Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Une demande de prestations d’assurance-emploi a été établie par l’appelant à compter du 10 janvier 2017 (GD3-4-12). Cette demande avait été rejetée le 10 février 2017 puisque la Commission de l’assurance-emploi du Canada a déterminé que l’appelant était exclu du bénéfice des prestations, car il a perdu son emploi en raison d’un conflit collectif. L’appelant a demandé une révision de cette décision, qui lui a été accordée, à l’issue de laquelle la Commission a cependant choisi de maintenir sa décision originale (GD3-106). Puis, le 16 octobre 2017, l’appelant a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[2] Le Tribunal doit déterminer si l’appelant a perdu son emploi ou s’il était incapable de le reprendre en raison d’un arrêt de travail imputable à un conflit collectif.

[3] L’audience a été tenue par comparution en personne pour les raisons suivantes :

  1. la complexité de la question en litige;
  2. le fait que la crédibilité ne pourrait pas constituer un enjeu important;
  3. Le fait que plus d’une partie assistera à l’audience;
  4. l’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires;
  5. le fait que plus d’un participant, tel un témoin pourrait participer à l’audience;
  6. le fait que l’appelant ou d’autres parties sont représentés;
  7. le mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent;
  8. il s’agit d’un appel de groupe.

[4] Les personnes suivantes ont pris part à l’audience :

J. F., appelant;

D. L., représentant;

madame Princelene Mitchell, conseillère en expertise opérationnelle et représentante de la Commission (par téléconférence);

D. W., témoin;

C. W., témoin / présidente de la section locale du syndicat;

L. A., observatrice / membre du groupe d’appel;

D. F., observatrice / membre du groupe d’appel;

K. L., observatrice / membre du groupe d’appel;

D. I., observatrice / membre du groupe d’appel;

P. P., observateur / membre du groupe d’appel;

S. S., observatrice / membre du groupe d’appel;

C. S., observateur / membre du groupe d’appel;

O. H., observateur / membre du groupe d’appel;

H. B., observateur / membre du groupe d’appel;

W. D., observateur / membre du groupe d’appel;

M. S., observateur / membre du groupe d’appel;

W. M., observateur / membre du groupe d’appel;

R. H., observateur / membre du groupe d’appel;

D. G., observatrice / membre du groupe d’appel;

J. R., observatrice / membre du groupe d’appel;

I. O., observateur / membre du groupe d’appel;

C. P.(?), observatrice;

K. W., observateur.

[5] Le Tribunal conclut que l’appelant a perdu son emploi en raison d’un licenciement anticipé imputable à un arrêt de travail, et non en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. Les motifs de cette décision sont mentionnés ci-dessous.

Questions préliminaires

[6] Une conférence préparatoire à l’audience a été tenue afin de confirmer la question en appel et aussi de déterminer tous les individus qui participeront à l’appel de groupe.

Preuve

[7] Selon la preuve au dossier et le libellé utilisé, l’appelant est membre du syndicat X, X. Il occupait le poste de technicien à l’assemblage chez X. à X, Terre-Neuve-et-Labrador, jusqu’au19 décembre 2016 alors qu’il a cessé de travailler en raison d’une grève ou d’un lock-out (GD3-15-26).

[8] L’appelant n’a toujours pas été rappelé par X puisque le conflit est en cours (GD3-25).

[9] Selon les représentations faites par la Commission, les faits au dossier démontrent que des membres de la X et X négociait une nouvelle convention collective. Le 19 décembre 2016, les membres du syndicat de la X ont émis un mandat de grève déclenchant un arrêt de travail chez X à X, Terre-Neuve-et-Labrador (GD3-15-26).

[10] À la réception du mandat de grève, l’employeur a mis la X du X ainsi que les employés qui y sont affiliés en lock-out, et ce, à compter du 19 décembre 2017 déclenchant ainsi un arrêt de travail chez X à X, Terre-Neuve-et-Labrador (GD3-15-26).

