Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La décision de la division générale est modifiée partiellement.

Aperçu

[2] L’appelant, K. B. (prestataire), a été informé de la suppression de son poste. Au lieu d’accepter la cessation d’emploi à la fin de décembre 2015, il a exercé l’option prévue par sa convention collective de demeurer à l’emploi et de présenter des soumissions pour des postes de remplacement auprès de l’employeur pour une période de six mois. À la fin de cette période, le prestataire n’avait pas trouvé un autre poste, et sa cessation d’emploi est devenue définitive. Il a reçu une somme de 92 236,80 $ à titre d’indemnité de départ. L’intimée, à savoir la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a conclu que cette indemnité constituait une rémunération et elle l’a répartie à partir du 3 janvier 2016. Le prestataire a demandé une révision, mais la Commission a maintenu sa décision. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en faisant valoir que son indemnité de départ n’aurait pas dû être répartie à une période antérieure au 1er juillet 2016.

[3] La division générale a rejeté l’appel, et le prestataire interjette maintenant appel devant la division d’appel. La seule question en litige est la date d’entrée en vigueur de la répartition.

[4] L’appel est accueilli. La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en ignorant ou en interprétant mal les dispositions de la convention et elle a commis une erreur en n’appliquant pas le critère prévu à l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement). La date de début de la répartition a été modifiée.

Question(s) en litige

[5] La division générale a-t-elle conclu à tort que le début de l’indemnité de départ devrait être la date à laquelle le poste du prestataire a été supprimé, et cette conclusion a-t-elle été tirée sans tenir compte des conditions de la convention?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 36(9) du Règlement?

Analyse

Norme de contrôle

[7] Les moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire, ce qui donne à penser que le même type de normes de contrôle que celles pourrait également s’appliquer à la division d’appel.

[8] Je n’estime pas que l’application des normes de contrôle soit nécessaire ou utile. Les appels administratifs des décisions en matière d’assurance-emploi sont régis par la Loi sur le MEDS. La Loi sur le MEDS ne prévoit pas qu’un examen doit être effectué conformément aux normes de contrôle. La Cour d’appel fédérale du Canada, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 1, était d’avis que les normes de contrôle devraient seulement être appliquées si la loi habilitante le prévoit. Il y est mentionné que les principes qui ont orienté le rôle des tribunaux quant au contrôle judiciaire des décisions administratives ne s’appliquent pas dans une structure administrative à plusieurs niveaux.

[9] L’arrêt Canada (procureur général) c JeanNote de bas de page 2portait sur le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel. La Cour d’appel fédérale n’avait pas à se prononcer quant à l’applicabilité des normes de contrôle, mais elle a reconnu dans ses motifs que les tribunaux administratifs d’appel n’ont pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale exercent lorsque les normes de contrôle sont appliquées. La Cour a également souligné que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[10] Certaines décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôleNote de bas de page 3, mais je suis néanmoins convaincue par le raisonnement de la Cour dans les arrêts Huruglica et Jean. J’examinerai donc l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement.

Principes généraux

[11] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale doit examiner et apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance et tirer des conclusions de fait. Elle doit ensuite appliquer le droit à ces faits afin de tirer des conclusions sur les questions de fond soulevées en appel.

[12] Afin que la division d’appel intervienne dans une décision de la division générale, la division d’appel doit conclure que la division générale a commis l’un des types d’erreurs prévus par les « moyens d’appel » à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[13] Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

La division générale a-t-elle ignoré ou mal interprété les conditions de la convention collective?

[14] L’article 36(9) du Règlement prévoit que toute rémunération payée ou payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi. La division générale a déclaré que la raison ou le motif de l’indemnité de départ détermine la date à laquelle la répartition doit commencerNote de bas de page 4 et elle a conclu que la suppression du poste du prestataire était le motif de l’indemnité de départNote de bas de page 5.

[15] Cette conclusion était fondée en partie sur la preuve du prestataire selon laquelle il aurait pu accepter l’indemnité de départ à tout moment dans la période de six mois suivant le 30 décembre 2015. Cependant, la division générale a seulement renvoyé de façon sélective à l’article 24.5(b)(i) de la convention entre le prestataire et l’employeur. À mon avis, la division générale n’a pas analysé l’article 24.5(b) dans son ensemble. L’article 24.5 est ainsi libellé :

[traduction]
4.5 Le membre du personnel qui a reçu un avis de suppression de son poste conformément au présent article qui n’obtient pas un autre poste permanent au sein de l’entreprise avant la date de cessation d’emploi a le droit de toucher une indemnité de départ.

