Assurance-emploi (AE)

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Décision et Motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Apercu

[2] Dans une lettre datée du 30 septembre 2015, l’appelante, J. A. (prestataire), a été avisée par l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, qu’elle a quitté son emploi sans motif valable le 30 novembre 2010, et qu’elle serait tenue de rembourser les prestations d’assurance-emploi qu’elle avait reçues. La prestataire n’a pas déposé de demande de révision de cette décision avant le 17 août 2016, demande qui a été refusée parce qu’elle avait été déposée en retard. La prestataire a interjeté appel du refus de la Commission d’accepter da demande tardive de révision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[3] La division générale a estimé que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en refusant à la prestataire davantage de temps pour faire une demande de révision, et a substitué sa propre décision à celle de la Commission. Cependant, en faisant cela, la division générale a estimé que la prestataire n’a pas fourni une explication raisonnable concernant le retard, et a rejeté l’appel. La prestataire a obtenu la permission d’en appeler devant la division d’appel.

[4] L’appel est accueilli. Dans son analyse du caractère raisonnable du retard de la prestataire, la division générale a omis d’examiner ou d’apprécier adéquatement la preuve de la prestataire selon laquelle elle croyait avoir initié, et participé, au processus de révision bien avant d’avoir signé et soumis le formulaire de demande imprimé.

Question en litige

[5] La division générale a-t-elle erré en ignorant ou en interprétant mal la preuve de la prestataire selon laquelle cette dernière avait compris qu’elle avait demandé une révision avant de déposer une demande écrite de révision?

Analyse

Norme de contrôle

[6] Les moyens d’appel décrits au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont très semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire, et cela donne à penser que les normes de contrôle pourraient également s’appliquer à la division d’appel. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas insisté sur l’application de l’analyse de la norme de contrôle, et je ne la considère pas nécessaire.

[7] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. JeanNote de bas de page 1, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de trancher sur les normes de contrôle que la division d’appel doit appliquer, mais a mentionné dans une remarque incidente qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel doivent faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a observé que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[8] De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif n’a pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[9] Dans la récente affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a directement abordé la norme de contrôle appropriée, mais dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes qui orientent le rôle des tribunaux dans le cadre du contrôle judiciaire de décisions administratives ne s’appliquaient pas dans un cadre administratif à plusieurs niveaux et que les normes de contrôle devraient être appliquées seulement si la loi habilitante le permet.

[10] La loi habilitante concernant les appels administratifs des décisions en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et celle-ci ne prévoit pas qu’un examen doit être effectué conformément aux normes de contrôle.

[11] Je reconnais que la Cour d’appel fédérale pourrait ne pas avoir une position uniforme sur l’applicabilité de cette analyse dans un processus d’appel administratif : certaines autres décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôleNote de bas de page 3.

[12] Néanmoins, je suis convaincu par le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Jean, où elle a fait référence à l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et précisé qu’ « [i]l n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. J’examinerai donc l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement, et non au [traduction] « caractère raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Principes généraux

[13] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale a le pouvoir d’examiner et de soupeser la preuve portée à sa connaissance et de tirer des conclusions de fait. La division générale applique ensuite le droit aux faits pour tirer des conclusions sur les questions de fond soulevées par l’appel.

[14] En revanche, la division d’appel ne peut pas intervenir dans une décision de la division générale sauf si elle peut estimer que la division générale a commis l’un des types d’erreurs décrits par les « moyens d’appel » au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, et exposés ci‑dessous :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Explication raisonnable du retard

[15] D’après le paragraphe 112(1) de la Loi, un prestataire doit présenter une demande de révision dans les 30 jours suivant la date de communication de la décision, ou dans tel délai plus long que la Commission peut lui accorder. Le paragraphe 1(1) du Règlement sur les demandes de révision permet à la Commission d’accorder une prolongation du délai pour la présentation d’une demande de révision si la Commission est convaincue qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et que le prestataire a démontré une intention constante de demander une révision. En l’espèce, la division générale a accepté le fait que la prestataire avait une intention constante de demander une révision, mais elle n’a pas accepté qu’elle avait une explication raisonnable pour justifier le retard.

