Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, S. W., a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE) en 2014. Elle a perdu son emploi en octobre 2014. Son employeur, Santé Canada, a mis fin à son emploi pour inconduite. Elle soutient que c’est le harcèlement en milieu de travail qui a donné lieu à la perte de son emploi, et non son inconduite.

[3] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a refusé les prestations d’AE parce qu’elle a déterminé que l’appelante a perdu son emploi par suite de son inconduite. Son employeur a affirmé qu’elle avait fait une menace à l’endroit d’un autre employé et qu’elle avait été congédiée lorsque la menace a été mise au jour.

[4] La division générale a établi que l’appelante avait été congédiée pour avoir envoyé à son syndicat un courriel qui menaçait la vie d’un collègue, que cette conduite était délibérée et imprudente et qu’elle aurait dû savoir que cette conduite était d’une nature si sérieuse qu’elle mènerait à son congédiement. Par conséquent, la conduite de l’appelante constitue de l’inconduite, et elle est exclue du bénéfice des prestations d’AE.

[5] L’appelante interjette appel de la décision de la division générale en raison d’un manquement à la justice naturelle, d’erreurs de droit et de conclusions de fait comportant de graves erreurs. La division d’appel du Tribunal a accordé la permission d’en appelerNote de bas de page 1.

[6] L’appelante cherche également à obtenir un arrêt des procédures sur le fondement d’une prétendue partialité du membre de la division générale et de la période de temps depuis laquelle elle a présenté une demande de prestations d’AE.

[7] Cet appel a été instruit par téléconférenceNote de bas de page 2. L’appelante et l’intimée y ont participé.

[8] La division d’appel estime que la division générale n’a pas commis d’erreur révisable.

Questions en litige

[9] Question préliminaire : la division d’appel a-t-elle la compétence d’examiner la requête en arrêt des procédures?

[10] L’appelante soulève de nombreux moyens d’appel. Après avoir abordé les normes de contrôle que la division d’appel doit appliquer lorsqu’elle examine les décisions de la division générale, j’aborderai les questions précises soulevées par l’appelante :

Question en litige no 1 : la division générale a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle en particulier, a) en ajournant l’audience de la division générale et en acceptant d’autres éléments de preuve au dossier ou b) en faisant preuve de partialité?

Question en litige no 2 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en admettant en preuve le courriel du 30 juin 2014?

Question en litige no 3 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve?

Question en litige no 4 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de conclure que l’intimée ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve?

Question en litige no 5 : la division générale a-t-elle axé sa décision sur des erreurs graves contenues dans les conclusions de fait, à savoir particulièrement a) que l’appelante a envoyé un courriel qui contenait une menace et b) que cette conduite constituait de l’inconduite?

Analyse

[11] Les seuls moyens d’appel devant la division d’appel sont les suivants : la division générale a commis une erreur de droit; elle n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 3.

Question préliminaire : la division d’appel a-t-elle la compétence d’examiner la requête en arrêt des procédures de l’appelante?

[12] L’appelante cherche à obtenir un arrêt des procédures et une ordonnance exigeant que l’intimée lui verse ses prestations d’AE immédiatement. Ses arguments sont les suivants : le membre de la division générale a fait preuve de partialité, l’intimée n’a pas mené son enquête adéquatement, le membre de la division générale a ajourné l’audience et a admis d’autres éléments de preuve au dossier, et une ordonnance d’arrêt dissuaderait l’intimée de prendre trois ans pour rendre une décision.

[13] Cependant, je ne suis pas convaincue que la division d’appel ait le pouvoir juridique d’arrêter ces procédures.

[14] Tout d’abord, cette affaire n’est pas une procédure intentée contre l’appelante par la Couronne, comme des accusations criminelles ou un ordre de déportation. Cela découle de la demande de prestations d’AE de l’appelante et du refus de l’intimée de verser ces prestations au titre de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[15] Deuxièmement, le Tribunal a été créé par la loi et a seulement les pouvoirs qui lui sont conférés par ses lois constitutives. Il n’a pas les mêmes pouvoirs inhérents que les cours supérieures. Aucune disposition de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) ou la Loi sur l’AE ne confère au Tribunal le pouvoir d’accorder un arrêt des procédures ou une ordonnance d’arrêt.

