Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision datée du 20 janvier 2017 de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) est annulée, et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 20 janvier 2017, la division générale du Tribunal a statué que l’intimé avait été fondé à quitter volontairement son emploi en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel le 10 février 2017. La permission d’en appeler a été accordée le 16 février 2017.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la question en litige;
  • l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  • l’information au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires;
  • l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] Lors de l’audience, Elena Kitova représentait l’appelante. L’intimé a également participé à l’audience, accompagné par Hilary Eastmure.

Droit applicable

[6] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) prévoit que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur en concluant que l’intimé avait été fondé à quitter son emploi conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.

Observations

[8] L’appelante présente les arguments suivants au soutien de son appel :

  • Le bon critère juridique relatif à la justification et à la question qui devait être résolue était de savoir si l’intimé, compte tenu de toutes les circonstances, disposait d’autres solutions raisonnables à celle de quitter immédiatement son emploi.
  • Les faits de cette affaire ne sont pas contestés, et l’appelante reconnaît que l’intimé peut avoir été frustré par les pratiques commerciales et par la culture organisationnelle de l’employeur. Toutefois, l’employeur a le droit d’appliquer ces politiques et de prendre ces décisions relativement aux personnes qui reçoivent un certain accès. L’intimé devait, ou accepter la situation, ou trouver un autre emploi s’il était inconfortable.
  • L’intimé aurait pu prendre un congé de maladie pour réduire le stress, ou il aurait pu demander d’être nommé dans un poste différent, ou transféré dans une autre succursale. Il a plutôt [traduction] « continué de se battre et espérer changer les choses », mais il a finalement quitté l’emploi.
  • La division générale a erré en jugeant que la seule solution raisonnable pour l’intimé était de quitter son emploi.
  • L’intimé a avoué, bien qu’il ne s’agissait pas d’un problème important et qu’il pouvait tout de même poursuivre son travail, qu’il trouvait gênant d’avoir à composer avec le mécontentement des gestionnaires. De plus, il a déclaré qu’au moment où il a abandonné l’emploi, il ne désirait pas démissionner, mais il espérait plutôt que l’employeur lui demande de revenir. Ces déclarations démontrent que les conditions de travail de l’intimé n’étaient pas si précaires qu’il le mentionnait pendant l’audience.
  • La division générale a omis de tenir compte de ces déclarations et a ignoré le fait que la jurisprudence a constamment établi, sauf pour les cas où l’employé peut démontrer que les conditions sont telles qu’il n’existe aucune autre solution à celle de quitter l’emploi, que celui qui quitte son emploi en raison d’une certaine insatisfaction par rapport aux conditions de travail n’a pas réussi à établir justification.
  • La division générale a ignoré les exigences établies dans la jurisprudence pour la preuve d’une justification dans le cas d’un départ pour des raisons médicales : le prestataire doit présenter une preuve médicale, de même qu’une preuve d’avoir tenté de s’entendre avec l’employeur dans le but de composer avec ses problèmes de santé et d’avoir cherché un autre d’emploi. En l’espèce, l’intimé n’a pas présenté une preuve médicale faisant montre qu’il devait quitter l’emploi; il a choisi de ne pas prendre un congé pour réduire le stresse comme l’avait recommandé son médecin, et il n’a pas cherché un emploi avant de partir. Compte tenu de ce qui précède, la division générale n’aurait pas pu raisonnablement conclure que l’intimé avait quitté son emploi avec justification au sens de la Loi.
  • La Cour d’appel fédérale a affirmé que la recherche d’un emploi avant de partir est la solution raisonnable la plus évidente.
  • Si la division générale avait appliqué le bon critère juridique relatif à la justification qui est prévu à l’alinéa 29c) de la Loi, elle aurait conclu que l’intimé ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que la seule solution raisonnable était celle de quitter son emploi.