[16] La prestataire a fait valoir que l’appel devrait être accueilli au motif que la division générale ne comprenait pas sa preuve selon laquelle elle avait cru et pensé qu’elle avait initié le processus de révision lors de ses entretiens téléphoniques avec les agents de la Commission. Elle soutient que la division générale n’a pas tenu compte du fait que son [traduction] « explication raisonnable » du retard comprenait ses actions pour initier la révision et sa conviction selon laquelle elle l’avait effectivement fait.

[17] La Commission a présenté des observations écrites, mais a refusé de participer à l’audience relative à l’appel. Dans ses observations, la Commission a accepté le fait qu’elle n’avait pas fourni de justification claire pour appuyer sa décision discrétionnaire de rejeter la demande tardive de révision et par conséquent était d’accord avec la division générale pour dire que son pouvoir discrétionnaire n’avait pas été exercé de façon judiciaire. De plus, la Commission a adopté la position selon laquelle l’analyse du membre de la division générale [traduction] « donne à penser que la membre considérait que la seule façon de présenter officiellement une demande de révision était de remplir une demande auprès de la Commission […] » et que cela [traduction] « n’était pas appuyé par la preuve ». Elle a soutenu que le membre de la division générale a erré en ce sens que sa décision n’était pas transparente et intelligible et elle a également soutenu que la décision peut être considérée comme ayant été rendue d’une manière abusive ou arbitraire ou sans égard à l’intégralité de la preuve. La Commission a précisément demandé que l’affaire soit renvoyée à la Commission aux fins de révision de sa décision du 30 septembre 2015.

[18] Je reconnais que le paragraphe 78(1) du Règlement exige qu’une demande de révision soit présentée par écrit et qu’elle contienne certains renseignements. Par conséquent, je reconnais que la demande de la prestataire n’a pas été présentée avant qu’elle ne soumette sa demande écrite en août 2016. Cependant, cela ne signifie pas que la division générale ne pouvait pas accepter comme étant raisonnable l’explication de la prestataire selon laquelle elle croyait avoir initié un [traduction] « processus d’appel » et qu’elle était engagée dans le processus entre le moment où elle a reçu la décision et celui où elle a présenté la demande par écrit, même si elle n’avait pas fait de demande de révision qui était conforme au paragraphe 78(1) du Règlement.

[19] Comme je l’ai mentionné dans la décision relative à la permission, la compréhension du processus par la prestataire revêt une certaine importance pour déterminer si elle avait une explication raisonnable pour justifier le retard. La division générale a compris que la prestataire essayait de composer avec le problème au téléphone sans soumettre de demande officielle (paragraphe 34), mais la preuve de la prestataire était qu’elle pensait qu’elle avait initié la demande de révision au téléphone.

[20] Dans son témoignage devant la division générale, la prestataire a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Je continuais simplement d’essayer d’en appeler par leur intermédiaire, en disant vous savez, voici ma version de l’histoire et ils prendraient des notes et tiendraient compte de ma version de l’histoire et ils continuaient à dire, il y a un processus où vous pouvez en appeler. Et je pensais qu’en étant au téléphone, à parler avec des représentants, que c’était le processusNote de bas de page 4.

Le jour où j’ai reçu la lettre, lorsque j’ai fait l’appel téléphonique, je croyais réellement que j’avais commencé mon processus d’appel. En parlant avec cette représentante pendant près d’une heure, en détail, et en énonçant mon cas. Elle prenait des notes, et je me disais, OK, elle m’aide avec mon appelNote de bas de page 5.

Je pensais aussi que je commençais mon appel par téléphone, comme je l’ai dit, à la représentante parce qu’ils notent tout ce que vous dites […] et je me disais, quelle est la différence, qu’ils tapent ce que je dis ou que je le dise en personne, ou que je l’écrive et que je l’apporte. […] Je croyais que c’est ce qui démarrerait ce processus.Note de bas de page 6

[21] Son dossier n’indique pas clairement le moment où la prestataire a finalement appris que sa révision n’irait pas de l’avant avant que la demande écrite soit reçue. Elle a insisté devant la division générale sur le fait qu’on ne lui a pas parlé d’un [traduction] « formulaire » lorsqu’elle a appelé la première fois pour débuter son appel. Elle a aussi déclaré qu’elle avait continué d’essayer d’en appeler par téléphone jusqu’à ce qu’on lui parle [traduction] « finalement » du formulaire de demande, et qu’elle a par la suite [traduction] « emprunté cette voie »Note de bas de page 7. Son époux était parti, mais elle a affirmé dans son témoignage qu’à son retour, ils sont allés ensemble déposer et signer le formulaire en personne, de la manière qui selon elle était exigéeNote de bas de page 8 ou prudenteNote de bas de page 9.

