Assurance-emploi (AE)

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Décision et Motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à la division générale en vue d’une décision rendue sur le fond.

Apercu

[2] L’appelant, Mme Cole (prestataire), a touché des prestations d’assurance-emploi de juillet à décembre 2011. L’intimée, à savoir la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a découvert par la suite que la prestataire avait été employée autonome en tant qu’entraîneuse en conditionnement physique pendant la période qu’elle touchait des prestations. La Commission a évalué un versement excédentaire de prestations, imposé une pénalité parce que l’appelante a sciemment fait de fausses déclarations selon lesquelles elle n’était pas employée autonome, et produit un avis de violation.

[3] À la suite d’une demande de révision infructueuse, la prestataire a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. La prestataire a interjeté appel devant la division générale en janvier 2016 au moyen du formulaire normalement réservé à la permission d’en appeler devant la division générale; de plus, l’appel n’était pas accompagné de la décision découlant de la révision et faisant objet de l’appel. La division générale a informé la prestataire que l’appel était incomplet, et la prestataire a correctement présenté un appel complet à la division générale le 23 février 2016 après avoir obtenu une copie de la décision découlant de la révision rendue par la Commission. La division générale a rejeté l’appel au motif que l’appel a été présenté en retard et plus d’un an après la date à laquelle la décision découlant de la révision a été rendue. Depuis, la permission d’en appeler relativement à la décision de la division générale a été accordée, et l’affaire est maintenant présentée devant la division d’appel.

[4] L’appel est accueilli. Le refus par la division générale de donner suite à l’appel était fondé sur une conclusion erronée selon laquelle la décision découlant de la révision avait été communiquée à la prestataire le 19 juillet 2013.

Question en litige

[5] La division générale a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion selon laquelle la décision découlant de la révision avait été communiquée à la prestataire le 19 juillet 2013?

Analyse

Norme de contrôle

[6] Les moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont semblables aux moyens habituels de contrôle judiciaire, ce qui donne à penser que le même type d’analyse de la norme de contrôle pourrait également s’appliquer devant la division d’appel. Cependant, la Cour d’appel fédérale a produit une jurisprudence relativement récente dans laquelle on n’insiste pas sur l’application des normes de contrôle, et je n’estime pas qu’une analyse des normes de contrôle soit nécessaire.

[7] Dans l’arrêt JeanNote de bas de page 1, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle n’était pas tenue de trancher la question relativement à la norme de contrôler que la division d’appel devait appliquer, mais elle a également conclu qu’elle n’était pas convaincue que les décisions de la division d’appel devraient faire l’objet d’une analyse de la norme de contrôle. La Cour a remarqué que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[8] De plus, la Cour a souligné qu’un tribunal d’appel administratif n’a pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[9] Dans l’arrêt HuruglicaNote de bas de page 2 rendu récemment, la Cour d’appel fédérale a eu recours directement à la norme de contrôle appropriée, mais elle l’a également fait dans le contexte d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes ayant guidé le rôle des cours quant au contrôle judiciaire de décisions administratives ne s’appliquent pas dans une structure administrative à plusieurs niveaux, et que les normes de contrôle devraient uniquement être appliquées si leur application est prévue par la loi habilitante.

[10] La loi habilitante concernant les appels administratifs des décisions en matière d’assurance-emploi est la Loi sur le MEDS, et celle-ci ne prévoit pas qu’un examen doit être effectué conformément aux normes de contrôle.

[11] Je reconnais que l’applicabilité d’une telle analyse dans un processus d’appel administratif ne fasse pas l’unanimité au sein de la Cour d’appel fédérale : d’autres décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôleNote de bas de page 3.

[12] Néanmoins, je suis convaincu par le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Jean, lorsqu’elle a renvoyé à l’un des moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS et qu’elle a souligné ce qui suit : « Il n’est nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. » J’examinerai donc l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement, et non au [traduction] « caractère raisonnable » ou aux normes de contrôle.

Principes généraux

[13] Le rôle de la division d’appel est plus limité que celui de la division générale. La division générale doit prendre en considération et soupeser la preuve dont elle est saisie, et tirer des conclusions de fait. La division générale applique ensuite le droit à ces faits afin de rendre des conclusions sur les questions de fond soulevées par l’appel.

[14] En revanche, la division d’appel ne peut pas intervenir dans une décision de la division générale, sauf si elle peut conclure que cette dernière a commis l’un des types d’erreurs appelés « moyens d’appel » à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

La division générale a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion selon laquelle la décision découlant de la révision a été communiquée à la prestataire le 19 juillet 2013?

Date de la communication déterminée exclusivement selon la date de la lettre de la décision découlant de la révision

[15] La division générale a commis une erreur en concluant que la décision avait été communiquée à la prestataire le 19 juillet 2013, date de la lettre de la décision découlant de la révision.