[9] L’intimé présente les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • Il a cherché des alternatives dans son milieu de travail, en vain.
  • L’appelante ne tient pas compte du fait que les responsabilités du détenteur de clés faisaient partie de la description du poste de l’intimé. Autrement, si elles allaient à l’encontre de la politique de l’entreprise/du magasin, elles n’auraient pas fait partie de ses responsabilités. L’appelante a aussi ignoré le fait que la documentation provenant de l’intimé pour les articles de grande valeur n’était pas signée, ce qui figurait dans les politiques de l’entreprise.
  • Il a évidemment senti que son employeur voulait le voir partir ou le mettre dans des situations où sa crédibilité serait remise en cause, et là, l’employeur profiterait de l’occasion pour le congédier.
  • Son intention pendant toute cette épreuve était de faire ce qu’il fallait pour trouver de meilleures résolutions dans son milieu de travail.
  • La simple raison qu’il a accepté la situation comme on lui a dit de le faire par rapport à la porte arrière n’efface pas le fait que son problème s’est aggravé. Ce problème était constant et il le gérait à l’amiable, et comme personne d’autre ne l’aurait fait, il a fait tout ce qu’il fallait pour protéger son emploi, mais malheureusement, sa situation ne s’est jamais améliorée.
  • Les choses ont empiré après qu’il ait informé son gestionnaire régional de ce qu’il vivait, et la relation avec son gestionnaire principal n’en est devenue que plus amère.
  • L’appelante ne peut pas prédire le dénouement du problème si une option s’était présentée à lui, mais il n’était clairement pas dans une position pour retourner dans le même environnement toxique.
  • Il n’avait pas planifié quitter son emploi, il cherchait plutôt des options pour améliorer son environnement de travail et éliminer les difficultés qu’il éprouvait.
  • Il est demeuré loyal dans son travail, et jusqu’à la fin, il a laissé son employeur avec des options à lui présenter, mais il était clair que l’employeur ne voulait pas les lui présenter, car il a choisi de ne rien faire quant à ses inquiétudes.

Norme de contrôle

[10] L’appelante soutient que la division d’appel ne doit faire preuve d’aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, pour les questions mixtes de fait et de droit et pour les questions de fait, la division d’appel doit faire preuve de déférence envers la division générale. Elle ne peut intervenir que si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance — Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[11] L’intimé n’a présenté aucune observation quant à la norme de contrôle applicable.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale affirme, au paragraphe 19 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, que « [l]orsqu’elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la [d]ivision générale du Tribunal de la sécurité sociale, la [d]ivision d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[13] La Cour d’appel fédérale a ensuite déclaré ce qui suit :

Non seulement la [d]ivision d’appel a-t-elle autant d’expertise que la [d]ivision générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale […].

[14] La Cour a conclu que, « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la [d]ivision d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Jean,a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[16] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[17] La question en litige devant la division générale était de savoir si l’intimé avait quitté volontairement son emploi sans justification conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.

[18] D’après les renseignements au dossier, l’appelante avait conclu que l’intimé ne pouvait pas bénéficier de prestations parce qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Le 20 janvier 2017, la division générale a accueilli l’appel formulé par l’intimé au motif que ses conditions de travail étaient telles qu’elles ont éventuellement eu une incidence sur sa santé.

[19] Les faits en l’espèce ne sont pas contestés. L’intimé assumait un ensemble de responsabilités en tant que receveur de magasin, et il lui était difficile d’accomplir ses tâches puisque son gestionnaire avait refusé de lui remettre le code de l’alarme de la porte de service, et parce que ses gestionnaires et ses collègues se souciaient peu de réunir les documents requis et de suivre la procédure. Il se sentait discriminé et parfois menacé. Il sentait que l’entreprise ne lui faisait pas confiance même si l’employeur avait essayé de le réassurer. Il a mentionné ses préoccupations à l’équipe des ressources humaines, mais son gestionnaire principal et son superviseur n’ont pas été approchés. Il a affirmé qu’on l’a identifié comme une personne agressive parce qu’il a choisi de s’exprimer, et il avait peur d’aller travailler, ce qui influençait sa santé et sa qualité de production. L’intimé sentait que l’entreprise cherchait une excuse pour se débarrasser de lui. Il a quitté son emploi deux semaines après avoir reçu de son médecin un congé pour réduire le stress. Il n’a pas demandé un congé de maladie à son employeur avant de partir. De plus, il n’a pas cherché un autre emploi avant de partir parce qu’il voulait régler la situation et conserver son emploi.

