquelle était uniquement pour son usage personnelle — sur le sol avec [traduction] « toute sa force, la fracassant en mille morceaux ». L’employeur a soutenu que toutes les prises de courant étaient partagées, cinq établis pour quatre prises de courant, et aucun des travailleurs n’avaient sa propre prise.

[18] Après l’incident, l’employeur a expliqué qu’il a accompagné l’employé jusqu’à la porte, car il était [traduction] « inquiet qu’une altercation physique se produise » et il [traduction] « essayait d’empêcher de violents affronts ». Il a soutenu que l’employé avait fait des commentaires condescendants et désobligeants à caractère racial et avait menacé physiquement le collègue. Il a dit à l’employé de quitter les lieux et de ne pas revenir.

[19] L’employeur a soutenu que le lieu de travail avait toujours été harmonieux; il n’y avait jamais eu d’incident de ce genre auparavant avec cet employé.

[20] La langue utilisée en milieu de travail était l’anglais, bien que tous les employés sauf celui qui aurait prétendument été menacé par l’employé en question étaient hispanophones et parlaient l’espagnol entre eux. L’employeur a soutenu que les commentaires désobligeants et menaçants faits par l’employé ont été dits en anglais, de la façon dont l’employeur les a signalés.

[21] L’employé a décrit l’incident selon son point de vue. Il avait branché sa radio et son horloge dans la même prise électrique [traduction] « ma prise », pendant plus de quatre ans; tout le monde de sa section utilisait sa radio. Il y avait une autre prise au niveau du sol que pouvaient utiliser les travailleurs pour l’équipement de l’entreprise, mais au cours de la journée en question, son collègue avait insisté à de nombreuses reprises sur le fait de débrancher la radio afin d’utiliser la prise pour cet autre équipement.

[22] L’employé a expliqué qu’il avait demandé plus d’une fois à l’autre travailleur de ne pas faire cela, et l’employeur avait initialement semblé appuyer le fait que l’employé continuait d’utiliser la prise pour la radio. C’était lorsque le gestionnaire a dit à l’employé qu’il ne pouvait plus l’utiliser pour la radio qu’il s’est alors emporté et qui a dit ce qui suit : [traduction] « Si on ne va pas l’utiliser, aussi bien de la mettre dans les vidanges », et il l’a lancé sur le sol.

[23] Au cours de l’audience, il s’est excusé auprès de l’employeur pour avoir agi ainsi, mais il a nié catégoriquement avoir menacé physiquement le collègue ou avoir fait des commentaires au sujet de sa race, affirmant que ce qu’il avait dit était : [traduction] « Regarde ce que tu as fait parce que tu ne comprends pas comment les choses doivent être » et [traduction] « Regarde le problème que tu m’as causé ».

[24] L’employé a affirmé qu’il n’était pas au courant des politiques de l’entreprise sur le harcèlement et la violence. Il a affirmé qu’il n’avait pas beaucoup de connaissances en anglais, et que par conséquent, il ne prêtait pas attention aux documents sur le tableau d’affichage, et qu’il n’y avait jamais eu de réunion à ce sujet. Il a soutenu qu’il n’avait jamais rencontré de problèmes avec ses collègues auparavant.

[25] L’employeur a offert de soumettre un enregistrement de la bande vidéo de l’incident, si l’enregistrement est encore disponible, afin d’illustrer l’emplacement des tables de travail et des prises, ainsi que ce qui s’était passé le jour de la dispute, mais il n’a rien fourni. Par conséquent, le Tribunal a rendu sa décision sans tenir compte de ces éléments de preuve.

Observations

[26] L’employeur a présenté les observations suivantes :

  1. La gestion avait émis à l’employé des avertissements précédents pour avoir été agressif et querelleur envers ses collègues, mais en vain.
  2. Les travailleurs partageaient toutes les prises de courant dans la zone où se situait la table de travail de l’employé; on ne lui avait pas assigné une prise pour l’usage personnel de sa radio.
  3. Le jour de l’incident, l’employé a lancé la radio [traduction] « avec toute sa force » au sol, [traduction] « la fracassant en mille morceaux ». Ses gestes étaient [traduction] « complètement délibérés, insouciants et volontaires, sans motif valable ».
  4. L’employé a fait des commentaires [traduction] « condescendants » et [traduction] « à caractère racial », menaçant qu’ [traduction] « il allait lui donner une leçon » et qu’il serait de retour après 17 h pour attendre d’ [traduction] « avoir sa peau » dans le stationnement.
  5. Le milieu de travail avait toujours été harmonieux; il n’y avait jamais eu d’incident auparavant.

