Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Appelant : A. R.

Aperçu

[1] L’appelant a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi (AE) en mars 2016 en déclarant à la Commission de l’assurance-emploi du Canada qu’il avait quitté son emploi le 17 mars 2016 en raison de harcèlement au travail. La Commission a conclu en mai 2016 que les prestations ne pouvaient pas être versées parce que l’appelant avait quitté son emploi sans justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[2] Cette décision a été confirmée par la Commission après révision, et l’appelant a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Dans une décision datée du 2 mars 2017, la division générale a rejeté l’appel. La division d’appel du Tribunal a accueilli la demande de permission d’en appeler de l’appelant relativement à cette décision, au motif que la division générale pourrait ne pas avoir appliqué correctement le droit dans sa décision.

[3] L’audience relative à l’appel a été tenue par téléconférence afin d’entendre des observations orales, ce qui est conforme à l’obligation du Tribunal de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement). Le représentant de la Commission ne s’est pas présenté à l’audience. Après avoir été convaincu que la Commission avait été avisée de l’audience, j’ai poursuivi l’audience en l’absence de la Commission, en vertu du paragraphe 12(1) du Règlement. La Commission avait précédemment fourni des observations écrites, et j’ai tenu compte de celles-ci, des commentaires formulés par l’appelant à l’audience, de la décision de la division générale et de la preuve présentée à la division générale.

Analyse

[4] Le moyen d’appel soulevé dans la décision relative à une demande de permission d’en appeler figure à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), à savoir que la division générale « a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ». Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, il a été établi que les normes de contrôle applicables au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé. Un tel organe d’appel doit plutôt s’en tenir aux moyens d’appel établis par sa loi constitutive. Dès lors, en fonction du libellé catégorique de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS, aucune déférence n’est due à l’endroit de la division générale en ce qui a trait aux erreurs de droit.

[5] Selon le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’AE, le prestataire qui quitte volontaire son emploi sans justification est exclu du bénéfice des prestations (deux exceptions sont prévues, mais elles ne sont pas pertinentes en l’espèce). Le concept de la « justification » est expliqué à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE :

c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

(i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,

[…]

[6] La décision de la division générale exprime une incertitude quant au concept de la justification. Au paragraphe 21 de la décision, il est déclaré que l’expression « justification » n’est pas définie dans les dispositions législatives. Cependant, une définition figure à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE. La division générale renvoie au critère relatif à l’alinéa 29c) au paragraphe 20 en déclarant à la même occasion qu’il existe une justification s’ « il existait des circonstances qui [excusaient le prestataire] de prendre le risque de faire porter le fardeau de son chômage aux autres ». Finalement, au paragraphe 22 de la décision, il est déclaré que l’alinéa 29c) [traduction] « prévoit aussi que la justification est prouvée si l’existence de l’une des 14 situations énumérée peut être établie ».

[7] La justification est définie à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE. Comme il a été confirmé dans la jurisprudence, le critère juridique est celui de savoir si, compte tenu de l’ensemble de toutes les circonstances et selon la prépondérance des probabilités, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable (Canada (Procureur général) c. Macleod, 2010 CAF 301; Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190). Les circonstances énumérées dans les sous-alinéas 29c)(i) à 29c)(xiv) doivent être pris en considération, mais l’existence d’une de ces circonstances n’est pas suffisante en soi pour établir l’existence d’une justification; elle doit constituer la « seule solution raisonnable ».

[8] Il a été conclu à l’occasion qu’il était approprié d’interpréter et d’appliquer l’alinéa 29c) en tenant compte des principes fondamentaux d’un régime d’assurance (comme il a été fait initialement dans la décision rendue en 1985 dans l’arrêt Tanguay c. Commission d’assurance‑chômage, A-1458-84, avant la création de la définition actuelle de la justification). Par exemple, l’obligation d’une personne assurée de ne pas causer le risque de chôme a fait l’objet d’un examen dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Langlois, 2008 CAF 18, afin de résoudre le conflit apparent entre « la seule solution raisonnable » et le scénario prévu au sous‑alinéa 29c)(vi) de l’ « assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat », et dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Marier, 2013 CAF 39, afin d’excuser le départ volontaire d’un des deux emplois concurrents.

[9] En l’espèce, l’appelant a prétendu avoir démissionné en raison du harcèlement, ce qui constitue une situation pertinente au sous-alinéa 29c)(i). Il n’était pas nécessaire que la division générale approfondisse son analyse et sème la confusion en allant au-delà de la question de savoir si, dans l’ensemble des circonstances, le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable. Cela dit, la division générale a conclu que l’appelant n’avait pas démontré que son départ était la seule solution raisonnable (paragraphe 27) et que ses circonstances ne justifiaient pas qu’il fasse porte le risque financier découlant de son départ par d’autres (paragraphe 28). De plus, les deux critères, même s’ils sont formulés différemment, se chevauchent : dans l’arrêt Tanguay, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’obligation de ne pas provoquer délibérément le risque de chômage pourrait être réfutée dans des circonstances où le départ est la seule solution raisonnable. Étant donné que la division générale a bel et bien conclu que l’appelant en l’espèce avait une autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi (ce qui constitue un facteur décisif de la justification), je ne suis pas convaincue que la division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision lorsqu’elle n’a pas nécessairement tenu compte du facteur de l’imposition délibérée du risque de chômage. Dans le même ordre d’idées, l’erreur de laisser entendre que la simple existence de l’une des circonstances énumérées soit suffisante pour établir que la justification n’est pas importante en l’espèce, puise que cela n’a pas été appliqué pour rendre la décision.

