Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante, J. C. (prestataire), a travaillé comme enseignante à contrat et suppléante. Son dernier jour de travail a été le 19 mai 2016 et elle a accouché en juin 2016. Elle a présenté une demande de prestations parentales le 16 août 2016, mais l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a refusé sa demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée a déclaré que la prestataire n’avait pas cumulé suffisamment d’heures pour recevoir des prestations spéciales. La prestataire a demandé une révision et a également demandé que sa demande soit antidatée pour que la Commission puisse inclure une plus grande partie de ses heures d’emploi assurable. La Commission a examiné la demande antidatée de la prestataire, mais elle a déterminé qu’il lui manquerait encore cinq heures pour être admissible aux prestations. Ce calcul était basé sur une date antérieure au 22 mai 2016, soit le dimanche suivant son dernier quart de travail, et il tenait compte d’une prolongation de trois semaines de sa période d’admissibilité correspondant à la période pendant laquelle la prestataire s’est absentée du travail en raison de complications liées à sa grossesse. Ayant déterminé que la prestataire ne pouvait en aucun cas être admissible aux prestations, la Commission a rejeté la demande antidatée. La décision issue de la révision du 12 septembre 2016 a maintenu la décision initiale.

[3] La prestataire a interjeté appel de cette décision auprès de la division générale, mais son appel a été rejeté. La division d’appel a accepté sa demande de permission d’en appeler, et une audience a eu lieu le 17 avril 2018.

[4] L’appel de la prestataire est accueilli. Bien que la division générale ait examiné la preuve de la prestataire selon laquelle il y avait des jours précis où elle devait annuler son travail en raison de complications, elle a constaté qu’il ne s’agissait pas de semaines complètes. Du coup, elle a omis de tenir compte de quatre autres semaines de travail sans rémunération indiquées dans son relevé d’emploi (RE) de 2016, ainsi que de son témoignage selon lequel son employeur l’avait obligée à prévoir d’autres jours d’absence du travail pour cause de maladie.

Questions en litige

[5] Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en omettant de tenir compte de la preuve de la prestataire selon laquelle sa période de référence comptait des semaines additionnelles durant lesquelles elle était incapable de travailler en raison de ses problèmes médicaux?

Analyse

Norme de contrôle

[6] Les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire, ce qui donne à penser que le même genre de norme d’analyse de contrôle pourrait également s’appliquer en l’espèce. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale n’a pas insisté sur le fait que les normes de contrôle doivent être appliquées, et je n’estime pas cela soit nécessaire.

[7] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. JeanNote de bas de page 1, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle n’était pas tenue de trancher la norme de contrôle que la division d’appel doit appliquer, mais elle a affirmé entre autres qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel devaient faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a précisé que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[8] De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif n’a pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[9] Dans le récent arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a directement abordé la norme de contrôle appropriée, mais dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes ayant guidé le rôle des cours quant au contrôle judiciaire de décisions administratives ne s’appliquent pas dans une structure administrative à plusieurs niveaux, et que les normes de contrôle devraient uniquement être appliquées si leur application est prévue par la loi habilitante.

[10] La loi habilitante concernant les appels administratifs des décisions en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et celle-ci ne prévoit pas qu’un examen doit être effectué conformément aux normes de contrôle.

[11] Je reconnais que la Cour d’appel fédérale ne semble pas avoir une position uniforme sur l’applicabilité de cette analyse dans un processus d’appel administratif : d’autres décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôleNote de bas de page 3.

[12] Néanmoins, je suis convaincu par le raisonnement énoncé dans la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Jean, qui évoque l’un des moyens d’appels prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et souligne ce qui suit : « Il n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire ». J’examinerai donc l’appel en me reportant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement, et non au [traduction] « caractère raisonnable » ou à la norme de contrôle.

Principes généraux

[13] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale est habilitée à examiner et à apprécier les éléments de preuve dont elle est saisie et à tirer des conclusions de fait. Elle applique ensuite le droit à ces faits afin de tirer des conclusions sur les questions de fond soulevées en appel.

