Assurance-emploi (AE)

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Décision et Motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, B. C. (prestataire), a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi après avoir quitté son emploi en décembre 2016. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a rejeté sa demande au motif qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Dans une lettre datée du 13 mars 2015, la Commission a confirmé le maintien de sa décision après révision. Le prestataire a donc fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a rejeté son appel le 30 août 2017. Le prestataire interjette maintenant appel à la division d’appel.

[3] L’appel est accueilli. La division générale a conclu que le départ du prestataire n’avait pas été la seule solution dans son cas en se fondant en partie sur sa conclusion voulant que le prestataire prévoyait déménager en Colombie-Britannique mais n’avait pas cherché un emploi là-bas avant de partir. Cette conclusion n’était pas appuyée par la preuve.

Questions préliminaires

[4] Le prestataire a joint des preuves médicales et d’autres preuves aux observations qu’il a soumises à la division d’appel. Le prestataire a convenu que ces preuves n’avaient pas été portées à la connaissance de la division générale et qu’elles étaient soumises pour soutenir sa position que la conclusion de la division générale était erronée. Cela dit, ces éléments ne sont pas utiles dans le but de déterminer si la division générale a commis une erreur sur le fondement de la preuve dont elle disposait. La Cour fédérale a confirmé que de nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas être présentés à la division d’appel,Note de bas de page 1 et je ne vais pas tenir compte de ceux-ci.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle tiré de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, la conclusion voulant que le prestataire aurait pu chercher un emploi en Colombie-Britannique avant de quitter le sien?

Norme de contrôle

[6] Les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont semblables aux moyens habituellement utilisés lors d’un contrôle judiciaire, ce qui porte à croire que le même genre d’analyse fondée sur les normes de contrôle soit aussi applicable à la division d’appel. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas insisté sur l’application d’une analyse fondée sur les normes de contrôle, et j’estime qu’elle n’est pas nécessaire.

[7] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c JeanNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a fait savoir qu’elle n’était pas tenue de statuer sur la norme de contrôle devant être appliquée par la division d’appel, mais a affirmé au passage qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel doivent faire l’objet d’une analyse fondée sur les normes de contrôle. La Cour a fait remarquer que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[8] De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif n’a pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[9] Récemment, dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c HuruglicaNote de bas de page 3, la Cour d’appel fédérale a directement abordé la norme de contrôle applicable, mais dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes guidant les tribunaux pour procéder au contrôle judiciaire de décisions administratives ne s’appliquent pas dans une structure administrative à plusieurs niveaux, et que les normes de contrôle devraient uniquement être appliquées si leur application est prévue par la loi habilitante.

[10] C’est la Loi sur le MEDS qui est la loi habilitante dans le cas des appels administratifs portant sur des décisions en matière d’assurance-emploi, et la Loi sur le MEDS ne prévoit pas une révision basée sur les normes de contrôle.

[11] J’admets qu’il n’existe pas forcément de consensus à la Cour d’appel fédérale quant à l’applicabilité d’une telle analyse dans le cadre d’une procédure d’appel administrative. En effet, la Cour d’appel fédérale a semblé approuver l’application de normes de contrôle dans d’autres de ses décisions.Note de bas de page 4

[12] Je suis malgré tout convaincu par le raisonnement exposé dans Jean, lorsqu’elle a fait référence à l’un des moyens d’appel du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et noté qu’« [i]l n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. » J’examinerai donc l’appel en me rapportant uniquement aux moyens d’appel prévus par Loi sur le MEDS, et non au « caractère raisonnable » ou aux normes de contrôle.

Principes généraux

[13] Le rôle de la division d’appel est plus limité que celui de la division générale. La division générale a le pouvoir d’examiner et d’apprécier la preuve portée à sa connaissance et de tirer des conclusions de fait. Elle applique ensuite le droit à ces faits pour trancher les questions de fond soulevées par l’appel.

[14] De son côté, la division d’appel ne peut infirmer une décision de la division générale que si elle conclut que la division générale a erré de l’une des trois façons suivantes, décrites dans les « moyens d’appel » prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Preuve relative à la recherche d’un emploi en Colombie-Britannique

[15] Aux termes de l’article 29 de la Loi sur l’assurance-emploi, un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas. Au paragraphe 51 de sa décision, la division générale a constaté qu’une [traduction] « solution raisonnable pour le prestataire aurait été de chercher et de décrocher un emploi en Colombie-Britannique avant de quitter volontairement son employeur ». Elle s’est exprimée ainsi après avoir conclu que [traduction] « le prestataire n’avait pas essayé de trouver un emploi en Colombie-Britannique, sachant pourtant qu’il choisissait d'y déménager pour des raisons familiales ».