[22] La division générale a enregistré la preuve de la prestataire selon laquelle elle pensait qu’elle avait démarré le processus de révision au téléphone, mais sa décision était fondée sur sa conclusion selon laquelle elle a pris [traduction] « plus de neuf mois [pour déposer] une demande de révision », ce qui, laissait-elle entendre ensuite, nécessitait de remplir un formulaire de deux pages et de le poster ou de la déposer (paragraphe 33).

[23] L’analyse de la division générale porte entièrement sur les difficultés logistiques de la prestataire pour remplir et envoyer le formulaire de demande imprimé. Il n’y a aucune analyse du témoignage de la prestataire selon lequel elle n’était pas au courant de l’existence d’un [traduction] « formulaire » pendant une période importante du retard et, de plus, la décision n’aborde pas le caractère raisonnable de sa conviction selon laquelle elle prenait déjà part au processus de révision. Pas plus que la décision n’explique si la conviction ou la compréhension de la prestataire était considérée comme un facteur pertinent dans la détermination du caractère raisonnable de son retard.

[24] J’estime par conséquent que la division générale a mal interprété la preuve de la prestataire en ce qui concerne sa conviction d’avoir initié sa demande de révision auprès d’un agent au téléphone, et en ce qui concerne le caractère raisonnable de cette conviction. Par conséquent, la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, une erreur au titre de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[25] À la lumière de la position de la Commission, et conformément au pouvoir qui m’est conféré au titre du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre relativement à la question de la prolongation du délai et de l’application du paragraphe 1(1) du Règlement sur les demandes de révision. J’estime que la prestataire a cru par erreur qu’elle avait initié une demande de révision dans son premier entretien avec un agent de la Commission, et qu’elle croyait qu’elle demeurait engagée dans ce processus de révision tout au long de ses discussions subséquentes avec des agents de la Commission. Compte tenu de son témoignage selon lequel elle a eu un premier long entretien au cours duquel ses renseignements ont été pris en note, du fait qu’elle a continué d’en apprendre plus sur sa cause lors de discussions successives avec la Commission, et du fait que la Commission était réceptive à ses représentations orales additionnellesNote de bas de page 10 , j’estime de plus que sa conviction erronée est objectivement raisonnable et que sa conviction raisonnable est pertinente à la question de savoir si son retard dans la production d’une demande de révision écrite est raisonnable. La date à laquelle la prestataire a éventuellement compris que la Commission exigerait un formulaire de demande de révision imprimé demeure incertaine, mais je suis convaincu par la preuve selon laquelle la prestataire a conservé sa conviction selon laquelle le processus de révision avait été engagé depuis le début. Même au moment où elle a finalement rempli et soumis le formulaire de demande, j’estime qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle ait compris qu’elle ne faisait que peaufiner une demande existante de révision, plutôt que de déposer une demande initiale contrainte par le temps.

[26] Par conséquent, j’estime que la prestataire avait une explication raisonnable pour le retard avec lequel elle a présenté la demande de révision. J’estime également, comme l’a fait la division générale, que la prestataire a démontré une intention constante d’obtenir une révision. Conformément au paragraphe 1(1) du Règlement sur les demandes de révision, j’estime que le prestataire avait une explication raisonnable pour le retard avec lequel elle a rempli et soumis une demande de révision qui est conforme au paragraphe 78(1) du Règlement.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli. L’explication de la prestataire est raisonnable, et elle devrait avoir droit à une prolongation du délai alloué pour déposer une demande de révision.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

17 avril 2018

Téléconférence

J. A. (anciennement J. M.)
S. Prud’Homme, par observations écrites

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