[11] La Commission a déterminé que l’appelant a perdu son emploi chez X le 19 décembre 2016 en raison d’un arrêt de travail imputable à un conflit collectif. Par conséquent, la Commission a imposé une inadmissibilité au titre de l’article 36(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) en date du 20 décembre 2016 (GD3-28).

[12] Le représentant de l’appelant a présenté une demande de révision de la décision de la Commission sur la question de l’admissibilité aux prestations pendant le conflit collectif. En soutien à sa demande de révision, le représentant a fait valoir que celle-ci porte sur la question de savoir si la Commission de l’assurance-emploi a adéquatement tenu compte de toutes les sections pertinentes de la Loi sur l’AE et du Règlement sur l’assurance-emploi, spécialement s’il y a effectivement eu arrêt de travail. La révision est aussi fondée sur les gestes de l’employeur dans le cadre du conflit de travail et si les conclusions concernant les négociations de mauvaise foi par l’employeur doivent rendre les appelants admissibles aux prestations.

[13] Les déclarations du représentant font état que les appelants ont été mis en lock-out par X le 19 décembre 2016. En préparation au lock-out, l’employeur a promu deux membres de l’unité de négociation à des postes de supervision afin de poursuivre les activités de l’usine, en plus d’embaucher des employés de l’usine d’X, au X, pour remplacer ceux en lock-out. L’employeur a aussi admis qu’il a procédé au lock-out dans le but de protéger la production restante à l’usine. Si l’on se fie au fait que l’usine a poursuivi ses activités normales depuis décembre 2016, il faudrait considérer cela comme un licenciement et les employés devraient être admissibles aux prestations. L’employeur a enfreint la Loi sur les relations de travail en négociant de mauvaise foi au motif qu’il a insisté d’inclure un libellé dont il savait clairement qui prolongerait l’arrêt de travail. La Commission enfreint l’objectif de la loi en favorisant l’employeur et en ne faisant pas preuve de partialité.

[14] L’appelant a affirmé ceci en réponse aux questions de son représentant durant l’audience :

  1. a) il travaillait chez l’employeur depuis 17 ans à titre de technicien à l’assemblage;
  2. b) il était formé sur plusieurs secteurs de l’usine;
  3. c) il formait d’autres membres du personnel;
  4. d) le comité de négociation comporte quatre membres;
  5. e) la convention collective est venue à échéance en octobre 2015;
  6. f) le syndicat a décidé de prolonger la convention collective;
  7. g) il y avait très peu de travail;
  8. h) les membres ont appuyé la prolongation de la convention collective;
  9. i) en mai 2016, les négociations pour la nouvelle convention collective ont débuté;
  10. j) l’employeur a mentionné qu’il n’y avait pas de travail;
  11. k) l’employeur a affirmé qu’il souhaitait instaurer un programme basé sur la méritocratie;
  12. l) l’employeur a aussi fait des demandes scandaleuses;
  13. m) l’ancien système d’échelle salariale devait être modifié;
  14. n) le syndicat souhaitait collaborer avec l’employeur;
  15. o) l’employeur souhaitait obtenir un pouvoir discrétionnaire afin de dicter les critères relatifs aux hausses salariales;
  16. p) l’employeur souhaitait utiliser de la [traduction] « ferraille » (produit inutilisable) pour contrer les hausses salariales;
  17. q) il serait aussi question de l’attitude des employés;
  18. r) il y avait plusieurs autres questions en litige;
  19. s) les taux de salaire demeuraient la question principale;
  20. t) l’employeur n’était pas prêt à collaborer avec le syndicat concernant les salaires;
  21. u) le 19 décembre 2016, le syndicat a rejeté l’offre de l’entreprise soumise le 26 octobre 2016 à l’unanimité;
  22. v) un vote de grève a été mené;
  23. w) les représentants de l’entreprise étaient présents et ont été informés des résultats du vote;
  24. x) aucune date de grève prévue n’a été mentionnée;
  25. y) l’employeur a promu deux membres de l’unité de négociation à des postes de supervision dans les deux semaines précédant le lock-out;
  26. z) (en réponse à la question du membre, l’appelant a affirmé) que l’équipe de gestion compte 16 personnes;
  27. aa) d’autres personnes ont été embauchées dans l’équipe de gestion;
  28. bb) en plus de la promotion des deux anciens membres de l’unité de négociation à l’équipe de gestion, au moins cinq autres personnes ont été embauchées depuis le lock-out;
  29. cc) l’appelant ne croyait pas qu’il y avait conflit collectif. Il a donc présenté une demande de prestations d’assurance-emploi;
  30. dd) il aurait dû être licencié, mais l’employeur ne veut pas la présence d’un syndicat;
  31. ee) un relevé d’emploi a été émis.

