Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Carole Robillard, représentante de l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission)

Rupinder Maben, représentante de l’intimé, A. P. (prestataire).

Introduction

[1] Le 24 janvier 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que le prestataire avait un motif valable pour avoir présenté sa demande initiale en retard et qu’il était admissible aux prestations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) à partir du 31 juillet 2013.

[2]  Une demande de permission d’en appeler relativement à la décision de la division générale a été présentée à la division d’appel du Tribunal le 23 mars 2017, et la permission a été accordée le 15 mai 2017.

[3] Une audience par téléconférence a été tenue pour les raisons suivantes :

  1. la complexité de la ou des questions faisant l’objet de l’appel;
  2. l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[4] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en concluant que le prestataire devrait être autorisé à antidater sa demande au 31 juillet 2013?

Droit applicable

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur les MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Le paragraphe 10(4) de la Loi sur l’AE prévoit ce qui suit :

Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

Observations

Observations de la commission

[7] La Commission fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas été mis au courant qu’il n’était pas employé pendant la période où elle retardé le dépôt de sa demande initiale de prestations. La Commission soutient que cela ne constituait pas une conclusion raisonnable étant donné la preuve relativement à la recherche d’emploi du prestataire à GD2-7 et à GD2-8. La Commission remet en question la raison pour laquelle le prestataire chercherait un emploi s’il ne savait pas qu’il était au chômage.

[8] En ce qui concerne l’affirmation du prestataire selon laquelle il avait demandé des renseignements à un centre de Service Canada en août 2013, la Commission souligne que cette allégation a d’abord été présentée avant l’audience devant la division générale. La Commission convient que la visite du prestataire à Service Canada en août 2013 a été implicitement acceptée par la division générale et elle ne laisse pas entendre qu’il s’agissait d’une erreur. Cependant, la Commission souligne une note au registre de la Commission selon laquelle il n’a pas communiqué la Commission entre le 31 juillet 2013 et juin 2014.

[9] Peu importe si le prestataire demande des renseignements à un centre de Service Canada en août 2013, la Commission fait valoir qu’une personne raisonnable serait retournée s’enquérir de ses droits et obligations si elle avait constaté qu’elle ne pouvait pas obtenir un relevé d’emploi.

[10] La Commission fait également valoir que le critère juridique est assez strict. Dans ses observations, la Commission formule le critère relatif au motif valable de la façon suivante : « [l]e prestataire a-t-il agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans des circonstances semblables pour s’assurer de ses droits et de ses obligations prévus par la loi? » (dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Kaler, 2011 CAF 266, en citant l’affaire Canada (Procureur général) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A)) La Commission renvoie à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Carry, 2005 CAF 367, pour le principe selon lequel un prestataire est tenu de s’assurer assez rapidement des droits et obligations que lui impose la Loi sur l’AE, à moins de circonstances exceptionnelles.

[11] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère aux faits. Plus particulièrement, la Commission fait valoir que la division générale n’aborde pas l’exigence selon laquelle un prestataire est tenu de prendre des mesures relativement rapides et qu’elle n’a pas énoncé de circonstances exceptionnelles sur lesquelles elle s’est fondée. La Commission laisse entendre qu’une personne raisonnable sans emploi depuis presque un an aurait cherché des renseignements ou communiqué avec la Commission à un moment donné pour se renseigner sur son admissibilité aux prestations. La Commission prétend qu’il n’y avait aucune preuve de circonstances exceptionnelles empêchant le prestataire de faire une demande de renseignements.

[12] La Commission souligne la preuve de la recherche d’emploi du prestataire dans la période précédant sa demande de prestations en juin 2014. Selon la Commission, cette recherche d’emploi appuie la conclusion selon laquelle la Commission était au courant du réel statut d’emploi du prestataire.

[13] Je comprends également que la Commission soutient que la division générale n’a pas appliqué l’arrêt Kaler. Celui-ci prévoit qu’il doit exister un « motif valable » pendant toute la période du retard.

[14] La Commission fait remarquer que les paragraphes 11 et 12 de la décision de la division générale font état que le prestataire a seulement été mis au courant de sa cessation d’emploi en juillet 2014, mais qu’il aurait présenté sa demande de prestations le 13 juin 2014. La Commission estime que cela est incorrect, mais elle n’a pas précisé autrement sur l’importance de ce point. (selon l’enregistrement audio, la représentante a corrigé la date à laquelle elle a communiqué avec l’employeur et a confirmé que le prestataire n’était pas employé en juin 2014).

Observations du prestataire

[15] La représentante du prestataire (représentante) soutient que la division générale a raison d’accueillir la demande d’antidatation du prestataire à la fin de juillet 2013.

