Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli et le dossier est renvoyé à la division générale pour que soit tenue une nouvelle audience devant un membre différent.

Introduction

[2] Le 13 janvier 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que l’appelante avait quitté son emploi sans y être fondée conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[3] L’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel le 15 février 2015, après avoir reçu communication de la décision de la division générale le 18 janvier 2017. La permission d’en appeler a été accordée le 1er mars 2017.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question en litige;
  • La crédibilité des parties ne devrait pas figurer au nombre des questions principales;
  • Les renseignements au dossier, y compris le besoin d’obtenir des renseignements supplémentaires;
  • L’exigence prévue au Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] L’appelante a participé à l’audience en compagnie de son représentant, Sukhpreet Sangha. L’intimée, représentée par Susan Prud’Homme, a aussi participé à l’audience. Un interprète, Tanvir Ahmed, a été mis à la disposition de l’appelante.

Droit applicable

[6] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur en concluant que l’intimée n’avait pas été fondée à quitter son emploi conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

Observations

[8] L’appelante présente les arguments suivants au soutien de son appel :

  • Au titre de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  • La conclusion de la division générale selon laquelle [traduction] « l’appelante n’a pas réussi à se trouver un autre emploi parce qu’elle voulait retourner aux études afin d’améliorer ses aptitudes linguistiques en anglais » (paragr. 31) est erronée et ne tient pas compte de la preuve claire qui avait été présentée à la division générale. Selon cette preuve, l’appelante voulait travailler plus qu’elle ne voulait retourner aux études, raison pour laquelle elle a quitté l’école dès qu’elle s’est fait offrir un emploi en septembre 2016.
  • La division générale a fondé sa décision sur une deuxième conclusion de fait erronée selon laquelle [traduction] « l’appelante n’a pas tenté de trouver un autre emploi avant de quitter son emploi » (paragr. 30), et ce, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  • Finalement, la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle [traduction] « n’a pas envisagé un autre emplacement » et qu’elle [traduction] « a tenu compte des répercussions du temps de plus et du trajet sur sa situation, sans tenter de déterminer si elle pourrait éventuellement trouver une façon de concilier son travail et sa situation de vie » (paragr. 35).

[9] L’intimée présente les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • La division générale a appliqué le bon critère juridique aux faits de l’espèce.
  • La question que devait résoudre la division générale était de savoir si le départ de l’appelante avait été sa seule solution raisonnable.
  • La Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel il incombe à un prestataire qui quitte volontairement son emploi de prouver qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.
  • L’exception prévue au sous-alinéa 29c)(v) de la Loi sur l’AE permettant à un prestataire de quitter volontairement son emploi vu la « nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent » s’applique uniquement lorsque le prestataire doit être présent pour prendre soin personnellement d’un membre de sa famille immédiate qui est frappé d’incapacité, et lorsqu’il n’a d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi pour pouvoir le faire.
  • La division générale a conclu que l’appelante avait eu comme solution raisonnable de communiquer avec des amis, de membres de sa famille et des organismes sociaux pour essayer d’aider sa famille avec les déplacements pour se rendre aux cliniques pour des consultations et des rendez-vous.
  • Conséquemment, la division générale a conclu que, comme l’appelante n’avait pas pu prouver qu’elle avait épuisé toutes les solutions raisonnables dont elle disposait avant de quitter son emploi, les raisons pour lesquelles elle avait quitté volontairement son emploi ne constituaient pas une justification par application du sous-alinéa 29c)(v) de la Loi sur l’AE.
  • La division générale a également conclu que l’appelante n’avait pas quitté son emploi en vertu du sous-alinéa 29c)(ix) de la Loi sur l’AE, soit pour « modification importante des fonctions », puisque ni ses fonctions, son ancienneté ou son salaire n’avaient changé depuis qu’elle travaillait depuis X, en Ontario.
  • Il est de jurisprudence constante qu’il revient au juge des faits, soit la division générale, en l’occurrence, d’évaluer la crédibilité de la preuve. La division générale n’a pas rejeté l’appel sur la base de conclusions de fait erronées.
  • La conclusion de la division générale, selon laquelle l’appelante n’avait pas démontré qu’elle avait été fondée à quitter son emploi chez Monarch Plastics Ltd. au sens de la Loi sur l’AE et était exclue du bénéfice des prestations conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE, fait partie des issues possibles, et elle était raisonnable et conforme à la Loi sur l’AE, ainsi qu’à la jurisprudence constante.
  • Il n’y a rien dans la décision de la division générale qui permette de croire qu’elle ait été partiale au détriment de l’appelante ou qu’elle n’ait pas fait preuve d’impartialité. La preuve ne révèle pas non plus qu’il y aurait eu un manquement à la justice naturelle dans cette affaire.

