Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, et le dossier est retourné à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre différent procède à une nouvelle audience.

Introduction

[2] En date du 2 mars 2017, la division générale du Tribunal a conclu que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelant est présumé avoir déposé sa demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 24 mars 2017. La demande de permission d’en appeler a été accordée le 1er mai 2017.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a déterminé que cet appel procéderait par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • l’information au dossier, y compris la nature des informations manquantes;
  • la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible selon les critères des règles du Tribunal en ce qui a trait aux circonstances, à l’équité et à la justice naturelle.

[5] L’appelant et son représentant, Réal Labarre, ont assisté à l’audience. L’intimée était absente malgré la réception de l’avis d’audience.

Droit applicable

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a commis une erreur en concluant que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

Observations

[8] L’appelant soumet les observations suivantes à l’appui de son appel :

  • I1 y a contradictions entre les affirmations des deux parties. Il s’est présenté en personne devant la division générale pour livrer son témoignage contrairement à l’employeur.
  • Bien que le ouï-dire soit admissible en preuve, la division générale doit accorder préséance au témoignage direct de l’appelant.
  • Il n’a pas quitté son poste pour aller expressément s’en prendre physiquement au collègue. Il voulait seulement arranger les choses pour mettre un terme au harcèlement verbal de son collègue de travail.
  • Il ne pouvait savoir qu’il serait congédié au moment de commettre le geste.
  • La division générale ne se prononce pas sur la relation causale entre le congédiement et l’inconduite alléguée. Aux paragraphes 5(f) et 6(g) de la décision du Tribunal, il y est mentionné que l’employeur a congédié l’appelant deux heures après avoir reçu le document de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST).
  • Le Tribunal rend sa décision sur du ouï-dire de l’employeur. Aucun témoin n’est cité au dossier; aucun témoin n’a été interrogé par 1’intimée; aucun témoin ne s’est présenté à l’audience.
  • Il a produit un document (GD6) provenant d’un témoin attestant que son collègue l’a frappé en premier, comme il est rapporté au paragraphe 4(k) de la décision de la division générale.
  • La division générale détermine l’inconduite selon la balance des probabilités, comme en fait foi le paragraphe 26 de la décision, ce qui laisse présager une analyse subjective des faits et de la preuve.
  • Selon la jurisprudence, l’inconduite est une sanction lourde de conséquences et de ce fait la division générale ne pouvait se satisfaire d’une preuve par ouï-dire au profit d’un témoignage direct.
  • L’inconduite alléguée doit être déterminée à l’aide de preuves solides, concrètes, significatives et précises. À défaut de quoi, si un doute sérieux subsiste, il doit être résolu en faveur du prestataire.

[9] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • La division générale n’a pas commis d’erreur de droit ni de fait et elle a correctement exercé sa compétence.
  • L’appelant était présent et a pu donner sa version des faits. La division générale a rendu une décision relevant de sa compétence, et celle-ci n’est manifestement pas déraisonnable à la lumière des éléments pertinents de la preuve.
  • Il est de jurisprudence constante qu’il y « a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié ».
  • La division générale, à l’instar des autres tribunaux administratifs, n’est pas liée par les règles de preuve strictes. Elle peut recevoir et retenir la preuve par ouï-dire et, à plus forte raison, la preuve de l’employeur obtenue par voie téléphonique.
  • Lorsqu’il s’agit de contradictions entre le témoignage de l’employeur et celui de l’employé, le seul fait que l’un soit présent et que l’autre soit absent ne doit pas être un facteur déterminant. La division générale est libre de préférer la crédibilité de l’un ou de l’autre.
  • Il ne relève pas de la division générale de juger de la façon dont l’employeur a sanctionné l’employé ni de la sévérité de la sanction.
  • L’appelant reconnaît avoir frappé son collègue de travail. Il reconnaît avoir quitté son lieu de travail pour se rendre jusqu’au lieu de travail de son collègue. Il allègue avoir agi en légitime défense, mais il n’en demeure pas moins qu’il a contrevenu au règlement en vigueur chez l’employeur en ce qui concerne l’altercation.
  • Le geste posé par l’appelant est un geste qui va à l’encontre des politiques et règlements de l’entreprise, et l’on peut conclure, peu importe son ampleur, qu’il s’agit indubitablement d’inconduite.
  • Même si le prestataire tente de nier la gravité des gestes posés et déclare qu’il se défendait, il n’en demeure pas moins qu’une personne raisonnable et désireuse de conserver son emploi n’aurait pas commis de tels gestes.
  • La nouvelle pièce soumise à la division générale (GD6) ne change rien au fait que l’appelant a reconnu avoir frappé son collègue à deux reprises et qu’il n’a pas respecté la politique de l’entreprise.

Normes de contrôle

[10] L’appelant n’a fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[11] L’intimée soutient que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable - Pathmanathan c. Bureau du juge- arbitre, 2015 CAF 50.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la Division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que :

« Non seulement la Division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et [qu’elle] n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les “offices fédéraux”, à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale […] ».

[14] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « [l]orsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la Division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi ».

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[16] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[17] La division générale devait décider si l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

[18] Le rôle de la division générale est d’examiner les éléments de preuve que lui présentent les deux parties pour déterminer les faits pertinents, soit les faits qui concernent le litige particulier qu’elle doit trancher et d’expliquer, dans sa décision écrite, la décision qu’elle rend concernant ces faits.

[19] La division générale doit évidemment justifier les conclusions auxquelles elle arrive. Lorsqu’elle est confrontée à des éléments de preuve contradictoires, elle ne peut les ignorer. Elle doit les considérer. Si elle décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, elle doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire - Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13.

[20] Dans le présent dossier, la division générale a ignoré, dans son analyse, les éléments de preuve de l’appelant et s’est contentée de citer sa position dans la section « Argumentation ». Celui-ci tentait de démontrer l’absence de lien causal entre l’inconduite alléguée et son congédiement. Il a avancé devant la division générale que l’employeur l’avait congédié non pas en raison de son inconduite alléguée, mais parce qu’il avait déposé une réclamation auprès de la CSST. Il a souligné, devant la division générale, le fait que son collègue de travail, avec qui il avait eu l’altercation, n’avait pas été congédié par l’employeur.

[21] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd son emploi « en raison » de son inconduite.

[22] Le Tribunal est d’avis que la division générale a commis une erreur de droit en écartant la preuve de l’appelant sans explication et en ne tenant pas compte, dans son analyse, de la question soulevée par l’appelant, à savoir si l’inconduite alléguée était la véritable cause de son congédiement.

[23] Le Tribunal est donc justifié d’intervenir dans le présent dossier et de retourner le dossier à la division générale pour une nouvelle audience.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli, et le dossier est retourné à la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre différent procède à une nouvelle audience.

[25] Il y a lieu de retirer du dossier la décision de la division générale datée du 2 mars 2017.

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