[16] Le prestataire a soutenu que la division générale a fait fi de la preuve montrant qu’il avait cherché du travail en Colombie-Britannique avant de quitter son emploi. Le prestataire a aussi avancé que la division générale s’était méprise sur la preuve à d’autres égards. En effet, il soutient ne jamais avoir dit qu’il ne prenait pas d’antidouleurs ou d’autres médicaments à l’exception de la glucosamine (paragraphe 19). Il se rappelle avoir témoigné qu’il prenait aussi un médicament topique. Le prestataire prétend aussi ne jamais avoir affirmé qu’il avait vendu sa copropriété avant de déménager en Colombie-Britannique (paragraphe 25).

[17] Bien qu’aucun représentant de la Commission n’a comparu à l’audience devant la division d’appel, la Commission a déposé des observations écrites. Après avoir examiné l’enregistrement audio, la Commission a convenu que le prestataire avait témoigné qu’il avait cherché du travail en Colombie-Britannique et en X avant de décider de déménager et qu’il avait commencé à chercher un emploi durant l’été, avant de quitter son emploi. La Commission a avancé qu’il était difficile de dire ce que le membre de la division générale avait jugé représenter des solutions raisonnables. La Commission a affirmé que la division générale n’avait pas réconcilié les éléments de preuve contradictoires touchant à ce qui avait motivé le prestataire à quitter son emploi. La Commission a également soutenu que la division générale avait erré en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, et erré en droit puisque sa décision n’était pas justifiée de façon claire.

[18] Je suis d’accord avec les observations des deux parties, à savoir que la division générale disposait d’une preuve montrant que le prestataire avait cherché du travail en Colombie-Britannique et qu’elle avait erré en ne tenant pas compte de cette preuve. La conclusion de la division générale, voulant qu’une solution raisonnable au départ du prestataire aurait été qu’il cherche du travail en Colombie-Britannique, était basée sur le fait qu’elle avait compris qu’il n’avait pas cherché de travail en Colombie-Britannique.

[19] J’admets également que la division générale a conclu que le prestataire n’avait pas été fondé à quitter son emploi d’après sa conclusion qu’il n’avait pas cherché de travail en Colombie-Britannique. Dans sa décision, la division générale a examiné et écarté certaines des circonstances revendiquées par le prestataire; cependant, c’était la seule « solution raisonnable » sur laquelle la division générale avait fondé sa décision. Même si la division générale a noté que le prestataire aurait pu [traduction] « prendre un congé sans solde pour chercher un emploi en Colombie-Britannique » ou [traduction] « prendre des vacances pour chercher un emploi en Colombie-Britannique », le manque de clarté de ses motifs m’empêche de savoir si elle considérait ces possibilités comme des solutions à part entière à son départ. Selon moi, il ne s’agissait pas de solutions raisonnables distinctes, mais seulement de variantes pour une même solution raisonnable qu’elle avait établie, soit que le prestataire aurait pu chercher du travail en Colombie-Britannique avant de quitter son emploi. La conclusion de la division générale, voulant que le prestataire aurait pu chercher du travail en Colombie-Britannique, est irrémédiablement faussée par le fait qu’elle n’a pas apprécié la preuve du prestataire montrant qu’il avait essayé de trouver un emploi en Colombie-Britannique.Note de bas de page 5

[20] Je note que le prestataire a aussi avancé que la division générale avait ignoré ou mal compris certains autres éléments de preuve. Par contre, j’estime qu’il n’est pas possible de soutenir que la division générale ait fondé sa décision sur ces éléments de preuve précis, et ils n’ont donc pas influé sur ma décision.

[21] Je conclus que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, à savoir que le prestataire n’avait pas cherché de travail en Colombie-Britannique avant de quitter son emploi, et qu’elle a tiré cette conclusion sans tenir compte de la preuve du prestataire, commettant ainsi une erreur de droit pour l’application de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[22] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen en vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 19 avril 2018

Téléconférence

B. C., appelant
S. Prud’homme, représentante de l’intimée

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