Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

S. W. : appelant

Susan Prud’homme : représentante de l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada

Introduction

[1] Le 22 janvier 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que l’appelant n’avait pas été fondé à quitter volontairement son emploi conformément à l’article 29 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Le 23 mars 2017, une demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale a été présentée à la division d’appel du Tribunal, et la permission a été accordée le 30 mars 2017.

[2] L’appel a été instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. La complexité des questions portées en appel;
  2. L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[3] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit ou manqué à un principe de justice naturelle en concluant que le départ de l’appelant n’avait pas constitué sa seule solution raisonnable?

Droit applicable

[4] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[5] L’appelant soutient que la division générale n’a pas tenu compte de son témoignage voulant qu’il avait essayé de nombreuses fois de parler de ses préoccupations quant à ses conditions de travail avec le directeur (que la division générale a aussi appelé le « président »).

[6] L’appelant soutient aussi que la division générale a mal interprété l’ampleur des efforts qu’il a déployés pour trouver un autre emploi alors qu’il occupait toujours le sien.

[7] L’appelant soutient que la conclusion qu’a tirée la division générale au paragraphe 55 de sa décision, à savoir qu’il n’avait pas cherché un autre emploi avant de démissionner, ne cadre pas avec l’arrêt de la Cour d’appel fédérale sur lequel la division générale s’est fondée, soit Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190.

[8] L’appelant affirme également qu’il a fourni des décisions antérieures de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) (à GD2-8) où des prestations avaient été accordées à des personnes se trouvant dans la même situation que la sienne, et que la division générale aurait dû tenir compte de ces décisions.

[9] L’intimée affirme que le membre de la division générale a réfléchi à chacune des questions et qu’il a clairement traité de chacune d’elles. Il a noté que c’est à l’appelant qu’il incombait de démontrer que son départ avait constitué sa seule solution raisonnable. L’intimée a affirmé que la décision de la division générale faisait partie des issues possibles et qu’il s’agissait d’une décision raisonnable et conforme à la Loi sur l’AE, de même qu’à la jurisprudence établie.

Analyse

Norme de contrôle

[10] La référence qu'a faite l’intimée au caractère raisonnable de la décision de la division générale et son commentaire sur l’application de normes de contrôle aux juges-arbitres donnent à penser qu’elle considère qu’il convient de mener une analyse fondée sur la norme de contrôle. Néanmoins, l’intimée n’a pas expressément soutenu que je devrais appliquer les normes de contrôle ni que la décision raisonnable est la norme indiquée.

[11] Je reconnais que les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS sont très semblables aux moyens utilisés en contrôle judiciaire, ce qui donne à penser que les normes de contrôle pourraient s’appliquer ici également. Cependant, des jugements récents de la Cour d’appel fédérale n’ont pas exigé l’application des normes de contrôle, et j’estime qu’elle n’est pas nécessaire.

[12] Dans Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il n’était pas nécessaire de décider de la norme de contrôle devant être appliquée par la division d’appel, mais a précisé, au passage, qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel doivent faire l’objet d’une analyse fondée sur une norme de contrôle. La Cour a fait remarquer que la division d’appel possède autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence à son endroit. La Cour a également souligné qu’un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer le pouvoir de contrôle et de surveillance réservé au contrôle judiciaire à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[13] Dans la cause récente Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a directement traité de la norme de contrôle appropriée, mais dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes qui ont guidé le rôle des cours en matière de contrôle judiciaire des décisions rendues par des décideurs administratifs ne s’appliquent pas à une structure administrative à plusieurs niveaux, et que les normes de contrôle devraient uniquement être appliquées si la loi habilitante le prévoit.

[14] La loi habilitante relativement aux appels administratifs formés contre des décisions rendues en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et cette loi ne prévoit pas un contrôle fondé sur les normes de contrôle.

