Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

Appelant : S. K.

Représentante de l’appelant : A. Winicki

Représentante de l’intimée : S. Prud’homme

Observateur/re : I. K.

Aperçu

[1] L’appelant a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi en décembre 2015 dans laquelle il mentionnait à la Commission de l’assurance-emploi du Canada avoir quitté son emploi à compter du 26 juillet 2015. La Commission a déterminé que les prestations ne pourraient être versées puisque l’appelant avait quitté volontairement son emploi sans justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi du Canada (Loi).

[2] La Commission a maintenu cette décision après révision, et l’appelant a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. Dans une décision rendue le 8 septembre 2016, la division générale a rejeté l’appel après avoir déterminé que l’appelant n’avait pas réussi à démontrer qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Le 31 mars 2017, la division générale du Tribunal a accueilli la demande de permission d’en appeler de la décision présentée par l’appelant.

[3] Cet appel a été instruit par téléconférence, dans le but que les observations orales soient entendues; ce mode d’audience est conforme à l’obligation du Tribunal, qui est de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Analyse

[4] Les motifs d’appel soulevés en l’espèce sont prévus aux alinéas 58(1)b) et c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

  1. a) la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  2. b) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[5] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, il a été établi que les normes de contrôle applicables au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé. Un tel organe d’appel doit plutôt s’en tenir aux moyens d’appel établis par sa loi constitutive. Dès lors, selon le libellé sans réserve de l’alinéa 58 (1)b) de la Loi sur le MEDS, il ne faut faire preuve d’aucune déférence à l’endroit de la division générale en ce qui concerne les erreurs de droit. Cependant, le libellé de l’alinéa 58(1)c) exige de la part de la division d’appel une certaine déférence relativement aux erreurs de fait : pour que l’appel soit accueilli, la conclusion de fait contestée doit non seulement être déterminante (« a fondé sa décision sur ») et être inexacte (« erronée »), mais doit également avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans que la division générale n’ait tenu compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] En l’espèce, l’appel porte sur la question de savoir si l’appelant était fondé à quitter son emploi en juillet 2015. Par l’entremise de sa représentante, l’appelant a soutenu que la division générale a commis une erreur de droit en ne mettant pas l’accent sur l’alinéa 29(c)ix) de la Loi qui se lit comme suit :

(c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

[…]

ix) modification importante des fonctions;

[7] L’appelant prétend également que la division générale a commis une erreur de fait en ne tenant pas [traduction] « dûment compte du fait que l’appelant a exprimé ses préoccupations concernant la modification de ses fonctions à l’agence de placement et a tenté de trouver un autre emploi avant de démissionner ». La représentante de l’appelant a fait valoir qu’il a constamment expliqué que ses fonctions ont changé de façon unilatérale et qu’il a cherché un autre emploi.

[8] L’analyse de la division générale renvoie aux paragraphes importants suivants :

[36] En l’espèce, compte tenu de la preuve dont elle était saisie au moment où elle a pris sa décision, la Commission a déterminé que l’appelant a volontairement quitté son emploi sans justification le 25 juillet 2015 au sens de la Loi. L’employeur a mentionné dans le relevé d’emploi que l’appelant avait démissionné. L’appelant, d’un autre côté, a déclaré et fait valoir que plusieurs raisons le poussaient à quitter son emploi. Il travaillait comme employé temporaire depuis plusieurs années et il souhaitait décrocher un poste permanent, qui serait mieux rémunéré ou offrirait plus d’avantages, tels que des primes de rendement. De plus, la plupart des employés de l’agence de placement ont obtenu leur permanence après seulement de 3 à 6 mois. L’appelant a cherché d’autres emplois par l’entremise de son agence de placement avant de démissionner; cependant, aucun poste n’était disponible. Il était incapable de continuer à travailler à moins de trouver un autre emploi puisque la plupart des employeurs exigent que l’employé commence à travailler immédiatement, et que selon ses obligations contractuelles, il devait donner deux semaines d’avis suivant sa démission. Il devait trouver un emploi mieux rémunéré puisque ses dépenses augmentaient et que ses enfants allaient bientôt étudier à l’université.