[27] L’intimée a présenté les observations suivantes :

  1. L’employeur n’a soumis aucun élément de preuve appuyant le fait qu’il aurait émis des avertissements précédents è l’employé pour avoir été agressif ou querelleur.
  2. L’employeur n’a pas fourni de preuve permettant de démontrer qu’il y avait une politique ou une pratique en place relativement à la conduite hostile ou irrespectueuse.
  3. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui du fait que l’employé avait menacé l’autre travailleur.
  4. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui du fait que l’employé avait été l’instigateur du conflit.
  5. Les principes énoncés dans la décision CUB 76919 devraient s’appliquer à cet appel : l’employé n’aurait pas pu avoir anticipé le fait que ses gestes mèneraient à son congédiement.
  6. L’intimée est uniquement [traduction] « régi par l’application de la Loi sur l’assurance-emploi et son Règlement, et elle n’est pas liée par les décisions rendues par le ministère du Travail » (GD12-1).

Analyse

[28] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe de cette décision.

[29] Aux termes du paragraphe 30(1) de la Loi sur l’AE, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il « perd un emploi en raison de son inconduite ». La Loi sur l’AE ne définit pas une « inconduite », et ce terme n’est pas non plus défini comme tel dans la jurisprudence, alors la détermination porte surtout sur les circonstances de chaque cas (Procureur général du Canada c. Bedell, A-1716-83).

[30] Selon la jurisprudence, la notion juridique d’inconduite englobe les gestes qui sont délibérés, c’est-à-dire, qui sont « conscients, voulus ou intentionnels » (Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36; Tucker c. Procureur général du Canada, A-381-85).

[31] Il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte de son emploi (Procureur général du Canada c. Cartier, 2001 CAF 274; Procureur général du Canada c. Nolet, A-517-91). Le prestataire doit savoir ou aurait dû savoir que sa conduite entrainerait un congédiement (Locke c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 262; Procureur général du Canada c. Langlois, A-94-95).

[32] Il incombe à l’employeur (en l’espèce, l’appelante), selon la prépondérance des probabilités, d’établir que la perte de l’emploi de l’employé était attribuable à son inconduite (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Bartone, A-369-88). Le fait qu’un employeur estime qu’un comportement mérite un congédiement ne satisfait pas au fardeau de la preuve nécessaire afin d’établir que cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’AE (Choinière c. Commission de l’assurance-emploi du Canada et Sous-procureur général du Canada, A-471-95; Fakhari c. Procureur général du Canada, A-732-95).

[33] Il s’agirait d’une erreur de la part du Tribunal de déterminer si le congédiement de l’employé était justifié ou si son comportement constituait un motif valable de congédiement. Son seul rôle est de déterminer si son comportement représentait une inconduite au sens de la Loi sur l’AE (Procureur général du Canada c. Marion, 2002 CAF 185; Langlois, ci-dessus).

[34] Le Tribunal est conscient du fait qu’une conclusion selon laquelle il y a eu une inconduite en vertu de la Loi sur l’AE comporte de graves conséquences pour l’employé — la perte de ses prestations déjà accordées, et un trop-payé considérable — et que les décisions de cette nature peuvent seulement être prises en se fondant sur des éléments de preuve clairs et pas seulement selon l’avis de l’employeur (Crichlow c. Procureur général du Canada, A- 562-97).

[35] Essentiellement, il y a deux versions de ce qui s’est passé au cours de la dernière journée de travail de l’employé : la preuve fournie par l’employeur, et celle fournie par l’employé. L’une ou l’autre des versions pourrait être un compte-rendu raisonnable de ce qui s’est passé du point de vue de chacune des parties. Le Tribunal note qu’aucune des parties n’a convoqué de témoins. Alors, bien que l’employeur ait dit qu’il y avait plusieurs témoins à l’appui de sa position — y compris le travailleur qui avait prétendument été menacé par l’employé en question — aucun d’entre eux ne s’est présenté et aucun d’entre eux n’a fourni de témoignage au moyen d’un affidavit. Le Tribunal doit se fonder uniquement sur les parties elles-mêmes.

[36] Par conséquent, le conflit entre leurs points de vue divergents peut seulement être résolu en accordant davantage d’importance à la preuve la plus pertinente et fiable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[37] Le Tribunal note que certains faits ne sont pas contestés : une altercation a eu lieu entre l’employé et le collègue, et après que le gestionnaire soit intervenu en faveur de l’autre employé, l’employé en l’espèce a lancé sa radio au sol, où elle a éclaté. Cependant, en l’espèce, les versions des faits des parties divergent.

[38] L’employé a avoué avoir lancé sa radio dans un accès de colère et de frustration, mais il a soutenu qu’il n’a jamais menacé l’autre travailleur ou fait des commentaires désobligeants à son égard, comme l’a soutenu l’employeur. C’était sa propre radio, même si tout le monde l’écoutait, et la briser n’a causé du tort à personne ni à la propriété de l’entreprise. Par ailleurs, l’employeur a vu ses actions comme étant une menace de violence physique contre l’autre travailleur.

