Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (intimée) n’a pas exercé son pouvoir de manière judiciaire et accorde à l’appelant le droit de présenter une demande de révision.

Aperçu

[2] L’intimée a rendu une décision concernant la répartition de la pension le 20 septembre 2013. L’appelant a envoyé ou livré une demande de révision le 18 octobre 2013 qui n’a pas été reçu par l’intimée. L’appelant a de nouveau présenté une demande de révision en octobre 2017; l’intimée a tranché que la demande était en retard et le 18 novembre 2018, elle a écrit une lettre à l’appelant confirmant son refus de proroger le délai pour présenter une demande. L’appelant vise à annuler la décision rendue par l’intimée selon laquelle la permission de proroger le délai pour présenter une demande de révision est refusée.

Questions en litige

[3] La demande de révision a-t-elle été présentée en retard?

[4] Le cas échéant, l’intimée a-t-elle adéquatement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant la demande de prorogation du délai l’appelant pour présenter une demande de révision?

Analyse

[5] Le paragraphe 112(1) de la Loi sur l’AE prévoit qu’un prestataire dispose de trente jours pour présenter une demande de révision de décision. Pour ce qui est des demandes présentées au-delà de la période de trente jours, la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’accorder un délai supplémentaire au prestataire (Daley v. Canada (Procureur général), 2017 CF 297). Cette discrétion doit être observée selon les critères énoncés dans le Règlement sur les demandes de révision. Le paragraphe 1(1) prévoit que l’intimée peut proroger le délai si elle est convaincue que, d’une part, s’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et, d’autre part, si le prestataire a manifesté l’intention constante de demander la révision.

[6] Dans certains cas, deux autres exigences au titre du paragraphe 1(2) du Règlement doivent être satisfaites : l’intimée « doit être convaincue que la demande de révision a des chances raisonnables de succès » et que « l’autorisation du délai supplémentaire ne lui porte pas préjudice ni d’ailleurs à aucune autre partie ». Une des circonstances sur laquelle ces critères supplémentaires s’appliquent est lorsque la demande de révision est présentée après l’expiration du délai de trois cent soixante-cinq jours suivant le jour où le prestataire a reçu communication de la décision.

[7] Les décisions discrétionnaires exigent un haut degré de déférence et le Tribunal ne peut pas interférer dans la décision de l’intimée à moins qu’il estime que cette dernière n’ait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire (Canada (Procureur général) c. Sirois, A-600-95). Les tribunaux ont interprété le mot « judiciaire » afin de déterminer si la Commission a agi de bonne foi, en tenant compte de tous les facteurs pertinents et en faisant abstraction des facteurs non pertinents (Sirois, précité).

Question 1 : La demande de révision a-t-elle été présentée en retard?

[8] La demande de révision a été remise en retard. L’appelant a témoigné que la décision de l’intimée rendue le 20 septembre 2013 lui a été communiquée le 26 septembre 2013. Bien que l’appelant ait cru avoir présenté une demande de révision le 18 octobre 2013, l’intimée n’a jamais reçu la documentation. L’appelant a présenté une demande de révision le 4 octobre 2017. Puisqu’elle a été présentée plus de 365 jours après la communication de la décision initiale à l’appelant, soit le 26 septembre 2013, tous les quatre critères énoncés aux paragraphes 1(1) et 1(2) du Règlement s’appliquent.

Question 2 : L’intimée a-t-elle adéquatement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant la demande de prorogation du délai pour présenter une demande de révision de l’appelant?

[9] L’intimée n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a rejeté la demande prorogation du délai de 30 jours de l’appelant afin de présenter sa demande de révision. Bien qu’il incombe à l’appelant de prouver qu’il satisfait aux critères énoncés dans le Règlement, l’intimée a le fardeau de démontrer qu’elle a agi de manière judiciaire en exerçant son pouvoir discrétionnaire, en prenant en compte toutes les circonstances particulières (Procureur général du Canada c. Gagnon, 2004 CAF 351).

