Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 21 juillet 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a conclu que l’appelant (désigné ci-dessous « requérant ») a quitté son emploi sans justification et qu’il était par conséquent exclu du bénéfice des prestations conformément à la Loi sur l’assurance-emploi. Le requérant a présenté une demande de permission d’en appeler devant le tribunal de la division d’appel le 9 août 2017, et la permission a été accordée le 30 octobre 2017.

[2] Cet appel a été tranché sur la foi du dossier pour les motifs suivants :

  1. J’ai déterminé qu’il n’est pas nécessaire de tenir une autre audience.
  2. L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
  3. L’intimée admet que la division générale a commis une erreur.

Question en litige

[3] La division générale a-t-elle erré en fait ou en droit, manqué un principe de justice naturelle ou commis une erreur dans l’exercice de sa compétence?

Droit applicable

[4] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[5] Le requérant n’a pas présenté d’observations additionnelles autres que celles fournies en appui de la permission d’en appeler.

[6] L’intimée reconnaît que le rôle de la division générale est d’évaluer la crédibilité, mais elle soutient qu’en l’espèce, la division générale n’explique pas de façon raisonnable comment elle a concilié les éléments de preuve contradictoires, et par conséquent, qu’elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte de toutes les circonstances. De plus, l’intimée soutient que la décision n’est ni transparente ni intelligible. Bien que l’intimée maintienne que les problèmes de transport ne constituent pas une justification et que cela est étayé dans la jurisprudence (Canada (Procureur général) c. Lanteigne, 2009 CAF195; Chemouny c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 48), elle soutient que la division générale a mal appliqué CUB 72804 et commis une erreur en exigeant que le requérant présente une loi ou de la jurisprudence pour appuyer sa proposition.

Analyse

Norme de contrôle

[7] La référence de l’intimée au caractère raisonnable de la décision de la division générale laisse entendre qu’elle considère qu’une analyse de la norme de contrôle serait appropriée. Cependant, l’intimée ne fait pas précisément valoir que je dois appliquer les normes de contrôle ou que la norme de décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée.

[8] Je reconnais que les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS sont très similaires aux motifs habituels de contrôle judiciaire, et cela suggère que les normes de contrôle doivent aussi s’appliquer en l’espèce. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas nécessité l’application des normes de contrôle, et je ne crois pas que cela soit nécessaire.

[9] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de trancher sur les normes de contrôle que la division d’appel doit appliquer, mais a mentionné dans une remarque incidente qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel doivent faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a observé que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence. De plus, la Cour a fait remarquer qu’un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale en matière de contrôle judiciaire.

[10]  Dans une affaire récente intitulée Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a directement appliqué la norme de contrôle appropriée, mais elle l’a fait dans un contexte de décision prise par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes qui ont guidé le rôle des juges en matière de contrôle judiciaire des décisions administratives ne sont pas applicables dans un cadre administratif à plusieurs niveaux et que les normes de contrôle devraient seulement être appliquées si la loi habilitante le prévoit.

[11]  La loi habilitante qui régit les appels administratifs sur les décisions rendues en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et cette loi ne prévoit pas qu’un examen doit être mené conformément aux normes de contrôle.

[12] D’autres décisions de la Cour fédérale d’appel semblent approuver l’application des normes de contrôle (notamment Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147, et Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167). Néanmoins, la Cour d’appel fédérale ne semble pas être du même avis concernant l’applicabilité d’une telle analyse au sein d’un processus d’appel administratif.

[13] Je suis d’accord avec la décision de la Cour dans l’arrêt Jean, lorsqu’elle a mentionné l’un des moyens prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et souligné ce qui suit : Il n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire ». Je vais examiner cet appel en me référant uniquement aux moyens d’appel prévus par la Loi sur le MEDS, et non au « caractère raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Bien fondé de l’appel : la division générale a-t-elle erré en fait ou en droit, manqué un principe de justice naturelle ou commis une erreur dans l’exercice de sa compétence?

[14] L’intimée accorde une certaine importance à une différence entre les revenus quotidiens énoncés par le requérant pendant l’audience et son relevé d’emploi, et elle suggère qu’il s’agit d’un exemple d’omission de conciliation de la preuve contradictoire commise par la division générale. Cependant, je ne peux clairement pas conclure en quoi cet exemple est pertinent. La division générale n’a pas mentionné les revenus quotidiens du requérant dans sa décision ou ne s’y est pas fiée, et il n’était pas nécessaire de le faire, car la question dont était saisie la division générale était de savoir si le requérant a quitté volontairement son emploi sans justification.