[15] D’autres décisions de la Cour d’appel fédérale paraissent approuver l’application des normes de contrôle (comme Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147; et Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167). Cela dit, il ne semble pas y avoir consensus au sein de la Cour d’appel fédérale quant à l’applicabilité d’une telle analyse dans le cadre d’un processus d’appel administratif.

[16] Je souscris au point de vue exprimé dans Jean, où la Cour a fait référence à l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et précisé qu’ « [i]l n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. » J’examinerai cet appel en faisant uniquement référence aux moyens d’appel prévus par la Loi sur le MEDS, et non à la « décision raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Appel sur le fond – La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit?

I. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

A. La division générale a-t-elle ignoré les efforts déployés par l’appelant pour faire part de ses préoccupations au directeur?

[17] L’appelant soutient que la division générale a ignoré son témoignage quand elle a jugé que de discuter de ses préoccupations avec son directeur avait été une solution raisonnable pour lui. Il a affirmé avoir dit [traduction] « à maintes reprises » au membre de la division générale qu’il l’avait fait.

[18] Même si je reconnais que l’appelant se souvient maintenant d’avoir tenté de communiquer ses préoccupations au directeur, avant comme après sa démission, la division générale ne disposait d’aucune preuve à cet effet.

[19] J’ai analysé l’enregistrement audio de l’audience, mais je n’ai trouvé aucun témoignage selon lequel l’appelant aurait parlé de ses préoccupations avant de remettre sa démission. Dans le témoignage qu’il a livré à la division générale, l’appelant a seulement dit que le directeur [traduction] « n’était jamais vraiment sur les lieux » et qu’il était [traduction] « difficile d’entrer en contact avec lui », et a parlé du fait qu’il avait essayé de communiquer avec le directeur après avoir remis sa démission.

[20] J’ai trouvé une seule mention au dossier qui pourrait se rapporter à la prétention de l’appelant voulant qu’il avait fait part, ou tenté de faire part, de ses préoccupations au directeur. Au second paragraphe des observations écrites qu’il a présentées à la division générale, l’appelant déclare que [traduction] « l’employeur a violé les conditions de [s]on contrat de travail en ne [lui] donnant pas les heures de travail indiquées comme étant [SON] choix dans le contrat et expressément communiquées plus d’une fois [au directeur] ainsi qu’à [son gestionnaire de bureau] » (AD1-4).

[21] D’après le sens grammatical ordinaire de cette déclaration, ce sont ses « heures de préférence » qui avaient été communiquées au directeur, et non ses préoccupations quant au fait qu’on ne lui permettrait pas de travailler ces heures. La division générale ne disposait d’aucune autre preuve documentaire ou testimoniale donnant à penser que l’appelant avait fait part de ses préoccupations à son directeur.

[22] Par conséquent, je juge que la division générale n’a pas erré en concluant que l’appelant n’avait fait part d’aucune de ses préoccupations à son directeur.

B. La division générale a-t-elle mal compris l’ampleur de la recherche d’emploi effectuée par l’appelant alors qu’il occupait toujours son emploi?

[23] Pour ce qui est de son argument voulant que la division générale avait mal interprété l’ampleur de la recherche d’emploi qu’il avait faite alors qu’il travaillait toujours pour l’employeur, l’appelant n’a fourni que peu de preuves permettant à la division générale d’évaluer sa prétention. L’appelant a maintenant fourni à la division d’appel des éléments de preuve supplémentaires pour étayer l’ampleur de la recherche qu’il avait faite pour trouver un autre emploi; cependant, je ne peux pas tenir compte de cette preuve dans ma décision.

[24] La division générale pouvait seulement examiner les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, et je peux seulement déterminer si la division générale a ignoré ou mal apprécié cette preuve. Les moyens d’appel sont ceux décrits au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, énumérés précédemment au paragraphe 4.

