Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] Le 30 septembre 2016, l’appelante (prestataire) a quitté un poste contractuel à temps plein aux États-Unis afin d’accepter une offre de son employeur précédent dans la ville où réside sa famille. Lorsque son nombre d’heures a été réduit de façon importante, elle a présenté une demande de prestations régulières d’assurance-emploi, une demande de réactivation de sa demande et sa candidature au projet pilote Travail pendant une période de prestations. L’intimée (Commission) a refusé de réactiver sa demande (la prestataire avait établi une période de prestations le 11 janvier 2016 ou vers cette date relativement à une demande antérieure). La Commission a conclu que la prestataire avec quitté son emploi aux États-Unis sans justification. La prestataire a présenté une demande de révision au motif qu’elle a quitté son emploi parce qu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à en trouver un. Cependant, la Commission a maintenu sa décision antérieure parce que la prestataire a quitté son emploi à temps plein pour assumer les fonctions d’un poste temporaire à temps partiel.

[3] La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais la division générale était du même avis que la Commission. Elle a conclu que la prestataire avait d’autres options que celle de quitter son emploi et que cette dernière n’avait pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi à temps plein pour accepter un emploi à temps partiel. La prestataire a cherché à obtenir la permission d’en appeler devant la division d’appel, ce qui lui a été accordé.

[4] J’estime que la division générale avait commis une erreur de droit et qu’elle était arrivée à une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La division générale n’a pas apprécié les autres solutions raisonnables qui s’offraient à la prestataire. Par conséquent, elle n’a pas bien appliqué le critère prévu à l’article 29 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). La division générale a également omis de déclarer qu’elle avait tenu compte de toutes les circonstances, comme il est prévu au critère établi à l’article 29, soit qu’elle n’a pas rendu une conclusion claire sur la question de savoir si la prestataire avait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. La décision de la division générale est également fondée sur une conclusion selon laquelle [traduction] « rien ne démontre » qu’il existait une possibilité d’emploi permanent à temps plein. Cette conclusion a été tirée sans tenir compte de la déclaration de la prestataire à l’appui de son appel selon laquelle l’employeur qui l’avait recruté lui avait dit qu’il était possible que cela puisse mener à un poste plus permanent.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appréciant pas les autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, comme il est prévu à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toutes les circonstances lorsqu’elle a apprécié les autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, comme il est prévu à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE?

[7] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle rien ne démontrait que la prestataire avait une possibilité d’emploi permanent à temps plein? A-t-elle tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance?

Analyse

Norme de contrôle

[8] Les observations écrites de la Commission donnent à penser qu’elle considère l’analyse de la norme de contrôle comme étant appropriée. Cependant, la Commission ne soutient pas particulièrement que je devrais appliquer les normes de contrôle ou que la norme de la décision raisonnable est appropriée.

[9] Je reconnais que les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont très semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire, et cela donne à penser que les normes de contrôle pourraient également s’appliquer en l’espèce. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas insisté sur le fait que les normes de contrôle doivent être appliquées, et je n’estime pas cela soit nécessaire.

[10] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle n’était pas tenue de trancher la norme de contrôle que la division d’appel doit appliquer, mais elle a affirmé entre autres qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel devaient faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a remarqué que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[11] De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif n’a pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[12] Dans l’arrêt relativement récent Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a directement abordé la norme de contrôle appropriée, mais dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes ayant guidé le rôle des cours quant au contrôle judiciaire de décisions administratives ne s’appliquent pas dans une structure administrative à plusieurs niveaux, et que les normes de contrôle devraient uniquement être appliquées si leur application est prévue par la loi habilitante.

[13] La loi habilitante concernant les appels administratifs des décisions en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et celle-ci ne prévoit pas qu’un examen doit être effectué conformément aux normes de contrôle.

[14] D’autres décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôle (comme Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147, et Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167). Néanmoins, la Cour d’appel fédérale ne semble pas avoir une position uniforme sur l’applicabilité de cette analyse dans un processus d’appel administratif.

[15] Je suis d’accord avec la décision de la Cour dans l’arrêt Jean, lorsqu’elle a mentionné l’un des moyens prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et souligné ce qui suit : « Il n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire ». J’examinerai donc l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus par la Loi sur le MEDS seulement, et non au [traduction] « caractère raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Principes généraux

[16] La division générale est tenue d’examiner et d’apprécier la preuve dont elle est saisie et de tirer des conclusions de fait. Elle est également tenue d’appliquer le droit. Le droit comprend les dispositions législatives prévues dans la Loi sur l’AE et dans le Règlement sur l’assurance-emploi qui sont pertinentes aux questions en litige, et peut également inclure des décisions des tribunaux dans lesquels les dispositions législatives ont été interprétées. Enfin, la division générale doit appliquer le droit aux faits pour tirer ses conclusions quant aux questions qu’elle doit trancher.

