Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Aperçu

[1] L’appelant a présenté une demande renouvelée de prestations d’assurance‑emploi le 29 septembre 2016. Par correspondance datée du 2 novembre 2016, l’intimée l’a informé qu’il était exclu du bénéfice des prestations au motif qu’il avait quitté son emploi volontairement sans y être fondé, c’est‑à‑dire sans justification. L’appelant a demandé un réexamen de cette décision et, le 15 décembre 2016, l’intimée a maintenu sa décision initiale. L’appelant a interjeté appel de la décision de réexamen devant le Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») le 28 décembre 2016.

[2] Le Tribunal doit déterminer si l’appelant est exclu du bénéfice des prestations, en l’application de l’article 30 de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »), pour avoir volontairement quitté son emploi sans y être fondé, au sens de l’article 29 de la Loi.

[3] L’audience a été tenue par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. le fait que l’appelant serait la seule partie présente à l’audience;
  2. les renseignements au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires;
  3. l’appelant demande ce mode d’audience;
  4. ce mode d’audience respecte l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale voulant que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[4] L’appelant a assisté à l’audience. Le 24 avril 2017, le Tribunal avait ajouté l’ancien employeur de l’appelant (l’« Employeur ») comme partie mise en cause, mais l’Employeur ne s’est pas présenté à l’audience.

[5] Le paragraphe 12(1) du Règlement sur le TSS stipule que, si une partie omet de se présenter à l’audience, le Tribunal peut procéder en son absence pour autant qu’il soit convaincu que cette partie a été avisée de la tenue de l’audience. Le Tribunal est convaincu que l’Employeur a reçu l’avis d’audience, puisque celui‑ci lui a été envoyé à l’adresse figurant au dossier par courrier recommandé (de Postes Canada) nécessitant une signature à la livraison. L’accusé de réception de l’avis d’appel a été signé le 25 mai 2017. Le Tribunal a donc tenu audience en l’absence de l’Employeur en application du paragraphe 12(1) du Règlement sur le TSS.

[6] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Les motifs de cette décision suivent.

Questions préliminaires

[7] L’appelant soutient que l’agente de l’intimée qui a réexaminé la décision initiale avait un préjudice contre lui et qu’il allait déposer une plainte contre elle et la faire renvoyer. Le Tribunal n’est toutefois pas saisi de cette affaire et ne l’instruira donc pas.

Preuve

[8] Le 29 septembre 2016, l’appelant a présenté une demande renouvelée de prestations d’assurance‑emploi, et une période de prestations a été établie pour prendre effet le 25 septembre 2016. (Pièces GD3‑3 à GD3‑19)

[9] Dans sa demande, l’appelant a déclaré qu’il avait quitté son emploi en raison du harcèlement dont il était victime de la part de la directrice générale, lequel s’est produit [traduction] « à deux ou trois reprises » et que [traduction] « le harcèlement a commencé en août et n’a pas cessé, » le dernier incident ayant été une conversation début septembre 2016 lors de laquelle la directrice générale l’a harcelé verbalement devant d’autres collègues. Il lui a demandé de cesser cela, puis il a communiqué avec la gestionnaire de district et les Ressources humaines (RH). Il déclare qu’on lui a alors dit que trois autres superviseurs avant lui avaient démissionné à cause de la directrice générale. Il a déclaré [traduction] « elle m’a dit un jour, au bureau, qu’elle n’aime pas congédier les gens, si bien qu’elle essaye de les pousser à démissionner. » (Pièces GD3‑10 à GD3‑11)

[10] Il a ajouté qu’il avait discuté de la situation avec son « supérieur immédiat » avant de quitter. Il ne voulait pas faire connaître ses plaintes à l’extérieur de l’entreprise car, à l’issue de sa conversation avec la gestionnaire de district, [traduction] « j’avais l’impression qu’ils allaient régler l’incident. » (Pièce GD3-12)

[11] Il a confirmé que la gestionnaire de district lui a dit qu’elle lui donnerait une recommandation favorable s’il voulait postuler un transfert n’importe où au Canada; [traduction] « Si je déménage, je vais prendre cette offre en considération. Mais en attendant, je vais chercher du travail à Calgary ou dans une autre province. » (Pièce GD3-12).

[12] Sur son relevé d’emploi (RE), il est indiqué qu’il a démissionné (pièces GD3‑20 à GD3‑21).

[13] Le 31 octobre 2016, l’appelant a dit à l’intimée que la directrice générale lui avait reproché de ne pas travailler correctement, de ne pas être professionnel et de ne pas posséder certaines capacités. Elle lui a dit de rentrer chez lui et qu’ils [traduction] « parleraient de cela plus tard. » Il a déclaré qu’il a essayé de s’adresser à la gestionnaire de district, mais qu’il n’a [traduction] « reçu aucun soutien. » (Pièce GD3‑22).

[14] Le 31 octobre 2016, l’intimée a parlé à la gestionnaire de district, qui a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve de harcèlement; la directrice générale était stricte parce que c’était son travail de communiquer ce qui devait être effectué, mais elle n’a pas crié ni insulté l’appelant. La gestionnaire de district a confirmé que le précédent titulaire du poste occupé par l’appelant avait démissionné, mais elle a indiqué que cela n’avait rien à voir avec la directrice générale, laquelle s’était elle‑même plainte de l’appelant en déclarant qu’il lui avait crié après et qu’il avait été agressif envers elle. La gestionnaire de district a déclaré que cela avait été confirmé par une gestionnaire adjointe qui ne voulait plus travailler avec l’appelant. La gestionnaire de district a soutenu que l’appelant voyait les demandes habituelles qu’un employeur fait à un employé comme du harcèlement (pièce GD3‑25).