[16] La Cour d’appel fédérale a soutenu à plusieurs reprises que la division d’appel de ce Tribunal n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 4. Ces dispositions ne contiennent aucune référence à un arrêt des procédures.

[17] J’ai demandé aux parties de relever le pouvoir juridique de la division d’appel de ce Tribunal d’ordonner un arrêt des procédures. L’appelante a mentionné que les cas d’AE où des arrêts ont été refusés étaient différents de son cas. L’intimée a répondu que la division d’appel n’a pas la compétence d’arrêter ces procédures.

[18] L’appelante a fait référence à l’arrêt BlencoeNote de bas de page 5 de la Cour suprême du Canada et à l’arrêt NormanNote de bas de page 6 de la Cour d’appel fédérale. Aucune de ces affaires n’aide l’appelante. La présente affaire n’est pas un cas de droits humains, et ne présente aucun enjeu relatif à la Charte canadienne des droits et libertés en question, et aucun de ces cas n’a soutenu que ce Tribunal (ou les tribunaux qui l’ont précédé) a la même compétence que les cours pour ordonner un arrêt des procédures.

[19] L’arrêt Blencoe était une affaire de discrimination devant la Human Rights Commission ayant trait à des plaintes pour harcèlement sexuel contre un ministre du gouvernement de C.-B. à la fin des années 1990. M. Blencoe, l’intimé, a prétendu un délai déraisonnable dans le traitement des plaintes contre lui et s’en est remis aux articles 7 et 11(b) de la Charte. La Cour d’appel de C.-B. avait ordonné que les procédures en matière de droits humains intentées contre lui soient suspendues. La Cour suprême du Canada avait soutenu que la Cour d’appel avait commis une erreur en appliquant des principes exposés dans un contexte criminel à des procédures en matière de droits humains. Elle avait conclu que [traduction] « il n’y a pas un droit constitutionnel à l’extérieur du contexte criminel permettant d’être jugé dans un délai raisonnable ». Elle discutait également de la question de savoir si un redressement était disponible pour l’intimé conformément aux principes du droit administratif (arrêt des procédures lorsqu’il y a eu abus de procédure).

[20] Dans l’arrêt Norman, une affaire d’AE dans le cadre de laquelle le prestataire avait été exclu du bénéfice des prestations et pénalisé, la Cour d’appel fédérale a discuté du cas Blencoe. Elle a noté que l’arrêt Blencoe portait sur les droits de la personne, et qu’une affaire d’AE traite de droits économiques, et non de droits humains. Elle a mentionné qu’elle avait [traduction] « de sérieuses réserves à faire lorsqu’il s’agissait d’appliquer aux droits économiques des principes élaborés dans le contexte des droits de la personne ». De plus, le juge-arbitre dans l’arrêt Norman a accueilli l’appel du prestataire parce qu’il a établi qu’il s’agissait d’un déni de justice naturelle, et il a été ordonné que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour qu’une décision soit prise; elle n’a pas fait l’objet d’une suspension. Bien que la Cour d’appel fédérale ait discuté de l’arrêt Blencoe et de la possibilité d’abus de procédure justifiant un arrêt des procédures dans le contexte du droit administratif, elle n’a pas commenté la question de savoir si le juge-arbitre avait la compétence pour ordonner l’arrêt des procédures. La Cour fédérale d’appel détient cette compétence inhérente, mais elle ne s’est pas prononcée sur la compétence du juge-arbitre. De toute façon, ce n’est pas ce que le juge-arbitre a fait. De plus, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision du juge-arbitre et a renvoyé l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit prise au motif que le prestataire n’était pas admissible aux prestations.

