Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Appelant : J. D.

Représentante de l’appelant : S. Guevara-Holguin

Représentante de l’intimée : S. Prud’Homme

Mis en cause : J. B.

Aperçu

[1] L’appelant a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi (AE), avec une période de prestations commençant le 21 juin 2015. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a conclu, le 21 juillet 2015, que des prestations d’AE ne pouvaient pas lui être versées puisque l’appelant avait quitté volontairement son emploi sans justification le 19 juin 2015.

[2] À la fin de son congé autorisé, l’appelant avait repris son emploi comme prévu, le 23 septembre 2015 ou vers cette date. Il a ensuite été mis à pied le 27 novembre 2015. Le 22 décembre 2015, la Commission a déterminé que des prestations d’AE ne pouvaient pas lui être versées pour réactiver la période de prestations existante [traduction] « vu l’exclusion imposée précédemment », et a précisé qu’une nouvelle demande (initiale) ne pouvait pas être présentée étant donné que l’appelant n’avait pas travaillé le nombre minimum d’heures assurables [traduction] « depuis qu’il avait quitté volontairement son emploi […] sans justification ». Cette décision a été maintenue à l’issue de la révision.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a rejeté l’appel formé par l’appelant. D’abord, la division générale a conclu que l’appelant avait volontairement pris un congé autorisé sans justification, et qu’une exclusion avait été imposée à juste titre en application de l’article 32 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). De plus, la division générale a conclu que l’appelant n’avait pas accumulé suffisamment d’heures de façon à être admissible à des prestations quand il a été mis à pied en novembre 2015, puisque [traduction] « seules les heures travaillées après l’exclusion imposée le 19 juin 2015 p[ouvai]ent être utilisées » conformément au paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE

[4] La division d’appel du Tribunal a accordé à l’appelant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les moyens d’appel admissibles à la division d’appel comprennent les manquements aux principes de justice naturelle, les erreurs de droit et de compétence, et les conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitre ou sans égard à la preuve.

[5] L’audience de cet appel a été tenue par téléconférence, ce qui est conforme à l’obligation du Tribunal de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Inadmissibilité imposée de juin à septembre 2005

[6] L’appelant a admis, par l’intermédiaire de sa représentante, qu’il avait été inadmissible au bénéfice des prestations du 21 juin au 23 septembre 2015 en application de l’article 32 de la Loi sur l’AE. D’après mon examen du dossier et de la décision de la division générale, et les parties en conviennent maintenant, il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle ni erreur de compétence, de droit ou de fait à cet égard. La décision de la division générale relativement à l’inadmissibilité aux prestations entre juin et septembre 2015 est donc confirmée.

Heures insuffisantes pour être admissible aux prestations en novembre 2015

[7] Je souligne à ce stade que, lorsque j’ai demandé à la Commission de présenter ses arguments verbaux sur le sujet, la représentante a fait savoir qu’elle croyait que la seule question en appel était de savoir si l’appelant avait volontairement pris un congé autorisé sans justification. Elle avait d’abord suggéré de procéder à un ajournement pour que cette question puisse être éclaircie. Je n’ai pas donné suite à l’idée d’un ajournement, étant donné que la décision de la division générale traitait des deux questions; que l’appelant avançait en détail dans ses observations écrites une erreur de droit relativement à la seconde question; et que la Commission avait, dans les observations écrites qu’elle avait présentées à la division générale et à la division d’appel, abordé la question des heures requises pour toucher d’autres prestations.

[8] En mai 2016, la Commission a présenté ceci à la division générale :

[traduction]

Pour ce qui est de la question du nombre d’heures accumulées insuffisant depuis l’exclusion, la Commission soutient que, conformément au paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE, seules les heures travaillées après le fait ayant donné lieu à l’exclusion du 19 juin 2015 peuvent être utilisées pour déterminer si le prestataire peut éviter une inadmissibilité en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi sur l’AE. La Commission soutient que, après avoir pris volontairement un congé autorisé de son emploi chez LCL Spas le 19 juin 2015, le prestataire n’a pas accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour pouvoir toucher des prestations régulières en vertu de l’article 7 de la Loi sur l’AE (GD3-29). [mis en évidence par la soussignée]

[9] Même si la décision ayant fait l’objet d’une révision traitait de l’admissibilité aux prestations d’après la réactivation de la période de prestations de juin 2015 et l’établissement d’une nouvelle période de prestations, la Commission n’avait pas établi de distinction entre ces deux scénarios dans ses observations.

[10] Il semblerait que la division générale ait accepté l’observation de la Commission, sans discuter le droit ni citer l’article 30 de la Loi sur l’AE :

[traduction]

[81] Le Tribunal juge que l’appelant a volontairement pris un congé autorisé sans justification et, par conséquent, en conformité avec le paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE, seules les heures travaillées après le fait ayant donné lieu à l’exclusion du 19 juin 2015 peuvent être utilisées.