[15] La gestionnaire de district a confirmé que l’appelant n’a pas tenté de discuter de la situation avec elle avant de démissionner, bien qu’elle était allée le voir pour cette raison; il ne voulait pas d’un transfert à un autre magasin, où il aurait pu éviter tout contact avec la directrice générale (pièce GD3‑25).

[16] Le 1er novembre 2016, l’appelant a dit à l’intimée que la directrice générale lui avait demandé d’expédier un colis à un client; lorsqu’il lui a rétorqué que c’était à elle de le faire plutôt que lui, cela l’a mise en colère. Il a expliqué qu’il n’a pas demandé de transfert car il voulait se chercher du travail dans son domaine, la programmation en TI. Il a soutenu que la gestionnaire de district ne lui a pas offert de transfert, mais il a admis qu’elle lui avait dit qu’elle pourrait l’aider à obtenir un transfert (pièce GD3‑26).

[17] Le 2 novembre 2016, il a dit à l’intimée qu’il avait été victime de harcèlement verbal de la part de la directrice générale le 5 ou le 6 septembre 2016, qu’elle avait laissé la porte ouverte pour que tout le monde puisse entendre les remarques qu’elle faisait, qu’elle lui a fait « chut! » en lui disant de se calmer et de rester tranquille et qu’il a eu le sentiment qu’elle était raciste lorsqu’elle a déclaré qu’elle ne comprenait pas ce qu’il disait parce que l’anglais n’est que sa langue seconde. Elle lui a donné davantage de tâches à exécuter pour s’assurer qu’il échouerait; elle lui a dit qu’ils devraient avoir une discussion pour savoir si l’emploi lui convenait bien, et ce, lors d’une réunion qui était prévue pour 11 h, la veille de sa démission. Elle lui a remis des feuillets à examiner sur des capacités liées à l’emploi, en lui disant qu’il ne possédait pas ces capacités (pièce GD3‑24).

[18] L’appelant a également confirmé à l’intimée qu’il n’avait pas demandé de transfert ni discuté de ses préoccupations avec la directrice générale avant d’avoir pris sa décision de démissionner.

[19] Par correspondance datée du 2 novembre 2016, l’intimée a informé l’appelant qu’elle ne lui verserait pas de prestations [traduction] « parce que vous avez quitté votre emploi volontairement » et que « le départ volontaire n’était pas votre seule solution raisonnable. » (Pièces GD3‑27 et GD3‑28)

[20] L’appelant a présenté une demande de réexamen datée du 2 novembre 2016 que l’intimée a reçue le 10 novembre 2016. Dans sa demande, l’appelant répétait qu’il avait été victime d’intimidation et de harcèlement verbal de la part de la directrice générale, laquelle était protégée par la gestionnaire de district, qui était une de ses amies proches. Il a demandé à ce que l’on communique avec une gestionnaire adjointe particulière (A.) afin qu’elle corrobore son histoire.

[21] L’appelant a inclus dans sa preuve sa lettre de démission datée du 16 septembre 2016 dans laquelle il a écrit : [traduction] « J’ai apprécié et aimé le travail que j’ai fait pour cette compagnie, mais je ne peux pas continuer à travailler dans un tel climat de travail. J’ai informé les Ressources humaines du harcèlement dont j’ai été victime sous la forme de violence verbale et psychologique. » La gestionnaire de district a signé son acceptation de sa démission le même jour (pièce GD3‑31).

[22] L’appelant a joint à sa demande le courriel qu’il avait envoyé aux RH le 14 septembre 2016, à 14 h 48, et dans lequel il demandait à ce que sa plainte reste confidentielle pour le moment et il sollicitait une conversation téléphonique au sujet de [traduction] « quoi faire et comment je peux déposer une plainte. » Il a écrit dans le courriel qu’il avait entendu la directrice générale dire qu’elle n’aimait pas congédier les gens et qu’elle essayait de les faire démissionner; lorsqu’il a demandé à ses collègues s’ils pensaient qu’elle essayait de le pousser à démissionner, ils [traduction] « étaient perplexes et ont dit qu’ils ne le savaient pas. » (Pièce GD3‑32)

[23] Dans ce courriel, il relate de nouveau la situation lors de laquelle la directrice générale lui a demandé de s’occuper de l’expédition d’un colis; lorsqu’il lui a répondu qu’elle ou quelqu’un d’autre devrait se charger de cela, cela a déclenché une dispute au cours de laquelle elle lui a dit de rentrer chez lui et de se calmer et de revenir le lendemain afin qu’ils puissent discuter de cela et que [traduction] « on puisse voir si cet emploi vous convient ». [traduction] « Je lui ai alors demandé si elle me congédiait, ce à quoi elle m’a répondu qu’elle n’avait pas dit cela. » [traduction] « Elle m’a remis des feuillets à lire au sujet de la capacité de garder son sang‑froid et de l’aptitude à écouter, en me disant que je n’étais pas qualifié à ce chapitre. » (Pièces GD3‑33 et GD3‑34).

