Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal estime que l’appelante a prouvé qu’elle était fondée à quitter son emploi volontairement.

Aperçu

[2] L’appelante a travaillé dans une communauté éloignée qui présentait des niveaux élevés d’abus de drogues et d’alcool. Après de nombreux incidents d’intimidation et de violence dans le secteur, y compris une infraction commise à l’aide d’une arme à feu en face de sa maison, l’époux de l’appelante a décidé de déménager dans un nouveau secteur avec leurs deux enfants. L’appelante a quitté son emploi afin de rejoindre sa famille pour s’installer dans la nouvelle collectivité. L’appelante a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE) qui a été refusée, car la Commission de l’assurance-emploi du Canada (intimée) a déterminé qu’elle était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification. Le Tribunal doit déterminer si l’appelante a quitté volontairement son emploi et, le cas échéant, si elle était fondée à quitter son emploi.

Question(s) en litige

[3] Question en litige no 1 : l’appelante a-t-elle volontairement quitté son emploi?

[4] Question en litige no 2 : le cas échéant, l’appelante était-elle fondée à volontairement quitter son emploi?

Questions préliminaires

[5] L’appelante a choisi de demander à une représentante de l’aider à présenter ses observations au Tribunal. La représentante de l’appelante a expliqué que cette cause provoquait de l’anxiété généralisée chez l’appelante, et que celle-ci n’avait pas fourni d’information à l’intimée parce qu’elle avait honte de sa situation et que les faits pertinents étaient très personnels et traumatisants. De plus, en raison d’appels téléphoniques traumatisants et harcelants reçus par l’appelante par le passé, celle-ci craint d’être appelée et de se faire poser des questions, et elle a mentionné qu’elle a probablement buté sur ses mots et n’a pas bien répondu aux questions.

[6] L’appelante a expliqué sa situation à l’audience, et le Tribunal la considère comme un témoin fiable. Les éléments de preuve qu’elle a présentés étaient crédibles, en plus d’être conformes et complémentaires à l’information déjà consignée au dossier.

Analyse

[7] Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’AE s’il a quitté volontairement un emploi sans justification (Loi sur l’assurance-emploi [Loi], par. 30(1)). Le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas (Loi, al. 29c)).

[8] Le fardeau de la preuve appartient à l’intimée, c’est-à-dire qu’elle doit prouver que l’appelante a volontairement quitté son emploi; une fois que ce fait est établi, il incombe à l’appelante de démontrer qu’elle était fondée à quitter son emploi. Pour établir qu’elle était fondée à agir ainsi, l’appelante doit démontrer qu’elle n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi, compte tenu de toutes les circonstances (Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190; Canada (Procureur général) c. Imran, 2008 CAF 17). Le terme « fardeau » est employé pour décrire quelle partie doit fournir suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa position pour répondre au critère juridique. En l’espèce, le fardeau de la preuve correspond à la prépondérance des probabilités, ce qui signifie qu’il faut établir s’il est « plus probable qu’improbable » que les événements aient eu lieu de la manière décrite.

Question en litige no 1 : l’appelante a-t-elle volontairement quitté son emploi?

[9] Le critère juridique dans les cas de départ volontaire consiste à savoir si l’appelante avait le choix de conserver ou de quitter son emploi (Canada (Procureur général) c. Peace, 2004 CAF 56).

[10] Le Tribunal estime que l’appelante a quitté volontairement son emploi. Selon le formulaire initial de demande de prestations, l’appelante a quitté son emploi. L’appelante a confirmé à l’audience avoir quitté son emploi pour s’installer dans une autre collectivité et a précisé que son époux avait choisi de partir et qu’elle devait l’accompagner pour être avec ses enfants. Selon le relevé d’emploi de l’appelante, le motif de production du document est le code « E », qui correspond au motif de « départ volontaire ».

[11] Le Tribunal estime que puisque l’appelante a choisi de démissionner, elle a quitté volontairement son emploi. Le premier volet du critère est satisfait.

Question en litige no 2 : l’appelante était-elle fondée à volontairement quitter son emploi?

[12] Le critère juridique permettant d’établir si le départ volontaire d’un emploi est justifié, compte tenu de toutes les circonstances et selon la prépondérance des probabilités, consiste à savoir si le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi (Loi, art. 29; Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190).

[13] Le Tribunal a conclu que l’appelante a prouvé qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi d’après la définition de la Loi, car il n’y avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où elle l’a fait.

[14] L’appelante a expliqué que les raisons pour lesquelles elle a quitté son emploi étaient mentionnées partiellement dans le dossier : la drogue, l’alcool et les crimes violents étaient très présents dans la collectivité. Comme l’appelante et son époux ont deux filles pour qui ils voulaient une vie meilleure, ils avaient discuté pendant de nombreuses années de la possibilité de partir; cependant, l’appelante occupait un bon emploi et elle ne voulait pas le quitter. Le couple avait essayé de déménager dans un autre secteur de la collectivité, mais ce n’était pas possible puisqu’aucun autre logement n’était disponible.