[10] Cependant, il existe un autre aspect de la décision de la division générale qui nécessite le renvoi de cette affaire devant la division générale aux fins de réexamen. Comme il est devenu évident selon les observations de l’appelant formulées à l’audience relative à l’appel, il ne constatait aucune [traduction] « logique dans le processus décisionnel » et il ne pouvait pas confirmer la raison pour laquelle la division générale a rejeté ses explications. Selon moi, l’appelant ne pouvait pas comprendre la décision non pas en raison d’une omission de sa part ni simplement parce qu’il était en désaccord avec le résultat, mais plutôt parce que le raisonnement de la division générale ne peut pas être perçu dans la décision.

[11] La division générale est tenue par la loi de fournir des motifs écrits relativement à sa décision (paragraphe 54(2) de la Loi sur le MEDS), et l’omission de fournir des motifs adéquats constitue une erreur de droitNote de bas de page 1. Les motifs de décision ne doivent pas nécessairement renvoyer à l’ensemble de la preuve, des arguments, des dispositions législatives ou de la jurisprudence, mais ils doivent permettre au lecteur de comprendre la raison pour laquelle un tribunal a rendu sa décision et autorisé un examen en appel (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62). La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit : [traduction] « La voie choisie par le tribunal pour rendre sa décision doit être claire selon les motifs lus dans le contexte de l’instance, mais il n’est pas nécessaire que le tribunal décrive chaque point de repère en cours de route. » (Clifford v. Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario, 2009 ONCA 670, permission d’en appeler refusée [2009] S.C.C.A. no 416).

[12] Bien que chaque détail ne soit pas tenu d’être abordé dans une décision, un décideur doit expliquer la raison pour laquelle il a rejeté un élément de preuve important qui va à l’encontre de sa conclusion (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Quesnelle, 2003 CAF 92). De plus, en ce qui concerne les allégations de harcèlement dans le contexte de l’AE, les motifs de décision doivent comprendre une conclusion de fait explicite concernant la question de savoir si le prestataire était victime de harcèlement avant de déterminer si le départ était la seule solution raisonnable : Bell c. Canada (Procureur général), A-450-95 (25 mars 1996); McFarlane c. Canada (Procureur général), A-448-96 (28 mai 1997).

[13] Les principaux paragraphes de la décision de la division générale comprennent ce qui suit :

[23] L’appelant a déclaré qu’il était victime de harcèlement, mais il n’a pas été en mesure de présenter une preuve ou des témoins du prétendu harcèlement. Il a déclaré qu’il a été ni victime de harcèlement verbal, ni touché, ni agressé. Il n’a pas cherché à aborder la question du prétendu harcèlement auprès de son employeur parce qu’il a déclaré que tous ses collègues, y compris son employeur, le regardaient fixement et qu’il croyait que cela n’allait rien changer. L’appelant n’a fourni aucune preuve de discrimination raciale à l’exception de sa déclaration selon laquelle il était la seule personne de race noire au bureau. La preuve de l’employeur faisait état que l’appelant a démissionné et déclaré qu’il avait décidé d’aller de l’avant, qu’il pourrait effectuer du travail à titre de sous-traitant indépendant. L’appelant a demandé s’il était nécessaire qu’il reste travailler pendant les deux semaines entières, et on lui a dit qu’il devait donner son préavis de deux semaines afin qu’on puisse le remplacer et possiblement lui demander de former son remplaçant. L’employeur a déclaré que l’appelant était censé travailler jusqu’au 28 mars 2016, mais, quelques jours après son préavis, il est venu le voir et il lui a dit qu’il avait l’impression que ses collègues le regardaient fixement et qu’il allait donc quitter son emploi, ce qu’il a fait. L’employeur a déclaré que, avant cette déclaration, tout semblait bien aller. Il ne lui avait pas parlé de problèmes avec les collègues qu’il aurait pu avoir avant le jour où il a quitté son emploi plus tôt que préavis pendant sa période de préavis (GD3-18).

[24] Le Tribunal estime sur la foi de la preuve déposée par l’appelant qu’il ne satisfait pas aux exceptions prévues à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE.