[24] Il a réitéré sa plainte selon laquelle la directrice générale lui a assigné d’autres tâches qui [traduction] « interrompaient mes tâches à accomplir au dépôt, » avant de le blâmer ensuite pour n’avoir pas exécuté des tâches. Son travail est devenu une plus grande source de stress et [traduction] « je ne me sens pas en sécurité lorsque je suis sur le même quart de travail qu’elle. » (Pièce GD3‑32)

[25] L’imprimé du courriel comportait la réponse qu’il avait reçue le même jour, à 15 h 13, des RH pour accuser réception de sa communication et l’informer que l’on faisait suivre son courriel de façon confidentielle au directeur des RH qui était alors responsable de son dossier (pièce GD3‑32).

[26] L’employeur a fourni à l’intimée des déclarations de témoin venant d’autres membres du personnel qui avaient travaillé avec l’appelant et avaient été témoin de ses interactions avec la directrice générale et d’autres employés (pièces GD3‑36 à GD3‑38).

[27] L’un des témoins, une gestionnaire appelée S.B., a dit que [traduction] « généralement, R. Z. n’écoute aucune consigne. Il n’est pas nécessaire que cela soit négatif pour qu’il refuse d’écouter ou de signaler qu’il vous a entendu. » Elle a dit que même lorsqu’elle essayait de lui donner une rétroaction positive et constructive, il prenait cela comme une critique puis il allait se plaindre d’elle à la directrice générale. Elle a déclaré qu’elle ne voulait [traduction] « plus jamais interagir avec lui sans qu’un autre gestionnaire soit présent ». Elle a également relaté un incident qui s’est produit lors d’une réunion de marketing où la directrice générale a complimenté l’appelant et son équipe d’expédition des colis, mais il n’a pas voulu prendre acte de ce compliment et s’est contenté d’ignorer tout le monde (pièces GD3‑37 et GD3‑38).

[28] Une autre témoin, C.W., a déclaré que [traduction] « S.B. lui demandait de faire quelque chose et il faisait le contraire, ou il ne faisait rien du tout […] il restait sur la défensive, » et qu’il allait ensuite voir la directrice générale pour lui dire que S.B. le provoquait. La témoin a aussi déclaré que l’appelant s’était querellé dans un [traduction] « concours de chahut » avec une autre gestionnaire appelé A. Elle a décrit une occasion ou la directrice générale a levé le ton lorsqu’elle a semoncé l’appelant pour avoir dit quoi faire aux autres employés; la témoin a mentionné qu’elle a vu les deux [traduction] « hausser le ton en s’adressant l’un à l’autre ». Elle a ajouté dans son récit que [traduction] « c’était la première fois que j’étais présente dans une telle situation; cependant, j’avais entendu dire que la directrice générale avait déjà haussé le ton en s’adressant à lui antérieurement (pièce GD3‑36). »

[29] Le 14 décembre 2017, l’intimée a essayé par deux fois de joindre la directrice adjointe appelée A., puisque l’appelant avait indiqué qu’elle corroborerait sa version des faits, mais A. n’a répondu à aucun des deux messages laissés alors sur sa boîte vocale (pièce GD3‑39).

[30] Le 15 décembre 2017, l’intimée a parlé à l’appelant au sujet de sa demande de réexamen de la décision initiale (pièces GD3‑40 et GD3‑41). L’appelant a déclaré que la gestionnaire de district avait dit de lui qu’il était un travailleur exemplaire et qu’il avait mal compris les déclarations de la directrice générale et les avait mal interprétées. L’appelant a soutenu que la gestionnaire de district prenait la défense de son amie, la directrice générale. Il a confirmé qu’il était allé voir la directrice générale au sujet de S.B. parce qu’ils avaient des problèmes à communiquer l’un avec l’autre, mais il a affirmé qu’il ne s’était jamais plaint de S.B.

[31] L’appelant a qualifié de mensonge la déclaration faire par C.W. affirmant que « ces gens sont prêts à dire n’importe quoi du moment que c’est ce que leur employeur veut qu’ils disent. »

[32] Il a aussi déclaré qu’il avait déposé une plainte pour harcèlement auprès de la Commission des droits de la personne, mais qu’on lui avait dit que la Commission ne considérait pas ce qu’il a vécu comme étant du harcèlement (pièce GD3‑41). Cette plainte ne fait pas partie de la preuve produite.

[33] Le 15 décembre 2016, l’appelant a été informé, à la fois verbalement et par correspondance datée du même jour, du maintien de la décision initiale qui concluait à un départ sans justification (pièces GD3‑42 à GD3‑44).

[34] Le 28 décembre 2016, il a interjeté appel de la décision de réexamen en réitérant ses arguments précédemment plaidés (pièces GD2‑1 à GD2‑10).