[16] L’article 52 de la Loi sur le MEDS prévoit que le délai prévu pour la présentation d’un appel est calculé à partir de la date à laquelle la décision est communiquée, et non la date de la lettre de décision :

(1) L’appel d’une décision est interjeté devant la division générale selon les modalités prévues par règlement et dans le délai suivant :

a) dans le cas d’une décision rendue au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision;

[...]

(2) La division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel.

[17] La division générale s’est fondée sur la date de la lettre de révision comme date de communication. Cependant, la Commission a reconnu dans sa lettre datée du 4 février 2016 que la décision découlant de la révision avait été envoyée par la poste le 19 juillet 2013. Le fait que la décision ait été envoyée par la poste le 19 juillet 2013 n’appuie pas une conclusion selon laquelle la prestataire aurait reçu la lettre le même jour, et il n’y avait aucune preuve laissant entendre que la division a été communiquée d’une autre façon.

[18] Au contraire, la preuve de la prestataire faisait état que la version originale de la décision découlant de la révision ne lui est pas parvenue et qu’elle a seulement appris ultérieurement cette décision. Dans son avis d’appel devant la division générale, elle a déclaré avoir [traduction] « demandé la révision le 21 janvier 2016 après avoir été mise au courant d’une décision antérieure dont [elle n’avait] pas été informée » et elle a également déclaré avoir parlé avec une agente ou un agent de la Commission le 4 février 2016, qui lui a dit que la Commission ne pouvait pas confirmer la livraison de la décision. Le fardeau de la preuve incombe à la Commission d’établir qu’elle a effectivement communiqué la décisionNote de bas de page 4, mais la Commission n’a pas contesté qu’elle était dans l’impossibilité de confirmer la livraison.

[19] À mon avis, il est extrêmement improbable que la lettre de la décision découlant de la révision ait été reçue par la prestataire le même jour que la Commission l’a envoyée par la poste. Au même moment, la division générale a complètement ignoré la preuve de la prestataire quant au moment où elle a réellement appris la décision ou reçu une copie de la décision. Par conséquent, la conclusion de la division générale selon laquelle la décision a été communiquée à la prestataire le 19 juillet 2013 a été tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Refus de la prorogation fondé sur la conclusion selon laquelle la décision a été communiquée à la date de la lettre de la décision découlant de la révision

[20] De plus, la décision de la division générale de refuser la prorogation de délai était fondée sur cette conclusion erronée. La division générale n’avait pas besoin de conclure que la date avait été communiquée à une date précise afin de conclure qu’elle ne pouvait pas prendre en considération la prorogation, mais, pour se fonder sur l’article 52(2) de la Loi sur le MEDS, elle aurait quand même dû conclure que la division avait été communiquée à un moment donné plus d’un an avant la date à laquelle la prestataire a interjeté appel. En l’espèce, la seule conclusion de la division générale était celle selon laquelle la décision avait été communiquée le 19 juillet 2013, et la seule preuve sur laquelle elle s’est fondée était la date de la lettre de la décision.

[21] J’estime que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et que la prestataire a soulevé le moyen d’appel prévu à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Réparation

[22] Je dois maintenant déterminer si je dois renvoyer l’affaire devant la division générale ou si je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[23] La seule preuve directe portant sur la date à laquelle la décision a été communiquée provient de la prestataire. La prestataire avait écrit à la Commission afin de procéder à une révision le 18 janvier 2016 (la lettre aurait été estampillée par Service Canada le 21 janvier 2016). Cette lettre était jointe à sa demande d’appel initiale et incomplète. Une lettre datée du 12 février 2016 et rédigée par la Commission était jointe à l’avis d’appel qu’elle a soumis à nouveau à la division générale. Il s’agissait de la réponse de la Commission à la nouvelle demande de révision de la prestataire dans laquelle la Commission informe cette dernière que la décision avait déjà fait l’objet d’une révision dans la décision du 19 juillet 2013. Elle prétend qu’une copie de la version originale de la décision découlant de la révision est jointe à la lettre. Dans son avis d’appel, la prestataire a déclaré ce que suit  : [traduction] « Nous avons demandé une révision le 2016-01-21 après avoir été mis au courant d’une décision antérieure dont on ne nous avait pas informés. Service Canada nous a conseillé de présenter une demande de révision [...] ce que nous avons fait le 2016-01-21. » Il ne semblait pas y avoir une preuve contredisant la prestataire.

