Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

Aperçu

[2] Le 22 février 2016, l’employeur a soupçonné que le demandeur (ci-après appelé le prestataire) était sous l’effet de la drogue en raison de son comportement au travail. L’employeur lui a fait passer un test de dépistage des drogues qui ne s’est pas avéré concluant, mais le prestataire s’est tout de même vu imposer une suspension de cinq jours. Il a été informé qu’il allait devoir se soumettre à un autre test de dépistage à son retour au travail. Le prestataire est revenu au travail le 1er mars 2016 et s’est soumis à un autre test de dépistage des drogues, administré par un service indépendant. Les résultats se sont révélés positifs pour la marijuana et la cocaïne, et le prestataire a été congédié.

[3] La défenderesse (ci-après appelée la Commission) a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite, et le prestataire a donc été exclu du bénéfice des prestations. En appel, la division générale s’est rangée à l’avis de la Commission. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’il soit congédié s’il consommait de la drogue et échouait à un test de dépistage.

[4] La demande de permission d’en appeler a été présentée en retard mais j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire pour lui permettre d’être poursuivie.

[5] Je conclus que l’appel du prestataire a une chance raisonnable de succès. Il est reproché au prestataire d’avoir eu des drogues dans son organisme au moment où un test de dépistage des drogues a été effectué. La division générale a conclu que le prestataire avait violé la politique de tolérance zéro de l’employeur en ayant des drogues dans son organisme et en échouant au test de dépistage. Le fait que la division générale a qualifié de « tolérance zéro » la politique de l’employeur semble avoir joué un rôle important dans sa conclusion selon laquelle le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié s’il échouait à un test de dépistage des drogues. Cependant, la division générale pourrait avoir mal compris ou ignoré une preuve qui donne à penser que la politique n’était peut-être pas une politique de tolérance zéro en ce qui concerne les résultats à un test de dépistage des drogues. Cela pourrait avoir influencé la conclusion de la division générale voulant que la conduite du prestataire eût été délibérée. J’ai conclu que la division générale pourrait avoir fondé sa conclusion sur une mauvaise compréhension des faits.

Question préliminaire

Demande tardive

[6] La demande de permission d’en appeler a été présentée en retard. Conformément au paragraphe 57(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la demande de permission d’en appeler doit être présentée dans les 30 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. En l’espèce, la décision de la division générale a été rendue le 11 août 2017, et le prestataire a téléphoné au Tribunal le 18 août 2017 pour l’informer qu’il en ferait appel. Même si la décision est présumée avoir été communiquée à la partie le dixième jour suivant celui de sa mise à la poste conformément au paragraphe 19(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, cette présomption peut être démentie en cas de preuve contraire. D’après le registre de l’appel du 18 août 2017, j’admets que l’appelant a reçu communication de la décision le 18 août 2017 au plus tard.

[7] Par conséquent, il avait jusqu’au 18 septembre 2017 (comme le 17 septembre tombait un dimanche) pour présenter sa demande de permission d’en appeler. La demande a été considérée comme complète en date du 14 novembre 2017, et je constate donc que la demande a été présentée en retard.

[8] J’ai le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation de la demande prévu au paragraphe 57(1) de la Loi sur le MEDS, en me fondant néanmoins sur certains principes. Les facteurs que je dois considérer en exerçant mon pouvoir discrétionnaire sont les suivants :

  • Le prestataire démontre l'intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  • Le retard a été raisonnablement expliqué;
  • Laprorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie;
  • Lacause est défendable.Note de bas de page 1