Observations

[35] L’appelant a fait les observations suivantes :

  1. Il a été victime d’intimidation et de harcèlement de la part de la directrice générale, qui l’a soumis à de la violence verbale et psychologique. Elle n’avait plus [traduction] « bon caractère »; elle devenait « de pire en pire ». Il ne se sentait pas en sécurité au travail lorsqu’elle était là. La goutte qui a fait déborder le vase a été lorsqu’elle lui a ordonné d’expédier un colis, ce à quoi il lui a répondu qu’elle ou quelqu’un d’autre devrait s’en charger, et elle l’a ouvertement critiqué pour avoir dit cela.
  2. Elle a dit qu’elle ne congédie jamais un employé; elle essaie plutôt de le pousser à démissionner. Lorsqu’il a vu comment elle criait après lui devant d’autres employés ainsi que des clients, il a eu le sentiment qu’elle essayait de le faire démissionner.
  3. Il a d’abord envoyé un courriel aux RH, en voulant garder sa plainte confidentielle, parce que la directrice générale et la gestionnaire de district étaient amies, et il craignait de perdre son emploi.
  4. La directrice générale le « harcelait » en le « poussant » à avoir une rencontre avec elle, alors qu’il ne se sentait pas émotionnellement prêt pour cela; il a communiqué avec la gestionnaire de district pour qu’elle annule cette rencontre.
  5. Lorsque la gestionnaire de district est venue le voir le lendemain, il lui a remis une lettre de démission rédigée d’avance en déclarant qu’il démissionnait pour cause de harcèlement; elle a signé le document, ce qui attestait qu’elle était d’accord avec lui au sujet du harcèlement.
  6. La compagnie n’a rien fait pour faire cesser le harcèlement. Des collègues de travail lui ont dit que cela s’était déjà produit avant, alors que d’anciens superviseurs avaient démissionné à cause de la directrice générale.
  7. Les déclarations de témoin négatives le concernant que d’anciens collègues ont faites étaient des mensonges. Ces employés ont déclaré ce que leur employeur leur a dit de dire.
  8. La gestionnaire de district lui a offert de l’aider à trouver un transfert, mais il ne voulait plus travailler pour cette entreprise, laquelle aurait dû avoir une politique de tolérance de zéro à l’égard du harcèlement, mais qui n’a pas agi immédiatement en expulsant la directrice générale.
  9. Il voulait se trouver un emploi dans son domaine, mais était prêt à travailler dans le commerce de détail, s’il n’avait pas d’autre choix.

[36] L’intimée a fait les observations suivantes :

  1. L’appelant avait des solutions de rechange raisonnables au départ qu’il n’a pas explorées, comme donner du temps à la gestionnaire de district pour qu’elle enquête sur la situation et qu’elle la résolve avant qu’il remette sa lettre de démission, ou encore regarder les transferts disponibles à d’autres emplacements de l’entreprise.
  2. Il ne voulait pas être transféré parce qu’il se cherchait un emploi de programmeur en TI.
  3. Parmi les circonstances énumérées à l’alinéa 29(c) de la Loi pour lesquelles le prestataire « fondé » à quitter volontairement son emploi, on ne trouve pas l’absence d’harmonie au lieu de travail ni le fait qu’un travailleur ne se sente pas apprécié.
  4. L’incident final qui l’a poussé à démissionner et lors duquel la directrice générale lui a dit de s’occuper de l’expédition d’un colis n’était pas à ce point intolérable pour qu’il n’ait pas d’autre solution que le départ.

Analyse

[37] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe de la présente décision.

[38] Aux termes de l’article 30 de la Loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement un emploi sans justification. C’est à l’intimée qu’il incombe de démontrer que le départ était volontaire; après quoi, le fardeau de la preuve se déplace vers l’appelant, à qui il incombe de démontrer qu’il était « fondé » à quitter volontairement son emploi (Green c. Procureur général du Canada, 2012 CAF 313).

[39] Le Tribunal doit d’abord déterminer si l’appelant a quitté son emploi volontairement. On peut trouver le critère à appliquer pour déterminer s’il y a lieu départ volontaire dans la décision de la Cour d’appel fédérale Procureur général du Canada c. Peace, 2004 CAF 56, au paragraphe 15 :

En vertu du paragraphe 30(1), la question de savoir si un employé a quitté volontairement son emploi est une question simple. La question qu’il faut se poser est la suivante : L’employé avait-il le choix de rester ou de quitter?

[40] En cherchant à répondre à cette question, le Tribunal a noté la déclaration que l’appelant a faite dans sa demande et, selon laquelle, il a quitté volontairement, comme cela est confirmé dans son RE et comme l’employeur l’a confirmé lors de ses interactions avec l’intimée. L’appelant ne conteste pas le fait que c’est lui-même, et non son employeur, qui a déclenché la cessation de son emploi.

[41] Compte tenu de la preuve, le Tribunal conclut donc que l’intimée s’est acquittée de la charge qui lui incombait de montrer que l’appelant a quitté son emploi volontairement.

[42] Une fois que l’intimée a démontré que l’appelant a quitté volontairement son emploi, le fardeau de la preuve se déplace vers l’appelant, à qui il incombe de démontrer qu’il était « fondé » à quitter son emploi, conformément à ce que stipule l’article 29 de la Loi (Procureur général du Canada c. White, 2011 CAF 190). Le critère juridique à appliquer pour déterminer si l’appelant était « fondé » à quitter son emploi et de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances et selon la prépondérance des probabilités, il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi (White, supra).

[43] Dans l’arrêt Tanguay c. Commission de l’assurance-chômage, A‑1458‑84, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction claire entre une « bonne raison » et une « justification ». Pour dire les choses simplement, on peut avoir de bonnes raisons de quitter son emploi, mais, compte tenu de toutes les circonstances, ces raisons peuvent ne pas être suffisantes pour constituer une « justification ».