[25] J’admets qu’il y avait certaines preuves appuyant la conclusion factuelle de la division générale voulant que l’appelant avait cherché un emploi avant de quitter le sien. À la question no 9 de sa demande de prestations initiales, l’appelant a répondu « oui », confirmant qu’il avait cherché un emploi avant de démissionner. Lorsque la Commission lui a demandé en entrevue s’il avait essayé de trouver un autre emploi avant de quitter le sien, l’appelant a dit qu’il n’avait jamais arrêté de chercher (GD3-21). Cependant, voici la totalité de la preuve dont disposait la division générale quant à la recherche d’emploi de l’appelant. L’appelant n’a pas témoigné lors de l’audience devant la division générale qu’il avait cherché un emploi ni expliqué ce qu’avait supposé cette recherche.

[26] Je ne peux donc pas conclure que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve portée à sa connaissance en affirmant que l’appelant n’avait pas fourni de preuves ni d’observations détaillées sur l’ampleur de ses efforts pour chercher un emploi.

II. La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle ou autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence?

A. Les motifs de la division généralement suffisaient-ils à faire comprendre la décision?

[27] L’appelant soutient que les paragraphes 55 et 57 semblent à première vue contradictoires. Au paragraphe 55, la division générale admet que l’appelant avait cherché un autre emploi tout en continuant de travailler, d’après la déclaration qu’il a faite auprès de la Commission (GD3-21). Puis, au paragraphe 57, la division générale cite White pour affirmer que [traduction] « […] dans la plupart des cas, le prestataire est obligé de tenter de résoudre les conflits de travail avec l’employeur ou de démontrer qu’il a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi ».

[28] Comme la division générale avait déjà conclu que l’appelant avait cherché un autre emploi avant de quitter le sien, il semble que l’appelant se soit acquitté de son obligation de démontrer qu’il a fait des efforts pour trouver un autre emploi. La division générale n’explique pas en quoi le fait d’avoir cité le principe de White appuie sa conclusion que l’appelant n’avait pas été fondé à quitter son emploi. En fait, il semblerait plutôt que ce soit le contraire.

[29] L’appelant n’a pas expliqué pourquoi il considérait qu’il s’agissait d’une erreur, mais je comprends qu’il conteste la suffisance de motifs, ce qui serait considéré comme un manquement à la justice naturelle, ou une erreur de droit. La division générale n’a pas expliqué dans ses motifs la façon dont elle aurait appliqué White aux faits et tiré sa conclusion.

[30] Malgré tout, je dois présumer que la division générale avait un but en citant White; autrement dit, je dois présumer que la division générale a jugé que la décision White était applicable d’une certaine manière aux faits de cette affaire. D’après cette présomption, j’admets que la double obligation spécifiée dans White a influencé la décision de la division générale dans une certaine mesure.

[31] Il est écrit dans White que l’une des obligations d’un prestataire est de démontrer qu’il a fait des efforts pour trouver un autre emploi, plutôt que d’obliger le prestige à « véritablement obtenir » un autre emploi. Selon la division générale, l’appelant a bel et bien démontré qu’il a fait des efforts. Pourtant, elle a quand même conclu qu’il avait eu, comme solution raisonnable, de garder son emploi jusqu’à ce qu’il trouve un emploi convenable (paragraphe 56). J’en conclus que la division générale considère que, selon White, les efforts déployés doivent être des efforts raisonnables, et j’en conclus également que la division générale a reconnu tacitement soit que l’appelant n’avait pas fait des efforts raisonnables, soit qu’il n’avait pas démontré qu’il avait fait des efforts raisonnables.

[32] La division générale aurait pu être plus transparente dans cette décision. Le paragraphe 55, en particulier, aurait pu profiter d’une conclusion évidente quant au caractère raisonnable de la recherche d’emploi et d’une explication sur les déductions que la division générale a pu faire d’après le manque de preuves sur l’ampleur de la recherche. Il aurait également été préféable que la cause White soit clairement abordée dans le contexte de faits et appliquée.