Norme de contrôle

[10] L’appelante n’a présenté aucune observation sur la norme de contrôle applicable.

[11] L’intimée soutient que la division d’appel ne doit aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Toutefois, pour des questions mixtes de fait et de droit et les questions de fait, la division d’appel doit faire preuve de déférence envers la division générale. Elle ne peut intervenir que si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance – Pathmanathan c. Bureau du juge-arbitre, 2015 CAF 50.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale affirme, au paragraphe 19 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, que « [l]orsqu’elle agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la [d]ivision générale du Tribunal de la sécurité sociale, la [d]ivision d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. »

[13] La Cour d’appel fédérale a ensuite déclaré ce qui suit :

Non seulement la [d]ivision d’appel a-t-elle autant d’expertise que la [d]ivision générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale […].

[14] La Cour a conclu que, « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la [d]ivision d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. »

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Jean,a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[16] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[17] La question en instance devant la division générale était de savoir si l’intimée avait quitté volontairement son emploi sans justification conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

[18] Pour savoir si un prestataire a été fondé à quitter volontairement son emploi, il faut déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de plusieurs circonstances prévues à l’article 29 de la Loi sur l’AE, le départ du prestataire était sa seule solution raisonnable. C’est à l’appelante qu’il incombe de prouver qu’elle était fondée à quitter son emploi.

[19] L’appelante soutient que, conformément à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, en concluant ce qui suit :

  • L’appelante avait choisi de poursuivre des études plutôt que de trouver un autre emploi;
  • L’appelante n’avait fait aucun effort pour trouver un emploi avant de quitter le sien;
  • L’appelante n’a pas fait de recherches et a quitté son emploi sans savoir si elle pourrait éventuellement concilier son travail et sa situation de vie.

[20] Vu les nombreux motifs d’appel invoqués, le Tribunal a écouté attentivement l’enregistrement de l’audience qui a eu lieu devant la division générale. Même si cela n’a pas été soulevé durant l’audience d’appel, le Tribunal estime que le membre de la division générale n’a pas respecté certains principes de justice naturelle.

[21] Le concept de « justice naturelle » comprend le droit du prestataire à une audience équitable. Ce droit est si fondamental qu’il ne doit même pas exister l’apparence d’une atteinte au droit du prestataire de plaider pleinement sa cause devant une division générale impartiale. La loi exige non seulement que la justice soit rendue, mais aussi qu’elle le soit de façon claire et manifeste. Il suffit de soupçonner qu’un prestataire se soit vu privé de ce droit pour ordonner que l’affaire soit renvoyée à la division générale.

[22] Le Tribunal estime que le membre de la division générale, en interrogeant le représentant de l’appelante, a semblé agir davantage comme défendeur de l’intimée plutôt que comme juge des faits impartial. De plus, en présidant l’audience comme il l’a fait, il a donné l’impression qu’il avait déjà décidé du sort de l’affaire. L’appelante n’a donc pas eu une véritable occasion de plaider sa cause.

[23] Enfin, le Tribunal juge que l’appelante aurait dû bénéficier des services d’un interprète comme elle ne comprenait pas entièrement la langue parlée durant l’audience. Il ne sert à rien de simplement laisser le représentant, qui ne connaît pas personnellement les faits de l’affaire, faire sa déclaration alors que l’appelante, qui est le témoin le plus important, ne comprend pas ce qui est dit durant l’audience.

[24] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal juge que l’appelante n’a pas bénéficié d’une audience équitable et impartiale. Le dossier sera renvoyé à la division générale pour que soit tenue une nouvelle audience devant un membre différent.

Conclusion

[25] L’appel est accueilli et le dossier est renvoyé à la division générale pour que soit tenue une nouvelle audience devant un membre différent.

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