[15] À ce stade, la représentante de la Commission a affirmé que l’employeur a rempli le relevé d’emploi et qu’il est responsable des renseignements contenus, et que par conséquent, la Commission a pris pour acquis que les formulaires ont été remplis de façon responsable. Après enquête, on peut imposer des pénalités si de faux renseignements sont donnés.

[16] La représentante de la Commission a ensuite demandé à l’appelant pour quelle raison avait-on mené un vote de grève si on ne comptait pas s’en servir?

[17] L’appelant a répondu qu’il tentait de collaborer avec l’employeur.

[18] Lorsqu’interrogée par le représentant de l’appelant pendant l’audience, la témoin, C. W., a répondu ceci :

  1. a) elle était présidente de la X d’X;
  2. b) X est constitué de 41 sections et compte plus de 2200 membres;
  3. c) elle a participé aux négociations avec cet employeur;
  4. d) lors des négociations, les représentants de l’employeur agissaient comme des [traduction] « mercenaires »;
  5. e) les membres ont conclu une entente afin de prolonger la convention collective originale;
  6. f) les activités étaient au ralenti à l’usine de l’employeur;
  7. g) l’entreprise a procédé à des licenciements avec la prolongation de la convention collective;
  8. h) la supplantation a eu lieu alors que 35 employés ont conservé leur emploi et 15 autres ont été licenciés;
  9. i) l’employeur a accepté de prolonger la convention collective;
  10. j) il n’y a eu qu’une seule journée de négociations en mai 2016;
  11. k) l’employeur ne s’est pas présenté et n’a pas répondu aux offres du syndicat;
  12. l) le syndicat a demandé des explications concernant la grille salariale soumise par l’employeur;
  13. m) en vertu de cette grille, il serait impossible pour quiconque d’atteindre le niveau supérieur;
  14. n) le syndicat a demandé d’introduire des échelons salariaux et des changements au libellé;
  15. o) des réunions sporadiques ont eu lieu en octobre 2016;
  16. p) un conciliateur, B. K., a été nommé;
  17. q) aucune entente n’est survenue, l’écart était trop grand entre les parties et le conciliateur a publié son rapport;
  18. r) les pourparlers n’ont pas rapproché les parties et l’entreprise ne voulait pas négocier;
  19. s) les demandes de l’employeur comprenaient des changements de classifications, des coupures de personnel au retour au travail, le retrait des clauses d’ancienneté et le pouvoir discrétionnaire de pouvoir sélectionner les personnes de leur choix;
  20. t) habituellement, les travailleurs doivent gravir des échelons salariaux;
  21. u) l’offre de l’entreprise ne comprenait pas une telle progression;
  22. v) cette offre, soumise le 25 octobre, a été rejetée par les membres;
  23. w) avant le dépôt du rapport du conciliateur, l’employeur souhaitait retirer des droits aux employés, réduire les salaires de meilleurs employés et économiser sur le salaire du personnel subalterne;
  24. x) une réunion s’est tenue après le dépôt du rapport du conciliateur, soit le 19 décembre 2016;
  25. y) les membres ont rejeté l’offre de l’employeur;
  26. z) un vote de grève a été tenu et l’offre a été rejetée à l’unanimité;
  27. aa) le comité de négociation a avisé l’employeur des résultats de la réunion;
  28. bb) aucune mesure concernant le mandat de grève n’a été donnée à l’employeur;
  29. cc) de plus, le bureau national n’a jamais autorisé la section locale à émettre un mandat de grève comme il est prévu;
  30. dd) à ce stade, la témoin rejette les renseignements donnés par la Commission énoncés dans GD3-198; (la représentante de la Commission a mentionné qu’elle exigerait des explications et qu’elle rapportera durant l’audience);
  31. ee) puis, la témoin a fait référence à plusieurs offres d’emploi chez l’employeur pour des postes syndiqués;
  32. ff) pendant les négociations, l’employeur a mentionné de nouvelles embauches potentielles;
  33. gg) depuis, l’employeur a pourvu sept nouveaux postes non syndiqués;
  34. hh) les niveaux de production actuels ne sont pas connus par la témoin;
  35. ii) il y a toutefois du mouvement constant à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine;
  36. jj) le 5 avril 2017, le syndicat a présenté une plainte devant la Commission des relations de travail pour négociations de mauvaise foi;
  37. kk) il n’a pas été possible d’en venir à un règlement;
  38. ll) l’employeur a fait venir des individus externes;
  39. mm) on soupçonne ces nouvelles personnes d’avoir pris part à des activités syndicales;
  40. nn) le vote de grève a été mené afin de montrer à l’employeur le résultat du vote des membres;
  41. oo) il n’y a aucune intention de déclencher une grève six jours avant Noël.