[39] Il y a d’autres questions en litige. L’employeur a d’abord soutenu que l’employé avait des antécédents de comportements agressifs et querelleurs et qu’il avait reçu plusieurs avertissements, alors que l’employé soutenait qu’il n’avait jamais eu de problèmes avec ses collègues depuis plus de cinq ans, c’est-à-dire depuis qu’il a commencé à travailler là-bas. L’employeur a soutenu que les politiques pertinentes relativement à la violence et au harcèlement avaient été affichées de manière appropriée, alors que l’employé a soutenu qu’il n’aurait jamais remarqué de telles affiches en raison de ses connaissances limitées en anglais.

[40] Le Tribunal estime que ces faits contestés ne peuvent pas être établis, selon la prépondérance des probabilités, à partir des éléments de preuve dont il est saisi. Il incombe à l’employeur de démontrer qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve permettant de prouver que les gestes de l’employé constituent une « inconduite » au sens de la Loi sur l’AE. Cependant, le Tribunal a identifié une contradiction fondamentale dans la preuve, ce qui a jeté le doute sur sa fiabilité générale.

[41] Cette contradiction porte sur les antécédents de comportements agressifs et querelleurs décrits précédemment par l’employeur, lesquels ont persisté, selon ses dires au cours de l’appel, [traduction] « même après avoir reçu des avertissements de la gestion ». En revanche, l’employé a soutenu qu’il n’avait jamais rencontré de difficultés avec ses collègues; sa version des faits semble être corroborée par une déclaration de l’employeur dans le cadre d’une observation subséquente dans laquelle il a décrit la dispute comme étant [traduction] « un seul incident au cours duquel le prestataire a agi dans un moment de frustration ». Aussi, au cours de l’audience, l’employeur a soutenu que le milieu de travail avait toujours été harmonieux, sans incident précédent. Ce témoignage contredit sa propre preuve négative présentée auparavant au sujet des antécédents professionnels de l’employé.

[42] Le Tribunal note que l’employeur avait également affirmé, dans son avis d’appel au Tribunal, que la dispute avait eu lieu [traduction] « à la suite d’une autre dispute enflammée avec son collègue ». Et pourtant, il a affirmé au cours de l’audience qu’il avait été témoin de l’échange entre les deux employés, mais qu’il n’est pas intervenu. « Je leur ai permis d’avoir un dialogue. » Le Tribunal estime qu’il est plus probable qu’improbable que si la dispute avait bel et bien été « enflammée », l’employeur serait intervenu plus tôt.

[43] L’employeur a également expliqué qu’après la dispute, il avait accompagné l’employé jusqu’à la porte, car il était [traduction] « inquiet qu’une altercation physique se produise » et il [traduction] « essayait d’empêcher de violents affronts ». Par conséquent, son a établi que l’employé n’avait eu recours à aucune [traduction] « force physique » contre l’autre travailleur au sens de la définition de « violence » établie dans la politique de l’entreprise. L’employeur a répété à plusieurs reprises que l’employé avait fracassé la radio sur le plancher (comme l’a confirmé l’employé), mais il a soutenu qu’elle avait été lancée vers l’autre travailleur ou que l’employé avait menacé de le faire.

[44] En l’absence de preuve à l’appui d’avertissements précédents, l’employeur n’a également pas démontré qu’il y avait des antécédents de harcèlements qui ont mené à la dispute, comme il l’avait initialement affirmé, même selon la définition prévue par l’entreprise. Le Tribunal doit supposer que, s’il avait tenu, selon le libellé de la politique [traduction] « des propos vexatoires ou adopt[é] une conduite vexatoire », il y aurait eu des éléments de preuve à l’appui de mesures qu’aurait prises l’employeur afin de gérer cela, comme des avertissements oraux ou écrits.

[45] Puisque les déclarations de l’employeur au sujet du comportement antérieur de l’employé étaient contradictoires, le Tribunal ne peut pas considérer ses éléments de preuve crédibles relativement à cette question. Compte tenu de cette conclusion relative à la crédibilité, le Tribunal accorde également moins d’importance à la preuve de l’employeur au sujet des commentaires désobligeants et aux menaces de recours à la violence. Le Tribunal accepte que, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un échange de propos durs entre l’employé en question et son collègue — l’employé a avoué qu’il réprimandé haut et fort pour lui avoir fait perdre son emploi — mais le Tribunal ne peut pas déterminer quels étaient ses propos en se fondant seulement sur la preuve de l’employeur et sur aucune autre source impartiale.

