Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

A. Z., appelant

W. Z., représentant de l’appelant

Introduction

[1] Le 20 mars 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a conclu que les prestations versées au titre de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) n’étaient pas payables pour le prestataire, car celui-ci n’avait pas le nombre de semaines minimum requis dans sa période de référence. Le prestataire a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal le 2 juin 2017, et la permission d’en appeler a été accordée le 12 octobre 2017.

[2] Une audience par téléconférence a été tenue pour les raisons suivantes :

  1. le fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  2. les renseignements au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires;
  3. l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[3] La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle, outrepassé sa compétence, omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou autrement commis une erreur de fait ou de droit?

Droit applicable

[4] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur les MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[5] Le prestataire a soutenu qu’il avait seulement besoin de 630 heures assurables afin d’être admissible aux prestations d’assurance-emploi, et non des 665 heures exigées par la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Il renvoie à sa demande originale de prestations, et le refus de la Commission daté du 13 avril 2016 (première décision), date à laquelle il avait accumulé 642 heures assurables.

[6] Le prestataire a réitéré sa préoccupation selon laquelle au moment de sa première demande, les agents de la Commission lui avaient dit d’aller accumuler de 25 à 30 heures [traduction] « prochainement », puis de revenir présenter une demande. Lorsqu’il est revenu après avoir accumulé des heures supplémentaires, il prétend qu’on lui a dit que [traduction] « tout état correct », mais il a plutôt reçu une décision datée du 17 août 2016 dans laquelle sa demande est rejetée (seconde décision). Il a expliqué qu’il aurait pu obtenir les quelques heures toujours requises pour atteindre le total de 665 heures dans une courte période s’il avait su qu’il avait peu de temps pour le faire.

[7] La Commission a fourni des observations écrites seulement. Dans ces observations, la Commission a maintenu que le prestataire avait accumulé seulement 147 des 630 heures prévues dans la période d’admissibilité précédant la seconde demande ou nouvelle demande de prestations du prestataire qui a été rejetée par la Commission dans la seconde décision.

[8] La Commission maintient que la décision découlant de la révision portait seulement sur la seconde décision. La mention d’une décision datant du [traduction] « 10 août 2016 » dans la décision découlant de la révision était une erreur d’écriture et aurait dû renvoyer à la décision du 17 août 2016. Selon la Commission, elle avait effectué un contrôle administratif de la seconde décision seulement. La Commission déclare également qu’elle a maintenant l’intention d’effectuer un contrôle de la première décision.

Analyse

Norme de contrôle

[9] La mention par la Commission du caractère raisonnable de la décision de la division générale laisse entendre que la Commission estime qu’une analyse de la norme de contrôle est appropriée. Cependant, la Commission ne soutient pas particulièrement que je devrais appliquer les normes de contrôle ou que la norme de la décision raisonnable est appropriée.

[10] Je reconnais que les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS sont très semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire, et cela donne à penser que les normes de contrôle pourraient également s’appliquer en l’espèce. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas insisté sur le fait que les normes de contrôle doivent être appliquées, et je n’estime pas cela soit nécessaire.

[11] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de trancher sur la norme de contrôle que la division d’appel doit appliquer, mais elle a déclaré entre autres qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel devaient faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a fait remarquer que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est pas tenue de faire preuve de déférence. De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif ne possède pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[12] Dans la récente affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a directement abordé la norme de contrôle appropriée, mais elle l’a fait dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes guidant le rôle des cours dans le cadre d’un contrôle judiciaire de décisions administration ne s’appliquent pas dans un cadre administratif à plusieurs niveaux, et que les normes de contrôle devraient être appliquées seulement si la loi habilitante le prévoit.

[13] La loi habilitante concernant les appels administratifs des décisions en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et celle-ci ne prévoit pas qu’un examen doit être effectué conformément aux normes de contrôle.

[14] D’autres décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôle (comme les arrêts Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147, et Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167). Néanmoins, les juges de la Cour d’appel fédérale ne semblent pas être du même avis en ce qui concerne l’applicabilité de cette analyse dans un processus d’appel administratif.

[15] Je suis d’accord avec la Cour, dans l’arrêt Jean, lorsqu’elle a renvoyé à l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et qu’elle a souligné ce qui suit : « Il n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. » J’examinerai l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement, et non au [traduction] « caractère raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Bien-fondé de l’appel

[16] J’avais accordé la permission d’en appeler parce que j’estimais que le prestataire n’avait pas soulevé une conclusion de fait erronée ou une erreur de droit. Cependant, j’ai également conclu qu’il y avait une chance raisonnable de succès en ce qui concerne l’omission de la division générale d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Cela était fondé sur mon interprétation selon laquelle la division découlant de la révision aurait pu aborder la première décision et la seconde. La division générale a refusé d’aborder les questions découlant de la première décision, soit celle du 13 avril 2016.

La division générale a-t-elle omis d’exercer sa compétence en ne tenant pas compte de la décision découlant de la révision de la Commission comme un document abordant la première décision?

[17] À l’audience devant la division d’appel, le prestataire avait peu à ajouter relativement à l’omission par la division générale d’aborder les questions découlant de la première décision. Le prestataire conteste l’interprétation de la division générale concernant le nombre d’heures assurables requises afin d’être admissible au moment de la première décision.