[19] À ce stade de l’instance, un des membres du syndicat dans la galerie a affirmé qu’il connaissait un membre de l’équipe de gestion qui participait aux activités syndicales. Les « visiteurs » étaient très stressés tout comme les familles, alors que plusieurs d’entre elles comptaient une personne en grève et une autre travaillant dans l’usine. (Bien que cet individu n’a pas « juré solennellement », j’inclus ses commentaires puisqu’il exprimait les sentiments d’autres personnes présentes dans la salle qui portent un intérêt marqué pour l’issue en l’espèce. jn)

[20] Le prochain témoin, D. W., a répondu ceci aux questions du représentant de l’appelant pendant l’audience :

  1. a) il travaillait depuis 16 ans pour l’employeur à l’outillage;
  2. b) avant d’être embauché par l’entreprise, il a suivi une formation de neuf mois;
  3. c) la formation à cette usine était en cours;
  4. d) pendant la réunion du 19 décembre, d’autres collègues et lui étaient en désaccord avec l’offre de l’employeur;
  5. e) il n’aimait pas l’absence de progression dans l’échelle salariale;
  6. f) un employé ne pourrait pas grimper dans l’échelle salariale s’il y avait un simple différend avec un superviseur;
  7. g) moins de 30 minutes après la fin de la réunion, l’employeur l’a informé du lock-out;
  8. h) il a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi puisque sa situation n’a pas été abordée par les membres;
  9. i) ils ont tenté de poursuivre les négociations;
  10. j) il était au courant des annonces de nouvelles embauches tant en ligne que dans les périodiques locaux;
  11. k) sa propre nièce par alliance a été embauchée par l’employeur après le lock-out;
  12. l) il l’a évidemment vu entrer sur les lieux de travail;

[21] Puis, le représentant de l’appelant a redirigé l’attention du membre sur ce qu’il croyait être plusieurs contradictions dans les renseignements fournis au dossier en plus de faire référence à la jurisprudence concernant les conflits collectifs et l’article 121.1 de la Loi sur les normes du travail de Terre-Neuve-et-Labrador. (Aucune disposition de cette loi n’interdit la suspension ou la cessation de l’exploitation dans les installations d’un employeur, complète ou partielle, lorsqu’il ne s’agit pas d’un lock-out ou d’une grève.)