[14] Pour sa part, la division d’appel ne peut intervenir dans une décision de la division générale que si elle peut déterminer que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de Loi sur le MEDS, lesquels sont exposés ci-dessous :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Prolongation de la période de référence

[15] La division générale a conclu qu’il n’y avait aucune preuve permettant de prolonger la période de référence de la prestataire au-delà des trois semaines déjà cernées par la Commission. Si la période de référence de la prestataire ne pouvait être prolongée, la prestataire ne pourrait pas démontrer qu’elle avait suffisamment d’heures pour être admissible aux prestations, et sa demande ne pourrait être antidatée aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. C’est sur cette base que la division générale a rejeté son appel. 

[16] Dans sa demande de permission d’en appeler, la prestataire a soutenu que la division générale n’avait pas tenu compte du fait qu’elle n’avait aucune rémunération associée aux périodes de paie 2, 8, 9 et 14 de son RE (GD3-19) et que ces semaines devraient également être comptabilisées pour prolonger la période de référence (en plus de la prolongation de trois semaines déjà comptabilisée par la Commission). La prestataire était également préoccupée par l’ambiguïté de la législation et a contesté l’effet de la législation dans la pratique. Elle a laissé entendre que la division générale avait commis une erreur en ne fournissant pas de directives relativement à la façon dont elle pouvait prouver qu’elle n’était pas employée pour cause de maladie ou de grossesse.

[17] La Commission a déclaré avoir examiné l’analyse du membre du Tribunal et reconnaît que celui-ci a omis de vérifier si la prestataire devait travailler pendant les périodes de paie 2, 8, 9 et 14 figurant sur le RE (GD3-19) et si elle était incapable de travailler pour cause de maladie. 

[18] Je suis d’accord. Je remarque que la division générale n’a pas constaté que la semaine du 15 au 19 février, qui correspond à la deuxième période de paie sans rémunération du RE de 2016, était une semaine de travail de quatre jours en raison d’un congé provincial. Je constate également que la division générale n’a pas tenu compte des semaines additionnelles sans rémunération de sa période d’emploi, lesquelles étaient corroborées par son RE ou par son témoignage selon lequel elle devait prévoir des journées d’absence en raison d’une résurgence des symptômes. Ces journées de travail n’ont pas été incluses dans le nombre de journées de travail prévues qu’elle a annulées. Je remarque que deux des journées de travail annulées qui ont été comptabilisées par la division générale correspondent à des semaines au cours desquelles la prestataire n’a pas travaillé autrement : les périodes de paie nulles 9 et 14.

[19] Par conséquent, en concluant qu’il n’y avait aucune preuve permettant de soutenir que la période de référence de la prestataire pouvait être prolongée davantage, la division générale a omis de tenir compte des éléments portés à sa connaissance et, par le fait même, a commis une erreur aux termes de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[20] Compte tenu de cette constatation, je n’ai pas à examiner les préoccupations de la prestataire concernant la clarté de la législation ou le fait que la Commission ne l’a pas informée de la preuve qui serait exigée pour établir sa demande.

[21] À la lumière des observations de la Commission, j’ai examiné s’il y avait lieu d’exercer le pouvoir que me confère l’article 59 de la Loi sur le MEDS, soit celui de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Toutefois, je ne considère pas que le dossier soit complet à cette fin. Je comprends que la Commission a mené des enquêtes additionnelles et qu’elle s’est assurée qu’elle pourrait prolonger davantage la période de référence de sorte que l’antidatation de la demande de la prestataire pourrait rendre cette dernière admissible aux prestations. Cependant, les éléments de preuve que la Commission a obtenus dans le cadre de sa récente enquête n’ont pas été soumis à la division générale. La Cour fédérale a confirmé que la division d’appel n’accepte pas de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 4, et il en est de même pour moi.

Conclusion

[22] L’appel est accueilli. Je renvoie l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen.

[23] La division générale doit tenir compte des éléments de preuve et des observations de la Commission concernant l’enquête qu’elle a menée après que la décision relative à la permission d’en appeler a été rendue.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 17 avril 2018

Téléconférence

J. C., appelante

D. C., représentant de l’appelante

S. Prud’Homme, représentante de l’intimée par écrit seulement

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