[21] Sans pouvoir juridique clair permettant à la division d’appel d’arrêter les procédures, une analyse de la question de savoir si la preuve dans la présente affaire répond au seuil élevé discuté dans les arrêts Blencoe et Norman n’est pas nécessaire.

[22] De plus, la demande visant à obtenir une ordonnance exigeant que l’intimée verse les prestations d’AE immédiatement sans poursuivre cet appel sur le fond est essentiellement une demande d’ordonnance enjoignant l’intimée de rendre une décision en faveur de l’appelante. Cela équivaut à un bref de mandamusNote de bas de page 7 et le Tribunal n’a pas la compétence pour juger d’une telle demande. La division d’appel a le pouvoir d’ordonner un paiement de prestations d’AE conformément à la Loi sur l’AE et sur le Règlement sur l’assurance-emploi seulement si l’appel sur le fond est accueilli.

Normes de contrôle (ou déférence à l’égard de la division générale)

[23] Lorsque la division d’appel examine une décision de la division générale, doit-elle appliquer les normes de contrôle telles qu’adoptées dans l’arrêt DunsmuirNote de bas de page 8 ou les critères légaux que la Loi sur le MEDS associe aux questions de justice naturelle, aux questions de droit et aux questions de fait? L’approche applicable détermine aussi la question de savoir si la division d’appel doit faire preuve de déférence à l’égard de la division générale au sujet de ces questions.

[24] L’appelante n’a présenté aucune observation au sujet de la déférence, s’il y a lieu, dont la division d’appel doit faire preuve à l’égard de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis une erreur et que la division d’appel devrait accueillir son appel et ordonner qu’elle soit admissible aux prestations d’AE.

[25] L’intimée soutient que l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS laisse entendre que la division d’appel devrait faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. L’intimée fait valoir que la division d’appel devrait appliquer la norme de la décision correcte aux questions de droit et la norme de la décision raisonnable aux questions mixtes de faits et de droit.

[26] Il semblerait y avoir des divergences au sujet de l’approche que la division d’appel devrait adopter pour réviser les décisions rendues par la division généraleNote de bas de page 9 portées en appel et, si les normes de contrôle doivent être appliquées, de la question de savoir si la norme de contrôle pour les questions de droit et de justice naturelle diffère de la norme de contrôle pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[27] Compte tenu du fait que les tribunaux doivent encore résoudre ou fournir des éclaircissements au sujet de cette divergence apparente, je me pencherai sur cet appel en appliquant le libellé de la Loi sur le MEDS sans référence aux critères « raisonnable » et « correct » en lien avec la norme de contrôle.

[28] L’appel devant la division générale portait sur la question de savoir si les actions de l’appelante constituaient de l’inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

[29] L’appel devant la division d’appel repose sur des questions distinctes d’erreurs de droit et de fait et des principes de justice naturelle.

Question en litige no 1 : la division générale a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle, particulièrement a) en ajournant l’audience de la division générale et en acceptant d’autres éléments de preuve au dossier ou b) en faisant preuve de partialité?

[30] J’estime que la division générale n’a pas omis d’observer un principe de justice naturelle.

[31] La division générale a d’abord tenu une audience par téléconférence le 17 septembre 2015Note de bas de page 10. Les dossiers du Tribunal montrent que :

  1. l’appelante et l’intimée ont présenté de l’information additionnelle en juillet 2015, après que l’avis d’audience ait été produitNote de bas de page 11;
  2. environ une heure avant le début de l’audience, l’appelante a communiqué avec le Tribunal et a déclaré vouloir soumettre des documents pour son audience. On lui a dit qu’elle devrait parler avec le membre de la division générale à l’audience. Elle a envoyé ces documents au Tribunal par courrielNote de bas de page 12.
  3. le membre ne les avait pas reçus au moment de l’audience. Étant donné que l’appelante a mentionné que la preuve additionnelle était importante pour sa cause, le membre a ajourné l’audience au 1er décembre 2015Note de bas de page 13.