[22] En faisant référence à GD3-19, la représentante de la Commission a informé les participants à l’audience qu’il s’agissait d’une copie manuscrite du formulaire remis par X à la Commission, rempli et signé par C. W. le 9 janvier 2017, et faxé à la Commission la même journée.

[23] Dans son témoignage sous serment, C. W. nie complètement avoir rempli le formulaire puisqu’il a été transcrit par la Commission. Cela remettrait normalement son témoignage en question puisqu’on a prouvé qu’elle a bel et bien rempli, signé et soumis ce même document à la Commission, mais puisque la majorité de son témoignage ne visait qu’à appuyer le témoignage de l’appelant, je vais tenir compte des témoignages pertinents.

[24] La représentante de la Commission a affirmé que les circonstances considérées en l’espèce satisfont la définition de « conflit collectif ». L’article 36.1 énonce les conditions requises.

[25] Re : 1er condition - La raison de la perte d’emploi au relevé d’emploi est « lock-out ».

[26] Re : 2e condition - La perte d’emploi est directement imputable au lock-out; la convention collective est échue depuis le 11 mai 2016; les négociations ont repris; on a nommé un conciliateur; on a mené un vote de grève le 19 décembre et informé les employés des résultats du vote; il est raisonnable de penser que le lock-out est imputable au vote de grève; on a présenté une offre à la mi-mai; et il n’y a plus de conflit collectif sur lequel les membres travaillent. La Commission prétend que la jurisprudence relative à la cause National Air n’est pas applicable; en l’espèce, l’embauche du nouveau personnel est survenue sept mois après le lock-out.

[27] Quatre jugements de tribunaux ont été énoncés par la Commission en soutien de sa position : FCA A–1063–87, A–78781, A–611–96 et A–825–95.

Observations

[28] Toutes les parties ont accès aux observations de l’appelant au dossier; ainsi, pour des fins de concision, elles ne seront pas répétées en l’espèce. Assurez-vous que les renseignements pertinents sont inclus dans cette décision.

[29] Toutes les parties ont accès aux observations de l’intimée au dossier; ainsi, pour des fins de concision, elles ne seront pas répétées en l’espèce. Assurez-vous que les renseignements pertinents sont inclus dans cette décision.

Analyse

[30] Les dispositions législatives pertinentes sont présentées à l’annexe de la présente décision.

[31] La question en l’espèce est de savoir si l’appelant (prestataire) aurait dû être rendu inadmissible au titre de l’article 36(1) de la Loi sur l’AE.

[32] L’article 36(1) énonce ceci : « Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant a) la fin de l’arrêt de travail ou b) s’il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable. »

[33] Après avoir examiné l’ensemble des observations, des représentations, de la preuve et du témoignage tant de l’appelant et de l’intimée en l’espèce, je vais mettre l’accent sur la question principale dont je suis saisie : « S’agit-il d’un conflit collectif? » Si elle est prouvée, la Loi sur l’AE énonce que l’appelant est inadmissible au bénéfice des prestations; mais si l’on détermine qu’il n’y a pas de conflit collectif, aucune disposition de l’article 36 de la Loi sur l’AE qui pourrait rendre l’appelant inadmissible à de telles prestations.

[34] Bien que l’on reconnaisse que le syndicat, l’employeur et la Commission ont utilisé le terme « conflit collectif » depuis que l’employeur a mis les membres du syndicat en lock-out, soit depuis le 19 décembre 2016, cela n’est pas suffisant pour trancher ce qui constitue un « conflit collectif » au sens de la Loi sur l’AE.

[35] En l’espèce, il faut se demander si la perte d’emploi est imputable à un arrêt de travail anticipé, et non en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif.

