Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Décision et motifs

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a été congédié de son emploi en mars 2016 par suite d’un absentéisme répété et non justifié, du fait qu’il n’a pas informé l’employeur qu’il serait absent et du fait qu’il n’a pas fourni d’explication pour ses absences. Le prestataire reconnait qu’il est un alcoolique et qu’il avait eu une rechute au début de l’année 2016. C’était la raison pour laquelle il s’était absenté à plusieurs reprises en février et en mars 2016.

[3] Lorsque le prestataire a présenté sa demande de prestations d’assurance-emploi, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté sa demande de prestations au motif qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Le prestataire a interjeté appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, soutenant que les gestes qui ont entraîné son congédiement n’étaient pas délibérés. La division générale a accepté le fait que le prestataire était alcoolique, mais a jugé que sa consommation d’alcool n’était pas involontaire et qu’il savait que le fait de prendre un verre pourrait entraîner une rechute et la perte consécutive de son emploi. Le prestataire demande maintenant la permission d’en appeler relativement à la décision de la division générale.

[4] J’estime que l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès. En soutenant que la division générale a mal compris la nature de l’alcoolisme, le prestataire a seulement réitéré sa position devant la division générale selon laquelle il n’a pas consciemment ou volontairement pris un verre. Il n’a pas énoncé la manière dont la conclusion de la division générale a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’elle n’ait tenu compte des éléments portés à sa connaissance.

[5] De plus, la division générale est tenue d’appliquer le droit, et cela comprend les interprétations judiciaires d’« inconduite » et la signification de gestes « conscients » et « délibérés ». Les affaires judiciaires citées par le membre de la division générale ont interprété ces termes dans le contexte de l’alcoolisme et d’autres comportements de dépendance. Les courts n’ont pas accepté le fait que l’alcoolisme, en soi, est suffisant pour écarter le caractère volontaire de la consommation d’alcool. Rien parmi les circonstances en l’espèce ne laisse entendre que ces interprétations ne devraient pas être appliquées.

Questions en litige

[6] Est-il défendable que la conclusion de la division générale selon laquelle la conduite n’était pas involontaire ait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[7] Est-il défendable que la division générale ait commis une erreur de droit en interprétant la conduite du prestataire comme étant volontaire ou consciente?

Analyse

Principes généraux

[8] La division générale est tenue d’examiner et d’apprécier la preuve dont elle est saisie et de tirer des conclusions de fait. Elle est également tenue d’appliquer la loi. La loi inclut les dispositions législatives prévues dans la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) et dans le Règlement sur l’assurance-emploi qui sont pertinentes aux questions en litige, et peut également inclure des décisions des tribunaux dans lesquels les dispositions législatives ont été interprétées. Finalement, la division générale doit appliquer le droit aux faits afin de tirer ses conclusions relativement aux questions en litige.

[9] L’appel auprès de la division générale a été rejeté, et la demande se trouve maintenant devant la division d’appel. La division d’appel a le droit d’intervenir dans la décision de la division générale seulement si la division générale a commis certains types d’erreurs qui sont appelées des « moyens d’appel ».

[10] Au titre du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] À moins que la division générale ait commis l’une de ces erreurs, l’appel ne peut pas être accueilli, même si la division d’appel était en désaccord avec la conclusion et la décision de la division générale.

[12] À ce stade, je dois déterminer que l’appel a une chance raisonnable de succès grâce à au moins un des moyens d’appel afin d’accorder la permission d’en appeler et de poursuivre l’appel. Une chance raisonnable de succès a été assimilée à une cause défendableNote de bas de page 1.

[13] Le prestataire a présenté sa demande de permission d’en appeler au motif que la division générale a commis une [traduction] « erreur importante concernant les faits » : ce qui faisait allusion à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS énoncé précédemment. Son explication pour avoir soulevé ce moyen d’appel révèle son désaccord de fond avec la conclusion de la division générale. Cependant, cela ne révèle aucune erreur précise.

[14] Par conséquent, j’ai ordonné qu’une lettre soit envoyée au prestataire en date du 19 décembre 2017, demandant au prestataire d’expliquer plus en détail les motifs pour lesquels il interjette appel et les raisons pour lesquelles il croit que la division générale a commis une erreur. Le prestataire n’a pas répondu à cette lettre. Conformément aux directives de la Cour fédéraleNote de bas de page 2, je suis néanmoins allée au-delà de la demande afin d’examiner le dossier pour relever de possibles erreurs.

[15] Pour conclure que le prestataire a été congédié en raison de son inconduite, la division générale aurait besoin de conclure que le prestataire a adopté un certain comportement, qu’il a perdu son emploi en raison de ce comportement et que ce comportement peut être considéré comme étant une inconduite en vertu de la Loi sur l’AE. Une inconduite est définie comme étant une inconduite qui est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3, elle doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travailNote de bas de page 4 et le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle était de nature à entraîner son congédiementNote de bas de page 5. La division générale a correctement tenu compte de chacun de ces éléments et a conclu que le prestataire avait été congédié en raison de son inconduite.

[16] Le fait essentiel que le prestataire est alcoolique n’est pas contesté ni le fait qu’il a fait une rechute en janvier 2016. Le fait qu’il s’est également absenté du travail à maintes reprises sans avoir été dispensé, le fait qu’il n’a fourni aucun avis ou aucune explication pour plusieurs de ses absences et le fait que cela a finalement entraîné son congédiement ne sont pas contestés. Le prestataire n’a pas soutenu que la division générale a ignoré ou a mal interprété la preuve en tirant ces conclusions de fait, et je ne relève aucune erreur. Le prestataire conteste uniquement la conclusion selon laquelle sa conduite était consciente et volontaire.