[16] La représentante met l’accent sur les faits constatés par la division générale : celle-ci convient que le dernier quart de travail prévu du prestataire était en juillet 2013 et que celui-ci a appelé son employeur à de nombreuses reprises pour se renseigner sur l’horaire de travail, mais qu’on lui disait de rappeler. Le personnel du magasin était évasif et il n’a jamais reçu une réponse claire quant à la raison pour laquelle il n’était pas inscrit à l’horaire ou un signe selon lequel il n’était plus un employé. Le prestataire a visité le centre de Service Canada en personne en août 2013, et on lui a dit qu’il aurait besoin d’un relevé d’emploi pour déposer une demande. La représentante a souligné que la division générale a tenu compte de l’ensemble de la preuve pour convenir que le prestataire a continué de croire qu’il était employé.

[17] En réponse à l’argument de la Commission selon lequel il n’aurait pas cherché un emploi s’il ne croyait pas qu’il était au chômage, la représentante fait valoir que la recherche d’emploi du prestataire ne signifie pas qu’il a compris par lui-même qu’il était au chômage. Le prestataire a conservé l’impression qu’il était employé jusqu’en juin ou juillet 2014, mais il souhaitait trouver un emploi supplémentaire afin de compléter l’emploi qu’il avait déjà.

[18] La représentante affirme que le fait que le prestataire croyait détenir un emploi continu est un motif valable pour le retard. Le prestataire cité l’affaire Albrecht, dans laquelle il est déclaré ce qui suit : [traduction] « un prestataire ne devrait pas être tenu d’une conduite supérieure à celle qui serait attendue d’une personne raisonnable ». Selon la représentante, le prestataire a agi de façon raisonnable dans les circonstances.

[19] Le prestataire s’est fondé initialement sur l’arrête de la Cour d’appel fédérale, Canada (Procureur général) c. Dame et autres, A-395-85, au soutien de la proposition selon laquelle une croyance à tort concernant un emploi est un motif valable de dépôt tardif d’une demande. Dans le cadre de l’interrogatoire, elle a convenu que cette proposition a été soulevée de la décision du juge-arbitre et que la Cour d’appel fédérale a en réalité annulé la décision du juge-arbitre dans cette affaire.

Analyse

Norme de contrôle

[20] La mention du caractère raisonnable de la décision de la division générale par la Commission laisse entendre qu’elle juge comme étant appropriée l’analyse de la norme de contrôle, mais elle ne fait pas précisément valoir que je devrais appliquer les normes de contrôle ou que la décision de la division générale devrait faire l’objet d’un examen selon la norme de la décision raisonnable.

[21] Les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur l’AE sont très semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire, et cela donne à penser que les normes de contrôle pourraient également s’appliquer en l’espèce. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas insisté sur le fait que les normes de contrôle doivent être appliquées, et je n’estime pas cela soit nécessaire ou utile.

[22] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’était pas tenu de trancher sur la norme de contrôle que la division d’appel doit appliquer, mais elle a déclaré entre autres qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel devraient faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a fait remarquer que la division d’appel a un niveau d’expertise semblable à celui de la division générale et que, par conséquent, elle n’est pas tenue de faire preuve de déférence. De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif n’est pas tenu d’examiner et de superviser les pouvoirs exercés par la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Si la division d’appel instruit des appels au titre du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, son mandat est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi.

[23] Dans le récent arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a directement eu recours à la norme de contrôle appropriée, mais, dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes ayant orienté le rôle des tribunaux dans le cadre d’un contrôle judiciaire de décisions administratives ne s’appliquent pas dans un cadre administratif à plusieurs niveaux et que les normes de contrôle devraient s’appliquer seulement si la loi habilitante le prévoit. La loi habilitante sur les appels administratifs de décisions en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et cette loi ne prévoit pas un examen conformément aux normes de contrôle.

[24] Je reconnais qu’il existe d’autres décisions de la Cour d’appel fédérale qui semblent approuver l’application de la norme de contrôle (comme les arrêts Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147, et Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167). Néanmoins, les juges de la Cour d’appel fédérale ne semblent pas être du même avis quant à l’application de la norme de contrôle.

[25] Je suis d’accord avec la Cour, dans l’arrêt Jean, lorsqu’elle a renvoyé à l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et qu’elle a souligné ce qui suit : « Il n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. » J’examinerai l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement, et non au [traduction] « caractère raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Fond de l’appel

Conclusion de fait erronée

[26] La Commission fait valoir que la décision de la division générale a été rendue sans tenir compte de la preuve relative à la recherche d’emploi du prestataire. Je ne parviens pas à constater que sa recherche d’emploi était un élément particulièrement probant quant à la question de savoir s’il croyait être employé par cet employeur particulier. La recherche d’emploi n’est pas une preuve contradictoire au degré selon lequel la division générale pourrait être réputée avoir commis une erreur en ne tenant pas particulièrement compte de ce fait.