[33] Malgré tout, j’estime que les motifs ne sont pas opaques au point de rendre impossible un examen en appel ni insuffisants au point de constituer un manquement à la justice naturelle.

III. La division générale a-t-elle rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier?

A. La division générale a-t-elle examiné les autres solutions dont disposait l’appelant, compte tenu de toutes circonstances, plutôt que de quitter son emploi?

[34] Le seul autre argument avancé par l’appelant touche le fait que la division générale n’aurait pas tenu compte de la jurisprudence qu’il a fournie. Par contre, avant de me pencher sur la question de l’utilisation adéquate des autorités judiciaires (plus bas, au paragraphe 67), je vais aborder d’autres aspects qui m’ennuient dans la manière dont la division générale a appliqué le critère de l’alinéa 29c). Le premier aspect dérangeant porte sur la façon dont la division générale a évalué les solutions raisonnables.

[35] Conformément à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE, un prestataire est « fondé » à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable. L’alinéa 29c) dresse une liste de multiples circonstances particulières, allant des sous-alinéas (i) à (xiv), qui sont pertinentes pour en décider. La liste est non exhaustive, mais ces circonstances particulières doivent être prises en considération si elles sont présentes. Selon la Cour d’appel fédérale, le critère consiste à déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si le départ de l’appelant constituait sa seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles énumérées aux sous-alinéas 29c)(i) à (xiv) de la Loi sur l’AE (Canada (Procureur général) c. Landry,(1993) 2 C.C.E.L. (2d) 92 (CAF)).

[36] Dans la décision faisant l’objet de l’appel, la division générale a tiré la conclusion de fait que l’appelant avait rencontré certaines des circonstances énumérées à l’alinéa 29c). Elle a fait les constatations suivantes quant à ses circonstances :

  • L’appelant avait connu une modification importante de ses conditions de rémunération (sous-alinéa 29c)(xii));
  • L’appelant n’avait pas pu travailler ses heures préférentielles, ce que l’on pourrait considérer comme une rupture de contrat (ce qui se rapporte directement à la « modification importante des fonctions » du sous-alinéa 29c)(ix));
  • L’appelant avait une relation conflictuelle avec son superviseur (pour l’application du sous-alinéa 29c)(x)).

Même si la division générale n’a pas établi la personne à qui la relation conflictuelle était essentiellement imputable, cela appuie sa conclusion portant uniquement sur le comportement hostile du superviseur à l’endroit de l’appelant (paragraphes 41, 42 et 43). Par conséquent, j’admets que la division générale a conclu implicitement que la relation conflictuelle n’était pas essentiellement imputable à l’appelant et que la circonstance décrite au sous-alinéa 29c)(x) s’appliquait.

[37] Dans sa décision, la division générale se penche tour à tour sur les circonstances prévues aux sous-alinéas 29c)(vii), (ix) et (x), et conclut comme suit, pour chacune d’elles, que le départ de l’appelant n’avait pas constitué sa seule solution raisonnable :

  • Pour la circonstance ayant trait à la modification de la rémunération, la division générale conclu qu’une solution raisonnable pour l’appelant aurait été de continuer à travailler tout en cherchant un autre emploi (paragraphe 35).
  • En ce qui concerne la modification des conditions d’emploi (à laquelle la décision fait référence sous la rubrique « Horaire »), la division générale note deux solutions raisonnables : que l’appelant travaille jusqu’à la fin de sa période d’essai, et qu’il parle du problème au président (paragraphe 40). (Dans le témoignage qu’il a livré à la division générale, l’appelant a plutôt parlé du président comme étant le « directeur ».)
  • Quant à l’hostilité avec son superviser, la division générale a proposé que l’appelant aurait pu demander une médiation par l’entremise du président (paragraphe 46).