Question en litige no 1 : Est-il défendable que la conclusion de la division générale selon laquelle la conduite n’était pas involontaire ait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[17] Il n’y a pas de cause défendable selon le fait que la conclusion de la division générale qui était que la conduite du prestataire lorsqu’il a pris un verre était consciente et volontaire était une conclusion qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] Le prestataire soutient qu’il est un alcoolique et que par conséquent, le fait qu’il boit ne peut pas être considéré comme étant volontaire. Dans sa demande de permission d’en appeler, il affirme qu’il n’a pas consciemment ou volontairement décidé de consommer de l’alcool et qu’il ne pouvait pas expliquer pourquoi il en a consommé. Il semble également affirmer avoir employé le terme [traduction] « mauvaise décision » librement dans son témoignage, et qu’il ne voulait pas laisser entendre qu’il avait pris une décision délibérée.

[19] Je comprends que l’objectif du prestataire est de démontrer que la division générale a mal interprété sa preuve, mais je peux seulement examiner la question à savoir si la division générale a commis une erreur sur le fondement de la preuve dont elle était saisie. Un appel devant la division d’appel n’est pas une occasion pour le prestataire de réviser ou de reformuler son témoignage au motif qu’il y avait eu un préjudice de la part de la division générale.

[20] La division générale avait le droit d’accorder une certaine importance aux mots qui ont été employés par le prestataire lors de son témoignage. Cela ne constitue pas une erreur. De plus, il y a de la jurisprudence qui aurait appuyé la décision de la division générale, même si la division générale n’avait pas interprété le témoignage du prestataire comme étant un aveu d’avoir consciemment décidé de prendre un verre.

[21] Par exemple, dans l’arrêt Mishibinijima c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 6, la seule preuve était le témoignage du prestataire selon lequel il avait un problème d’alcool et qu’il n’était pas capable de contrôler ce problème. La Cour a conclu ce qui suit :

Voilà la preuve que le demandeur a administrée au sujet de son problème d’alcoolisme dans son intégralité. Je ne vois pas comment cette preuve pourrait tendre à confirmer sa thèse selon laquelle sa conduite n’était pas délibérée. Je n’ai pas besoin de me pencher sur la question de savoir si l’on aurait pu tirer, dans telle ou telle situation, une conclusion différente, en supposant que l’on ait produit des éléments de preuve suffisants quant à l’incapacité du prestataire de prendre une décision délibérée, lesquels éléments comprendraient probablement une preuve médicale. À l’évidence, en l’espèce, la preuve produite ne peut tendre à confirmer que la conduite du demandeur n’était pas délibérée.

[22] Tout comme dans l’arrêt Mishibinijima, le témoignage du prestataire selon lequel sa consommation d’alcool n’était pas consciente ou volontaire est la seule preuve à ce sujet. Ce n’est pas suffisant, du moins en partie, car il ne s’agit pas d’une opinion d’expert. Il n’est pas en mesure de dire si le fait de souffrir d’alcoolisme peut annuler toute action consciente ou volontaire et, plus particulièrement, si son alcoolisme avait fait en sorte qu’il n’était pas « conscient » de consommer de l’alcool en janvier 2016, consommation suite à laquelle il a fait une rechute. Il s’agit d’une question médicale nécessitant un avis médical. Même s’il y avait certains éléments de preuve médicale devant la division générale, cela a seulement servi pour confirmer le diagnostic d’alcoolisme du prestataire. Il n’y avait aucun élément de preuve médicale portant sur le fait que de prendre cette boisson alcoolisée avait été un geste inconscient et involontaire.

[23] J’estime qu’il n’y a aucune cause défendable selon le fait que la division générale aurait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS).

Question en litige no 2 : Est-il défendable que la division générale ait commis une erreur de droit en interprétant la conduite du prestataire comme étant volontaire ou consciente?

[24] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit dans son interprétation de la définition juridique de « conscient » ou « volontaire » afin d’évaluer l’inconduite.

[25] Le prestataire a soutenu que de tels termes ne sont pas applicables à son geste qui avait été de prendre [traduction] « cette première consommation » (probablement la consommation qui a entraîné sa rechute en janvier 2016), et que ses observations pourraient être interprétées comme voulant insinuer qu’il croit que la division générale a mal compris le sens juridique pouvant être attribué à « conscient » ou à « volontaire ». Cependant, la division générale a appliqué le droit comme cela est énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. BiglerNote de bas de page 7et dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. WasylkaNote de bas de page 8. Ces décisions, ainsi que d’autresNote de bas de page 9, rejettent la notion que la preuve d’alcoolisme ou de toxicomanie suffit à établir que les gestes d’un prestataire ne sont pas conscients, volontaires ou délibérés.

[26] La division générale se doit d’appliquer le droit, y compris les décisions des tribunaux d’instance supérieurs qui ont tranché sur des sujets similaires. La décision de la division générale est conforme à ces décisions. Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il y ait une cause défendable selon laquelle la division générale aurait commis une erreur de droit conformément à l’alinéa 58(1)b) dans son interprétation d’une inconduite ou en suivant la jurisprudence qui rejette le fait qu’une preuve d’alcoolisme est suffisante pour établir que la conduite était involontaire, au moment d’évaluer l’inconduite.

Conclusion

[27] J’estime qu’aucun motif ne confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[28] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Représentant :

R. Y., Pour son propre compte

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.