Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] En date du 28 juin 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que la répartition de la rémunération de l’appelant avait été effectuée conformément aux articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement).

[3] L’appelant a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 18 juillet 2017, après avoir reçu la décision de la division générale, le 5 juillet 2017. La permission d’en appeler a été accordée le 25 juillet 2017.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a déterminé que cet appel serait instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • le fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • le caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’appelant était présent et représenté par Me Kim Bouchard. L’intimée était représentée par Manon Richardson.

Droit applicable

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] La division générale du Tribunal a-t-elle erré en concluant que la répartition de la rémunération de l’appelant avait été effectuée conformément aux articles 35 et 36 du Règlement?

Normes de contrôle

[8] La Cour d’appel fédérale a déterminé que le mandat de la division d’appel est celui conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le MEDS. La division d’appel n’exerce pas un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures – Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242; Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[9] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

Position des parties

[10] L’appelant fait valoir que la division générale n’a aucunement tenu compte de sa position dans son analyse. Il soutient que la division générale a erré en droit car elle est tenue de considérer toute la preuve et d’expliquer clairement pourquoi elle écarte certains éléments ou ne leur accorde que peu ou pas de force probante.

[11] L’appelant soutient également qu’il n’y a aucune preuve au dossier révélant que la somme de 15 000 $ qu’il a reçue constitue une rémunération. Il plaide que la décision de la division générale est manifestement déraisonnable.

[12] L’intimée fait valoir que, malgré que la somme reçue par l’appelant ne soit pas clairement identifiée comme étant une indemnité de départ dans l’entente, elle n’est pas non plus identifiée comme étant des dommages punitifs comme le mentionne l’appelant. De plus, l’appelant a bien signé l’entente telle quelle.

[13] L’intimée soutient qu’il est de jurisprudence constante qu’une somme reçue par un prestataire en raison de sa cessation d’emploi constitue une rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement, laquelle doit être répartie à compter de la cessation d’emploi en vertu du paragraphe 36(9) du Règlement. Puisque l’appelant n’a pas été en mesure de démontrer qu’il s’agissait bel et bien d’une somme pour dommages punitifs, la division générale a eu raison de conclure que la somme devait être appliquée en vertu de l’article 35 du Règlement.

Les faits

[14] L’appelant a déposé une demande initiale de prestations de maladie prenant effet le 17 avril 2016. Il a cessé de travailler pour son employeur le 15 avril 2016 pour cause de maladie. Il a déposé une plainte pour harcèlement psychologique et a reçu des sommes d’argent après entente. Il a reçu 5662,80 $ en paie de vacances, 15 000 $ pour stress et inconvénients reliés à la plainte d’harcèlement et une autre somme de 15 000 $ pour une raison non précisée. L’employeur a aboli son poste.

[15] Le 20 septembre 2016, l’appelant a demandé une révision de la décision. Il a fait savoir que le montant de 15 000 $ ne devait pas être réparti puisqu’il s’agissait d’une somme versée comme dédommagement. Il est d’accord avec l’application de la paie de vacances.

[16] L’employeur a été contacté et il a mentionné que le montant de 15 000 $ est une forme de « packageNote de bas de page 1 », comme indemnité de départ, et qu’il était embêté de mettre des mots sur ce montant.

[17] Le 8 juillet 2016, l’intimée a informé l’appelant que la somme reçue de 20 663 $ avait été répartie du 17 avril 2016 au 4 juin 2016. Cette décision a créé un trop-payé de 2685 $. Suite à la demande de révision de l’appelant, l’intimée a maintenu la décision rendue le 8 octobre 2016.

Décision de la division générale

[18] La division générale a conclu qu’à défaut d’avoir une preuve solide démontrant le contraire, elle devait conclure que le montant en litige était destiné à compenser la perte d’emploi de l’appelant, et qu’il s’agit bel et bien de l’indemnité de départ mentionnée par l’employeur et dans le relevé d’emploi.