[15] Néanmoins, je suis d’accord avec la conclusion de l’intimée selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, au titre de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS. Bien au-delà des motifs de l’intimée appuyant l’appel, je constate que la conclusion de la division générale contre la crédibilité de la requérante au paragraphe 24 est fondée en partie sur l’erreur d’appréciation du témoignage du requérant commise par la division générale au paragraphe 25. La division générale a compris que le requérant a témoigné qu’il était difficile de se trouver un emploi, car il est musulman et qu’une de ces tâches consistait à transporter du porc dans son camion. Le requérant a témoigné que son épouse a émis des préoccupations à ce sujet, mais qu’il ne s’en est pas préoccupé, car il voulait simplement obtenir son chèque de paie. Il a dit : [traduction] « Je ne le mange pas. Je ne le transforme pas. Je ne fais que le livrer, c’est correct. »

[16] De plus, la division générale n’a pas justifié son scepticisme (au paragraphe 25) quant à la déclaration du requérant selon laquelle il a discuté avec son employeur afin de trouver des accommodements. La division générale soutient qu’elle est sceptique, car, « J. » a déclaré (au nom de l’employeur) que le requérant a quitté son emploi puisque celui-ci ne lui convenait pas. Si la déclaration de l’employeur est la raison du scepticisme de la division générale, cela peut uniquement signifier qu’elle a apprécié la déclaration pour sa véracité, c.-à-d. que le requérant a effectivement mentionné à l’employeur qu’il quittait son emploi puisque celui-ci ne lui convenait pas. La preuve de la Commission à ce sujet consiste en une brève note faisant état d’un appel concernant la déclaration de J. La Commission n’a pas analysé ou remis en question cette déclaration d’aucune façon. En fait, il est impossible de déterminer s’il s’agissait d’une conversation ou d’un simple message vocal. Une preuve par ouï-dire comme celle-ci est en quelque sorte moins fiable qu’un témoignage direct; pourtant, la division générale n’explique pas pourquoi elle a choisi d’apprécier les montants énoncés dans un enregistrement fait sans serment portant sur l’interprétation faite par la Commission à partir des souvenirs de J. (ou description) de ce que le requérant lui a raconté. Dans son témoignage, le requérant nie clairement avoir mentionné qu’il quittait son emploi puisque celui-ci ne lui convenait pas. Après que le requérant ait nié cette déclaration, la preuve a été remise en question par le membre de la division générale qui a demandé si la déclaration de J. pourrait être liée à sa préoccupation selon laquelle la manutention du porc serait faite par un musulman, ce qu’il a aussi nié. Le requérant maintient durant son témoignage que son seul motif de quitter son emploi était son inaccessibilité à un moyen de transport.

[17] La division générale n’a pas justifié l’appréciation de la véracité de la déclaration de l’employeur au détriment de la preuve du requérant, mais même si elle l’avait fait, la déclaration de J. ne se veut pas une déclaration compréhensive des événements survenus entre le requérant et l’employeur. Il n’y a pas nécessairement de contradiction entre la déclaration de J. et le témoignage du requérant selon lequel ce dernier aurait discuté d’options de transport avec son superviseur « K. ».

[18] L’intimée consent que la division générale n’a pas fourni d’explication raisonnable concernant sa conciliation de la preuve contradictoire, bien que, tel qu’il est noté, elle souligne un exemple différent duquel je me suis fié. Voici ce que la Cour a tranché dans la décision Oberde Bellefleur OP Clinique dentaire O. Bellefleur [employeur] c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13 :

Un conseil arbitral doit justifier les conclusions auxquelles il en arrive. Lorsqu’il est confronté à des éléments de preuve contradictoires, il ne peut les ignorer. Il doit les considérer. S’il décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, il doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire.

[19] À la question de savoir si le requérant a cherché des options de transport avec son employeur, la division générale a aussi mentionné [traduction] « qu’il n’est pas clair pour le Tribunal que K. était en position de pouvoir face à l’employé lui permettant d’offrir des options de transport. » La division générale n’explique pas en quoi cela n’est pas clair, mais mentionne plutôt que le fait que K. avait effectivement le pouvoir nécessaire pour offrir des options de transport n’était pas la question. La question est plutôt de savoir si le requérant peut raisonnablement conclure que K. représente son employeur. La seule preuve à ce sujet provient du requérant dans laquelle il témoigne que K. est son superviseur et qu’il est la seule personne en autorité avec laquelle il peut négocier. Le requérant affirme qu’il a parlé de ses problèmes de transport à K. et qu’il a demandé des options de transport, ce à quoi K. aurait répondu d’une façon qui laissait croire qu’il parlait au nom de l’employeur.