[15] L’intimée a soutenu qu’il n’était pas urgent pour l’appelante de déménager au moment où elle l’a fait; cependant, l’appelante était en désaccord. Elle a affirmé qu’une réelle menace de la part d’un voisin a fait que son époux a décidé de déménager pour protéger les enfants. Le voisin était intoxiqué et a commencé à tirer avec une arme à feu aléatoirement en face de sa maison. L’appelante a dû se précipiter sur ses enfants pour les mener à l’arrière de la maison où ils se sont jetés au sol pour éviter les balles parce qu’elle craignait qu’elles atteignent la maison. L’époux de l’appelante a lancé un ultimatum : il partait avec les enfants, avec ou sans elle. Le secteur local était trop dangereux : la menace de violence est devenue bien réelle ce jour-là. Ils ont tous deux convenu que le secteur était dangereux et que les enfants devaient être protégés.

[16] L’appelante a répété dans ses déclarations consignées au dossier qu’elle [traduction] « ’adorait son travail » et qu’elle ne voulait pas le quitter. Elle a également affirmé qu’elle avait parlé à son employeur pour savoir s’il lui permettrait de travailler dans le bureau de ce dernier situé dans une autre collectivité, mais cette demande a été refusée. Elle n’a pas demandé de congé de maladie, parce qu’elle savait qu’elle ne reviendrait pas dans le secteur, et que son employeur l’avait déjà avisée qu’elle ne pourrait pas conserver son emploi après son déménagement. L’appelante a aussi répondu à la position de l’intimée selon laquelle elle n’avait pas cherché de travail avant de quitter son emploi. L’appelante a mentionné que lorsque l’intimée l’a questionnée à ce sujet, elle croyait qu’elle faisait référence à des demandes d’emploi à proprement parler, ce qu’elle n’avait pas fait. Avant de quitter son emploi, elle a communiqué avec des amis et des membres de la famille dans la collectivité où elle allait emménager pour demander s’il y avait des postes vacants dans son domaine. Elle a fait de nombreux appels téléphoniques, et ses relations lui ont dit qu’elles l’aviseraient si un poste devenait disponible, mais qu’à ce moment-là, il n’y avait rien; elle n’a donc pas présenté de demandes d’emploi. L’appelante a aussi affirmé que la situation était si urgente que son époux a acheté une maison sans l’avoir vue, près de l’école des enfants. La maison était également située près de plusieurs restaurants-minutes, et l’appelante et son époux espéraient qu’elle pourrait trouver un emploi dans l’un de ces établissements. L’appelante n’a cependant pas d’expérience dans le service à la clientèle et elle n’a pas réussi à y décrocher un emploi.

[17] Bien que l’appelante ait présenté plusieurs autres observations, le fait qu’elle a quitté son emploi pour suivre son époux et ses enfants est suffisant pour statuer en sa faveur. L’article 29 de la Loi prévoit l’obligation d’accompagner un époux ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence comme une circonstance où le prestataire peut être fondé à quitter son emploi (Loi, sous-al. 29c)(ii)). Les tribunaux ont reconnu que la préservation de l’unité familiale entre les époux et les enfants à charge est officiellement reconnue par la Loi (Procureur général (Canada) c. Kuntz, A-1485-92). L’inclusion de l’obligation de suivre un époux au sous-alinéa ’ 29c)(ii) est une exception à la politique sur le départ volontaire, et il n’est pas pertinent que l’époux de l’appelante ait déménagé pour une raison autre que son propre emploi. Les tribunaux ont conclu que les prestataires étaient fondés à quitter volontairement leur emploi lorsqu’ils suivaient leur époux dans un nouveau lieu où ni l’un ni l’autre n’avait un emploi dans la nouvelle collectivité, puisque le prestataire déménageait pour être avec son époux et ses enfants et qu’il n’existait aucune autre solution raisonnable. La Loi n’exige pas que l’époux que le prestataire accompagne ait obtenu un emploi dans le nouveau lieu (Procureur général (Canada) c. Mullin, A-466-95). Par conséquent, le fait que l’époux de l’appelant n’était pas obligé de déménager en raison de ses fonctions n’est pas préjudiciable à l’appel.

[18] Le Tribunal estime que l’appelante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi, compte tenu de l’ensemble des circonstances. La question ne consiste pas à savoir s’il était raisonnable pour l’appelante de quitter son emploi, mais bien à savoir si la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle, compte tenu de toutes les circonstances, était de quitter son emploi (Laughland, 2003 CAF 129). Puisque l’appelante a déménagé pour préserver l’unité familiale, celle-ci ne devrait pas être pénalisée pour avoir suivi sa famille et, corollairement, avoir quitté son emploi.

Conclusion

[19] L’appel est accueilli. Bien que l’appelante ait volontairement quitté son emploi, compte tenu de toutes les circonstances, elle n’avait d’autre solution raisonnable que de partir, et elle satisfait ainsi au critère selon lequel elle était fondée à quitter son emploi, conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.

 

Mode de procédure 

Comparutions

Téléconférence

A. E., appelante

Mary Snelgrove, représentante de l’appelante

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi
  1. 29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
    1. a) « emploi » s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
    2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
    3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
      1. i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
      2. ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
      3. iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
    4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci‑après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
      1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
      2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
      3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
      4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
      5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
      6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
      7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
      8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
      9. (ix) modification importante des fonctions,
      10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
      11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
      12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
      13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
      14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
  2. 30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
    1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7,1, pour recevoir des prestations de chômage;
    2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
  3. (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
  4. (3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.
  5. (4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.
  6. (5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7,1.
  7. (6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
  8. (7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.
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