[19] Même si la division générale a jugé l’appelant plutôt crédible lors de l’audience, sa version des faits n’a pas été suffisante pour contrebalancer la version des faits de l’employeur, le relevé d’emploi et l’entente entre les parties. Aux yeux de la division générale, l’appelant n’a pas été en mesure de démontrer que la somme de 15 000 $ constituait autre chose qu’une rémunération.

[20] Après avoir examiné la preuve et les arguments des parties, la division générale a conclu que la somme de 15 000 $ en litige constituait une rémunération au sens de l’article 35 du Règlement et que ce montant avait été réparti en conformité avec les dispositions de l’article 36 du Règlement.

La division générale du Tribunal a-t-elle erré en concluant que la répartition de la rémunération de l’appelant avait été effectuée conformément aux articles 35 et 36 du Règlement?

[21] Le rôle de la division générale est d’examiner les preuves que lui présentent les deux parties, pour déterminer les faits pertinents, soit les faits qui concernent le litige particulier qu’il doit trancher, et d’expliquer, dans sa décision écrite, la décision qu’il rend concernant ces faits.

[22] La division générale doit évidemment justifier les conclusions auxquelles elle arrive. Lorsqu’elle fait face à des éléments de preuve contradictoires, elle ne peut les ignorer. Elle doit les considérer. Si elle décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, elle doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire – Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13.

[23] Dans le présent dossier, la division générale a ignoré les éléments de preuve de l’appelant qui démontrent qu’en raison de « circonstances particulières », la somme devait être considérée comme autre chose qu’un dédommagement pour la perte de revenu ou d’autres prestations d’emploi.

[24] La division générale a également fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. En effet, elle a fondé sa décision sur la version des faits de l’employeur qu’il s’agissait d’une indemnité de départ. Or, l’employeur n’a aucunement confirmé qu’il s’agissait d’une indemnité de départ. Il a plutôt déclaré qu’il était embêté de qualifier la somme reçue par l’appelant.

[25] De plus, la division générale semble avoir imposé un fardeau de preuve trop important à l’appelant en exigeant qu’il démontre par une « preuve solide » que la somme reçue ne constituait pas une rémunération qui devait être répartie.

[26] Le Tribunal est donc justifié d’intervenir et de rendre la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.

[27] La jurisprudence abonde sur le sujet; si un prestataire déclare que la somme reçue de son employeur ou de son ancien employeur avait été versée pour des raisons qui diffèrent de la perte de revenu d’emploi, dans le cas d’un règlement ou d’une entente fondée sur une poursuite judiciaire, une plainte ou une demande en raison d’un licenciement, il incombe au prestataire de démontrer qu’en raison de « circonstances particulières », une partie de la somme devrait être considérée comme un dédommagement pour une autre dépense ou une perte – Canada (Procureur général) c. Radigan, A-567-99; Bourgeois c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 117 (CanLII).

[28] Dans la présente affaire, il faut déterminer si l’appelant a démontré qu’en raison de « circonstances particulières », la somme de 15 000 $ devrait être considérée comme un dédommagement pour autre chose que pour la perte de revenu ou d’autres prestations d’emploi.

[29] La division générale a conclu que la preuve ne confirme pas les arguments de l’appelant selon lesquels la somme a été payée en tant que dédommagement pour harcèlement psychologique et dommages punitifs.

[30] La division générale est d’avis que, si la somme litigieuse de 15 000 $ avait été versée pour dédommagement en raison de l’harcèlement psychologique subi et à titre de dommages punitifs, cela aurait été précisée dans l’entente.