[32] L’appelante soutient que les motifs de l’ajournement n’ont pas été décrits correctement dans la lettre d’ajournement; elle voulait que l’audience se poursuive, et le membre a décidé d’ajourner l’audience quand même. Elle fait aussi valoir que l’ajournement a donné à l’intimée et au Tribunal du temps pour chercher de plus amples renseignements auprès de son ancien employeur et leur a permis d’utiliser cette preuve à la nouvelle date d’audience. Elle insiste sur le fait que le membre de la division générale aurait dû lui demander, à elle, des renseignements additionnels s’il avait l’intention de se fier sur les nouveaux éléments de preuve soumis par l’intimée ou l’employeur. Pour ces raisons, l’appelante soutient avoir une crainte raisonnable de partialité de la part du membre de la division générale.

a) Ajournement d’audience et preuve additionnelle

[33] Le membre de la division générale a déterminé que l’employeur avait un intérêt direct dans cet appel et a décidé d’ajouter l’employeur comme partie mise en cause à l’appelNote de bas de page 14. Le Tribunal a envoyé une lettre à toutes les parties pour les aviser de cette décision. La lettre demandait aussi à l’employeur des renseignements au sujet de la sécurité de ses systèmes informatiques et si quelqu’un peut facilement accéder à l’ordinateur d’un autre employé.

[34] La partie mise en cause a répondu à la lettre et a répondu aux questions posées par la division généraleNote de bas de page 15. La lettre stipulait aussi qu’une décision du Tribunal [traduction] « n’aura pas d’incidence sur la conclusion selon laquelle [l’appelante] a été jugée coupable pour un geste sérieux d’inconduite qui a mené à la décision de mettre fin à son emploi ». Une copie de ce document a été envoyée à l’appelante et à l’intimée le 7 novembre 2015.

[35] Un avis d’audience a été envoyé aux parties le 9 novembre 2015, mentionnant que le membre de la division générale avait fixé une nouvelle date d’audience au 7 décembre 2015 en raison d’un conflit d’horaire. L’audience par téléconférence a eu lieu et a pris fin le 7 décembre 2015.

[36] L’appelante conteste les ajournements accordés par le membre de la division générale. Cependant, le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule tout en tenant compte de l’équité et de la justice naturelle et peut modifier une disposition du Règlement sur le TSS ou exempter une partie de son applicationNote de bas de page 16.

[37] Que les documents additionnels soumis par l’appelante juste avant le moment de l’audience du 17 septembre 2015 aient été disponibles ou non au membre de la division générale, ces documents n’avaient pas été fournis à l’intimée. Les principes de justice naturelle s’appliquent à toutes les parties à un appel, pas seulement à l’appelante.

[38] Le membre de la division générale a déterminé qu’il était dans l’intérêt de la justice naturelle d’ajourner l’audience le 17 septembre 2015, et que l’audience devrait avoir lieu le 7 décembre 2015 plutôt que le 1er décembre en raison d’un conflit d’horaire. Il avait l’autorité et le pouvoir discrétionnaire de le faire, et aucune violation des principes de justice naturelle n’a découlé de cette décision.

[39] Quant à l’ajout de l’employeur comme partie mise en cause à cette affaire, le Tribunal peut ajouter une partie à une procédure de sa propre initiativeNote de bas de page 17. La division générale a observé les principes de justice naturelle lorsqu’elle a déterminé que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel et a ordonné qu’il soit ajouté comme partie mise en cause. De plus, il a l’autorité et le pouvoir discrétionnaire de demander de l’information de l’une ou l’autre des parties, et sa demande d’information relativement à la sécurité des systèmes informatiques de l’employeur s’inscrit dans le cadre de ce pouvoir discrétionnaire. Une copie de la réponse de l’employeur a été envoyée aux autres parties bien avant l’audience de la division générale. Aucun manquement à un principe de justice naturelle n’a découlé de cela.

b)   Partialité alléguée du membre de la division générale

[40] L’appelante prétend qu’il y a eu partialité réelle ainsi qu’une crainte raisonnable de partialité, d’après la manière dont le membre de la division générale a mené les procédures.