[25] En l’espèce, tous les éléments de preuve, y compris le témoignage et les observations de l’appelant, démontrent qu’il a quitté volontairement son travail. Le Tribunal estime que l’appelant a pris la décision personnelle de quitter son emploi. Le Tribunal estime que l’appelant a pris la liberté de mettre fin à sa relation avec son employeur sans discuter de la situation avec celui-ci ou lui permettre d’enquêter ou de remédier au prétendu harcèlement. L’appelant a déclaré qu’il n’a pas communiqué avec les personnes qu’il jugeait responsables et qu’il n’a pas discuté avec son superviseur, car il s’agissait de l’une des personnes concernées. L’appelant a déclaré que les employés ne la harcelaient pas verbalement ou physiquement, qu’ils étaient assez intelligents pour ne pas faire cela, mais qu’ils le regardaient tous fixement ou de travers (GD3-19). Le Tribunal estime que l’appelant a omis d’atténuer la situation ou qu’il n’a fait aucune tentative à cet égard.

[26] Un appelant qui cherche faire une justification doit aussi démontrer qu’il ou elle « n’avait d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi ou de prendre congé ». La Cour d’appel fédérale a statué que le fardeau incombe au demandeur de démontrer qu’il n’y avait d’autre choix raisonnable que de quitter (Rena Astronomy,A-141-97).

[27] Le Tribunal estime que le prestataire a quitté son emploi de son propre gré sans se trouver un autre emploi avant de démissionner. L’appelant a confirmé cela devant le Tribunal au cours de l’audience. Il a pris la décision personnelle de quitter son emploi. Le Tribunal estime que l’appelant n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi au sens de la Loi sur l’AE. Le Tribunal estime que l’appelant n’a pas démontré que « son départ ou son congé [constituait] la seule solution raisonnable dans son cas ». La jurisprudence énonce que conserver son emploi le temps de s’en trouver un autre est généralement, sans plus, une solution raisonnable au lieu de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi (Murugaiah,2008 CAF 10; Campeau, 2006 CAF 376).

[28] Le Tribunal ne peut conclure que la situation de l’appelant était telle qu’elle justifie de placer le risque financier, qui survient de son départ de son emploi, sur les autres. L’appel de l’appelant est donc rejeté.

[14] Cette analyse soulève plus de questions que de réponses. Quelles étaient les conclusions de fait du membre relativement à la conduite prétendue par l’appelant? Quelle définition du mot « harcèlement » le membre a-t-il appliquée? Était-ce limité au harcèlement verbal ou physique? Le cas échéant, pourquoi? Quelle norme de preuve le membre a-t-il ? Le membre pensait-il que les déclarations de l’appelant devant la Commission et son témoignage devant la division générale ne constituaient pas une « preuve »? Pour quel motif la preuve de l’appelant a-t-elle été rejetée? Pourquoi a-t-on préféré les déclarations de l’employeur? Si le membre a conclu qu’il n’y avait pas eu de harcèlement (en déclarant qu’aucune des « exceptions » ne s’appliquait), quelle situation croyait-il que l’appelant avait omis d’aborder avec l’employeur? Le membre a‑t‑il conclu que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi parce qu’il croyait que la conduite ne s’était pas produite, qu’elle n’était pas suffisamment grave ou que l’appelant avait déployé des efforts insuffisants pour atténuer la situation? Le dernier cas échéant, quels faits ont été constatés relativement à la nature du milieu de travail? Quels étaient les moyens de réparation offerts? Quel était le statut des personnes concernées?

[15] Afin de veiller à ce que les motifs soient adéquats dans les cas de démission prétendument causés par du harcèlement en milieu de travail et afin de se conformer aux arrêts Bell et MacFarlane, la division générale aurait dû, selon moi, souligner sa définition ad hoc du harcèlement, tirer des conclusions de fait (selon la prépondérance des probabilités) relativement à la question de savoir s’il y avait du harcèlement, y compris des précisions sur la nature, la gravité, la fréquence, l’omniprésence ou les répercussions de la conduite en question, tirer des conclusions de fait (selon la prépondérance des probabilités) sur d’autres circonstances pertinentes, comme la taille et la nature du milieu de travail, les rôles et le statut des personnes concernées, l’offre de mécanismes internes de traitement des plaintes, et les mesures prises par le prestataire et l’employeur, et cerner les autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, le cas échéant, en tenant compte de l’ensemble de la situation.

[16] En l’espèce, la Commission a appuyé la décision de la division générale en déclarant qu’elle était conforme à la jurisprudence et à la preuve portée à sa connaissance, mais elle n’a pas abordé le caractère suffisant des motifs dans ses observations. Les motifs dont il faut tenir compte en l’espèce n’étaient pas limités à ceux contenus dans la décision relative à la demande de permission d’en appeler, et la Commission a choisi de ne pas participer à l’audience relative à l’appel. Je ne formule aucun commentaire sur la question de savoir si la division générale aurait pu ou non rendre sa conclusion de manière raisonnable en fonction de la preuve portée à sa connaissance. J’estime plutôt que la division générale ne s’est pas acquittée de son obligation à fournir des motifs intelligibles. La division générale n’a pas désigné la voie empruntée pour rendre sa décision et il n’a pas expliqué si la preuve de l’appelant a été rejetée et la raison à cet égard. Par conséquent, le lecteur peut seulement présumer quant à la raison pour laquelle la division générale a rendu sa conclusion. L’omission de fournir des motifs adéquats constitue une erreur de droit.

Conclusion

[17] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale aux fins de réexamen par un autre membre.

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