[38] La division générale a également pris note des « circonstances supplémentaires » soulevées par l’appelant, telles que le langage blessant au travail, la carte de crédit de la compagnie et le pouvoir d’achat, de même que le manque de leadership de la part du président et le fait qu’on l’avait placé en situation d’échec en lui refusant l’accès nécessaire ou la capacité d’obtenir les pièces dont il avait besoin. La division générale n’a tiré aucune conclusion explicite sur l’existence de ces autres circonstances, mais je juge qu’elle a admis que ces circonstances représentaient des facteurs supplémentaires. Rien ne porte à croire le contraire, et la division générale a fait deux fois allusion à la crédibilité de l’appelant (paragraphes 39 et 55). La division générale a rapporté de façon neutre l’opinion de l’appelant voulant qu’il [traduction] « […] était de plus en plus difficile de travailler là avec toutes ces conditions rassemblées » (paragraphe 48).

[39] Il serait raisonnable de présumer que l’incidence combinée de toutes les circonstances à propos desquelles l’appelant a témoigné serait plus grande que leur effet individuel. On peut même imaginer que l’interaction d’un grand nombre de circonstances est parfois telle que leur incidence globale sur l’existence de solutions raisonnables serait encore plus importante que si l’on résumait simplement les effets individuels des circonstances prises séparément.

[40] La nécessité de tenir compte de l’effet global semble être reconnue à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE, puisqu’il prescrit à la Commission de déterminer du caractère raisonnable des solutions compte tenu de « toutes les circonstances » et non de « l’une ou l’autre des circonstances ».

[41] D’après moi, la division générale n’a pas bien analysé l’effet de toutes les circonstances. Au paragraphe 56, la division générale compile ses diverses conclusions quant aux solutions raisonnables qu’elle a relatées sous deux grandes rubriques, qui tiendraient compte de toutes les circonstances. Cependant, avant ce stade, la division générale examine les circonstances individuellement.

[42] La division générale conclut que de « parler au président » constituait une solution raisonnable pour ce qui est de la modification importante des fonctions (paragraphe 40) et de la relation conflictuelle avec un superviseur (ce qu’on a aussi appelé ici la recherche de médiation par l’entremise du président), mais la division générale juge qu’il ne s’agit pas d’une solution raisonnable relativement à la modification importante de ses conditions de rémunération (paragraphe 35). Cela est tout à fait raisonnable. Les nouvelles conditions de rémunération avaient été imposées par le directeur dans le cadre de négociations avec l’appelant. L’appelant avait déjà négocié de son mieux avec le directeur, dans la position délicate où il était alors qu’il avait déjà accepté un emploi et commencé à travailler.

[43] La division générale conclut aussi que de conserver son emploi tout en cherchant un autre emploi était une solution raisonnable relativement à la modification importante de ses conditions de rémunération et à la modification importante des fonctions, mais pas pour la relation conflictuelle avec son superviseur, avec qui il travaille tous les jours. Ceci est également sensé. On peut difficilement imaginer de dire que continuer à travailler tout en ayant une relation conflictuelle avec un superviseur immédiat est une solution raisonnable pour échapper au superviseur hostile en question.

[44] Les trois circonstances décrites ci-dessus figurent expressément à l’alinéa 29c) vu leur potentiel reconnu de nuire à l’existence de solutions raisonnables, et la division générale a effectivement conclu que ces circonstances été bel et bien présentes. Néanmoins, la division générale n’a trouvé aucune solution raisonnable s’appliquant aux trois circonstances. Si la division générale s’efforce de tenir compte de « toutes les circonstances », au paragraphe 56, comme l’exige l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE, elle conclut, au bout du compte, que l’appelant aurait pu parler de ses problèmes avec le président ou garder son emploi jusqu’à ce qu’il ait trouvé un autre emploi convenable. Comme je l’ai mentionné plus tôt, aucune de ces solutions ne s’applique aux trois circonstances alléguées, mais uniquement à certaines d’entre elles.