[41] Un appelant a droit à une audience équitable où il a pleinement l’occasion de présenter sa cause à un décideur impartialNote de bas de page 18. Dans la décision ArthurNote de bas de page 19, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une allégation de partialité ou de préjugé d’un tribunal est une allégation sérieuse. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme.

[42] L’appelante se fonde sur les ajournements, l’information fournie par la partie mise en cause, les questions et commentaires du membre de la division générale à l’audience (qu’elle décrit comme du [traduction] « harcèlement ») et son traitement de la preuve pour appuyer ses allégations de partialité.

[43] J’ai déjà abordé la question des ajournements et de la partie mise en cause, ci-dessus.

[44] L’appelante a exprimé ses inquiétudes au sujet du courriel du 30 juin 2014 qui a servi de preuve à l’audience de la division générale. Le membre de la division générale a examiné le courriel et a posé des questions à l’appelante à ce sujet. Il n’a pas exclu le courriel, comme l’a demandé l’appelante, et l’a apprécié avec les autres éléments de preuve documentaires et oraux. Cela n’a pas démontré de partialité. L’analyse et l’appréciation de la preuve relèvent du mandat de la division générale.

[45] Même si l’on acceptait d’emblée les arguments de l’appelante, la preuve ne démontre pas que la division générale n’a pas donné amplement l’occasion à l’appelante d’être entendue ou que la division générale s’est fondée sur des préjugés ou a fait preuve de partialité. D’après la description qu’a faite l’appelante de l’audience et l’écoute de l’enregistrement audio de l’audience, j’estime qu’il n’y a pas eu de preuve de harcèlement à l’endroit de l’appelante pendant l’audience ou de conduite l’ayant empêchée de présenter sa cause.

[46] Même si l’appelante a pu ne pas apprécier les questions du membre à l’audience devant la division générale, la preuve ne démontre pas que la conduite de la division générale a dérogé aux normes concernant le droit d’être entendu et le droit à une audience équitable. Le droit d’être entendu n’autorise pas les parties à défendre leur cause en l’absence de toute question ou contestation.

Question en litige no 2 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en admettant en preuve le courriel du 30 juin 2014?

[47] J’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur en admettant ce courriel en preuve.

[48] L’appelante a donné de nombreuses raisons pour expliquer son argument selon lequel ce courriel aurait dû être exclu de la preuve, notamment le fait qu’il était caviardé, protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat, protégé par le privilège relatif au litige, qu’il est le [traduction] « fruit de l’arbre empoisonné » et qu’elle n’a jamais admis avoir envoyé ce courriel.

[49] Le courriel du 30 juin 2014 se trouve à la page GD3-32, entre autres, dans le dossier d’appel. Le champ « De » montre S. W./HC-SC/GC/CA (le courriel de l’appelante au travail) comme expéditrice. Le champ « À » est vide, ayant été caviardé, et la salutation qui suit le mot [traduction] « Bonjour » a aussi été caviardée. L’objet s’intitule : [traduction] « Demande de grief : demande de congé familial refusé », et la date et l’heure indiquées : le 30 juin 2014, à 19 h 13. Le troisième paragraphe se lit comme suit : [traduction] « nous devons retirer [nom caviardé] en tant que mon superviseur/approbateur de congé le plus rapidement possible. Il n’est pas favorable à ma santé et sécurité au travail. J’en ai assez de la violence constante en milieu de travail. Un jour, bientôt, je vais craquer et je vais apporter un de mes fusils au travail et je vais tirer sur ce salaud ».

[50] Je ferai référence à ce courriel en l’appelant « le courriel ».

[51] L’employeur a fourni une copie du courriel à l’intiméeNote de bas de page 20. Le courriel a été envoyé à partir du système de courrier électronique de l’employeur.