[17] L’appel devant la division générale a été rejeté. La division générale est maintenant saisie d’un appel de la décision de la division générale. La division d’appel ne peut toucher à une décision de la division générale que si des erreurs de types précis ont été commises par la division générale; ces erreurs sont appelées les « moyens d’appel ».

[18] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appréciant pas les autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, comme il est prévu à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE?

[19] Une partie prestataire sera exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi si elle quitte son emploi sans justification. Afin que la partie prestataire soit fondée à quitter son emploi, l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE prévoit qu’elle ne doit avoir aucune autre solution raisonnable.

[20] La division générale a commis une erreur de droit. Même si la division générale a bien énoncé le critère juridique au paragraphe 25 de la décision, elle ne l’a pas appliqué. Rien ne démontre que la division générale s’est penchée sur les autres solutions qui s’offraient à la prestataire ou sur la question de savoir si celles-ci étaient raisonnables, et ce, en tenant compte de toutes les circonstances. Il s’agit d’une erreur prévue à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toutes les circonstances lorsqu’elle a apprécié les autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, comme il est prévu à l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE?

[21] Cette erreur est semblable à l’erreur cernée à la question en litige no 1. Il est impossible de conclure qu’une solution particulière est raisonnable en tenant compte des circonstances sans énoncer l’autre solution faisant l’objet d’un examen.

[22] La circonstance prédominante soulevée par la prestataire est celle prévue au sous-alinéa 20c)(vi), à savoir qu’elle avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. Comme il a été souligné dans les observations de la Commission, la division générale n’a tiré aucune conclusion claire à cet égard.

[23] De plus, même si la division générale a conclu que la prestataire a quitté un poste à temps plein pour accepter un poste à temps partiel et qu’aucune preuve n’appuyait l’allégation de la prestataire selon laquelle il y avait une possibilité d’emploi à temps plein, la division générale n’a pas déterminé si la prestataire avait néanmoins l’assurance raisonnable d’un autre emploi.

[24] La division générale a cité l’arrêt Canada (Procureur général) c. LangloisNote de bas de page 1, mais elle ne l’a pas appliqué. La division générale a souligné que l’arrêt Langlois conclut que le moment du départ volontaire et la durée restante de l’emploi sont les circonstances les plus importances à prendre en considération pour déterminer si le départ était une solution raisonnable. Après avoir énoncé ces circonstances importantes, la division générale omet de prendre en considération la façon dont elles s’appliquent aux faits. Dans sa décision, la division générale s’accroche plutôt à sa conclusion selon laquelle la prestataire a quitté un emploi à temps plein pour un emploi à temps partiel. L’arrêt Langlois ne prévoit pas que l’assurance raisonnable concerne un emploi à temps plein.

[25] Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas complètement le critère prévu à l’alinéa 29c). Elle n’a pas tenu compte de toutes les circonstances, elle n’a pas appliqué l’arrêt Langlois et elle n’a pas déterminé si la prestataire avait une assurance raisonnable d’emploi. Il s’agit d’une erreur prévue à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle rien ne démontrait que la prestataire avait une possibilité d’emploi permanent à temps plein? A-t-elle tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance?

[26] Il est évident selon moi que la décision de la division générale est fondée sur sa conclusion selon laquelle rien ne prouve que la prestataire avait une possibilité d’emploi permanent à temps plein. Il est également évident selon moi qu’il existe au moins un élément de preuve selon laquelle elle a eu cette possibilité. La division générale a souligné la preuve de la prestataire (au paragraphe 11 de la décision) selon laquelle le nouvel employeur a joint la prestataire et qu’il l’a informée qu’il y avait une possibilité d’emploi à Calgary qui pourrait mener à un poste plus permanent.

[27] La division générale pourrait choisir de faire abstraction de la preuve de la prestataire ou de lui accorder peu d’importance si elle estime que cette preuve manque de crédibilité ou qu’elle n’est pas fiable, ou elle peut décider d’accorder une préférence à la preuve qu’elle estime plus crédible ou plus fiable. Cependant, en l’absence d’une conclusion selon laquelle la preuve de la prestataire n’est pas fiable ou crédible, la division générale n’est pas autorisée à ignorer la preuve dans son ensemble, comme cela s’est produit en l’espèce. La conclusion de la division générale selon laquelle rien ne prouvait que la prestataire avait une possibilité d’emploi permanent à temps plein a été tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve. Par conséquent, j’estime que la division générale a commis une erreur prévue à l’alinéa 58(1)c).

Conclusion

[28] L’appel est accueilli. Le dossier est renvoyé à la division générale aux fins de réexamen, conformément à mon pouvoir prévu à l’article 59 de la Loi sur le MEDS.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 8 février 2018

Téléconférence

A. D., appelante

G. D., représentant de la prestataire

Susan Prud’homme, représentante de la Commission de l’assurance-emploi du Canada

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