[44] Au moment d’évaluer les raisons que l’appelant a fournies pour justifier sa démission, le Tribunal note qu’il s’est plaint de « harcèlement » et que ses plaintes pourraient renvoyer à des « relations conflictuelles » avec la directrice générale, même si l’appelant n’a pas spécifiquement utilisé cette expression. Par conséquent, les circonstances dont le Tribunal a tenu compte pour déterminer si l’appelant était « fondé » à quitter son emploi comprennent, conformément à la liste non exhaustive qu’énumère l’alinéa 29(c) de la loi, le sous-alinéa (i), qui mentionne le « harcèlement de nature sexuelle ou autre », et le sous-alinéa (x), qui parle de « relations conflictuelles […] avec un supérieur dont la cause [n’]est pas essentiellement imputable » au prestataire.

Y avait-il du « harcèlement de nature autre », aux termes du sous‑alinéa 29(c)(i), ou des « relations conflictuelles », aux termes du sous‑alinéa 29(c)(x)?

[45] Le Tribunal conclut que l’appelant ne s’est pas déchargé du fardeau qui lui incombait de prouver que le traitement dont il s’est plaint de la part de la directrice générale s’inscrivait dans les circonstances prévues à ces sous-alinéas de la Loi.

[46] Le Tribunal compatit à la perception qu’avait l’appelant que les critiques qu’on lui faisait au sujet de son rendement au travail constituaient du harcèlement qui lui causait du stress. L’appelant a fort bien pu se sentir stressé, parfois – le Tribunal est conscient du fait que le stress en milieu de travail est un phénomène qu’on ne peut pas prendre à la légère –, mais la preuve n’étaye pas son argument selon lequel ses interactions avec la directrice générale constituaient du harcèlement. De plus, le Tribunal note que la directrice générale s’est plainte auprès de la gestionnaire de district de ce que l’appelant avait été agressif et avait crié après elle (pièce GD3‑25).

[47] Le Tribunal doit donc déterminer si la preuve appuie la version de l’appelant quant à ses interactions au travail avec la directrice générale – dans laquelle elle le harcelait – ou bien la version de la directrice générale – dans laquelle c’est l’appelant qui argumentait et était agressif avec elle –, ou encore une combinaison des deux versions, ce qui indiquerait qu’un conflit interpersonnel était le principal facteur en jeu.

[48] À la lumière de la preuve, le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les interactions entre la directrice générale et l’appelant, même si elles dénotent de mauvaises relations au travail, ne constituent pas du harcèlement en vertu de la Loi. Le Tribunal tire cette conclusion dans la mesure où la conduite que l’appelant a décrite comme étant le [traduction] « le plus haut degré » du harcèlement – se faire dire par la directrice générale de s’occuper de l’expédition d’un colis, une tâche qui, selon lui, aurait dû être exécutée par cette dernière ou quelqu’un d’autre, puis se faire réprimander pour sa réponse – semble conforme aux pratiques générales en milieu de travail où les subordonnés sont tenus de suivre les instructions de leur supérieur immédiat.

[49] La description d’emploi de l’appelant ne fait pas partie de la preuve, mais rien ne laisse croire que le rôle qu’il assumait en tant que superviseur d’entrepôt l’empêchait de satisfaire la demande de la directrice générale, au lieu de rétorquer que c’est elle qui devait faire ce travail. Le Tribunal conclut que si des relations conflictuelles ont résulté de la réponse faite par l’appelant, on ne peut pas dire, à la lumière de la preuve, qu’il s’agissait de relations conflictuelles dont la cause ne lui était pas « essentiellement imputable », une condition nécessaire de la circonstance prévue au sous-alinéa 29(c)(x) de la Loi. Pour que la circonstance prévue au sous-alinéa 29(c)(x) existât, il aurait fallu que les relations conflictuelles fussent indépendantes de la volonté de l’appelant (Smith c. Procureur général du Canada, A‑875‑96). La preuve ne démontre pas que tel était le cas.

[50] Le Tribunal estime néanmoins que les déclarations de témoin au dossier (pièces GD3‑36 à GD3‑38) étayent la notion de conflit interpersonnel entre l’appelant et la directrice générale. Avant d’examiner cette preuve, le Tribunal a noté que l’appelant a demandé à l’intimée de communiquer avec la directrice adjointe A., qui, aux dires de l’appelant, allait corroborer ses doléances. Cependant, le dossier indique que, bien que l’intimée ait tenté de communiquer avec A. à deux reprises, la directrice adjointe n’a répondu à ni l’un ni l’autre des messages laissés sur sa boîte vocale, si bien que cette déclaration de témoin n’était pas disponible.

[51] La preuve émanant de C.W. indique que, bien que la gestionnaire de district ait affirmé à l’intimée que la directrice générale n’a jamais crié (pièce GD3‑25), il y a eu au moins une occasion où la directrice générale a haussé le ton en semonçant l’appelant. Toutefois, ce n’était pas là une interaction à sens unique; malgré la prétention de l’appelant selon laquelle il était capable de garder son sang-froid, même lorsqu’on le provoquait, la témoin les a vus [traduction] « hausser le ton l’un envers l’autre ». Le Tribunal note que la témoin a commenté son récit en disant [traduction] « c’était la première fois que j’étais présente durant une telle situation; cependant, je l’avais déjà entendue hausser le ton envers lui auparavant » (pièce GD3‑36).