[36] J’ai examiné la jurisprudence soumise à l’appui de la position de toutes les parties de cette cause.

[37] Les faits en l’espèce font état que l’employeur et le syndicat étaient restreints par un lock-out ou une grève pendant les négociations.

[38] Le membre conclut qu’il y avait effectivement un contrat en vigueur jusqu’en mars 2015, qui a été prolongé d’un commun accord. Au moment de la négociation d’une nouvelle convention collective, l’employeur a présenté ses conditions qui ont été jugées inacceptables par le comité de négociation du syndicat; les négociations se sont donc poursuivies.

[39] La liste des conditions contractuelles présentées au syndicat par l’employeur à l’automne 2016 était inacceptable aux membres et le comité de négociation a recommandé aux membres de les rejeter, ce qu’ils ont fait le 19 décembre 2016. Un vote de grève a été mené lors de la même réunion au cours duquel les membres du syndicat lui ont accordé à l’unanimité le droit de déclencher une grève.

[40] Le comité de négociation dans la salle adjacente a avisé l’employeur des résultats du vote et en quelques minutes, ce dernier a mis les employés syndiqués en lock-out.

[41] L’appelant affirme que le vote de grève se voulait une démonstration de solidarité afin de démontrer à l’employeur qu’ils étaient sérieux lorsqu’il est question du maintien de leur ancienneté et des échelons salariaux. Il n’y avait aucune intention de déclencher une grève, surtout six jours avant Noël.

[42] Les résultats du vote tel qu’ils ont été divulgués à l’employeur ne constituaient pas un mandat de grève.

[43] Le représentant de l’appelant affirme qu’à Terre-Neuve-et-Labrador, un syndicat doit donner une période d’avis à l’employeur avant de déclencher une grève à la suite d’un vote de grève. Cela s’applique aux syndicats du secteur public, et non aux employés œuvrant dans le privé; ce qui n’est donc pas applicable en l’espèce.

[44] Toutefois, cette section locale du syndicat X est régie par X, ce qui signifie que toute mesure prise par un de ses membres doit être sanctionnée ou approuvée par la « direction ». Cette approbation n’a jamais été demandée, et par conséquent, jamais accordée avant que l’employeur soit informé des résultats du vote. Cela étant dit, je conclus que la section locale d’X n’a pas donné de mandat de grève à l’employeur, et par conséquent, les mesures de ce dernier en déclenchant un lock-out étaient, pour le moins, prématurées.

[45] Dans l’arrêt White c. Canada (A-1036-92), la Cour d’appel fédérale par l’entremise du juge Linden fait référence à la décision Létourneau.c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1986 2 CF 82, rendue par le juge MacGuigan à la page 8 de sa décision : « En l’espèce, l’employeur, comme l’employé dans l’affaire Létourneau, prévoyait la grève et il a pris des mesures pour en réduire les conséquences sur son entreprise en attribuant du travail à certains employés et en en mettant d’autres à pied. Cette mesure, attribuable à la prévoyance de l’employeur, ne peut être traitée différemment de la même mesure due à la prévoyance de l’employé. Dans chaque cas, le résultat est le même, la fin de la relation employeur-employé. Conséquemment, les requérants n’ont pas perdu leur emploi “du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif”. Ils l’ont plutôt perdu comme conséquence des mesures prises par l’employeur, destinées, dans son esprit, à réduire les inconvénients d’un arrêt de travail imminent. En d’autres termes, le juge-arbitre a commis une erreur lorsqu’il s’est demandé si les requérants avaient perdu leur emploi du fait d’un conflit collectif, ce qui était évidemment le cas; il aurait dû se demander s’ils avaient perdu leur emploi du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, ce qui n’était pas le cas. Ils ont perdu leur emploi parce qu’ils ont été mis à pied dans l’expectative d’un arrêt de travail, et non du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif. »

[46] Dans la cause dont je suis saisi, l’employeur a pris la décision de mettre les employés en lock-out en recevant les résultats du vote de grève du syndicat en prévision qu’une grève ait lieu. La grève anticipée n’a pas été approuvée par X, et par conséquent, elle ne pouvait pas être déclenchée à ce moment. L’employeur ne disposait que de quelques semaines pour promouvoir deux membres du syndicat sur l’équipe de gestion en prévision de moyens de pression du syndicat et afin qu’ils puissent former de nouveaux employés et s’assurer que la production soit maintenue à l’usine.