[9] J’admets que le prestataire a démontré l’intention persistante de poursuivre la demande. Le prestataire a joint le Tribunal le 7 septembre 2017 pour lui faire part de son intention de faire appel, et lui a transmis par télécopieur un formulaire d’avis d’appel la même journée. Malheureusement, sa demande était incomplète, et le Tribunal l’a informé que sa demande ne serait pas considérée comme tardive s’il fournissait les informations manquantes au plus tard le 17 octobre 2017. Le prestataire a déposé des informations supplémentaires le 17 octobre 2017, mais sa demande demeurait incomplète. Le Tribunal lui a donc envoyé une seconde lettre, datée du 25 octobre 2017, lui demandant de fournir une déclaration attestant que tous les renseignements contenus dans sa demande étaient véridiques. Le prestataire a téléphoné le 14 novembre pour se renseigner à ce sujet, puis a soumis la déclaration demandée la même journée. Ce facteur est en faveur de l’agrément d’une prorogation.

[10] Le prestataire n’a pas fourni d’explication pour justifier son retard, puisque sa demande originale avait été présentée à temps et qu’il ne savait pas alors qu’elle était incomplète. Quand on lui a demandé de fournir des documents supplémentaires, on lui avait dit que sa demande ne serait pas considérée comme tardive si les documents étaient reçus au plus tard le 17 octobre 2017. Comme le prestataire a effectivement envoyé des documents supplémentaires à cette date, il avait le droit de croire, d’après les renseignements qui lui avaient été donnés, que sa demande ne serait pas considérée comme tardive, et il n’a donc pas fourni d’explication. Lorsqu’il a transmis le dernier document requis, soit la déclaration signée, il était clair qu’il complétait sa demande après le délai fixé; cela dit, on ne lui avait jamais demandé, ni dans la lettre du 25 octobre ni durant la conversation téléphonique, d’expliquer pourquoi la présentation de sa demande était tardive.

[11] Je pourrais demander au prestataire de présenter des observations pour justifier la présentation tardive de sa demande, mais je n’en vois pas l’utilité. La situation me laisse croire que le prestataire a essayé de se conformer aux différentes exigences techniques que suppose une demande complète, mais qu’il a eu de la difficulté à comprendre ce qu’il devait fournir. J’admets cette difficulté à naviguer dans le processus comme une explication à la présentation tardive de sa demande. Qui plus est, j’estime que cette explication est raisonnable. Le prestataire a agi diligemment en essayant de respecter les exigences relatives à la demande. Ce facteur est en faveur de l’agrément d’une prorogation.

[12] Au total, la demande du prestataire a été complétée avec moins d’un mois de retard. J’estime qu’un bien plus grand préjudice serait causé au prestataire si une prorogation était refusée que celui qui serait causé à la Commission si elle était accordée. Le retard demeure trop court pour nuire à la capacité de la Commission d’enquêter ou de se défendre face à la demande du prestataire.

[13] Le dernier facteur à considérer est de savoir si l’affaire soulève une cause défendable. Il a été établi que le critère de la cause défendable correspondant, en gros, à une chance raisonnable de succès en appel, ce qui est la question que je dois trancher dans le cadre de cette demande de permission d’en appeler. Si je conclus que la cause est défendable, je vais accorder simultanément une prorogation du délai de présentation de la demande de permission d’en appeler et la permission d’en appeler elle-même.

Analyse

Principes généraux

[14] La division générale doit examiner et apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance, et tirer des conclusions de fait. Elle doit également tenir compte du droit applicable, qui comprend les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) et du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement sur l’AE) qui sont pertinentes aux questions en litige, et peut aussi comprendre des décisions judiciaires ayant interprété ces dispositions législatives. Enfin, la division générale doit appliquer le droit aux faits pour tirer ses conclusions quant aux questions qu’elle doit trancher.