[52] En ce qui concerne le champ du destinataire et le nom qui suit la salutation « Bonjour », qui ont été caviardés, l’appelante a fourni une série de courriels ayant comme objet [traduction] « Grief pour congé familial », et le dernier courriel de cette série, de J. G. à l’appelante, était daté du 30 juin 2014 à 17 h 43. Elle a mentionné que le courriel a été envoyé à J. G., LL.B., et elle soutient qu’il était protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat (parce que la destinataire est une avocate travaillant comme agente des relations de travail auprès de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), le syndicat) et par le privilège relatif au litige (parce que l’appelante avait déposé un grief pour cause de harcèlement à l’encontre de son employeur, qui était en cours).

[53] L’appelante fait valoir que le caviardage du courriel a nui à sa capacité de montrer que le courriel a été envoyé à une avocate travaillant pour son syndicat. Cependant, le Tribunal n’a pas exclu la preuve de l’appelante relative à la destinataire du courriel. La division générale a accepté le fait que le courriel a été envoyé à une avocateNote de bas de page 21. Le caviardage du courriel, en ce sens, n’a pas eu d’impact sur l’argument de l’appelante selon lequel il fallait l’exclure en raison de présumés privilèges.

[54] L’appelante soutient que le courriel a été envoyé à la police par le syndicat et que l’employeur a été informé du courriel par la GRCNote de bas de page 22 et qu’ils sont allés ensuite dans son ordinateur dans le cadre de l’enquête criminelle afin d’obtenir une copie du courriel. Il s’ensuit que l’appelante soutient que le courriel est [traduction] « le fruit de l’arbre empoisonné » et aurait dû être exclu de la preuve dans le dossier d’appel.

[55] Je discuterai de chacun de ces concepts : le privilège du secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige et l’exclusion du [traduction] « fruit de l’arbre empoisonné ».

[56] La division générale a mentionné que l’appelante avait fait valoir que l’avocate avait violé un lien de confidentialité en divulguant le courriel à la police ou à l’employeurNote de bas de page 23. Devant la division d’appel, l’appelante a fait référence plus précisément au privilège du secret professionnel de l’avocat et au privilège relatif au litige.

[57] Le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique uniquement aux communications entre un avocat et son client pour les besoins d’une opinion juridique. Le privilège relatif au litige crée une zone de confidentialité en lien avec un litige en cours ou en attente.

[58] La preuve de l’appelante présentée à la division générale n’a pas établi qu’un privilège du secret professionnel de l’avocat ou un privilège relatif à un litige n’était rattaché au courriel. Le simple fait que la destinataire d’un courriel ait un baccalauréat en droit (LL.B.) et travaille pour le syndicat de l’appelante, et qu’une plainte pour harcèlement en milieu de travail soit en suspens ne signifie pas qu’un privilège se rattache au courriel. Le fait que l’appelante affirme que le courriel était visé par un privilège ne valide pas que tel était le cas.

[59] La destinataire du courriel n’a pas estimé que le courriel était visé par un privilège puisque le syndicat de l’appelante l’a signalé à la GRC. La GRC a avisé l’employeur et a mené une enquête, et une ordonnance restrictive a été émise à l’encontre de l’appelante. Le courriel a été envoyé à partir du système de courrier électronique de l’employeur, auquel l’employeur avait accès.

[60] La référence au « fruit d’un arbre empoisonné » est une doctrine relative à la preuve, qui peut donner lieu à l’exclusion de la preuve, qui a été créée par les tribunaux dans des cas de poursuites criminelles. Cette doctrine du droit criminel a été intégrée aux articles 8 et 24(4) de la Charte, en ce qui a trait aux fouilles et aux saisies illégales et est limitée aux affaires criminelles. Cette doctrine, quelle qu’en soit la formulation, ne s’applique pas en l’espèce, car cette affaire n’est pas une poursuite criminelle.

[61] Les arguments de l’appelante axés sur les concepts de privilège et de « fruit de l’arbre empoisonné » constituent des diversions. La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en omettant d’analyser ces arguments dans sa décision.