[10] Le Tribunal conclut que l’appelant est un témoin fiable puisque son témoignage était crédible et a permis d’en savoir davantage sur la preuve au dossier. L’appelant a fourni des explications raisonnables pour justifier ses déclarations émises devant l’intimée. L’appelant a contredit certains éléments de preuve présentée à l’intimée le 2 octobre 2017 selon lesquels il aurait présenté une demande de révision par courrier; puis pendant l’audience, il a mentionné ne pas se souvenir de la façon dont il l’a envoyée, mais il croit qu’il l’a livrée personnellement au bureau de Service Canada le 18 octobre 2013. En l’espèce, la preuve de l’appelant consiste en plusieurs souvenirs datant de 2017 à 2018. Le Tribunal ne sait pas quelles déclarations sont correctes puisque l’appelant a admis ne pas se souvenir de la façon dont il a remis la demande de révision à l’intimée; mais il est raisonnable de croire qu’il l’a livrée personnellement au bureau de Service Canada, car il a témoigné avoir visité ce lieu lors de la même journée à laquelle il a daté la documentation relative à la demande de révision et croit avoir soumis le formulaire au même moment.

[11] Le Tribunal estime que l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. L’appelant se repose sur la demande de révision de 2013, qu’il pense avoir présentée, et l’intimée a confirmé qu’il ne l’a pas reçue. L’intimée a tenu compte du fait que l’appelant croit avoir présenté la demande de révision en 2013, mais affirme que [traduction] « la révision ne peut être instruite en raison du long retard ». En examinant les raisons de l’intimée menant à cette décision, elle mentionne que l’appelant était au courant de la décision en septembre 2013 et qu’il a attendu jusqu’en octobre 2017 pour présenter sa demande de révision. L’intimée affirme aussi qu’elle a tenu compte des raisons du retard, mais que l’appelant n’a pas fourni d’explication raisonnable pour le retard ni démontré une intention constante de demander une révision. L’intimée a remarqué que même si l’appelant a présenté sa demande de révision en 2013, il n’a pas effectué de suivi avec l’intimée pour accuser réception ou en vérifier le statut.

[12] L’appelant a témoigné qu’il a tenté de présenter une demande de révision en 2013 et a cru qu’il l’avait fait correctement. Le Tribunal accepte cette affirmation comme un fait. L’intimée n’a pas tenu compte de la preuve en rendant sa décision initiale. L’intimée a aussi mentionné comme preuve que rien dans le dossier ne mentionne que l’appelant a communiqué avec Service Canada pour effectuer le suivi de sa demande de révision de 2013. L’intimée n’a pas tenu compte de la preuve de l’appelant qui consistait en une copie de la demande interne de son bureau local de Service Canada datée du 18 octobre 2013, qui appuie son observation selon laquelle il a visité le bureau et présenté une demande de révision la même journée. Bien que l’intimée ne disposait pas des renseignements lorsqu’elle a rendu sa décision, elle n’a pas exercé convenablement son pouvoir discrétionnaire en omettant de tenir compte de toute la preuve pertinente. L’appelant a aussi expliqué raisonnablement le manque de communication avec l’intimée à la suite de la demande de révision d’octobre 2013; il n’a pas communiqué avec l’intimée jusqu’en 2014 et il croyait que cela s’inscrivait dans le processus de révision. Il a aussi communiqué avec l’Agence du revenu du Canada (ARC) lorsqu’il a reçu l’avis de dette, et on l’a avisé que celle-ci serait réglée. L’appelant n’avait aucune raison d’effectuer un suivi s’il croyait que le processus de révision était terminé en 2014. L’intimée ne semble pas avoir tenu compte de cette preuve en exerçant son pouvoir discrétionnaire, ce qui est directement en lien avec la question; l’appelant n’a pas effectué de suivi concernant sa demande de révision puisqu’il croyait qu’elle était complétée.