[15] Le prestataire n’a pas eu gain de cause devant la division générale, et la division d’appel est maintenant saisie de sa demande. La division d’appel ne peut toucher à une décision de la division générale que si des erreurs de types précis ont été commises par la division générale; ces erreurs sont appelées les « moyens d’appel ». Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appels sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[16] Pour accueillir la demande de permission d’en appeler, je dois être convaincu qu’au moins l’un des moyens d’appel confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[17] La division générale s’est penchée sur la question de savoir si le prestataire était exclu du bénéfice des prestations pour avoir été congédié pour inconduite, comme l’exige l’article 30 de la Loi sur l’AE. Conformément aux cours, une conduite constitue seulement une « inconduite » si :

  • la conduite est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels;
  • le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.Note de bas de page 2

Question en litige : Est-il défendable que la division générale ait erré en fondant sa décision sur la conclusion voulant que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié s’il échouait au test de dépistage des drogues?

[18] Le prestataire a soutenu que la division générale a erré du fait qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte de la note de service d’un représentant des ressources humaines de l’employeur. Il était écrit, dans cette note, que ce que les employés faisaient hors des heures de travail les regardait. Comme rien ne porte à croire que le prestataire aurait consommé des drogues ou été en état d’ébriété au travail, je comprends que le prestataire conteste, par l’entremise de sa demande, la conclusion de la division générale voulant qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié s’il échouait au test. Le prestataire semble laisser entendre, comme moyen d’appel, que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.

[19] La division générale n’a pas véritablement expliqué en quoi la conduite du prestataire [traduction] avait « nui à son rendement » d’une telle manière qu’il savait qu’il pourrait être congédié. La division générale reconnaît que le prestataire n’était pas en état d’ébriété et qu’il n’avait pas été congédié pour avoir été en état d’ébriété (paragraphe 50). Le prestataire a plutôt été congédié en raison de ses résultats positifs au test de dépistage. La division générale a conclu, au paragraphe 47, que le fait qu’il ait [traduction] « conséquemment échoué au test de dépistage des drogues l’avait empêché de bien s’acquitter de ses fonctions ». J’en comprends donc que la division générale a considéré que le prestataire avait l’obligation de se soumettre à un test de dépistage des drogues et de le réussir, et qu’il s’agit là de l’obligation dont il n’avait pas pu s’acquitter.

[20] Selon la loi, il faudrait que le prestataire ait compris qu’il était réellement possible qu’il soit congédié s’il échouait au test de dépistage des drogues. La conclusion de la division générale à ce sujet semble largement fondée sur le fait qu’elle avait compris que le prestataire savait que l’employeur avait une « politique de tolérance zéro ». Au paragraphe 50 de sa décision, la division générale examine le témoignage du prestataire et la note de service de l’employeur le corroborant, selon laquelle l’employeur n’était pas concerné par les activités des employés à la maison, dans la mesure où celles-ci ne nuisaient pas à leur travail : [traduction] « Ce que vous faites hors des heures de travail vous regarde » (GD3-71). La division générale a jugé que cela ne signifiait pas que la politique de tolérance zéro ne s’appliquait pas aussi au travail.

[21] Par contre, ni la division générale ni les politiques de l’employeur ne définissent la « tolérance zéro ». Selon le dictionnaire en ligne Merriam-WebsterNote de bas de page 3, la « tolérance zéro » signifie de punir le plus sévèrement possible les délinquants à la moindre infraction [traduction libre]. Le Free Dictionary, quant à lui, définit la « tolérance zéro » comme suit : « Loi, politique ou pratique prévoyant l’imposition de pénalités sévères pour des crimes ou des comportements délinquants, sans exception pour des circonstances atténuantes » [traduction libre]Note de bas de page 4.