[20] La division générale semble aussi rejeter la crédibilité générale du requérant en faisant uniquement référence à son opinion selon laquelle le requérant était [traduction] « évasif » dans sa réponse à une des questions visant à déterminer s’il a demandé congé. Pendant l’audience, le membre de la division générale a demandé trois fois des explications à propos du congé avant d’être convaincu que la réponse du requérant répondait à la question. Si le membre de la division générale considère que le requérant est évasif dans sa réponse, il a droit de le mettre en doute sur ce point; mais dans les faits, le membre n’a pas remis en doute la réponse du requérant. Le requérant consent sur le point précis selon lequel il n’a pas demandé de congé et cette affirmation est la seule preuve à ce sujet. La division générale se réfère à sa conclusion selon laquelle il n’a pas demandé de congé en rendant sa décision.

[21] J’estime que la description faite par la division générale du comportement du requérant concernant une seule question n’est pas un motif suffisant pour enlever toute crédibilité au requérant, surtout lorsque la division générale apprécie et se fie à sa réponse sur cette question. Par conséquent, je n’accepte pas la suffisance des raisons données par la division générale en lien avec l’évaluation de sa crédibilité.

[22] De plus, je n’accepte pas que la décision de la division générale puisse être dissociée de son évaluation de la crédibilité du requérant. Je reconnais que la division générale a ultimement conclu que le requérant aurait pu demander congé, ce qui est fondé en partie sur la preuve du requérant à laquelle il a consenti. Toutefois, comme il est énoncé dans la décision relative à une demande de permission d’en appeler, la norme de la décision raisonnable de cette solution ne peut être évaluée hors de son contexte et l’interprétation du contexte faite par la division générale dépend de ce qu’elle croit et de ce qu’elle accepte :

Si les éléments de preuve du demandeur avaient été jugés crédibles, il serait revenu à la division générale de conclure qu’il n’aurait pas été nécessaire que le demandeur présente sa demande d’aide comme une demande de congé, de manière à ce que la division générale puisse considérer sa recherche d’options comme étant raisonnable. Le demandeur décrivit le contexte global dans lequel il expliqua qu’il avait seulement travaillé pour quelques jours, qu’il était toujours en formation, qu’il avait essayé avec son superviseur de trouver des options possibles pour venir au travail et que son superviseur n’offrit aucune aide ou aucun conseil. Selon le demandeur, l’essence de la réponse du superviseur se résumait à : [traduction] « tu dois être ici et tu ne peux y être, ce travail n’est pas pour toi. »

[23] Pour les raisons susmentionnées, j’estime que les motifs présentés par la division générale sont insuffisants pour que le requérant puisse déterminer pour quelle raison la division générale a accordé si peu d’importance à son témoignage. On peut considérer cela comme un manquement à un principe de justice naturelle au titre de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS; cependant, je comprends que le caractère inadéquat des motifs suffit rarement comme motif distinct pour intervenir dans une décision. En l’espèce, je considère que le caractère inadéquat des motifs appuie ma conclusion énoncée au paragraphe 15 selon laquelle la division générale a erré au titre de l’alinéa 58(1)c). Il est arbitraire d’enlever toute crédibilité au requérant sans fournir de justification appropriée.

[24] Je suis d’accord avec l’intimée sur le fait que CUB 72804 n’appuie pas la décision de la division générale, puisqu’elle traite de « motif valable » aux fins d’antidatation, et non de « justification » pour quitter volontairement un emploi. Étant donné que les moyens d’appel sont énoncés, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si CUB 72804 a mal été appliquée ou si son application peut s’avérer une erreur de droit. Parallèlement, même si l’intimée affirme avec justesse que [traduction] « les problèmes de transport ne constituent pas une justification » (en elle-même), je ne suis pas au fait d’une jurisprudence, y compris les affaires citées dans les décisions Lanteigne et Chemouny, qui établissent comme principe général que les « problèmes de transport » ne peuvent être considérés comme des circonstances pertinentes dans la question de savoir s’il s’agit de solutions raisonnables afin de ne pas quitter son emploi. Les conclusions de chacune des décisions Lanteigne et Chemouny étaient hautement dépendantes sur les faits particuliers à ces affaires.

Conclusion

[25] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

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