[11] Comme l’appelant avait seulement accumulé 380 heures entre son congé autorisé et sa mise à pied de novembre 2015, la division générale a confirmé qu’il n’avait pas suffisamment d’heures pour être admissible à des prestations.

[12] L’appelant invoque une erreur de droit. Le moyen d’appel applicable est prévu à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS, soit que la division générale « a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. » Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, il a été établi que les normes de contrôle applicables au contrôle judiciaire de décisions rendues par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé. Un tel organe d’appel doit plutôt s’en tenir aux moyens d’appel établis par sa loi constitutive. Dès lors, je suis d’accord avec l’observation de la Commission voulant qu’aucune déférence n’est due à l’endroit de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit, d’après le libellé sans qualificatif de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

[13] Plus précisément, l’appelant soutient que la division générale a commis une erreur de droit appliquant les exigences du paragraphe 30(5) plutôt que celles de l’article 32 de la Loi sur l’AE. Je suis d’accord avec lui.

[14] Voici les dispositions pertinentes :

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[…]

(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

[…]

32(1) Le prestataire qui prend volontairement une période de congé sans justification n’est pas admissible au bénéfice des prestations si, avant ou après le début de cette période :

a) d’une part, cette période a été autorisée par l’employeur;

b) d’autre part, l’employeur et lui ont convenu d’une date de reprise d’emploi.

(2) Cette inadmissibilité dure, selon le cas, jusqu’à :

a) la reprise de son emploi;

b)  la perte de son emploi ou son départ volontaire;

c) le cumul chez un autre employeur, depuis le début de la période de congé, du nombre d’heures d’emploi assurable exigé à l’article 7 ou 7.1.

[mis en évidence par la soussignée]

[15] Dans des observations écrites qu’elle a soumises à la division d’appel, la Commission a appuyé la conclusion de la division générale quant au nombre d’heures insuffisant pour une admissibilité aux prestations, et a invoqué Canada (Procureur général) c. Trochimchuk, 2011 CAF 268Note de bas de page 1, pour affirmer que [traduction] « lorsqu’un prestataire quitte son emploi sans justification, les heures d’emploi assurable qu’il a accumulées dans le cadre de cet emploi et de tout emploi antérieur ne peuvent être utilisées pour le rendre admissible à des prestations en vertu de l’article 7 de la Loi sur l’AE. » Ce résumé ne fait que reformuler le paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE, lié au paragraphe 30(1). La cause Trochimchuk est elle-même différente de l’espèce du point de vue des faits, puisqu’elle implique un prestataire qui avait quitté volontairement son emploi, et non pris volontairement un congé autorisé. La Commission n’a pas expliqué comment le paragraphe 30(5) peut s’appliquer au présent appel, et le mis en cause n’a présenté aucune observation sur la question.

[16] J’estime que rien ne justifie que le paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE soit appliqué à la situation de l’appelant. Cette disposition s’applique uniquement si un prestataire perd son emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification. J’estime que l’expression « quitte volontairement son emploi » n’englobe pas un congé autorisé pris de manière volontaire et pour lequel une date de reprise a été fixée. Le fait de prendre une « période de congé » temporaire ne revient pas à quitter un emploi. La distinction entre « quitte volontairement son emploi » et « prend volontairement une période de congé » est d’ailleurs plus claire dans la version française de la Loi sur l’AE qu’en anglais. Je souligne que le paragraphe 29(b.1) de la Loi sur l’AE assimile au départ volontaire le refus d’accepter un emploi de rechange, le refus de reprendre son emploi, et le refus de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est transféré auprès d’un autre employeur; une période de congé volontaire ne fait donc pas partie de la définition élargie. De plus, le fait que l’inadmissibilité prévue à l’article 32 prend fin lors du « départ volontaire » du prestataire (al. 32(2)b)) réaffirme que ce concept se veut distinct d’une période de congé volontaire. Selon moi, l’article 32 de la Loi sur l’AE fournit des directives claires quant aux conséquences d’une période de congé volontaire prise sans justification, lorsque ledit congé est autorisé et qu’une date de reprise d’emploi est prévue. Si l’article 32 s’applique, il n’y a aucune raison d’appliquer l’article 30 de la Loi sur l’AE, y compris le paragraphe 30(5).