[20] Pour déterminer qu’une personne était fondée à quitter volontairement son emploi dépend de l’absence d’une autre solution raisonnable que celle de quitter l’emploi, compte tenu de toutes les circonstances, incluant les multiples circonstances spécifiques énumérées à l’article 29 de la Loi. Le fardeau de la preuve pour établir la justification repose sur l’intimé.

[21] Même si la division générale a correctement énoncé le critère juridique applicable, le Tribunal estime qu’elle ne l’a pas appliqué aux faits de l’affaire et qu’elle n’a pas cherché à savoir si le départ de l’intimé, compte tenu de toutes les circonstances, avait été la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, le critère n’a pas été appliqué ou interprété de façon adéquate.

[22] Il est donc justifié que le Tribunal intervienne et qu’il rende la décision que la division générale aurait dû rendre.

[23] Peu importe les nombreuses circonstances décrites à l’alinéa 29c) de la Loi, qui sont des justifications à un départ volontaire, la question fondamentale demeure la même : le départ de l’intimé constituait-il la seule solution raisonnable dans son cas?

[24] L’appelant [sic] avait travaillé pour l’employeur du 1er décembre 2014 au 25 février 2016, moment où il est parti. La preuve fait montre que les conditions de travail qui ont mené l’intimé à quitter son emploi existaient depuis le début de son embauche, et qu’il [traduction] « n’en a pas vraiment tenu compte à ce moment ». La preuve démontre clairement qu’il n’appréciait pas ses conditions de travail depuis un certain temps, voire même pour toute la période d’emploi. Il a décidé de quitter son emploi le 25 février 2016, après avoir cherché sans succès un document pour l’achat d’un client et qu’on lui ait dit de ne pas s’en faire et de s’occuper de ses affaires.

[25] Le Tribunal est sans aucun doute d’accord avec les conclusions de la division générale concernant la frustration que pouvait ressentir l’appelant par rapport aux pratiques commerciales de l’employeur, et à la négligence apparente de suivre ses propres politiques d’entreprise, mais juge que l’intimé aurait pu conserver son emploi plutôt que de simplement partir.

[26] En d’autres mots, le Tribunal n’est pas convaincu, d’après la preuve présentée à la division générale, que les conditions de travail de l’intimé étaient intolérables au point qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner immédiatement. Cette affirmation est particulièrement confirmée par le fait que l’appelant [sic] espérait que son employeur lui demande de revenir au travail après son départ.

[27] Le Tribunal juge que l’intimé aurait pu déployer des efforts pour trouver un autre emploi avant de partir, car il était insatisfait de ses conditions de travail depuis un long moment. En fait, il a eu recours aux services de Work BC et a entamé le processus de recherche d’emploi le jour suivant son départ.

[28] L’intimé aurait également pu, plutôt que de partir, présenter la note de son médecin et demander un congé d’invalidité à court terme auprès de l’équipe des ressources humaines. La division générale ne pouvait pas ignorer cette solution à cause d’une hypothèse que rien n’aurait changé à son retour au travail.

[29] La preuve démontre clairement que ce n’est pas l’employeur, mais bien l’intimé qui, insatisfait de ses conditions de travail, a entrepris le processus pour mettre fin à son propre emploi. Le poste aurait encore été disponible s’il avait décidé de rester.

[30] Le Tribunal conclut que, compte tenu de toutes les circonstances, l’intimé disposait d’autres solutions raisonnables à celle de quitter son emploi quand il l’a fait.

Conclusion

[31] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 20 janvier 2017 est annulée, et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

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