[31] La division générale fonde cette conclusion sur l’entente de règlement conclue entre les parties. Il y a lieu de reproduire un extrait de l’entente :

In consideration of the withdrawal of the Complaint and to compensate the Employee's Joss of employment, the Company will pay an amount of $35,662.80 (Jess legal applicable deductions). The amount agreed to is comprised of the following:Note de bas de page 2

i) $15,000 as damages for any stress and inconvenience relating to the allegations comprised in the psychological harassment complaint, without recognition of liability, payable by cheque to the employee;Note de bas de page 3

ii) $15,000, payable by cheque ta the following RRSP account numbers indicated by the Employee in the attached docunent ($9,000 in account # X (Fidelity) and $6,000 in account # X (Fidelity);Note de bas de page 4

iii) An amount of$ 5,662.80 $ (less legal applicable deductions) in owed vacation, corresponding to 6% of Mr. L. S.'s gains, as per his employment contract, will be paid by electronic deposit at the expiry of the current pay period;Note de bas de page 5

[32] Il est vrai que la somme reçue de 15 000 $, mentionnée au paragraphe ii), n’est pas qualifiée de dommages dans l’entente. Cela dit, comme l’a si bien souligné l’intimée, cette somme n’est pas non plus identifiée comme étant une indemnité de départ.

[33] Le Tribunal est d’avis que l’interprétation de la division générale de l’entente est trop restrictive et limitée et ne tient pas compte de l’ensemble des circonstances du dossier. D’autres éléments de preuve orale et documentaire étayent l’avis de l’appelant voulant qu’il a reçu la somme à titre de dommages.

[34] La division générale se devait d’aller au-delà des termes de l’entente à l’amiable et d’apprécier l’authenticité des faits.

[35] En date du 11 mars 2016, l’appelant a déposé une plainte pour harcèlement psychologique de la part de son employeur et non pour congédiement injustifié.

[36] Le préambule de ladite entente spécifie que le règlement intervient à la suite de la plainte pour harcèlement psychologique déposée par l’appelant auprès de la Commission des relations de travail.

[37] L’entente prévoit également que la somme reçue est payable en échange du retrait de la plainte de l’appelant pour harcèlement psychologique et qu’elle ne doit pas être considérée comme une rémunération au sens de l’assurance-emploi.

[38] Il est vrai que le Tribunal n’est pas lié par l’interprétation du Règlement par les parties. Cependant, il s’agit d’un autre élément de preuve qui démontre l’intention des parties à l’entente et qui appuie la thèse de l’appelant voulant que la somme reçue constitue des dommages et ne visait aucunement à compenser la perte de son emploi.

[39] Le Tribunal a également écouté attentivement l’audience tenue devant la division générale, particulièrement le témoignage de l’appelant, qui a été jugé plutôt crédible par la division générale. La description faite par l’appelant des événements qui ont mené au règlement appuie sa position voulant que le montant lui a été payé à titre de dommages en échange du retrait de sa plainte pour harcèlement psychologique.

[40] L’employeur n’a présenté aucune preuve montrant que le paiement était fondé sur les services passés. La division générale n’a également pas tenu compte du fait que l’appelant avait travaillé environ huit mois pour cet employeur; donc, on ne pourrait pas s'attendre à ce que le montant à titre de perte de revenu soit aussi important. Au surplus, lors d’une entrevue téléphonique, l’employeur n’a même pas été en mesure de clairement qualifier la somme de 15 000 $ reçue par l’appelant.

[41] L’appelant avait le fardeau de prouver devant la division générale, selon la prépondérance des probabilités, que la somme de règlement représentait autre chose qu’un dédommagement pour la perte de revenu ou d’autres prestations d’emploi.

[42] Le Tribunal, en appliquant les directives de la Cour d’appel fédérale aux faits de la présente affaire, juge que l’appelant a réussi à établir la preuve qu’en raison de « circonstances particulières », la somme de 15 000 $ devrait être considérée comme un dédommagement pour autres dépenses ou pertes et non comme un dédommagement pour la perte de revenu ou d’autres prestations d’emploi.

[43] Par conséquent, cette somme ne constitue pas un revenu au sens du paragraphe 35(2) du Règlement et ne devrait pas être répartie.

Conclusion

[44] L’appel est accueilli.

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