[24] Beaucoup de temps s’est écoulé entre la date de la demande originale de révision et la décision, et il y aurait lieu de s’attendre à ce que la prestataire ait cherché à obtenir de plus amples renseignements. Cela dit, je ne constate aucun processus évident en cours au sein de la Commission. Il existe seulement une communication signalée entre la Commission et la prestataire (autre que la demande originale de révision présentée par la prestataire et la décision découlant de la révision datée du 19 juillet). Il s’agissait d’un appel d’une agente ou d’un agent de la Commission à l’époux de la prestataire visant à l’informer que la Commission d’avait pas reçu la permission de discuter de la demande avec l’époux et que’elle devait parler à la prestataire.

[25] La prestataire a confirmé qu’il n’y avait eu aucune communication avant la délivrance de la décision découlant de la révision (GD2A-3), et le dossier de révision ne comprend aucun autre document concernant une entrevue, une lettre, un appel ou une tentative d’appel à l’intention de la prestataire ou de son époux. Autrement dit, il n’y a aucune communication consignée avec la requérante qui donnerait à penser qu’une décision était en voie d’être rendue ou avait été rendue et qu’il n’y avait eu aucun progrès dans le dossier qui aurait permis à la prestataire de savoir qu’une enquête était en cours ou avait été effectuée, qu’une décision était en voie d’être rendue ou avait été rendue ou que la Commission lui avait envoyé une décision par la poste. Au mieux, le dossier de la demande est ambigu quant à la question de savoir si une enquête avait été même lancée afin qu’on puisse s’attendre à une décision.

[26] Je souligne également que la prestataire était simultanément dans un processus prolongé indéfiniment pour obtenu un jugement de l’Agence du revenu du Canada (ARC) relativement à la question de savoir si son emploi était assurable, et il semblerait que la prestataire estimait que l’issue du processus de l’ARC était pertinent relativement à la décision de la Commission (voir GD24-5). À mon avis, il serait raisonnable que la prestataire ait estimé que l’état apparemment dormant de sa demande de révision devant la Commission parce qu’un processus parallèle d’enquête de déterminant était en cours au sein de l’ARC.

[27] En ce qui concerne la question de savoir le moment où une décision est communiquée, la Cour fédérale a déclaré dans l’arrêt Atlantic CoastNote de bas de page 5 qu’ [traduction] « une mesure favorable est nécessaire de la part du décideur afin de communiquer ses décisions aux parties directement concernées ». Dans l’arrêt CousinsNote de bas de page 6, la Cour fédérale a expliqué que la décision rendue antérieurement dans l’arrêt Atlantic en déclarant que cette décision a été rendue parce que les renseignements reçus par les personnes touchées dans l’arrêt Atlantic étaient ambigus.

[28] En l’espèce, la Commission n’a pas établi que la lettre de décision avait été communiquée (avant la copie envoyée à la prestataire en février 2016), et d’autres communications évidentes à la lecture du dossier sont vagues et d’une importance incertaine. Les circonstances du processus d’enquête et de révision sont si mal définies qu’il est impossible de présumer que la prestataire savait qu’il existait ou qu’il aurait dû exister une décision découlant de la révision.

[29] J’estime que la décision découlant de la révision a finalement été communiquée le 18 février 2016, date à laquelle la prestataire a reçu une copie écrite de la décision découlant de la révision (GD2A-3). Je reconnais que la prestataire a admis savoir qu’une décision avait été rendue même avant le 21 janvier 2016. Elle a également déclaré qu’une agente ou un agent de la Commission avait communiqué avec elle le 4 février 2016 après avoir envoyé une nouvelle demande de révision. Cependant, il n’existe aucun autre renseignement sur la façon dont elle a initialement appris la décision ou la personne dont elle l’a appris, et rien n’est consigné au sujet de la discussion entre l’agente ou l’agent et elle en février. Je ne peux pas présumer que le contenu de la lettre de révision, y compris les décisions prises sur les différentes questions, a été entièrement communiqué à la prestataire à tout moment avant la réception d’une copie de la lettre de révision.

[30] Je conclus que la meilleure preuve appuie l’établissement d’une date de communication au 18 février 2016, soit seulement sept jours avant l’accueil de l’avis d’appel complet par la division générale. Par conséquent, j’estime que je pourrais bien rendre la décision que la division générale aurait dû prendre selon le pouvoir qui m’est conféré en vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS. L’appel a été présenté dans les 30 jours suivant la date à laquelle la décision a été communiquée, comme il prévu à l’article 52(1) de la Loi sur le MEDS. L’appel n’est pas tardif et peut ainsi être instruit.

Conclusion

[31] L’appel est accueilli.

[32] L’affaire est renvoyée devant la division générale afin qu’une décision soit rendue sur le fond.

Mode d’instruction :

Comparutions :

Sur la foi du dossier

E. C., appelante
S. C., représentant de l’appelante
Au moyen d’observations écrites

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