[45] De plus, la division générale n’examine pas le caractère raisonnable des solutions d’une façon qui tienne compte de l’effet de toute interaction entre ces circonstances.

[46] Ainsi, la façon dont la division générale a évalué les solutions raisonnables n’englobe pas toutes les circonstances et représente donc une erreur de droit pour l’application de l’alinéa 58(1)b).

B. La division générale avait-elle raison d’exiger que les circonstances de l’appelant soient intolérables à point tel qu’il devait quitter son emploi immédiatement?

[47] Il reste encore une erreur de droit que l’appelant n’a pas soulevée mais qui mérite qu’on s’y attarde. Cette erreur se rapporte au fait que la division générale a visiblement appliqué un critère juridique tenant compte des exigences de la disposition législative ayant précédé l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE.

[48] Au paragraphe 35, la division générale affirme que la modification dans les conditions de rémunération n’était [traduction] « […] pas importante au point de l’obliger à quitter immédiatement son emploi. » Au paragraphe 52, la division générale affirme qu’elle a tenu compte de l’ensemble de toutes les circonstances avant de conclure que les [traduction] « conditions d’emploi [de l’appelant] étaient intolérables, mais pas intolérables au point de le faire quitter son emploi immédiatement ». Au paragraphe 53, la division générale examine la tentative de l’appelant de faire annuler sa démission, concluant que ceci [traduction] « démontre [encore une fois] que les conditions n’étaient pas intolérables à un point tel que son départ immédiat, en l’absence d’un nouvel emploi, était sa seule solution ».

[49] La division générale appréhende correctement la question ultime, concluant que l’appelant n’avait pas été fondé à quitter son emploi. Cela dit, l’analyse qu’elle effectue aux paragraphes 52 et 53 donne à penser qu’elle adopte et applique une interprétation d’un critère relatif à la « justification » qui nécessite que les circonstances soient intolérables au point d’obliger l’appelant à quitter immédiatement son emploi.

[50] L’application d’une exigence d’immédiateté tire son origine du paragraphe 28(4) de l’ancienne Loi sur l’assurance-chômage, qui nécessitait que le prestataire n’ait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi immédiatement. Dans cette ancienne loi, « immédiatement » se rapportait au fait de « quitter » son emploi immédiatement, et non aux solutions qui existaient immédiatement, et c’est exactement l’utilisation qu’en fait maintenant la division générale. Néanmoins, le terme « immédiatement » n’a pas été inclus dans la version actuelle de la loi. En présumant que le législateur a agi délibérément, on commettrait maintenant une erreur de droit si l’on interprétait la loi actuelle de manière à inclure de nouveau l’exigence d’immédiateté. En fait, une exigence d’immédiateté entraverait l’examen en bon et due forme de « toutes les circonstances », tel que le prescrit l’alinéa 29c); circonstances qui peuvent notamment survenir à des moments différents ou apparaître progressivement, comme en l’espèce.

[51] Il existe, en lien au concept d’immédiateté, l’idée que les conditions de travail doivent être intolérables pour justifier un départ. L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hernandez, 2007 CAF 320, est souvent utilisé pour appuyer l’idée que les conditions de travail doivent être intolérables au point de ne laisser d’autre choix à l’employé que de quitter son emploi. L’application de Hernandez suppose de considérer deux mises en garde. D’abord, Hernandez ne s’applique qu’à l’une des circonstances de l’alinéa 27c), soit la modification importante des fonctions. Aucune autre circonstance ni combinaison de circonstances ne peut servir à franchir le seuil « intolérable ». Ensuite, Hernandez ne définit pas intolérable comme étant extrêmement intolérable ni, comme l’a affirmé la division générale, comme étant [traduction] « intolérable à un point tel que l’appelant devait quitter son emploi immédiatement. » Autrement dit, Hernandez n’élimine pas l’idée que des circonstances individuelles puissent s’approcher du seuil « intolérable » en étant réunies ou qu’un ensemble de circonstances puisse être intolérable d’un point de vue cumulatif.