[18] Le prestataire a renvoyé à un tableau à GD4-5, qui montrait le nombre d’heures assurables requis de 630 heures pour un taux de chômage de 7 à 8 %. Il semblait chercher à contester le fondement de la division générale sur une exigence selon laquelle le prestataire devait obtenir 665 heures. Cependant, la décision de la division générale a abordé la seconde décision, qui ne s’était pas fondée sur les 665 heures. Elle a convenu que les 630 heures étaient le nombre d’heures assurables requis pour une région ayant un taux de chômage de 7,7 % (paragraphe 22). Le taux de 7,7 % était considéré comme le taux de chômage dans la région pour la période du 7 août 2016 au 10 septembre 2016, soit la période visée dans le cadre de l’appel de la seconde décision seulement.

[19] Étant donné que la division générale a limité son examen à la seconde décision, elle n’a fait aucune tentative de déterminer le taux de chômage pour la période visée par la première décision. Elle n’a pas non plus tenu compte du nombre d’heures assurables qui auraient été requises (selon le taux de chômage pendant cette période) ou de la question de savoir si le prestataire avait obtenu le nombre d’heures requises lorsqu’il a présenté sa première demande. Même si le prestataire fait valoir que seulement 630 heures étaient requises, il soutient que cela concerne la première décision. Le taux de chômage pourrait fort bien être différent au moment où la première décision a été rendue, et l’exigence en matière d’heures assurables pourrait fort bien être supérieure.

[20] Je me pencherai maintenant sur l’argument de la Commission selon lequel la division générale a correctement tenu compte de la seconde décision seulement. La demande de révision du prestataire semble avoir demandé la révision des deux décisions. En posant la question « Pour quelle(s) décision(s) d’assurance-emploi désirez-vous une révision? », le formulaire de demande de révision envisage clairement qu’un appelant puisse demande la révision de plus d’une décision dans le cadre de la même demande. Pour répondre à cette question, le prestataire est renvoyé à la [traduction] « pièce jointe no 1 ». Il s’agissait d’une copie de la première décision accompagnant la demande. Cependant, il a également déclaré en réponse aux deux questions suivants que la décision a été communiquée le « 2016-08-23 » et envoyée le « 2016-08-23 », ce qui renvoyait probablement à la seconde décision.

[21] En fait, la Commission reconnaît que le prestataire avait présenté des copies des première et seconde décisions avec sa demande. De plus, la Commission convient qu’elle aurait dû examiner deux appels distincts au titre de l’article 112 de la Loi sur l’AE. Par conséquent, il semble qu’elle accepte que la demande de révision du prestataire porte sur les première et seconde décisions. J’estime que le prestataire a bel et bien présenté une demande de révision des première et seconde décisions dans le cadre de la même demande.

[22] Je suis d’accord avec l’observation de la Commission selon laquelle une erreur d’écriture qui ne cause pas préjudice n’est pas fatale à une décision. L’existence d’une erreur d’écriture n’est pas le problème en l’espèce, mais bien le fait que l’erreur d’écriture portait sur la date qui désignait réellement la décision faisant l’objet d’une révision. Cette erreur d’écriture, accompagnée du contenu relativement générique de la décision découlant de la révision et de son ambiguïté [traduction] « passe-partout » concernant la question de savoir si la demande concernait une seule ou plusieurs décisions, signifie que la ou les décisions qui ont réellement fait l’objet d’une révision ne peuvent pas être distinguées sur la foi de la décision même découlant de la révision.

[23] La Commission soutient maintenant que la décision découlant de la révision concernait seulement la seconde décision. Le dossier de révision de la Commission comprend des renseignements concernant les deux décisions. Le commentaire, l’analyse et même les relevés de conversations téléphoniques figurant au dossier sont si génériques qu’ils peuvent autant s’applique à une décision, à l’autre ou aux deux.

[24] Même s’il pouvait être établi que la Commission n’a pas réellement effectué un contrôle administratif de la première décision, j’estime qu’elle était obligée de le faire et que le prestataire avait le droit de considérer la décision découlant de la révision comme une décision répondant à sa demande de révision, ce qui comprend sa demande de révision de la première décision. Cela est fondé sur la demande de révision en soi et sur la nature des préoccupations soulevées par le prestataire à la Commission et à la division générale. Certaines de ces préoccupations portaient sur la manière dans laquelle sa demande originale avait été traitée et les renseignements qu’il avait reçus au sujet de la première décision.

[25] J’estime que la décision découlant de la révision du 1er septembre 2016 était en effet une décision découlant de la révision des première et seconde décisions. Par conséquent, j’estime que la division générale a omis d’exercer sa compétence en se concentrant exclusivement sur la seconde décision sans tenir compte des questions découlant de la première décision et sans trancher celles-ci. Il s’agit d’une erreur au titre de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS.

[26] Je comprends que la Commission a assuré qu’elle rendra maintenant une décision découlant d’une révision concernant la demande de révision de la première décision. Cependant, après avoir déterminé ce qui précède, je ne suis pas en mesure de rejeter l’appel au motif de cette garantie.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale aux fins de réexamen.

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