[22] Une seule partie de la politique sur l’usage de drogues et d’alcool produite en preuve correspond vraiment à une telle définition : [traduction] « Un employé sera congédié s’il est aperçu en train de consommer ouvertement de l’alcool ou des drogues dans un lieu public, sur les terrains de l’employeur ou d’autres lieux de travail ou durant les heures de travail. » (mis en évidence par le soussigné)

[23] La politique comprend également des dispositions comme celles-ci : [traduction] « Tout employé qui se présente au travail en possession de drogues illicites ou d’alcool ne sera pas autorisé à travailler et sera susceptible de congédiement »; « L’usage, la vente, la possession illicite, la fabrication ou la distribution [de drogues ou d’alcool] durant les heures de travail […] sont strictement interdites. » (mis en évidence par le soussigné)

[24] Aucune des politiques qui précèdent ne s’applique à la situation du prestataire. La seule politique qui s’applique est celle sur les facultés affaiblies : les employés soupçonnés d’avoir les facultés affaiblies par les drogues ou l’alcool ou qui sont affectés par les effets de ceux-ci devront quitter immédiatement le lieu de travail et ne seront autorisés à y revenir que lorsque leurs symptômes d’ébriété seront considérés comme dissipés; ils devront aussi réussir un test de dépistage des drogues et de l’alcool.

[25] C’est le genre de situation dans laquelle s’est trouvé le prestataire. Il aurait supposément fait un commentaire et un geste obscène qui ont amené l’employeur à soupçonner qu’il avait les facultés affaiblies. Après lui avoir fait passer un test de dépistage des drogues non concluant, l’employeur a suspendu le prestataire pendant une semaine.

[26] En lisant la politique sur les facultés affaiblies, il semblerait qu’il soit obligatoire d’imposer une suspension en cas de soupçon de facultés affaiblies, ce qu’on pourrait décrire comme une politique de « tolérance zéro ». Cependant, la politique ne prévoit aucune conséquence si un employé qui a été suspendu échoue à un test de dépistage des drogues à son retour. On pourrait très bien comprendre de la politique que le retour au travail de l’employé sera repoussé jusqu’à ce que celui-ci puisse réussir un tel test. Quant au fait qu’un employé se soumette à un test de dépistage des drogues et que des drogues soient décelées dans son organisme, le libellé de la politique en matière de drogues ne révèle pas une « tolérance zéro ».

[27] De plus, la preuve du prestataire au paragraphe 50 n’appuie pas l’application d’une politique de « tolérance zéro » en ce qui concerne les résultats aux tests de dépistage des drogues. Je reconnais qu’il existe une certaine preuve, à savoir le registre d’un appel téléphonique avec un représentant de l’employeur, déclarant que tous les employés sont informés de la politique de tolérance zéro de l’employeur s’ils ont des drogues dans leur organisme (GD3-18). Néanmoins, la division générale ne semble pas avoir analysé comme telle la politique écrite qui lui a été soumise ni la preuve du prestataire pour déterminer quelles étaient les attentes de l’employeur, ni essayé de concilier la déclaration figurant à GD3-18 avec le reste de la preuve, qu’elle contredisait. En fait, la division générale n’a pas explicitement conclu que la politique de l’employeur était une « politique de tolérance zéro » vu la façon dont elle était écrite, communiquée ou appliquée.

[28] Si la division générale a compris à tort que l’employeur avait une politique de « tolérance zéro » en ce qui concerne les résultats aux tests de dépistage des drogues, il se pourrait très bien que sa décision en ait été influencée. Il semblerait que l’existence d’une telle politique ait été déterminante de la conclusion selon laquelle la consommation de drogues correspond à une inconduite, alors que rien ne révèle que cette consommation a eu lieu sur les terrains de l’employeur ou durant les heures de travail, ou qu’elle a autrement nui au rendement de l’employé. Je conclus donc que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, pour l’application de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[29] Je suis convaincu qu’il existe une cause défendable. Après avoir tenu compte des facteurs pertinents, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai. La demande de permission d’en appeler peut être poursuivie.

[30] Comme j’ai jugé qu’il existe une cause défendable, je conclus aussi que la demande a une chance raisonnable de succès en appel.

Conclusion

[31] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[32] Pour ce qui est de l’appel sur le fond, le prestataire est libre de fonder son plaidoyer sur d’autres moyens d’appel ou sur des moyens d’appel supplémentaires.

[33] La présente décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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