[52] Le Tribunal accepte le témoignage de C.W. selon lequel la directrice générale a haussé le ton lors de l’occasion dont C.W. a été témoin; cependant, le Tribunal n’accorde pas de poids à la dernière remarque de cette témoin selon laquelle elle avait « entendu dire » que cela s’était déjà produit auparavant, puisque la témoin n’a pas donné la source de cette information et que cela n’est corroboré par aucune autre preuve de tiers. Cela ne veut pas dire que le Tribunal approuve les gestionnaires qui haussent le ton envers des employés, mais seulement qu’il n’existe de preuve d’un échange de cette nature que pour cette occasion particulière et que la témoin a confirmé que l’appelant y avait participé.

[53] Le Tribunal ne considère pas que cela correspond aux relations conflictuelles envisagées au sous-alinéa 29(c)(x) de la Loi en ce que l’on ne peut pas considérer que la directrice générale était la seule responsable des relations conflictuelles entre elle et l’appelant. À l’instar de la situation évoquée dans Smith (précitée), cet incident ne s’est pas produit indépendamment de la volonté de l’appelant. Le Tribunal conclut donc que cet incident primaire, en particulier, n’établit pas l’existence d’un comportement habituel de relations conflictuelles à son endroit ou de harcèlement contre lui.

[54] Le Tribunal a accordé également du poids à la déclaration de C.W. concernant les interactions de l’appelant avec d’autres supérieures : [traduction] « S.B. lui demandait de faire quelque chose et il faisait le contraire ou ne faisait rien du tout […], il était sur la défensive, et il allait ensuite voir la directrice générale pour lui dire que S.B. s’acharnait contre lui. » Cette témoin a aussi déclaré que l’appelant s’était aussi livré à [traduction] « un concours de chahut » avec une autre directrice appelée A. Les observations étayent l’affirmation selon laquelle il lui était difficile d’accepter de recevoir des consignes ou même des suggestions de la part des autres, et que ce problème ne se limitait donc pas à ses seules interactions avec la directrice générale.

[55] Cette observation est également étayée par la déclaration de S.B. selon laquelle l’appelant [traduction] « n’écoutait aucune instruction. Il n’était pas nécessaire que l’instruction soit négative pour qu’il refuse de l’écouter. » (Pièce GD3‑36) Cette déclaration confirme l’évaluation de la gestionnaire de district selon laquelle l’appelant avait tendance à considérer comme du harcèlement les consignes ou instructions raisonnables données par cet employeur (pièce D3‑25). En outre, le Tribunal note que les évaluations défavorables ne sont pas nécessairement synonymes de relations conflictuelles.

[56] Le Tribunal ne doute pas que les divers incidents que l’appelant a décrits et qui impliquaient la directrice générale ont eu lieu. Toutefois, il note aussi que, selon S.B., bien que l’appelant soit allé voir la directrice générale pour se plaindre de S.B. lorsque cette dernière a essayé de lui donner une rétroaction positive et des conseils – une interaction réfutée par l’appelant, mais confirmée par C.W. –, il n’a fait ses plaintes à l’interne au sujet des situations qu’il vivait que moins de 48 heures avant de remettre sa démission.

[57] Le Tribunal comprend bien que l’appelant ait pu trouver que l’atmosphère au travail n’était pas propice à l’exercice de ses compétences et à son tempérament – ce n’était pas l’emploi de son choix puisque, comme il le dit, il a été forcé de prendre cet emploi après avoir été licencié de l’emploi qu’il exerçait dans son domaine et il ne pouvait pas se trouver un autre emploi dans son domaine –, mais le Tribunal conclut qu’il est plus probable que non que l’appelant se serait plaint auprès des RH plus tôt si sa situation avait été à ce point intolérable qu’il aurait eu le sentiment qu’il n’y avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[58] Le Tribunal n’accorde pas un poids significatif à la déclaration que l’appelant a faite à l’intimée voulant qu’il ne se soit pas plaint plus tôt, malgré ce qu’il avait vécu, parce que la directrice générale et la gestionnaire de district étaient amies et qu’il craignait de perdre son emploi. Le Tribunal fait cette détermination au motif que l’appelant n’aurait pas pu prédire l’issue d’une plainte et, de toute façon, qu’il a démissionné, ce qui a abouti au même résultat : la cessation de son emploi.

[59] En outre, le Tribunal ne considère pas que la documentation sur les aptitudes à l’écoute et la capacité de garder son sang-froid que la directrice générale a remise à l’appelant, est, en soi, avilissante ou insultante, comme l’appelant l’a prétendu (pièces GD3‑33 à GD3‑34). Étant sa supérieure immédiate, la directrice générale avait le pouvoir d’attirer l’attention de l’appelant sur des capacités qu’il lui fallait développer, un geste que le Tribunal ne considère pas comme étant, en soi, du harcèlement. Il n’y a pas davantage de preuve de harcèlement de la part de la directrice générale lorsqu’elle a organisé une rencontre avec l’appelant pour discuter de ces aspects, à la suite de la réponse négative qu’il lui avait faite lorsqu’elle lui avait demandé de s’occuper de l’expédition d’un colis.