[37] Le Tribunal a tenu compte des observations de l’appelant relatives à l’appel interjeté devant le Tribunal, à son témoignage direct et au dossier. L’appelant a modifié ses observations entre le dépôt de sa demande de prestations et son appel. Ses déclarations sont redondantes et souvent contradictoires. L’observation antérieure de l’appelant, présentée dans sa demande de prestations, faisait état qu’il avait démissionné. À mesure que l’appel approchait, l’appelant a mentionné qu’il a démissionné pour diverses raisons, notamment sa santé, son niveau de stress, le besoin d’obtenir un emploi mieux rémunéré et le fait que d’autres employés ont été embauchés de façon permanente par G & D avant lui malgré qu’il soit au service de l’employeur depuis 26 mois. Il a aussi soutenu qu’il ne travaillait pas sur les quarts de nuit, car cela avait des répercussions négatives sur sa santé puisqu’il devait prendre 3 autobus pour se rendre au travail. L’appelant a modifié ses observations au fil du temps et celles-ci étaient contradictoires. Le Tribunal a accordé plus d’importance aux déclarations antérieures de l’appelant. Le Tribunal [sic] estime que l’appelant a quitté volontairement son emploi, il a démissionné, sans justification au sens de la Loi.

[…]

[41] Le Tribunal estime que l’appelant n’a pas démontré qu’il n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi. La situation de l’appelant n’était pas intolérable au point de justifier sa démission. Il a travaillé chez G & D pendant 26 mois. Bien qu’il devait être très frustrant de voir ses collègues se faire embaucher de façon permanente avant lui, l’appelant aurait très bien pu continuer de travailler. Il aurait pu chercher un autre emploi avant de quitter volontairement son emploi, la période précédant sa démission. Il n’y avait pas d’urgence à quitter son emploi. La situation n’était pas intolérable au point que l’appelant ne puisse pas en discuter avec son employeur (Winters Technical Staffing), qu’il cherche d’autres affectations ou qu’il attende d’être assigné ailleurs avant de quitter volontairement son emploi.

[mis en évidence par la soussignée]

[9] Bien que le membre de la division générale n’ait pas reformulé, au paragraphe 37, les déclarations antérieures sur lesquelles il s’est fondé, il est clair que le membre a rejeté le nouvel argument de l’appelant selon lequel il a démissionné en raison d’une modification importante de ses fonctions ou d’une incidence sur sa santé. Comme il est énoncé dans le corps de la décision, l’appelant a d’abord présenté cet argument en mars 2016, uniquement après qu’on lui ait rejeté une demande de prestations, initialement et après révision, et qu’il ait fourni d’autres explications concernant sa démission à trois différentes reprises. Les déclarations antérieures de l’appelant mettent l’accent sur le fait que puisqu’il n’a pas été embauché à un poste régulier, il était préoccupé d’être licencié; il a donc quitté son emploi afin d’en trouver un meilleur. L’appelant a souligné la modification des fonctions d’opérateur dans sa demande initiale (décrit comme [traduction] « rendement » de la main-d’œuvre) pour appuyer le fait qu’il n’a pas été embauché à un poste régulier et la décrit comme suit : « le processus a changé et les opérateurs étaient maintenant assignés à deux machines afin de diminuer les besoins de main-d’œuvre ». En janvier 2016, il a présenté devant la Commission une copie d’un échange de courriels avec le conseiller de l’agence de placement puisque cela prouve ses tentatives visant à obtenir un meilleur salaire et à trouver un autre emploi. Il n’a pas mentionné que la modification des fonctions était une des raisons de sa démission. Pour ce qui est des incidences sur sa santé soulevées devant la division générale, l’appelant n’a pas coché la case [traduction] « pour raisons médicales ou de santé » ni mentionné tout problème de santé dans sa déclaration initiale.