[17] En l’espèce, l’appelant a présenté une demande initiale et, conformément aux articles 9 et 10 de la Loi sur l’AE, une période de prestations débutant le 21 juin 2015 a été établie. L’appelant n’a pas été exclu du bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi sur l’AE, et il n’a pas perdu d’emploi pour cause d’inconduite ni quitté volontairement son emploi sans justification. Comme l’a confirmé la division générale (de la même manière que la Commission), c’est plutôt une inadmissibilité aux prestations qui a été imposée à l’appelant pour la période entre juin et septembre 2015 puisqu’il avait pris volontairement une période de congé sans justification, au titre du paragraphe 32(1) de la Loi sur l’AE. Il a repris son emploi vers la fin de septembre 2015 et son inadmissibilité a donc pris fin à ce moment-là, par application de l’alinéa 32(2)a) de la Loi sur l’AE. L’appelant n’avait pas besoin [traduction] « d’éviter une inadmissibilité » par application du paragraphe 3(5) de la Loi sur l’AE, et il n’y avait pas eu de fait ayant donné lieu à une exclusion, comme la Commission l’avait d’abord affirmé. Lorsque l’appelant a demandé des prestations après avoir été mis à pied en novembre 2015, sa période de prestations existante n’avait ni pris fin ni été annulée en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’AE, et l’inadmissibilité n’avait plus cours. Je conclus que la division générale a mal appliqué aux faits de l’espèce le paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE, après avoir, pour une raison que j’ignore, qualifié de « fait ayant donné lieu à une exclusion » l’inadmissibilité imposée à l’appelant. La mauvaise application du paragraphe 30(5) de la Loi sur l’AE constitue une erreur de droit.

[18] En vertu de l’article 59 de la Loi sur l’AE, j’ai compétence pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux donc corriger de cette façon l’erreur de la division générale , et juge qu’il convient de le faire. L’appel de l’appelant devant la division générale n’aurait pas dû être rejeté. La décision du 22 décembre 2015 de la Commission, dans laquelle elle a conclu que l’appelant était inadmissible au bénéfice des prestations en raison d’une exclusion antérieure et d’un nombre insuffisant d’heures accumulées depuis son départ volontaire, doit être annulée. À la fin de novembre 2015, l’appelant pouvait réclamer des prestations dans le cadre de sa période de prestations existante, laquelle avait débuté le 21 juin 2015, et ce, sans quelconque restriction découlant d’un fait ayant donné lieu à une exclusion ni inadmissibilité attribuable à une période de congé.

[19] Comme la période de prestations de l’appelant n’était pas terminée ni annulée en date de novembre 2015, il n’est pas nécessaire de traiter des conditions relatives à une nouvelle période de prestations à ce moment-là dans le cadre de la présente décision. Je souligne que, si la période de prestations de juin 2015 avait pris fin (plutôt que d’avoir été annulée), l’appelant aurait dû avoir accumulé suffisamment d’heures assurables au cours d’une période de référence réduite débutant le 21 juin 2015 de façon à ce qu’une nouvelle période de prestations puisse être établie à son profit, et ce, non pas en vertu du paragraphe 30(5), mais bien de l’alinéa 8(1)b) de la Loi sur l’AE, qui n’a rien à voir avec une exclusion ou une inadmissibilité. De toute façon, la période de prestations établie en juin 2015 n’avait pas pris fin en date du 27 novembre 2015, et l’appelant pouvait réclamer des prestations d’AE dans le cadre de la période de prestations existante, comme je l’ai établi plus haut.

[20] Il semble que la Commission pourrait déjà avoir tiré cette conclusion à son niveau opérationnel. La représentante de l’appelant a fait savoir à la division générale et à la division d’appel que l’appelant avait reçu des prestations de façon rétroactive, pour la période suivant sa mise à pied de novembre 2015. Ceci est cohérent avec la preuve au dossier, qui montre qu’un agent de Service Canada a informé l’appelant, le 20 avril 2016, qu’il serait payé pour la période suivant sa mise à pied (GD3-36). Cependant, conformément à la décision de révision du 21 avril 2016, rien n’a été changé à la décision de décembre 2015, et la représentante de la Commission ne disposait pas d’un relevé des paiements effectués pour la période ayant suivi la mise à pied. Bien qu’une modification à la décision de la division générale ne puisse être que théorique advenant que l’appelant ait déjà reçu des prestations de l’AE pour la période concernée, il est compréhensible que l’appelant souhaite que toute contradiction entre la décision de la division générale et les actions de la Commission soit résolue pour éviter la possibilité que la Commission réclame un trop-payé dans l’avenir.

Décision

[21] L’appel est accueilli en partie.

[22] La décision de la division générale, qui imposait une inadmissibilité à l’appelant durant sa période de congé entre le 19 juin 2015 et le 23 septembre 2015, en application de l’article 32 de la Loi sur l’AE, est confirmée. La décision du 10 juillet 2015 de la Commission à cet égard est donc également confirmée.

[23] La décision de la division générale, de rejeter l’appel formé par l’appelant sur la question des heures nécessaires pour être admissible au bénéfice des prestations à sa mise à pied de novembre 2015, est annulée et remplacée à cet effet par ce qui suit :

L’appelant était inadmissible, et non exclu, du bénéfice des prestations pour la durée de son congé, qui a commencé le 19 juin 2015 et a pris fin le 23 septembre 2015 ou vers cette date. La décision rendue le 22 décembre 2015 par la Commission est annulée. En date de sa mise à pied du 27 novembre 2015, aucune inadmissibilité ni exclusion n’était en vigueur; l’appelant pouvait réclamer des prestations à ce moment-là, en vertu de la période de prestations existante qui avait débuté le 21 juin 2015.

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