[47] David G. Riche, arbitre, énonce dans CUB 67324 que [traduction] « la question est de savoir su des négociations entre des parties constituent un conflit collectif. Je suis d’avis que pendant les négociations, on ne peut parler de conflit collectif, à moins que les parties soient dans une impasse qui entraîne un arrêt des négociations, puis en arrêt de travail. Selon moi, des négociations contractuelles ne constituent pas un conflit collectif. »

[48] En l’espèce, je conclus que la situation est similaire; les négociations étaient en cours, les parties avaient recours à l’ensemble des recours juridiques à leur disposition, y compris la tenue d’un vote de grève qui s’est avéré inutile jusqu’à ce que la direction d’X l’approuve.

[49] En l’espèce, l’employeur savait, ou aurait dû savoir, que son offre telle qu’elle a été présentée, était inacceptable pour les membres du syndicat. Ce geste était un autre outil à leur disposition.

[50] Aucun élément de preuve dont je suis saisi ne démontre qu’il y a réduction de la production à l’usine de X, Terre-Neuve-et-Labrador. Je ne peux me référer à la jurisprudence qui énonce que lorsqu’une usine atteint un rendement de 85 %, l’arrêt de travail est terminé. En l’espèce, rien ne démontre que le rendement de l’usine X irait sous ce seuil.

[51] Dans l’arrêt Létourneau, [1986] 2 CF 82, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un arrêt de travail signifie que les activités normales d’un employeur sont interrompues.

[52] En l’espèce, ce type d’arrêt n’est pas survenu.

[53] L’arbitre, J. Létourneau, a affirmé ceci dans CUB 39839 :

[traduction]
« En vertu de mon interprétation de la jurisprudence, j’ai conclu qu’il n’y avait pas d’arrêt de travail en l’espèce et que les gestes de l’employeur ne constituent pas des mesures exceptionnelles comme il est établi dans la jurisprudence.

Je suis davantage porté à suivre les consignes de la Cour suprême du Canada qui encourage les tribunaux à reconnaître les droits aux prestations lorsque le libellé de la loi en donne le choix.

….

En l’espèce, je suis convaincu qu’il n’y a pas eu d’arrêt de travail au titre de l’article 31 de la Loi sur l’AE en vertu de la preuve. Il apparait évident que l’entreprise a poursuivi ses activités comme d’habitude, même si l’employeur et les agents de bord étaient engagés dans un conflit. En embauchant des employés de remplacement et en les formant, l’employeur a pris les mesures nécessaires afin s’assurer le déroulement normal de ses activités. Toutefois, cela constitue essentiellement un rejet injustifié d’un secteur entier d’une société. Par conséquent, je suis d’avis que les prestataires n’ont pas perdu leur emploi en raison d’un arrêt de travail imputable à un conflit collectif, et par conséquent, il faut restaurer leur droit aux prestations.

Selon moi, toute autre conclusion serait contraire à la neutralité observée par la loi et aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hills, précité. »

[54] Dans l’arrêt Hills,[1988] RCS 513, la Cour suprême du Canada énonce ceci :

[traduction]
« Comme la Loi vise à assurer des prestations aux personnes sans travail, il est justifié de donner une interprétation libérale aux dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations, étant donné que la Loi n’est pas conçue pour priver des avantages qu’elle confère les victimes innocentes d’un conflit de travail et compte tenu également du fait que les employés cotisent à la caisse d’assurance-chômage.