Le membre du personnel a l’option de :

  1. a) toucher une indemnité de départ et mettre fin à l’emploi à la fin de la période de préavis;
  2. b) reporter la date de cessation d’emploi et le versement de l’indemnité de départ de six (6) mois et toucher les indemnités d’emploi supplémentaires conformément à l’article 4.
    1. i) Cette option ne doit pas dépasser la période d’emploi aux fins de calcul de l’indemnité de départ.
    2. ii) Les membres du personnel qui ont choisi cette option et acceptent un poste permanent au sein de l’entreprise avant la date de cessation de leur emploi ne seront pas admissibles à l’indemnité de départ.

[16] Le choix de la seconde option par le prestataire (article 24.5(b)) signifie que le prestataire a reporté sa cessation d’emploi et le versement de son indemnité de départ. Le prestataire a choisi de demeurer un employé afin d’accéder aux possibilités d’emploi à l’interne tout en accumulant des congés, en conservant son ancienneté et en acceptant une indemnité supplémentaire en plus de ses prestations d’assurance-emploi.

[17] Par conséquent, il serait plus exact d’affirmer que le prestataire aurait pu accepter de toucher l’indemnité de départ à tout moment pendant la période de six mois, mais seulement s’il mettait fin à son emploi. Pour qu’il mette fin à son lien d’emploi, il devrait également perdre les indemnisations continues qu’il a touchées dans le cadre de ce lien, ce qui comprenait un accès préférentiel à l’emploi pour d’autres personnes auprès de l’employeur ainsi qu’à certains autres incidents d’emploi.

[18] Non seulement l’admissibilité du prestataire à l’indemnité de départ se situait dans la période conditionnelle de six mois pour mettre fin au lien d’emploi, mais il aurait également pu être entièrement exclu du bénéfice de l’indemnité de départ au titre de l’article 24.5(b)(ii) de la convention s’il avait obtenu un poste de remplacement auprès de l’employeur.

[19] En acceptant la date à laquelle le poste du prestataire a été éliminé comme date de licenciement ou de la cessation d’emploi pour les besoins de l’article 36(9), la division générale a ignoré ou mal interprété l’article 24.5 et l’effet du report de la cessation par le prestataire au titre de l’article 24.5(b). J’estime qu’il s’agit d’une erreur prévue à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 36(9) du Règlement?

[20] Le prestataire a également fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit en répartissant l’indemnité de départ sur une période antérieure à celle à laquelle il était admissible. Le prestataire laisse entendre que l’article 36(9) fournit deux motifs distincts pour la rémunération payée ou payable : licenciement ou cessation d’emploi. Il fait valoir que son indemnité de départ a été versée en raison de sa cessation d’emploi et non en raison d’un licenciement. D’après cela, j’estime que le prestataire croit que la division générale a commis une erreur en choisissant cette raison qui est inapplicable dans les circonstances; elle a ainsi appliqué le mauvais critère.

[21] La division générale a conclu que le prestataire était admissible à une indemnité de départ en raison de la suppression de son poste. En l’espèce, la date à laquelle le poste du prestataire a été supprimé coïncidait avec sa dernière journée de travail, à savoir le 30 décembre 2015, mais la division générale ne déclare pas que le prestataire a été licencié en raison de la suppression du poste. Qui plus est, la division générale ne tire aucune conclusion selon laquelle le prestataire était admissible à l’indemnité de départ en raison du licenciement.

[22] Je conviens que la division générale est tenue par l’article 36(9) du Règlement de répartir les indemnités de départ à partir de la date de licenciement ou de cessation d’emploi, selon la question de savoir si l’indemnité de départ a été versée ou si elle était payable en raison du licenciement ou de la cessation d’emploi. Le prestataire semble soutenir que la division générale a conclu à tort que la répartition devait être effectuée à parti de la date de licenciement, mais j’estime que la division générale n’ pas réparti l’indemnité de départ en se fondant sur le licenciement ou la cessation d’emploi. Même si l’effet de la décision de division générale est de répartir la rémunération à partir de la date de licenciement en l’espèce, la date à laquelle le poste de l’employé a été supprimé et sa date de cessation d’emploi ne coïncident pas nécessairement. La division générale ne déclare pas que les indemnisations de départ doivent commencer à la date de licenciement, et il n’est pas évident de savoir si la division générale avait cette intention ou si elle a appliqué l’article 36(9) du Règlement.

[23] J’estime donc que la division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer l’article 36(9) du Règlement pour déterminer la date à partir de laquelle l’indemnité de départ devait être répartie.

Réparation

[24] Après avoir conclu que la division générale a commis une erreur, je dois déterminer la réparation appropriée. Au titre de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[25] Le prestataire n’a pas soutenu que la décision de la division générale était erronée lorsque celle-ci a conclu que l’indemnité de départ en question constitue une rémunération et qu’elle devrait être répartie, et je ne constate aucune raison de modifier la décision de la division générale à cet égard.

[26] Cependant, le prestataire et la Commission soutiennent que la date de début de la répartition devrait être le 1er juillet 2016, date à laquelle l’indemnité de départ est devenue payable selon les deux parties.