[62] Quant à l’argument de l’appelante selon lequel elle n’a jamais admis avoir envoyé le courriel, il est aussi sans fondement. L’intimée n’a pas besoin de prouver hors de tout doute raisonnable que l’appelante a envoyé le courriel. Le courriel existe, le syndicat l’a signalé à la GRC, et la GRC a émis une ordonnance restrictive à l’encontre de l’appelante et a mené une enquête.

[63] Le membre de la division générale a demandé à l’appelante si elle avait dit à son employeur qu’elle n’avait pas rédigé le courriel. Elle a répondu : [traduction] « Je n’ai jamais reconnu avoir envoyé le courriel ».

[64] Le Tribunal n’a pas besoin que l’appelante admette avoir envoyé ce courriel. Le bon sens prévaut simplement. Selon la prépondérance des probabilités et après avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve pertinents, la division générale a établi que l’appelante avait rédigé et envoyé le courrielNote de bas de page 24.

[65] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en admettant ce courriel en preuve.

Question en litige no 3 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve?

[66] J’estime que la division générale n’a pas omis de tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve pertinents.

[67] L’appelante soutient que la division générale aurait dû examiner la preuve selon laquelle l’employeur voulait se débarrasser d’elle parce qu’elle avait déposé des griefs pour harcèlement. Elle a fait référence à une liste de griefs qu’elle a déposésNote de bas de page 25 et à des lettres qu’elle avait envoyées à l’intimée et qui affirmaient qu’elle était victime de harcèlement en milieu de travail.

[68] Ces affirmations ne constituaient pas des éléments de preuve nécessitant une analyse. L’appel touche à la présumée inconduite de l’appelante et non au départ volontaire de l’appelante. Le dossier d’appel ne contient aucune autre information au sujet des griefs de l’appelante que le fait qu’elle en a déposé quelques-unsNote de bas de page 26.

[69] La partie mise en cause a suspendu l’appelante le 3 juillet 2014 en raison du courrielNote de bas de page 27. Son emploi a pris fin parce que son employeur a établi qu’elle avait proféré une menace de violence dans le courriel, ce qui constitue une inconduite sérieuse et graveNote de bas de page 28.

[70] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en omettant d’aborder précisément la preuve selon laquelle l’appelante avait déposé des griefs contre son employeur. Sa décision fait référence aux [traduction] « allégations de l’appelante de harcèlement en milieu de travail »Note de bas de page 29.

Question en litige no 4 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de conclure que l’intimée ne s’était pas acquittée de son fardeau de la preuve?

[71] J’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en omettant de conclure que l’intimée ne s’était pas acquittée de son fardeau de la preuve. L’intimée s’était acquittée de son fardeau.

[72] Il incombe à la Commission de démontrer que l’appelante a perdu son emploi en raison de sa propre inconduiteNote de bas de page 30. Le fait qu’il incombe à la Commission de démontrer l’inadmissibilité ne signifie pas que la Commission doit être la source de la preuve sur laquelle elle s’appuie. Chacune des parties peut s’appuyer sur les parties de la preuve qui soutiennent leur cause, et un des rôles de la division générale consiste à apprécier cette preuve et à établir les faits en évaluant l’ensemble de la preuve.

[73] De plus, le fardeau de la preuve dans une question d’AE n’est pas [traduction] « hors de tout doute raisonnable ». L’appelante qualifie le fardeau de [traduction] « lourd ». Cependant, la division générale a invoqué et appliqué à juste titre « la prépondérance des probabilités ».

[74] Les éléments suivants ne sont pas contestés : l’appelante a perdu son emploi, et le motif pour lequel l’employeur a mis fin à son emploi était qu’elle avait proféré une menace de violence dans le courriel, ce qui, pour l’employeur, constituait une inconduite sérieuse et graveNote de bas de page 31.

[75] L’appelante fait valoir que le fardeau de la preuve de la Commission reposait entièrement sur un courriel, autrement dit, que l’envoi du courriel est la seule conduite qui est présumée constituer de l’inconduite.