[46] De plus, le Tribunal est d’accord avec l’intimée sur le fait qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer qui avait provoqué le conflit. L’employé a affirmé qu’il utilisait la même prise pour sa radio depuis quatre ans. L’employeur n’a pas contesté cela, décrivant cela comme étant un privilège accordé à l’employé. La décision du gestionnaire qui était en fait de lui enlever ce privilège à la suite du premier conflit entre l’employeur en question et son collègue pouvait très bien être fondée puisque, selon le témoignage de l’employeur, la prise en question n’était pas pour l’usage exclusif d’un seul employé. Cependant, le changement était, de toute évidence, soudain et aurait pu être interprété par l’employé en question comme étant une atteinte à son espace de travail. Par conséquent, l’employeur n’a pas prouvé son affirmation selon laquelle les gestions de l’employé étaient [traductions] « délibérés [...] sans motif valable ».

[47] Le Tribunal accepte la preuve photographique fournie par l’employeur afin de démontrer que les politiques de l’entreprise étaient affichées sur le tableau d’affichage, tout en tenant compte du fait que les photos n’étaient pas estampillées afin de prouver de manière définitive qu’elles étaient affichées au moment où l’employé travaillait encore pour l’entreprise. Cependant, il a également jugé raisonnable l’observation de l’employé selon laquelle puisqu’il avait peu de connaissance en anglais, il n’aurait pas remarqué les affiches en anglais. Il a également soutenu qu’il n’y a eu aucune réunion afin de mettre l’accent sur ces politiques, un fait que l’employeur n’a pas réfuté.

[48] Puisque la politique de l’entreprise exige que [traduction] « tous les employés et superviseurs aient l’information et les instructions visant à aider à prévenir la violence et le harcèlement en milieu de travail », sur cette question également, l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que l’employé était (ou aurait dû être) au courant du fait que ses actions lui feraient perdre son emploi. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, l’employé était conscient du fait que ses gestes mèneraient à son congédiement (Locke, ci-dessus), une prise de conscience qui est nécessaire pour satisfaire au critère juridique relatif à une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

[49] En résumé, bien que je n’approuve pas du tout les gestes posés par l’employé, le Tribunal a accordé moins de poids au témoignage de l’employeur pour les motifs qui suivent. Premièrement, il y a la question relative à l’allégation de l’employeur selon laquelle l’employé avait des antécédents de comportements agressifs et était l’instigateur d’arguments « enflammés ». Comme cela a été susmentionné, le Tribunal estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve afin de prouver cette affirmation.

[50] Deuxièmement, bien que l’employeur ait affirmé dans la preuve qu’il a fournie au Tribunal dans le cadre de son appel que la radio, une fois lancée an sol, avait été fracassée en [traduction] « plusieurs morceaux brisés », cette affirmation a pris de l’ampleur d’ici la date de l’audience : la radio avant été fracassée [traduction] « en mille morceaux ». Ce type d’exagération mène le Tribunal à accorder moins de poids à la version des faits de l’incident de l’employeur, laquelle version a été donnée, après tout, plus de 10 moins après la dispute (quoique très troublante) qu’il avait caractérisée comme étant [traduction] « un seul incident au cours duquel le prestataire a agi dans un moment de frustration ».

[51] Pour en arriver à sa décision, le Tribunal est conscient du principe selon lequel son unique rôle dans cet appel est de tirer une conclusion relativement à la question de savoir si le comportement de l’employé constitue une « inconduite » en vertu de la Loi sur l’AE, de la manière que cela est constamment interprété dans la jurisprudence. Le Tribunal a également accordé un poids important à l’observation de l’intimée selon laquelle il n’est pas lié par les décisions rendues par le ministère du Travail, seulement par sa propre loi habilitante. Cette loi est donc le seul critère permettant de se prononcer sur le bien-fondé de l’affaire.

[52] Conformément à ce principe, et après avoir examiné la preuve et les observations des deux parties, le Tribunal conclu que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que l’employé a perdu son emploi en raison de son inconduite au sens de la Loi sur l’AE. Conformément au critère juridique prévu précédemment, il n’y a pas eu d’inconduite, car le comportement de l’employé constituait un incident isolé; il n’était pas délibéré, c’est-à-dire qu’il n’était pas conscient, voulu ou intentionnel. De plus, il n’a pas été prouvé qu’il savait, ou qu’il aurait dû savoir, que cela mènerait à son congédiement.

[53] Par conséquent, le Tribunal estime que l’intimée a agi de manière appropriée en n’imposant pas d’exclusion à l’employé en question.

Conclusion

[54] L’appel est rejeté.

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi
  1. 29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
    1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
    2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
    3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
      1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
      2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
      3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
    4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
      1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
      2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
      3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
      4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
      5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
      6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
      7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
      8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
      9. (ix) modification importante des fonctions,
      10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
      11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
      12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
      13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
      14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
  2. 30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
    1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
    2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
  3. (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
  4. (3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.
  5. (4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.
  6. (5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.
    1. a) les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire;
    2. b) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
  7. (6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
  8. (7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.
Règlement sur l’assurance-emploi
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.