[27] Comme il a été mentionné précédemment, l’article 36(9) prévoit que la rémunération versée en raison d’un licenciement ou d’une cessation d’emploi est répartie à partir de la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi. Il n’est pas contesté que la date du licenciement est le 30 décembre 2015. Il faut encore déterminer la date de cessation d’emploi et si l’indemnité de départ a été versée en raison du licenciement ou de la cessation d’emploi.

[28] Selon l’article 24.5 de la convention, un membre du personnel serait seulement admissible à l’indemnité de départ six mois après la date de suppression de son poste ou au moment où il décide de mettre fin à son lien d’emploi. Entre-temps, la cessation d’emploi du membre du personnel est reportée.

[29] La pertinence et l’importance des conditions comme celles prévues dans l’article 24.5 et l’application de ces conditions ont fait l’objet d’un examen dans d’autres causes. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. CantinNote de bas de page 6, la Cour d’appel fédérale a examiné la fermeture d’une usine accompagnée d’un licenciement collectif. Dans cette affaire, l’employeur a accepté de verser une indemnité de départ au personnel touché, mais le versement était conditionnel à une entente selon laquelle le personnel renonçait à son droit de rappel et mettait fin à son lien avec l’employeur. Le personnel qui n’avait pas signé l’entente conservait son droit de rappel, mais ne touchait pas l’indemnité de départ. Pour ce motif, la Cour a conclu que le licenciement collectif ne constituait pas une cessation d’emploi au sens de l’article 36(9) du Règlement. La Cour a considéré que la rupture définitive du lien d’emploi était survenue à une date ultérieure, au moment de la signature de l’entente de renonciation.

[30] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Savarie, la Cour d’appel fédérale a également examiné l’application de l’article 36(9) du Règlement. Elle y déclare ce qui suit :
À mon avis, un paiement est fait en raison de la cessation d’emploi au sens du texte lorsqu’il devient dû et exigible au moment où survient la fin de l’emploi, lorsqu’il est, pour ainsi dire, déclenché par l’écoulement du temps d’emploi, lorsque l’obligation qu’il vise à satisfaire n’était que virtuelle tant que se poursuivait l’emploi, et ne devait se cristalliser en devenant liquide et exigible qu’au moment seulement où prendrait fin l’emploi. Ce que l’on veut couvrir, c’est toute partie de rémunération qui devient due et exigible au moment où se termine le contrat de travail et commence l’état de chômageNote de bas de page 7.

[31] Les décisions du juge-arbitre n’ont pas force exécutoire sur la division d’appel, mais j’estime que la décision 28611 du juge-arbitre du Canada sur les prestations est convaincante. Pour déterminer si l’indemnité de départ doit être fondée sur la date du licenciement ou de la cessation d’emploi, le juge-arbitre a déclaré ce qui suit : [traduction] « C’est la date de cessation d’emploi, la date finale à laquelle le lien employeur-employé est rompu, qui doit prévaloir. »

[32] Je conviens que, au final, le prestataire n’a pas mis fin à son emploi avant l’expiration de la période de report de six mois. Les conditions de la convention prévoient explicitement que la cessation d’emploi du prestataire a été reportée de six mois après la suppression du poste (le 30 décembre 2015) et que le prestataire a conservé des privilèges propres au personnel pendant ce report, y compris un accès privilégié à d’autres postes auprès de l’employeur. De plus, le prestataire n’aurait pas pu obtenir son indemnité de départ à un moment antérieur, sauf s’il avait également abandonné son statut d’employé et certains privilèges ou indemnisations. Il n’aurait pas du tout été admissible à l’indemnisation de départ s’il avait été capable d’obtenir un autre poste auprès de l’employeur pendant le report de six mois.

[33] Étant donné que la cessation d’emploi du prestataire a été reportée de six mois et que l’admissibilité du prestataire à l’indemnité de départ dépendant des progrès réalisés dans cette période de six mois, j’estime que le versement de l’indemnité de départ n’a été effectué que le 1er juillet 2016, soit le jour suivant l’expiration du report de six mois de la cessation d’emploi. Le prestataire a mis fin à son emploi le 1er juillet 2016, et, conformément à l’article 36(9) du Règlement, son indemnité de départ devrait être répartie dans les semaines suivant la semaine de la cessation d’emploi.

Conclusion

[34] La décision de la division générale est modifiée partiellement. Je confirme que l’indemnité de départ de 92 236,80 $ constitue une rémunération et qu’elle devrait être répartie, comme l’a conclu la division générale, mais je modifie la date de début. Le versement de l’indemnité de départ devrait être réparti dans les semaines suivant la semaine du 1er juillet 2016, soit la semaine dans laquelle le prestataire a finalement cessé son emploi auprès de son employeur.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 12 juin 2018

Téléconférence

K. B., appelant

Ronni Nordal, représentante de l’appelant

Susan Prud’homme, représentante de l’intimée

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