[27] Il existait une preuve devant la division générale selon laquelle le prestataire n’obtenait pas de quarts de travail et selon laquelle il vivait des difficultés financières. Peu importe s’il croyait toujours être employé, il aurait été raisonnable de sa part d’avoir cherché un autre emploi afin de compléter l’emploi qu’il avait déjà, comme il a été soutenu par la représentante, ou d’avoir cherché à obtenir un poste offrant des heures et une rémunération stables.

[28] La division générale estime comme un fait que le prestataire ne savait pas qu’il était au chômage. Elle a accepté la preuve de la représentante selon laquelle le prestataire a communiqué l’employeur à un grand nombre de reprises afin de se renseigner sur son horaire et qu’on lui disait d'appeler à nouveau, que le magasin n’a jamais fourni une réponse claire quant à la raison pour laquelle il ne figurait pas à l’horaire et que le prestataire n’a pas été informé qu’il n’était plus un employé (paragraphe 30). Cela a également été appuyé par la déclaration du prestataire à GD3-18, dans laquelle il déclare presque la même chose, mais dans laquelle il souligne également qu’il était [traduction] « certain qu’il aurait des heures de travail lorsque le magasin serait achalandé ».

[29] Selon moi, il y avait une preuve devant la division générale qui appuyait la conclusion selon laquelle le prestataire n’était pas au courant du fait qu’il était au chômage. Mon rôle n’est pas d’apprécier la preuve à nouveau. Je n’estime pas que cette conclusion de fait était une conclusion erronée que la division générale aurait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Erreur de droit

[30] Je comprends que la Commission soutient que le prestataire n’a pas vérifié assez rapidement s’il a des obligations au titre de la Loi sur l’AE. La Commission se fonde sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Somwaru, 2010 CAF 336, comme étant une affaire semblable dans laquelle l’antidatation a été refusée sur ce fondement. Cependant, au cours de l’audience relative à l’appel, la Commission a convenu que Somwaru n’était pas concerné par les circonstances dans lesquelles la demande du prestataire a été présentée en retard en raison du fait qu’il croyait à tort qu’il était employé.

[31] Au cours de l’audience devant la division générale, la représentante avait affirmé que le prestataire a d’abord visité un centre de Service Canada en août 2013, moment où il a appris qu’il ne pouvait plus avoir accès à des prestations sans relevé d’emploi. La Commission reconnaît que la division générale a implicitement convenu qu’il s’était informé en août 2013.

[32] Cependant, la Commission fait valoir que le prestataire doit toujours s’assurer de ses droits et de ses obligations conférés par la loi et qu’une personne raisonnable aurait consulté de nouveau la Commission après cette visite initiale en août 2013 afin de déterminer ce qu’il pourrait faire étant donné que l’employeur ne lui avait pas fourni de relevé d’emploi.

[33] L’argument de la Commission présume que le prestataire croyait être employé et qu’il attendait seulement le relevé d’emploi afin de satisfaire à une exigence documentaire dans le processus de la demande de prestations. Cependant, la division générale convient que le prestataire se considérait comme étant employé de la fin juillet 2013 jusqu’au moment où il a présenté sa demande en juin 2014.

[34] Il semble que le prestataire ait compris que la réception du relevé d’emploi signifiait la cessation de son emploi. En mars 2015, la représentant avait déclaré à la Commission que le prestataire [traduction] « attendait la réception de son relevé d’emploi de la part de cet employeur et qu’il n’était pas certain de son statut d’emploi » (GD3-23). Selon ma compréhension, le prestataire ne faisait pas que chercher un document visant à satisfaire aux exigences de la demande; le prestataire était également d’avis que la réception du relevé d’emploi confirmerait qu’il n’était plus employé.

[35] Le droit prévoit clairement qu’une erreur de droit n’est pas un motif valable pour un retard (Somwaru, précité; Carry, précité; Canada (Procureur général) c. Innes, 2010 CAF 341; Canada (Procureur général) c. Beaudin, 2005 CAF 123). Si la division générale avait accueilli l’appel du prestataire au motif qu’il croyait à tort ne pas pouvoir présenter une demande de prestations jusqu’à la réception d’un relevé d’emploi, cela constituerait une erreur de droit. Cependant, cela ne semble pas avoir été l’erreur du prestataire.