Si un employeur fixe des conditions déraisonnables au règlement d’un conflit et que les employés savent qu’ils ne toucheront pas de prestations d’assurance-chômage si un arrêt de travail résulte de l’absence de consensus, cela peut inciter ces employés à accepter des conditions de travail défavorables qu’ils n’auraient pas autrement acceptées. Dans un tel cas, la Loi devient un instrument de coercition. Le refus de verser des prestations dans ces circonstances ne traduit guère une position de neutralité. »

[55] À l’instar des causes susmentionnées, la preuve démontre très clairement que je peux partager ces commentaires concernant un arrêt de travail et qu’en vertu de la preuve au dossier ainsi que du témoignage sous serment de l’appelant et des témoins, un arrêt de travail n’est pas survenu chez X le 19 décembre 2016.

Conclusion

[56] Pour ces motifs, je conclus que la Commission n’a pas prouvé qu’un conflit collectif était en cours le 19 décembre 2016 puisque les dispositions de l’article 36 de la Loi sur l’AE ne sont pas satisfaites.

[57] Je conclus que l’appelant a perdu son emploi en raison d’un licenciement anticipé imputable à un arrêt de travail, et non en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif, et l’appel de l’appelant est accueilli sur ces motifs.

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi
  1. 36 (1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant :
    1. a) soit la fin de l’arrêt de travail;
    2. b) soit, s’il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable.
  2. (2) La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements précisant le nombre de jours d’inadmissibilité dans une semaine dans le cas du prestataire qui a perdu un emploi à temps partiel ou qui ne peut reprendre un emploi à temps partiel pour la raison mentionnée au paragraphe (1).
  3. (3) L’inadmissibilité prévue au présent article est suspendue pendant la période pour laquelle le prestataire établit avoir autrement droit à des prestations spéciales ou à des prestations en raison de l’article 25 à condition qu’il prouve, de la manière que la Commission peut ordonner, que l’absence de son emploi était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l’arrêt de travail.
  4. (4) Le présent article ne s’applique pas si le prestataire prouve qu’il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il ne le finance pas et qu’il n’y est pas directement intéressé.
  5. (5) Lorsque des branches d’activités distinctes, qui sont ordinairement exercées en tant qu’entreprises distinctes dans des locaux distincts, sont exercées dans des services différents situés dans les mêmes locaux, chaque service est réputé, pour l’application du présent article, être une usine ou un atelier distincts.
Règlement sur l’assurance-emploi
Paragraphe 53 du Règlement
  1. 53(1) Pour l’application de l’article 36 de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), l’arrêt de travail à une usine, à un atelier ou en tout autre local prend fin lorsque :
    1. a) d’une part, le nombre d’employés présents au travail représente au moins 85 pour cent du niveau normal;
    2. b) d’autre part, les activités qui y sont exercées pour la production de biens ou de services représentent au moins 85 pour cent du niveau normal.
  2. (2) Lorsque, par suite d’un arrêt de travail, il survient des circonstances qui font en sorte que le nombre d’employés présents au travail et les activités liées à la production de biens ou de services à une usine, à un atelier ou en tout autre local ne représentent pas au moins 85 pour cent du niveau normal, l’arrêt de travail prend fin :
    1. a) dans le cas d’une cessation des affaires ou d’une restructuration permanente des activités ou dans un cas de force majeure, au moment où ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances;
    2. b) dans le cas où les conditions économiques ou du marché changent ou dans le cas où surviennent des changements technologiques, au moment où :
      1. (i) d’une part, il y a une reprise des activités à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local,
      2. (ii) d’autre part, ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances.
  3. (3) Aux fins de calcul des pourcentages visés aux paragraphes (1) et (2), il n’est pas tenu compte des mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l’employeur avant ou pendant l’arrêt de travail dans le but d’en compenser les effets.
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