[60] Qui plus est, le Tribunal n’accepte pas l’argument de l’appelant voulant que la signature de la gestionnaire de district apposée sur sa lettre de démission était la preuve que du harcèlement s’était produit; la signature de la gestionnaire de district signifie simplement l’acceptation, par cette dernière, de la démission de l’appelant.

[61] Le Tribunal conclut donc que la situation que l’appelant a décrite ne correspond ni à l’une ni à l’autre des circonstances prévues aux sous‑alinéas 29(c)(i) et (x) de la Loi.

A-t-on indûment incité l’appelant à quitter son emploi, aux termes du sous-alinéa 29(c)(xiii)?

[62] Afin de déterminer si la situation de l’appelant correspond à la circonstance prévue par le sous‑alinéa 29(c)(xiii) de la Loi, le Tribunal a pris en considération l’affirmation initiale de l’appelant selon laquelle la directrice générale lui avait dit qu’elle ne congédiait jamais quelqu’un, mais qu’elle s’assurait que l’employé ciblé démissionnerait (pièce GD3‑22). Le Tribunal note que l’appelant a plus tard dit à l’intimée qu’il avait entendu la directrice générale faire cette déclaration, plutôt qu’elle l’avait directement adressée à lui (pièce GD3‑24). Dans son courriel aux RH (pièce GD3‑32), l’appelant a indiqué qu’il avait entendu ce commentaire de la part de la directrice générale alors qu’il se trouvait dans son bureau et [traduction] « qu’elle parlait d’un problème avec un travailleur ». Le Tribunal estime que ces témoignages contradictoires n’étayent pas la prétention initiale de l’appelant sur ce point, puisque le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est peu probable qu’un gestionnaire qui recourrait à une telle stratégie répréhensible la révélerait à l’employé ciblé.

[63] Le Tribunal note aussi que, bien que l’appelant ait indiqué dans son courriel aux RH qu’il avait demandé à des collègues s’ils pensaient que la directrice générale essayait de le faire démissionner, la réponse qu’il a rapportée – ses collègues étaient [traduction] « perplexes », et ignoraient la réponse à cette question – n’étaye pas l’affirmation de l’appelant selon laquelle la directrice générale recourait à cette stratégie en le ciblant. D’après la jurisprudence sur la « justification », la démission de l’appelant basée sur sa perception qu’il était la cible de cette stratégie – ce qui, selon la prépondérance des probabilités, n’a pas été prouvé – était « précipitée » (Procureur général du Canada c. Quinn, A‑175‑96) et, par conséquent, ne prouve pas que la situation de l’appelant correspond à la circonstance prévue au sous-alinéa 29(c)(xiii) de la Loi.

[64] Pour résumer, le Tribunal ne considère pas que la preuve a permis d’établir que l’appelant était harcelé par la directrice générale ou que cette dernière lui était hostile sans qu’il ait contribué aux relations conflictuelles qu’il y avait entre eux. Il ressort des déclarations de témoin que l’appelant avait des relations de travail difficiles avec d’autres supérieures aussi lorsqu’il composait avec des consignes ou des conseils. L’appelant n’a pas prouvé son argument selon lequel plusieurs de ses prédécesseurs avaient démissionné à cause de la directrice générale. Il n’a pas non plus prouvé sa thèse voulant que le style de la directrice générale consistait à inciter les gens à démissionner au lieu de les congédier et qu’elle avait recouru à cette stratégie pour le faire démissionner lui aussi.

Solutions de rechange raisonnables au départ

[65] Pour démontrer qu’il était « fondé » à quitter son emploi, ou qu’il avait une « justification » pour cela, aux termes de la loi, l’appelant devait démontrer qu’il n’avait pas de « solutions raisonnables » au départ lorsqu’il a quitté son emploi; or, le Tribunal a conclu que l’appelant avait à sa disposition plusieurs options qu’il aurait pu explorer. Par exemple, il aurait pu, avant de remettre sa démission, attendre de rencontrer la gestionnaire de district, laquelle s’est rendue à son lieu de travail à sa demande et dans ce but précis, afin de bien déterminer si ses problèmes pourraient être résolus.

[66] Dans la plupart des cas, les prestataires ont l’obligation de faire tous les efforts raisonnables pour trouver une solution à leurs plaintes avec l’employeur, afin d’essayer de résoudre les conflits en milieu de travail, avant de prendre la décision unilatérale de démissionner (Procureur général du Canada c. White, 2011 CAD 190; Procureur général du Canada c. Hernandez, 2007 CAF 320). Le Tribunal note, toutefois, que l’appelant n’a communiqué avec les RH de la compagnie que l’après-midi du 14 septembre 2016, en demandant alors aux RH de garder ses préoccupations confidentielles pour le moment. Le même après-midi, environ 25 minutes après l’envoi de son courriel, il a reçu une réponse l’informant qu’on ferait suivre la demande sur la façon de déposer une plainte au gestionnaire des RH chargé de son dossier.

[67] Jusqu’à maintenant, le Tribunal juge adéquat le délai de réponse de la compagnie, dans la mesure où il n’y avait pas de danger physique immédiat pour l’appelant, il demandait des conseils sur la façon de déposer une plainte et ne demandait pas une enquête immédiate, et il avait spécifiquement demandé à garder sa demande confidentielle, ce qui, en soi, limitait la capacité des RH d’effecteur une enquête.

