Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] En date du 13 juillet 2017, la division générale du Tribunal a conclu que l’intimée n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 2 août 2017. La permission d’en appeler a été accordée le 25 août 2017.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que cet appel serait instruit par téléconférence, pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • le caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’appelante était représentée par Elena Kitova. L’intimée a assisté à l’audience avec son représentant, Me Daniel Thimineur.

Droit applicable

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en concluant que l’intimée n’avait pas perdu son emploi de par sa propre inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

Norme de contrôle

[8] La Cour d’appel fédérale a déterminé que le mandat de la division d’appel est celui conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le MEDS. La division d’appel n’exerce pas un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures - Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[9] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

Les faits

[10] Les faits au dossier sont relativement simples et non contestés.

[11] L’emploi de l’intimée a pris fin le 30 juin 2016 parce qu’elle s’est présentée au travail le 5 juin 2016 sous l’effet de l’alcool et qu’elle était incapable d’effectuer ses tâches. Avant cet événement, l’employeur a donné de nombreux avertissements à l’intimée relativement à ses absences liées à sa consommation d’alcool.

[12] Le 15 octobre 2016, l’intimée a été suspendue pendant cinq jours parce que la supérieure de l’intimée l’avait trouvé sur les lieux de travail en état d’ébriété et incapable d’effectuer ses tâches. Le 3 avril 2016, l’intimée s’est présentée au travail en étant incapable d’effectuer ses tâches. Suite à cet événement, l’employeur a demandé à l’intimée de rencontrer un psychologue et de suivre une thérapie pendant sa période de congé du 7 avril 2016 au 21 avril 2016. L’employeur a demandé à l’intimée de prouver la réussite de sa thérapie comme condition de retour au travail.

[13] L’intimée s’est conformée à la demande de l’employeur et a entrepris une cure de désintoxication. Comme convenu avec l’employeur, l’intimée a réintégré ses fonctions. Conformément à l’entente conclue avec l’employeur, l’intimée s’est notamment engagée à respecter ses tâches ainsi que son horaire de travail.

[14] Le dimanche 5 juin 2016, l’intimée a récidivé. Elle s’est présentée au travail après avoir fêté la veille et, encore sous l’effet de l’alcool, elle était dans l’incapacité de réaliser ses tâches. L’intimée s’est présentée à l’heure, mais n’a pas travaillé cette journée-là.

[15] L’employeur a rencontré l’intimée le 7 et le 8 juin 2016 pour lui indiquer qu’elle n’avait pas respecté ses tâches et son horaire de travail puisqu’elle s’était présentée au travail en état d’ébriété le 5 juin 2016 et qu’il devait mettre fin à son emploi. Cependant, l’employeur lui a permis de terminer son cycle de travail jusqu’au 30 juin 2016, date à laquelle son emploi a pris fin. L’employeur a déclaré qu’il voulait permettre à l’intimée de « ramasser de l’argent » afin qu’elle puisse revenir chez elle.

Décision de la division générale

[16] La division générale a conclu que bien que l’intimée n’avait pas en sa possession un rapport médical démontrant l’état de sa maladie, les faits au dossier, notamment les cures de désintoxication entreprises pendant l’année 2016, la médication prescrite pour dépression, ainsi que sa thérapie auprès du psychologue de Sodexo, l’admission du problème d’alcool par l’intimée ainsi que par l’employeur, étaient suffisants pour permettre à la division générale de conclure que l’intimée souffrait d’une dépendance à l’alcool.

[17] La division générale a conclu que, malgré le fait que l’intimée s’était présentée au travail le 5 juin 2016 alors qu’elle n’était pas en état d’effectuer ses tâches, elle n’avait pas volontairement négligé les intérêts de l’employeur. L’intimée n’était pas en contrôle de son état au moment des faits de son congédiement et cette conduite ne correspondait pas à une inconduite de la part de l’intimée dans le sens où sa conduite n’était pas préméditée ou intentionnelle.

[18] La division générale a également conclu que l’intimée avait certes eu une conduite répréhensible le 5 juin 2016, mais comme cette journée avait été volontairement ajoutée à son horaire, il ne constituait pas son horaire habituel de travail à respecter et que le manquement n’est pas d’une portée telle que l’intimée pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement.

Position des parties

[19] L’appelante soutient que contrairement aux conclusions de la division générale, les gestes posés par l’intimée constituent de l’inconduite au sens de la Loi et de la jurisprudence.

[20] L’appelante plaide que la décision de la division générale va à l’encontre des enseignements de la Cour d’appel fédérale en matière d’alcoolisme et d’inconduite. Elle soutient que rien au dossier ne supporte la conclusion de la division générale selon laquelle le comportement de l’intimée était involontaire, ou selon laquelle sa consommation d’alcool n’était pas délibérée ou consciente.

[21] Pour l’appelante, la division générale a erré dans son interprétation de la notion d’« inconduite » au sens du paragraphe 30(1) de la Loi et n’a pas correctement appliqué les principes jurisprudentiels en la matière.

[22] L’intimée fait valoir que son témoignage a été entendu et apprécié par la division générale. Celle-ci a considéré l’ensemble des faits pour en venir à la conclusion que la fin d’emploi de l’intimée ne constituait pas de l’inconduite.

[23] L’intimée soutient que la division générale a tenu compte du comportement de l’employeur qui n’a pas congédié sur-le-champ l’intimée lorsque cette dernière n’a pas effectué sa prestation de travail le lendemain de son anniversaire. L’employeur lui a permis de terminer la fin de sa période de travail avant de mettre fin à son emploi, soit du 5 juin au 30 juin 2016. D’ailleurs, l’employeur de l’intimée a indiqué comme motif de fin d’emploi le code « K » autre et non celui de congédiement, code « M », au relevé d’emploi.