[52] Qui plus est, « intolérable » n’est pas accepté universellement comme étant une mesure adéquate. Dans Chaoui c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 66 (CanLII), la Cour d’appel fédérale semble avoir rejeté « intolérable » à titre de norme appropriée. Dans cette affaire, le juge-arbitre a statué que le prestataire aurait dû « continuer de travailler jusqu’à ce qu’il se trouve un travail qui répondait mieux à ses aspirations » et qu’il n’y avait « aucune preuve que les conditions de travail étaient intolérables. » La Cour d’appel fédérale a rejeté ces propos en affirmant que le juge-arbitre « […] est allé au-delà des exigences de l’alinéa 29c) et il impose un fardeau qui, à la limite, vide ledit alinéa de tout son sens. »

[53] L’appelant a soumis deux décisions de l’ancien juge-arbitre (CUB 15298 et 15252), soutenant que la division générale a erré du fait qu’elle n’a pas tenu compte de ces décisions. Ces causes ont été produites à l’appui de son argument voulant que des modifications aux modalités de son contrat pouvaient être considérées comme une justification. Je juge que la division générale n’a pas commis une erreur en refusant d’appliquer ces décisions CUB ou d'y faire référence. Si les décisions du juge-arbitre peuvent avoir une valeur persuasive, la division générale n’est pas tenue de les suivre et elle ne commet pas d’erreur si elle n’y fait pas référence dans ses motifs de décision.

[54] Cela étant dit, je reconnais la valeur des propos suivants tenus par le juge Muldoon dans la décision CUB 12252 :

[…] [C]e que l’on n’exige pas des prestataires, c’est d’être exploités, trompés ou renvoyés par leur employeur. D’après la preuve, c’est ce que les membres du conseil arbitral semblent avoir trouvé lorsqu’ils concluent : « ...la diminution du salaire, de celui qui avait été offert initialement... » Que l’on exclue un prestataire du bénéfice des prestations, parce qu’il ne veut pas être ainsi traité par un employeur qui l’engage mais qui non seulement ne tient pas parole, mais ne respecte pas le contrat de travail, serait alors à l’encontre de l’intérêt public et donnerait à l’administration de la Loi sur l’assurance-chômage une bien mauvaise réputation.

[55] Tout comme la division générale, je ne suis pas lié par les décisions du juge-arbitre. Par contre, j'estime que le point de vue du juge Muldoon est persuasif. L’application du seuil « intolérable » en l’espèce remplace en effet un critère pour « aucune autre solution » ou « aucune autre solution raisonnable ». La question n’est pas de savoir si l’appelant n’avait eu d’autre choix que de quitter son emploi, mais plutôt de savoir si les autres solutions dont il disposait étaient déraisonnables.

[56] J’admets que les solutions raisonnables doivent être des solutions qui sont disponibles immédiatement, soit au moment où un prestataire quitte volontairement son emploi. En l’espèce, cependant, la division générale utilise l’ « immédiateté » pour dire que le départ doit survenir immédiatement après la circonstance l’ayant suscité. Une telle circonstance devrait survenir et se développer au point de franchir quasi instantanément le « seuil intolérable », de façon à ce qu’on puisse dire à tout moment qu’un départ immédiat était la seule solution.

[57] D’après la division générale, ni les modifications de la rémunération de l’appelant (paragraphe 35) ni l’ensemble des circonstances (paragraphe 52) ne l’obligeaient à quitter immédiatement son emploi. Je juge que l’exigence d’ « immédiateté » appliquée par la division générale donne lieu à un critère de raisonnabilité plus restrictif que celui qu’expriment la lettre ou l’esprit de la Loi sur l’AE.

[58] Par conséquent, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit dans son application de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE. Il s’agit d’une erreur par application de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[59] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

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