[10] Je ne consens pas au plaidoyer de la représentante de l’appelant qui accorde davantage d’importance aux déclarations antérieures et pointe vers une conclusion de fait erronée, ni au fait que l’accueil de cette preuve nécessite d’autres justifications. Selon moi, les raisons pour lesquelles la division générale a préféré l’explication initiale sont suffisamment claires au sens du terme « antérieur »; c’est-à-dire que ces explications ont été données le plus près possible du moment où les événements sont survenus et avant qu’une décision négative subséquente soit prise. Concernant les nouvelles raisons justifiant la démission énoncée dans l’avis d’appel, la Cour d’appel fédérale n’a pas décelé d’erreur dans l’approbation de la conclusion de fait rendue par le juge-arbitre du conseil arbitral, ce qui [traduction] « a évidemment discrédité la preuve documentaire présentée par l’appelant en faveur de ses déclarations antérieures faites devant la Commission » (arrêt Cundle c. Canada (Ressources humaines et Développement social Canada), 2007 CAF 364). J’estime que la conclusion de la division générale selon laquelle l’appelant a démissionné pour les raisons données initialement, et implicitement, non pas en réponse à la modification de ses fonctions ou en raison d’un problème de santé, est une conclusion de fait tirée en tenant compte des éléments portés à sa connaissance. À cet égard, la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Étant donné que le membre de la division générale n’a pas accueilli l’argument selon lequel l’appelant a quitté son emploi en raison de la modification importante de ses fonctions, le membre n’a pas commis d’erreur de droit en ne mettant pas l’accent sur l’alinéa 29(c)ix) de la Loi. En déterminant si le prestataire avait une autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi en date de juillet 2015 (essentiel pour déterminer s’il y a une justification), le membre de la division générale a plutôt pris en considération les faits pertinents à la démission tels qu’ils lui ont été présentés. Cela n’inclut aucune circonstance prévue au paragraphe 29(c) de la Loi, mais sous-entend certains éléments, notamment la préoccupation de l’appelant concernant l’embauche de façon permanente d’autre collègue à son détriment, son désir de trouver un meilleur emploi, le manque de sentiment d’urgence et la possibilité de patienter jusqu’à ce qu’il obtienne un autre emploi. Je remarque que la division générale a rendu une décision conforme à la jurisprudence; la Cour d’appel fédérale a conclu à maintes reprises que quitter un emploi dans le but d’améliorer son sort (Canada (Procureur général) c. Murugaiah, 2008 CAF 10; Canada (Procureur général) c. Richard, 2009 CAF 122), ou sur les bases de la bonne foi et de l’insuffisance du revenu (Canada (Procureur général) c. Campeau, 2006 CAF 376) ne constitue pas une justification.

[12] La représentante de l’appelant a aussi fait valoir qu’il a effectivement été victime d’un congédiement déguisé par l’employeur résultant du changement unilatéral des fonctions sans augmentation salariale. Cet argument n’a pas été soulevé devant la division générale, mais quoi qu’il en soit, la division générale n’a pas commis d’erreur en omettant d’examiner la possibilité qu’il y ait eu congédiement déguisé. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Peace, 2004 CAF 56, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la notion de congédiement déguisé ne s’applique pas à la question de quitter volontairement son emploi au sens du paragraphe 30(1) de la Loi :

[15] La question de savoir si un employé a le droit de considérer que la relation d’emploi a pris fin, en common law, au motif qu’il y a eu congédiement déguisé, est une question différente de la question de savoir si un employé a quitté volontairement son emploi au sens de la Loi de telle sorte qu’il peut être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. En vertu du paragraphe 30(1), la question de savoir si un employé a quitté volontairement son emploi est une question simple. La question qu’il faut se poser est la suivante : l’employé avait-il le choix de rester ou de démissionner?

[13] Pour ce qui est de l’observation portant sur l’erreur de fait concernant la recherche d’emploi de l’appelant, la décision de la division générale cite la déclaration initiale de l’appelant selon laquelle il aurait uniquement consulté la banque d’emploi lors de sa recherche avant de démissionner (paragraphe 12), consent que l’appelant a cherché d’autres postes par l’entremise de l’agence de placement (paragraphe 36) et fait valoir que l’appelant aurait pu élargir sa recherche d’emploi (en plus de l’agence) avant de démissionner (paragraphe 41). La représentante de l’appelant soutient qu’il a élargi sa recherche d’emploi, mais qu’il s’est fié uniquement sur la recherche d’emploi effectuée par l’agence de placement. J’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur de fait en ce qui concerne la recherche d’emploi de l’appelant; à cet égard, les conclusions sont conformes avec la preuve de l’appelant. En l’espèce, les conclusions de fait concernant la recherche d’emploi, telles qu’elles étaient, n’étaient pas déterminantes à cette décision et la décision générale n’a pas fondé sa décision sur ces conclusions de fait. Que l’appelant ait élargi sa recherche d’emploi ou non avant de quitter son emploi, la division générale a déterminé que l’appelant aurait pu continuer de travailler, tout en effectuant sa recherche d’emploi, et ce, jusqu’à ce qu’il en trouve un.

[14] Je n’ai constaté aucune erreur de droit ou de fait commise par la division générale dans sa décision selon laquelle d’autres solutions raisonnables s’offraient à l’appelant plutôt que de démissionner en juillet 2015 et qui estime que l’appelant a volontairement quitté son emploi sans justification.

Conclusion

[15] L’appel est rejeté.

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