[24] La division générale a également tenu compte de la maladie de l’intimée, qui a effectué deux cures de désintoxication et qui a été suivie par un médecin traitant qui lui a prescrit de la médication afin de traiter sa maladie.

[25] Pour l’intimée, il s’agit d’une évaluation de la preuve, et la division générale ne commet pas une erreur de droit lorsqu’elle évalue l’ensemble des faits présents devant le Tribunal.

La division générale a-t-elle erré en concluant que l’intimée n’avait pas perdu son emploi de par sa propre inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi?

[26] La division générale a conclu de la preuve devant elle que l’intimée n’était pas en contrôle de son état au moment des faits de son congédiement et que cette conduite ne correspondait pas à une inconduite de la part de l’intimée dans le sens où sa conduite n’était pas préméditée ou intentionnelle.

[27] Elle a également conclu que l’intimée avait certes eu une conduite répréhensible le 5 juin 2016, mais comme cette journée avait été volontairement ajoutée à son horaire, elle ne constituait pas son horaire habituel de travail à respecter et que le manquement n’est pas d’une portée telle que l’appelante pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement. Même l’employeur n’avait pas considéré l’inconduite comme motif de fin d’emploi sur le relevé d’emploi.

[28] Avec toute la déférence qui s’impose, la décision de la division générale ne peut être maintenue. Le Tribunal est d’avis que la division générale a tiré une conclusion entachée d’une erreur de droit et qu’elle n’a pas tenu compte des éléments portés à sa connaissance. Le Tribunal est donc justifié d’intervenir afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue.

[29] L’inconduite, au sens de l’article 30 de la Loi, a été définie comme une conduite intentionnelle, c’est-à-dire une conduite consciente, délibérée ou volontaire. D’autre part, la notion d’inconduite n’implique pas qu’il soit nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable, qu’il soit prémédité - Canada (Procureur général) c. Secours, [1995] A.C.F. no 210 (QL).

[30] En l’espèce, l’emploi de l’intimée a pris fin le 30 juin 2016 parce qu’elle s’est présentée au travail le 5 juin 2016 sous l’effet de l’alcool et dans l’incapacité d’effectuer ses tâches malgré plusieurs avertissements antérieurs de l’employeur et engagements signés par elle. Puisque l’intimée ne pouvait pas effectuer ses tâches, elle a manqué à une condition essentielle de son contrat de travail et elle a été congédiée.

[31] À plus d’une reprise, la Cour d’appel fédérale a établi qu’un employé qui compromet l’exercice des fonctions dont il devait s’acquitter envers son employeur, manque à une condition explicite du contrat de travail - Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36, Canada (Procureur général) c. Wasylka, 2004 CAF 219, Canada (Procureur général) c. Cooper, 2003 CAF 389, Casey c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2001 CAF 375, Canada (Procureur général) c. Cartier, 2001 CAF 274, Canada (Procureur général) c. Turgeon, A-582-98.

[32] Le Tribunal est d’avis que même si l’intimée s’est engagée volontairement à se présenter au travail le 5 juin 2016 et que cela ne constituait par son horaire normal de travail, cela n’a aucun effet sur l’engagement de l’intimée à se présenter à son travail afin d’accomplir les tâches et responsabilités confiées par l’employeur.

[33] De plus, même si l’employeur n’a pas congédié l’intimée lors du dernier événement et a indiqué une raison autre que le congédiement sur le relevé d’emploi, la preuve devant la division générale démontre clairement que l’employeur l’a congédiée suite au non-respect des conditions particulières de son contrat de travail.

[34] Cependant, l’employé qui est congédié pour une inconduite liée à l’alcoolisme ne sera pas exclu du bénéfice des prestations de chômage suivant le paragraphe 30(1) si l’on établit l’existence de l’alcoolisme et du caractère involontaire de la conduite en question –Canada (Procureur général) c. Bigler, 2009 CAF 91.

[35] Il est vrai que l’intimée a établi devant la division générale qu’elle souffrait d’un problème d’alcoolisme. Par contre, la conclusion de la division générale selon laquelle l’intimée souffre d’alcoolisme ne permet pas en soi de supplanter le caractère volontaire de la consommation d’alcool et de rendre l’exclusion prévue au paragraphe 30(1) de la Loi inapplicable à l’intimée – Bigler.

[36] La preuve devant la division générale ne supporte pas la conclusion selon laquelle le comportement de l’intimée était involontaire, ou que sa consommation d’alcool n’était pas délibérée ou consciente.

[37] Il n’y a aucune opinion médicale, aucune preuve de la part des centres de thérapie, qui pourrait tendre à confirmer que la conduite de l’intimée n’était pas délibérée.

[38] La preuve démontre plutôt que l’intimée était consciente des gestes qu’elle posait, des effets de la consommation et des conséquences qui pouvaient ou qui allaient s’ensuivre.

[39] En effet, l’intimée a donné son nom pour travailler le dimanche 5 juin 2016 tout en sachant qu’elle allait fêter son anniversaire la veille et qu’elle pourrait avoir de la difficulté à travailler le dimanche matin, mais « elle croyait qu’étant donné que c’était sa fête, l’employeur passerait par-dessus et n’en tiendrait pas compte ». Elle savait pourtant que son emploi était en danger. À la lumière de cette déclaration, la division générale ne pouvait conclure au caractère involontaire des gestes posés par l’intimée.

[40] Le Tribunal sympathise et est sensible à la situation de l’intimée, mais il se doit d’accueillir l’appel afin de se conformer aux enseignements de la Cour d’appel fédérale.

Conclusion

[41] L’appel est accueilli, la décision de la division générale est annulée et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

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