[13] Le Tribunal conclut que l’intimée n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a refusé d’accorder à l’appelant un délai supplémentaire pour présenter une demande de révision puisqu’elle n’a pas tenu compte de la preuve documentaire selon laquelle il a visité un centre de Service Canda le 18 octobre 2013 et qu’il a présenté une demande de révision cette journée même. L’intimée n’a aussi pas tenu compte des conversations de l’appelant avec l’intimée survenues du 18 octobre 2013 à mai 2014, qui, selon cette dernière, faisaient partie et complétaient le processus de révision.

L’appelant détenait-il une explication raisonnable de demander une prolongation de délai pour présenter une demande de révision et a-t-il manifesté une intention constante de demander une révision? (Règlement 1(1))

[14] Le Tribunal conclut que l’explication de l’appelant visant à justifier sa demande de prorogation est raisonnable. J’estime aussi qu’il a manifesté une intention constante de demander une révision (Daley v. Canada (Procureur général), 2017 CF 297).

[15] L’intimée a rendu sa décision initiale le 20 septembre 2013. L’appelant a visité le bureau local de l’intimée le 18 octobre 2013 et il croyait avoir soumis une demande de révision à ce moment. La preuve supplémentaire présentée pendant l’audience, une copie d’une demande de prestations datée du 18 octobre 2013 obtenue du centre local de Service Canada, a corroboré l’autre preuve de l’appelant selon laquelle il a visité son bureau local le 18 octobre 2013. Puis, l’appelant a discuté avec plusieurs représentants de l’intimée afin de tenter de régler les problèmes qu’il a décelés avec son dossier. Il a affirmé pendant l’audience qu’il pensait que cela faisait partie du processus de révision et il ignorait qu’il devait s’attendre à recevoir une lettre de confirmation de la décision découlant de la révision. L’appelant a communiqué avec l’intimée en 2014 lorsqu’il a été informé par l’ARC que sa dette serait réglée avec le règlement de l’affaire.

[16] L’appelant a aussi précisé qu’il a discuté avec un représentant de l’intimée à Halifax par téléphone, qui lui a mentionné que l’erreur de calcul de son trop-payé est survenue puisque l’intimée ou l’ARC a malencontreusement utilisé les renseignements fiscaux d’une autre personne pour calculer le trop-payé dans une audience suivant la présentation de sa demande. Cet argument est appuyé par le registre des appels dans la preuve de l’intimée. L’appelant a témoigné qu’il a reçu quelques avis de dettes au cours des deux années suivantes, mais l’ARC lui a mentionné qu’elles ne seraient pas recueillies et qu’il ne devait rien. L’appelant a attendu jusqu’en avril 2017 pour communiquer de nouveau avec l’intimée lorsque sa dette a été recouverte sur sa déclaration de revenus de 2016 afin de savoir pourquoi il a encore reçu un trop-payé. Immédiatement après avoir reçu la réponse de l’ARC en juillet 2017, l’appelant a tenté de présenter un appel devant le Tribunal le 27 juillet 2017; l’appel n’a pu être accueilli puisqu’il n’a pas reçu la décision découlant de la révision, qui représente une étape obligatoire afin de présenter un appel devant le Tribunal. Lorsque l’appelant a discuté de nouveau avec l’intimée pour demander la décision découlant de la révision par écrit; on lui a mentionné que la demande de 2013 n’a jamais été reçue et on l’a avisé d’en présenter une nouvelle. L’appelant l’a fait en octobre 2017 et il a reçu le 18 novembre 2017 une lettre confirmant le refus de la prorogation du délai pour demander une révision.

[17] Bien que la durée soit un facteur pertinent, la cause du retard demeure le facteur le plus important à prendre en considération (Canada (Procureur général) c. Burke, 2012 CAF 139). Malgré le retard de 2014 à 2017, l’appelant a cru qu’il avait tout fourni puisque l’ARC l’avait confirmé et il ignorait que sa demande de révision de 2013 n’avait pas été reçue. L’appelant a démontré qu’il était dédié au suivi de sa révision; à aucun moment il ne semble avoir abandonné les procédures de la décision découlant de la révision. Au contraire, la preuve de l’appelant fait valoir qu’il croyait avoir présenté une demande révision et que la correspondance qu’il a eue avec l’intimée concernant sa tentative ratée de présentation constituait sa demande de révision.