[76] Il ne fait pas de doute que l’envoi du courriel est la conduite que l’employeur et l’intimée ont déterminé constituer une inconduite, et une copie du courriel était dans le dossier. Cependant, ce n’est pas le seul élément de preuve au dossier que l’intimée pourrait utiliser pour s’acquitter du fardeau de la preuve.

[77] L’employeur avait établi que l’appelante avait rédigé et envoyé le courriel. La destinataire du courriel avait réagi à sa réception et l’a signalé à la police. La GRC a réagi en informant l’employeur, en menant une enquête et en émettant une ordonnance restrictive. Tout cela a été établi d’après la preuve du dossier d’appel.

[78] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, la division générale a établi que l’appelante avait écrit et envoyé le courriel. L’intimée s’est acquittée du fardeau de la preuve.

[79] L’appelante fait valoir que l’affirmation répréhensible dans le courriel n’était pas une menace, que l’envoi du courriel ne constitue pas de l’inconduite et que, par conséquent, l’intimée ne pouvait pas s’acquitter du fardeau de la preuve. Ces arguments seront traités ci-dessous dans la section des conclusions de fait.

Question en litige no 5 : la division générale a-t-elle fondé sa décision sur des erreurs graves dans les conclusions de fait, plus précisément, à savoir a) que l’appelante a envoyé un courriel qui contenait une menace et b) que cette conduite constituait de l’inconduite?

[80] Le courriel contenait-il une menace? La division générale a cité le texte et a établi qu’il contenait une menaceNote de bas de page 32. Cette conclusion de fait était fondée sur la documentation du dossier d’appel et la preuve, et sur les observations de l’appelante à l’audience devant la division générale.

[81] Le courriel énonçait : [traduction] « Un jour, bientôt, je vais craquer et je vais apporter un de mes fusils au travail et je vais tirer sur ce salaud ». La division générale a établi que cette déclaration était une menace.

[82] Cette conclusion de fait n’a pas été tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ni de façon abusive ou arbitraire.

[83] Cette conduite constitue-t-elle de l’inconduite? Cette question est une question mixte de faits et de droit.

[84] Je constate qu’il semble y avoir un manque de consensus dans la jurisprudence quant à la question de savoir si la division d’appel a compétence pour trancher des questions mixtes de fait et de droitNote de bas de page 33. Si la division d’appel n’a pas compétence, cela signifie que la division d’appel ne peut pas examiner la conclusion de fait tirée par la division générale.

[85] Je vais tout de même examiner cette question.

[86] La division générale s’est fondée sur la jurisprudence applicableNote de bas de page 34, a examiné la preuve au dossier et a établi que la conduite de l’appelante était [traduction] « délibérée et imprudente » et qu’elle [traduction] « avait volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail » et qu’elle aurait dû savoir que [traduction] « son geste, en envoyant un courriel de menace, était de l’inconduite d’une nature si sérieuse qu’elle mènerait à son congédiement »Note de bas de page 35.

[87] Ces conclusions de fait n’ont pas été tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ni tirées de façon abusive ou arbitraire.

[88] Le courriel a été envoyé à partir du système de courriel de l’employeur par l’appelante. Il contenait une menace d’une extrême violence à l’endroit d’un collègue. Le courriel était alarmant pour la destinataire, le syndicat, la GRC et l’employeur.

[89] L’appelante continue de soutenir que sa conduite ne pouvait pas être délibérée, puisqu’elle n’était pas dans un état d’esprit pour savoir ce qu’elle faisait, qu’elle ne savait pas que le fait d’exprimer de la frustration à une avocate dans un courriel pouvait mener à son congédiement et que l’élément psychologique de la conduite n’était pas présent. Elle a formulé des arguments semblables devant la division générale. Ce n’est pas le rôle de la division d’appel d’entendre la cause de novo (de nouveau).

Sommaire des erreurs alléguées

[90] J’ai établi que la division générale n’avait pas commis une erreur révisable.

Conclusion

[91] L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 16 novembre 2017

Téléconférence

S. W., non représentée

Rachel Paquette, représentante de l’intimée

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