[36] Le prestataire croyait ne pas avoir été licencié ou avoir autrement perdu son emploi. Si on présume que la compréhension du prestataire était exacte, celui-ci n’aurait pas été admissible aux prestations d’assurance-emploi et il n’avait aucune raison de retourner devant la Commission. L’erreur du prestataire est une erreur de fait, et non de droit. Il pensait être employé alors qu’il ne l’était pas.

[37] Si le prestataire était convaincu en août 2013 qu’il n’était pas admissible aux prestations parce qu’il était encore employé, il est difficile d’imaginer la raison pour laquelle il retournerait devant la Commission alors qu’il était encore employé. Je ne suis pas d’accord avec la conclusion qu’il était déraisonnable de la part du prestataire de ne pas renseigner davantage auprès de la Commission dans ces circonstances.

[38] L’exigence selon laquelle le prestataire doit prendre des mesures rapides afin de s’assurer de ses droits et des ses obligations conférés par la Loi sur l’AE peut seulement s’appliquer une fois que le prestataire est au courant des circonstances concernées par la Loi sur l’AE. Dans les circonstances du prestataire, il serait seulement admissible aux prestations s’il était licencié ou s’il perdait son emploi. Il ne savait pas qu’il avait été licencié ou qu’il avait perdu son emploi avant juin ou juillet 2014.

[39] L’affaire Albrecht, citée par les deux parties, est l’une d’un certain nombre de décisions de la Cour d’appel fédérale confirmant le principe général selon lequel l’ignorance de la loi ne constitue pas un « motif valable ». Cependant, l’affaire Albrecht a également appuyé une approche flexible aux circonstances, ce qui signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n’existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d’un critère exclusivement objectif.

[40] Étant donné l’ensemble des circonstances, j’estime que la division générale n’a pas commis une erreur en appliquant la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, comme les arrêts Somwaru ou Carry, d’une manière qui prévoit que le prestataire doit entreprendre des démarches de suivi auprès de la Commission. De plus, à la lumière de la conclusion de la division générale selon laque le prestataire croyait être employé, j’estime que la division générale n’a commis aucune erreur en omettant d’analysé la question de savoir si les actions du prestataire comprenant des mesures assez rapides pour s’assurer de ses obligations conférées par la Loi sur l’AE ou en omettant de tenir compte de la question de savoir si (dans le cas où le prestataire n’avait pas pris ces mesures) il existait des circonstances exceptionnelles qui ne l’obligeraient pas à s’informer.

[41] Cependant, même si on ne peut pas obliger le prestataire à s’informer auprès de la Commission avant de savoir qu’il a perdu son emploi, il doit tout de même démontrer l’existence d’un motif valable pour l’ensemble de la période du retard, conformément à l’arrêt Kaler.Selon l’arrêt Dame et autres, le « motif valable » demanderait que le prestataire agisse comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait afin de préciser son statut d’emploi.

[42] L’arrêt Dame et autres portait également sur un prestataire qui croyait être employé. Elle a présenté une demande tardive de prestations parce qu’elle avait continué d’être inscrite auprès d’un certain nombre d’agences de placement et qu’elle espérait trouver un emploi chez un employeur. La Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[...] un prestataire qui n’a pas présenté sa demande au moment où il a perdu son emploi et cessé de toucher un salaire peut seulement établir l’existence d’une excuse valide pour son retard et voir sa demande être examinée de façon rétroactive seulement en démontrant qu’il a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances, soit afin de préciser la situation concernant son emploi ou de déterminer ses droits et obligations au titre des dispositions de la Loi sur l’assurance-chômage de 1971.

[43] La division générale disposait d’une preuve selon laquelle il était possible d’estimer que le prestataire avait agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait au cours de l’année 2013. Il existait une preuve selon laquelle le prestataire avait consulté la Commission en août 2013. Il a ensuite tenté de confirmer son statut d’emploi auprès de son employeur à de nombreuses reprises, selon lui, et il est demeuré confiant qu’il obtiendrait des heures de travail pendant le congé de Noël ou au Nouvel An. Il n’avait jamais été informé avoir perdu son emploi.

[44] Cependant, la preuve n’appuie pas une décision selon laquelle il avait un motif valable pendant l’ensemble de la période depuis la cessation de son emploi jusqu’à sa demande en juin 2014. Au contraire, la division générale avait suffisamment d’éléments de preuve afin de conclure que, à la fin de l’année 2013 et peut-être auparavant, le prestataire croyait croyait qu’il était probablement sans emploi et qu’il n’a pris aucune mesure en 2014 afin de confirmer ce doute jusqu’à ce que sa représentante intervienne auprès de son employeur en juin ou juillet 2014.