[18] L’appelant a visité le bureau local de l’intimée et cru qu’il a présenté une demande de révision en 2013. Il a effectué un suivi auprès de l’intimée en 2014 concernant sa demande et a témoigné avoir communiqué avec l’ARC en ce qui concerne sa dette. Il a cru que le trop-payé était réglé à son dossier et qu’il ne devait pas effectuer de suivi auprès de l’intimée. Bien que plusieurs années se soient écoulées entre la décision initiale et la présentation de la demande de révision, l’appelant a fourni suffisamment d’explications raisonnables justifiant le retard ainsi que la chronologie des interactions avec l’intimée et la CRA qui démontre son intention constante de présenter une demande de révision. Le Tribunal conclut que les raisons émises par l’appelant sont suffisantes et par conséquent, ce dernier satisfait aux deux critères énoncés au Règlement.

L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès et l’accueil de cet appel porterait-il préjudice à la Commission ou à toute autre partie? (Règlement 1(2))

[19] Les tribunaux n’ont toujours pas tenu compte de la définition du terme « chance raisonnable de succès » dans le contexte du paragraphe 1(2) du Règlement. Le Tribunal a décidé d’examiner l’analyse de la Cour en tenant compte du concept de « chance raisonnable de succès » en lien avec l’instance initiale de rejet. Le critère vise à déterminer s’il ressort clairement à la lecture du dossier que l’appel est voué à l’échec, quels que soient les éléments de preuve ou les arguments qui pourraient être présentés à l’audience (Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 147).

[20] Le Tribunal est conscient que la racine de cette cause consiste en une répartition de la pension et puisque l’intimée a soutenu que les revenus de pensions doivent être considérés comme des gains puisque la pension a été versée correctement, l’appel n’a pas de chance raisonnable de succès. Toutefois, le dossier comprend plusieurs erreurs de calcul qui ont altéré le résultat et le calcul du trop-payé à plusieurs reprises. L’appelant témoigne qu’il a reçu plusieurs avis selon lesquels il devait de l’argent, chaque fois d’un montant différent, puis il a reçu un dépôt de l’intimée durant la période au cours de laquelle il a reçu les avis. Le dossier mentionne également que le trop-payé est attribuable à l’utilisation de renseignements financiers provenant d’une autre personne. Il semble que cela ait été rectifié, mais sans qu’il y ait d’autres calculs précis et détaillés ou qu’on prouve que les chiffres reflètent la bonne personne; ainsi, le Tribunal ne peut conclure que l’appel est voué à l’échec. Si sa cause était révisée, il est possible que de l’information soit communiquée et que des conclusions soient tirées, susceptibles d’influer directement sur la prise de décision en ce qui a trait au trop-payé. Par conséquent, le Tribunal est convaincu que la cause a une chance raisonnable de succès.

[21] Le Tribunal estime qu’aucun préjudice ne serait porté envers l’intimée ou à toute autre partie en accueillant la demande de prorogation du délai pour présenter une demande de révision. Le Tribunal estime également qu’aucune preuve n’appuie la conclusion de l’intimée selon laquelle elle [traduction] « n’était convaincue que la prorogation du délai pour présenter la demande ne causera aucun préjudice à la Commission ». L’intimée n’a soumis aucune observation pour appuyer cette conclusion. Ainsi, aucune preuve présentée devant le Tribunal ne démontre que la prorogation du délai pour présenter une demande de révision à l’appelant porterait préjudice à l’intimée.

Conclusion

[22] L’appel est accueilli. Le Tribunal juge que l’intimée n’a pas démontré qu’elle avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a refusé à l’appelant une prolongation du délai pour présenter une demande de révision. Le Tribunal, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, conclut que l’appelant s’est conformé aux dispositions de l’article 112 de la Loi sur l’AE et à l’article 1 du Règlement, et qu’elle a donc droit à une prolongation du délai pour présenter une demande de révision.

 

Mode d’instruction

Comparutions

Téléconférence

W. M., appelant

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