[68] Le Tribunal note que, lorsque l’appelant a appelé la gestionnaire de district le lendemain matin pour lui demander de s’assurer de l’annulation de sa rencontre avec la directrice générale – qui était prévue pour 11 h ce même jour –, la gestionnaire de district est intervenue immédiatement, comme l’appelant l’avait demandé. Elle s’est ensuite rendue à son lieu de travail pour le rencontrer le lendemain, et c’est à ce moment-là qu’il lui a remis sa lettre de démission sans essayer de résoudre le problème. Le Tribunal estime que, plutôt que de donner d’abord sa démission et de n’informer qu’après coup la gestionnaire de district des raisons de sa démission, l’appelant aurait pu, comme solution raisonnable au départ, participer à une discussion en profondeur avec la gestionnaire de district sur la façon de résoudre ses préoccupations.

[69] Le Tribunal trouve contradictoires les divers récits de cette rencontre finale que l’appelant a faits. Le 31 octobre 2016, il a dit à l’intimée qu’il avait essayé de parler à la gestionnaire de district, mais qu’il n’avait reçu aucun soutien (pièce GD3‑22). Pourtant, auparavant, dans sa demande de prestations, il avait indiqué qu’il lui avait parlé et qu’il avait [traduction] « le sentiment qu’on allait s’occuper de cet incident » (pièce GD3‑12). Cette contradiction mine la crédibilité de l’appelant quant à son affirmation que la compagnie avait déjà démontré qu’elle n’appliquerait pas sa politique de « tolérance zéro au harcèlement ».

[70] Le Tribunal accorde donc peu de poids à l’argument de l’appelant voulant que ses plaintes auraient dû être résolues instantanément et que la directrice générale aurait dû être expulsée, avant sa rencontre avec la gestionnaire de district, compte tenu aussi du fait que moins de 48 heures s’étaient écoulées depuis sa première communication avec les RH. Le Tribunal accorde plus de poids au témoignage de l’appelant selon lequel il avait rédigé d’avance une lettre de démission avant même d’être convoqué à une rencontre; il pouvait [traduction] « toujours changer la date » de sorte qu’il aurait toujours une copie de la lettre [traduction] « prête à partir ». Le Tribunal ne conclut donc pas que l’appelant a essayé d’explorer des pistes de solution de conflit à titre de solution raisonnable au départ, puisqu’il avait déjà planifié son départ et attendait une occasion de l’officialiser.

[71] Le Tribunal estime que l’appelant avait à sa disposition une autre solution raisonnable au départ qui n’impliquait pas d’essayer de résoudre le problème : il aurait pu se trouver un autre emploi avant de quitter celui qu’il occupait, puisque le fait de demeurer employé est considéré comme une solution de rechange raisonnable au départ (Procureur général du Canada c. Murugaiah, 2008 CAF 10; Procureur général du Canada c. Campeau, 2006 CAF 376).

[72] Le Tribunal trouve aussi que l’appelant aurait pu envisager la possibilité d’un transfert à une autre succursale, ce qui, ainsi qu’il l’a confirmé, lui avait été proposé par la gestionnaire de district; il a affirmé qu’il n’avait d’interactions difficiles qu’avec la directrice générale, de sorte qu’un transfert aurait été pour lui une façon d’éviter complètement cette dernière. Toutefois, il a indiqué dans sa demande de prestation qu’il n’étudierait cette offre que s’il décidait de déménager (pièce GD3‑12).

[73] De plus, le Tribunal accorde du poids à la déclaration que l’appelant a faite à l’intimée le 2 novembre 2016, lorsqu’il a dit qu’il ne voulait pas d’un transfert « parce qu’il voulait se chercher du travail dans son propre domaine, un emploi de programmeur en TI » (pièce GD3‑26). Cette déclaration porte à croire que son désir de se trouver un meilleur emploi dans son domaine d’expertise a pesé lourd dans sa décision de quitter un emploi qu’il considérait, on peut le comprendre, comme inférieur à son niveau de compétences et de qualifications.

[74] Néanmoins, le Tribunal garde à l’esprit le principe, clairement établi dans la jurisprudence, selon lequel s’il est légitime pour un travailleur de vouloir améliorer son sort en changeant d’employeur, il ne peut faire supporter le coût de cette légitimité par ceux et celles qui contribuent à la caisse de l’assurance-emploi (Procureur général du Canada c. Langlois, 2008 CAF 18). Quitter un emploi pour se mettre en quête d’un meilleur emploi n’est donc pas considéré comme une solution raisonnable à la conservation de son emploi.

[75] En conclusion, à la lumière de la preuve et des observations des deux parties, le Tribunal conclut que l’appelant ne s’est pas déchargé du fardeau de prouver qu’il était « fondé » à quitter volontairement son emploi, aux termes de l’article 29 de la Loi, puisqu’il avait des solutions de rechange raisonnables au départ. Le Tribunal conclut donc que l’exclusion du bénéfice des prestations en application de l’article 30 était justifiée.

Conclusion

[76] L’appel est rejeté.

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi

29 Pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
    2. (ii)  de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui‑ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci‑après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii)  nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v)  nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii)  excès d’heures supplémentaires ou non‑rémunération de celles‑ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x)  relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii)  incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
  5. (xiv)  toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(2)  L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

(3)  Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.

(4)  Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.

(5)  Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

(6)  Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.

(7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.

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