[45] Lorsque la représentante a été interrogée par le membre de la division générale relativement à la raison pour laquelle le prestataire ne n’est pas rendu compte que l’employeur ne voulait probablement plus de lui après un certain temps sans l’inscrire à l’horaire de travail, elle a répondu ce qui suit : [traduction] « Je crois que nous nous en sommes tous rendu compte. Il s’agit de la raison pour laquelle il a commencé à postuler à d’autres emplois. » Dans le résumé de la recherche d’emploi du prestataire figurant aux pages GD2-7 et GD2-8, il y a quatre demandes d’emploi pour le mois d’octobre 2013, deux pour décembre 2013, cinq pour avril 2014, puis aucune jusqu’à juin 2014. Selon la déclaration de la représentante et la preuve concernant la recherche d’emploi du prestataire, il semblerait que celui-ci s’est rendu compte qu’il était improbable qu’on le rappelle pour travailler en octobre 2013.

[46] Le prestataire a également fourni une déclaration écrite à GD2-5 dans laquelle il affirme ce qui suit : [traduction] « Pour le reste de l’année 2013 [depuis la dernière fois où il a été inscrit à l’horaire de travail par son employeur], j’ai appelé Audio Video 2001 à plusieurs reprises pour demander une mise à jour de mon statut d’emploi. » Il y a ensuite eu une discussion sur l’intervention de sa représentante qui aurait eu lieu en juillet 2014. Il serait raisonnable de conclure selon la preuve que le prestataire n’a fait aucun effort pour confirmer son statut auprès de son employeur en 2014, jusqu’à ce que la représentante appelle finalement l’employeur en juin ou juillet 2014 et qu’elle obtienne un relevé d’emploi.

[47] Pendant cette période, le prestataire ne touchait aucun revenu de la part de son employeur. En raison de ses interactions précédentes avec la Commission, il devait également savoir qu’il ne pouvait pas toucher de prestations d’assurance-emploi s’il était encore considéré comme étant employé. Selon moi, même s’il était possible de déclarer qu’il était simplement incertain du fait qu’il était employé ou non, le prestataire demeure tenu d’agir comme une personne raisonnable et prudente et d’essayer de confirmer son statut d’emploi.

[48] La conclusion de la division générale au paragraphe 31 selon laquelle [traduction] « [le prestataire] n’aurait pas pu demander à [la Commission] de déterminer son admissibilité aux prestations parce qu’il ne savait pas s’il était sans emploi pendant la période du retard » n’aborde tout simplement pas l’exigence, établie dans l’arrêt Dame et autres, selon laquelle il doit agir comme une personne raisonnable et prudente afin de préciser sa situation d’emploi ou l’exigence prévue dans l’arrêt Kaler selon laquelle un motif valable doit exister pendant toute la période du retard.

[49] Il s’agit de bonnes raisons de principes pour établir des limitations aux demandes antidatées. Dans l’arrêt Canada c. Chalk, 2010 CAF 243, la Cour d’appel fédérale a souligné que la justification relative à l’exigence selon laquelle une demande de prestations doit être présentée de façon opportune est que le versement rétroactif de prestations mine la capacité de la Commission à faire le suivi de l’administration des prestations du demandeur. Par conséquent, les questions comme la disponibilité pour travailler et l’incidence des gains que pourrait toucher le demandeur ne peuvent pas être réglées lorsqu’elles surviennent.

[50] Ces objectifs de principe sont également applicables si un prestataire a connu un retard parce qu’il ne s’est pas renseigné sur ses droits et ses obligations conférés par la Loi sur l’AE ou s’il a connu un retard parce qu’il n’a pas précisé son statut d’emploi. Quoi qu’il en soit, le retard cause préjudice à la capacité de la Commission à examiner la demande et à administrer les prestations conformément à la Loi sur l’AE.

[51] Pour tous les motifs susmentionnés, j’estime que la division générale a commis une erreur mixte de droit et de fait en concluant que le prestataire avait un motif valable pendant toute la période du retard. La conclusion de la division générale n’a pas appliqué le droit de la façon dont il est interprété dans l’arrêt Dame et autres et elle a été tirée sans tenir compte de la preuve selon laquelle il est laissé entendu que le prestataire n’a rien fait afin de préciser son statut d’emploi pour les cinq ou six premiers mois de 2014.

Conclusion

[52] L’appel est accueilli.

[53] Le prestataire n’a pas droit à l’antidatation au 31 juillet 2014. La décision de la division générale est annulée, et la décision rendue par la Commission le 8 mai 2015 est rétablie.

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